Weimar 2.0 "Le retour?!..."
par Nicolas Gasparoni
2 novembre 2008
Le renforcement soudain de la devise US ces dernières semaines ne manque pas de susciter l'interrogation. A l'automne 2007, le "loonie" canadien passait devant le dollar US, pour la première fois depuis près de 30 ans. Quelques mois plus tard, en mars 2008, c'est le franc suisse qui, pour la première fois de son histoire, passait à son tour au-dessus du billet vert (0.98) pendant que l'once d'or franchissait la marque historique des 1'000 dollars (contre 250$ l'once en 2001). Trois mois plus tard, au coeur de l'été, l'euro culmina à plus de 1.60 dollars, au moment où le baril de pétrole dépassait les 147 dollars à New York et se rapprochait de la marque psychologique des 150 dollars, et que des experts projetaient déjà un cours à plus de 200$ avant la fin 2008.
Or, depuis le début du mois d'août, nous assistons à une remontée spectaculaire du billet vert, au point où l'euro ne s'échange plus actuellement que contre 1.24 ou 1.25 dollars (-30%) et que 98 centimes suisses ne suffisent largement plus à acheter un dollar (il faut désormais mettre entre 114 et 119 centimes sur la table pour que la transaction se fasse). Petit bémol cependant, et qui permet de relativiser l'actuel raffermissement de la devise US, nous restons loin du cours USD/CHF qui prévalait par exemple à l'été 2001, soit aux alentours de 1.65 francs suisse. Il fallait, au même moment, environ 1.20 euros pour acheter un dollar (aujourd'hui c'est l'inverse, il faut un peu plus de 1.20 dollars pour acheter un euro).
N'en reste pas moins que le renforcement aussi soudain qu'inattendu de la devise US, ces derniers mois, n'a pas manqué d'en surprendre plus d'un. Et il est vrai que la surprise est de taille : comment la monnaie d'un pays surendetté, empêtré dans plusieurs guerres ingagnables, dont l'économie entre en dépression - et non en simple récession - et dont l'indice M3 (mesure de la masse monétaire totale en circulation) est si gigantesque qu'il n'est plus rendu publique depuis mars 2006, peut-elle caracoler comme elle le fait actuellement, plombant l'or, enfonçant littéralement l'euro, plumant le franc suisse et annihilant litérralement la livre sterling, cette valeur refuge de jadis? Comment la devise d'une des économies les plus malmenées et les plus mal en point de la planète peut-elle produire, après des années de chant du cygne, et telle un phénix renaissant de ses cendres, un si brutal retournement?
Cela est très certainement causé par deux facteurs importants que nous allons étudier, a savoir, dans un premier temps, une manipulation opérée par la Fed et le gouvernement US à partir d'août dernier puis, dès la mi-septembre et la faillite de Lehmann Brothers, par un processus de "déleveraging" (nous allons y revenir) opéré par nombre de fonds spéculateurs qui, en panne de liquidités créent, forcés qu'ils sont de vendre bon nombre d'actifs libellés en dollars, une demande temporaire mais néanmoins importante de billets verts.
L'objectif de ce pensum et de faire le point sur la situation actuelle, et les perspectives à court et moyen termes. Pour résumer notre pensée, la remontée conjoncturelle du dollar et la baisse des matières premières libellées en dollar telles que le pétrole ou l'or, n'est qu'un feu de paille qui n'est pas appelé à durer. Preuve en est qu'à ce jour, la progression fulgurante du billet vert semble déjà marquer le pas, et l'abaissement, en deux temps, du taux directeur de la Fed de 1% (en moins d'un mois) ne fait rien pour améliorer ses perspectives.
Manipuler le dollar pour le renforcer, comment et à quelle fin?
La tradition - non respectée en 2007 - veut qu'en France, le président nouvellement élu accorde, dès son entrée en fonction, une amnistie à tous les automobilistes récemment amendés pour des infractions mineures au code de la route. Nous pourrions appeler cela l' "aministie post-électorale". Il faut savoir que les Etats-Unis, eux, pratiquent sans qu'on en parle beaucoup, ce que l'on pourrait appeller l' "aministie pré-électorale", qui consiste en une intervention du pouvoir en place sur le dollar, dans le but de le raffermir provisoirement, ce qui a pour effet la baisse du prix du pétrole libellé en dollar (et tel un système de vases communiquants, son prix baisse au fur et à mesure que le billet vert nécessaire à son achat se raffermit). Au final, la baisse du prix du brut se répercute à la pompe, au bénéfice du citoyen-automobiliste lambda. Il faut savoir qu'un peu partout en occident, le prix à la pompe est le moyen le plus courant permettant à la population de jauger du pouvoir d'achat des billets que contiennent son porte-monnaie, et à fortiori de la compétence de ses gouvernants. "Faites monter les prix à la pompe, et vous aurez une révolution. Faites les descendre et vous aurez une réelection", tel pourrait être le mot d'ordre des gouvernants en place. Il va de soit que le pétrole étant échangé dans le monde entier contre des billets verts, c'est donc les automobilistes du monde entier qui, sans qu'ils ne s'en rendent compte, contribuent à financer ce cadeau fait à l'électeur automobiliste US.
(suite de l'article plus bas)
Leçon de cynisme
par N.G.
Manipuler le cours du brut?
Henry Kissinger nous a appris, il y a 35 ans, comment manipuler le cours du pétrole à la hausse : vous vous arrangez pour qu'éclate une guerre impliquant un ou deux états pétroliers (voir plus), idéalement au Proche-Orient. Puis, vous vous débrouillez pour qu'un de ces états pétroliers agite le spectre d'un blocus de ses livraisons de pétrole aux alliés de son adversaire. Que le blocus entre en vigueur ou pas, les sociétés pétrolières qui contrôlent les exportations sautent sur l'occasion pour invoquer un "risque de pénurie" justifiant bien sûr des rationnements, et donc des hausses de prix se répercutant à la pompe. Bien sûr, c'est le pays producteur de pétrole, qu'il ait réellement ou pas mis en place un blocus de ses exportations de son or noir, qui est blâmé par les médias contrôlés, comme toujours, par des sociétés écrans, des trusts, des montages financiers derrières lesquels se cachent, surprise, les géants pétroliers. Voilà la guerre du Kippour (octobre 1973), ses véritables motifs et ses buts, résumés en moins de dix lignes!
A la veille du déclanchement (par les états arabes producteurs de pétrole, mais encouragés dans ce sens par Kissinger) de ce conflit, le brut côtait à 1$ à New York. Quelques semaines plus tard, il atteignait 4$, car un embargo (qui n'a en réalité jamais existé) risquait de provoquer une pénurie. Tout cela a provoqué une récession économique importante dans le monde industrialisé (et se répéta en 1979/80 après l'invasion de l'Iran par l'Irak).
Reste maintenant à savoir comment manipuler des cours à la baisse!
Pour que le pétrole baisse, il faut que la devise qui sert à l'acheter se renchérisse (les fameux vases communiquants). Cela implique d'avoir un controle total sur cette devise. cela peut paraître compliqué, et ça l'était jusqu'à l'été 1973, lorsque les pays membres de l'OPEP, sous l'amicale pression des USA, décidèrent la mise en place de ce que l'on pourrait appeller l' "étalon-or noir" (en remplacement de l' "étalon-or métal" de Bretton Woods, le vrai, un accord international signé au lendemain de la seconde guerre mondiale, et liquidé unilatéralement... et à l'unanimité de lui-même, par le président Nixon, sur le conseil de l'inévitable Henry Kissinger).
C'est donc dans la joie et la bonne humeur qu'il fut décidé qu'à partir de cet été 1973 (et donc quelques semaines avant la fameuse guerre du Kipour dont nous avons parlé plus haut), que le pétrole ne pourrait plus être acheté qu'au moyen de billets verts. Pour la première fois en cent ans d'extraction du pétrole, un seul gouvernement (Washington), une seule banque centrale (la Fed), se voyait remettre les clés du contrôle exclusif des échanges (achats-ventes) de pétrole. Depuis 1973, il suffit donc d'intervenir sur le dollar (ce que seuls le gouvernement US et la Fed peuvent faire à grande échelle) pour faire baisser ou monter (au choix) le prix du brut, et donc du litre d'essence à la pompe.
En janvier 1986, alors que le pétrole côtait à plus de 20 $ le baril WTI, ce qui permettait à l'URSS, gros producteur de cette matière première, de financer sa ruineuse et inutile expédition afghane, le vice-président US de l'époque, George H.W. Bush, père du président actuel et président lui-même entre 1989 et 1993, se rendit en Arabie Saoudite avec un seul mot d'ordre : "ouvrez les vannes!", ce qui fut immédiatement fait. Le pétrole, soudainement disponible en quantité plus qu'abondante, vit son cours baisser massivement (selon la bonne vieille mais toujours vraie loi de l'offre et de la demande). En juillet de cette année 1986, il ne côtait plus qu'à dix dollars (-50%).
Quelques mois plus tard (1988-89), l'Empire Soviétique était à genoux, en quasi cessation de paiement, incapable de retenir ses satellites d'Europe de l'Est, et le mur de Berlin s'effondrait. La première guerre du Golfe, consécutive à l'invasion du Koweit par Saddam Hussein en août 1990, allait servir à provoquer une nouvelle hausse massive des cours du brut. Doit-on rappeler qu'en août 1990, comme en 1980 lorsqu'il attaqua l'Iran, Saddam avait été secrètement encouragé par les USA à tomber dans le piège d'une invasion du Koweit? L'URSS s'étant effondrée, un pétrole à bas prix n'avait plus lieu d'être pour le lobby pétrolier US, et comme nous l'avons vu plus haut, le meilleur moyen de le faire remonter rapidement, c'est une "bonne" guerre entre plusieurs états pétroliers. CQFD.
Depuis, certains se sont aventurés à remettre en cause ce fameux "étalon-or noir", à l'image de Saddam Hussein, toujours lui, assis sur la deuxième réserve mondiale du pétrole qui décida, fin novembre 2000, qu'il exigerait des euros en lieu et place de dollars contre son pétrole, ce que l'inique accord "pétrole contre nourriture" mis en place par les USA après la guerre du Golfe (sous la guise de l'ONU), avait omis de prohiber.
C'est à ce moment que l'Irak, qui avait disparu des actualités aux USA, revint sur le devant de la scène et qu'une nouvelle vague d'hystérie anti-Saddam vit le jour. Le candidat à la Vice-présidence Dick Cheney déclara, début décembre 2000, à peu près au moment où la Cour Suprême US se réunissait pour désigner George W. Bush comme 43e président des USA, que l'Irak (et ses prétendues armes de destruction massives) constituait une menace grave pour la paix au Proche-Orient et qu'il s'apprêtait à attaquer Israël. Après le 11 septembre, il n'y eut qu'à faire gober au monde que Saddam Hussein et Ben Laden étaient de mèche pour justifier l'invasion de l'ex-Mésopotamie. Le dollar US fut rétabli comme monnaie éxigée contre du pétrole irakien... en juin 2003, apparement une des priorités de la "nouvelle autorité" coloniale, après le renversement de Saddam Hussein.
Depuis, on a eu la preuve que Cheney et le gouvernement US mentaient et que bien sûr Israël, puissance nucléaire, ne risquait rien, mais le même spectre des armes de destruction massives (en l'occurence nucléaires) est aujourd'hui agité pour justifier une aggression à venir de l'Iran (qui exige des euros et des yens contre son pétrole depuis 2007, ce qui menace l'hégémonie du dollar sur le marché de l'or noir). Il suffit juste d'un peu de discernement pour s'en apercevoir et ainsi faire le lien entre les événements.
Que les personnes qui doutent qu'un tel cynisme puisse prévaloir dans les décisions des états étudient le renversement par la CIA, en 1953, du premier ministre nationaliste Mossadegh en Iran et son remplacement par un dictateur, le Shah, le tout pour aboutir à la Révolution de 1979 et l'arrivée de l'Ayatollah Khomeiny sur le devant de la scène. Un De Gaulle ne manquait pas de rappeler que "les états n'ont pas d'amis" ainsi, il faut cesser de croire au Père Noël : on ne verra jamais une puissance agir par philantropie. Derrière le masque de la Paix, du Bien, il y a toujours d'inavouables desseins.
(suite de l'article)
Pas une première
Les manipulations, par les USA, du cours du pétrole et du dollar à des fins politiques ne sont pas une rareté (voir encadré ci-dessus). Le fait que cela se produise précisément en amont d'élections nationales non plus. En consultant le tableau ci-dessous, tiré du site du Département US de l'Energie,
on s'aperçoit que le phénomène que l'on a observé durant cet été 2008 s'est déjà produit en 2006, alors que le gouvernement Bush s'apprêtait à vivre de difficiles élections législatives de mi-mandat (mid-term).
Aux alentours du 10 juin de cette année, le prix du gallon (3,5 litres) d'essence à la pompe connut un pic à 3 dollars (moyenne sur tout le territoire national), à la suite de quoi il diminua significativement (alors que le Proche-Orient connaissait la guerre!), tombant à moins de 2.25 dollars début novembre, soit précisément au moment où les américains se rendaient dans les isoloirs pour y glisser leur bulletin de vote (= ristourne de 25% à l'électeur automobiliste). Cela n'a cependant pas suffit à empêcher une débâcle du pouvoir en place (peut-être cela a-t'il contribué à limiter la casse ici ou là pour le parti républicain).