TEMOIGNAGE - «A6 h 30, ça sonne. J’étais en pyjama. Par la fenêtre, ils ont passé une carte, "Police criminelle". J’ai dit : "Arrêtez les gars, vous faites une farce".» C’était jeudi 22 janvier, une petite maison blanche, quartier des musiciens à Louvroil, près de Maubeuge. Zéphir Brassart, 67 ans, trapu à moustache, ancien entraîneur de foot à Maubeuge, retraité des services techniques de la ville voisine de Ferrière-la-Grande, a ouvert la porte aux policiers en civil, deux Parisiens, et un Lillois. Une semaine plus tard, il raconte, dans sa salle à manger. «Ils se sont assis là. Ils m’ont dit : "C’est très grave, vous êtes un criminel, vous avez voulu tuer le président Sarkozy".»
«Tordu». Les policiers lui montrent une lettre écrite tapée à l’ordinateur, et signée de son nom, à la main. Zéphir Brassart et sa femme citent le texte de mémoire : «Je vais te faire la peau, et ton Italienne de Carla Bruni aussi. Il y avait aussi des insultes sur l’épouse du Président. Il y avait aussi écrit que j’avais une entreprise de terroristes, contre les policiers qui mettent des PV.» La lettre menace enfin de «faire sauter l’Elysée» si son hôte ne démissionne pas. Et évoque un «sale hongrois». Zéphir Brassart : «Je ne savais pas que Nicolas Sarkozy était hongrois». En bas, son nom, son adresse. Et la signature. «Rien à voir avec la mienne.» Il bout : «Moi, faire la peau à Sarkozy ? Franchement, j’aurais mis mon adresse ? Ils m’ont tellement énervé que j’ai élevé la voix.»
La lettre, il l’a lue, vite, entre les trois policiers, qui lui disaient de les suivre. «Une longue lettre, des termes qu’on ne comprenait pas toujours. De quelqu’un qui a l’habitude des ordinateurs.» Lui sait tout juste trouver ses mails, «même pas y répondre», et surfer sur Copainsd’avant. «Je leur ai dit "ça correspond pas, c’est une erreur".» Sa femme : «Mais qui est-ce qui a pu faire ça ? C’est dingue, c’est fou. Un tordu, un malade !» Elle se souvient : mon mari «a élevé le ton quand on lui a dit qu’il était un terroriste». Lui : «Je me suis pas laissé faire, je leur ai dit qu’ils étaient chez moi.» Le policier lillois, il le connaît : «Il a fait sport-études avec mon fils. Il m’a dit :"Je t’ai reconnu. Au foot, ton fils était aussi nerveux que toi"». Ils l’embarquent. «Comme ça, en pyjama. J’ai dit que je voulais d’abord me raser, m’habiller, prendre mon café.» Un policier inspecte l’ordinateur, l’imprimante, et «fait non de la tête», se souvient l’épouse. Zéphir : «A ce moment-là, ils savaient déjà que c’était pas moi. Ils ont fouillé toute la maison, mais corrects. Je les avais prévenus, pas de menottes, pas de cellule.»
Dachau. Au commissariat de Maubeuge, la garde à vue dure sept heures. Nom du père, nom de la mère. «Mon père est un ancien déporté. Henri Brassart, FTP [Franc-tireurs et partisans, ndlr]. Il a fait Dachau et Buchenwald. Les Russes les ont libérés. Parfois, il nous réunissait, et il disait : "Vous n’êtes pas sauvés, il faut être vigilant. Ils peuvent vous prendre votre corps, pas votre esprit".» Nom des neuf frères et sœurs, service militaire, appelé en Algérie, médailles. ADN, empreintes, photo, de face et de profil, «comme un criminel. Comme dans "les Experts à Miami".» Profession ? «J’étais connu, aux services techniques. Le procureur et le juge me confiaient des gars en travaux d’intérêt général, je les mettais dans l’équipe, pour balayer, goudronner, faire les espaces verts.» Connu au foot aussi, membre du comité directeur de l’US Maubeuge. On l’interroge encore, «comme un assassin. "Combien tu gagnes ?" J’ai dit : "Tu demandes au percepteur". Il me tutoyait, moi aussi.» On lui demande de signer, pour comparer avec la signature. «Au moins 50 fois.» Devant lui, un policier téléphone. «Je l’entends dire : "On s’est planté, c’est des gens bien".» Il porte plainte contre X pour usurpation d’identité, mais attend aussi des excuses. «Pas un mot, pas un coup de fil. On vous laisse là. Ils me disent : "Vous êtes pas content, prenez un avocat". Avec quel argent ?»
Le dimanche, il croise le correspondant de la Voix du Nord au stade de foot, et lui raconte tout. «Il m’a dit : "Il ne faut pas laisser passer".» Il en parle à son voisin conseiller municipal. La maire, Annick Mattighello (PCF), l’appelle. «Elle m’a dit de porter plainte et d’aller voir mon médecin.» Le lendemain de la garde à vue, il pleure tout le temps. «Ça partait tout seul.» Sa femme «panique» quand on frappe à la porte. «On est des gens petits, et honnêtes.» La nuit, «on dort plus, on pense». Le jour, il essaie de rire : «Je sais déjà qu’au camping, en avril, je vais me faire chambrer.» Le parquet de Paris a confirmé à l’AFP qu’aucune charge n’avait été retenue contre lui. La brigade criminelle continue d’enquêter pour trouver le corbeau.
Haydée Sabéran
http://www.libelille.fr/saberan/2009/02/lhomme-qui-ne-v.html
«Tordu». Les policiers lui montrent une lettre écrite tapée à l’ordinateur, et signée de son nom, à la main. Zéphir Brassart et sa femme citent le texte de mémoire : «Je vais te faire la peau, et ton Italienne de Carla Bruni aussi. Il y avait aussi des insultes sur l’épouse du Président. Il y avait aussi écrit que j’avais une entreprise de terroristes, contre les policiers qui mettent des PV.» La lettre menace enfin de «faire sauter l’Elysée» si son hôte ne démissionne pas. Et évoque un «sale hongrois». Zéphir Brassart : «Je ne savais pas que Nicolas Sarkozy était hongrois». En bas, son nom, son adresse. Et la signature. «Rien à voir avec la mienne.» Il bout : «Moi, faire la peau à Sarkozy ? Franchement, j’aurais mis mon adresse ? Ils m’ont tellement énervé que j’ai élevé la voix.»
La lettre, il l’a lue, vite, entre les trois policiers, qui lui disaient de les suivre. «Une longue lettre, des termes qu’on ne comprenait pas toujours. De quelqu’un qui a l’habitude des ordinateurs.» Lui sait tout juste trouver ses mails, «même pas y répondre», et surfer sur Copainsd’avant. «Je leur ai dit "ça correspond pas, c’est une erreur".» Sa femme : «Mais qui est-ce qui a pu faire ça ? C’est dingue, c’est fou. Un tordu, un malade !» Elle se souvient : mon mari «a élevé le ton quand on lui a dit qu’il était un terroriste». Lui : «Je me suis pas laissé faire, je leur ai dit qu’ils étaient chez moi.» Le policier lillois, il le connaît : «Il a fait sport-études avec mon fils. Il m’a dit :"Je t’ai reconnu. Au foot, ton fils était aussi nerveux que toi"». Ils l’embarquent. «Comme ça, en pyjama. J’ai dit que je voulais d’abord me raser, m’habiller, prendre mon café.» Un policier inspecte l’ordinateur, l’imprimante, et «fait non de la tête», se souvient l’épouse. Zéphir : «A ce moment-là, ils savaient déjà que c’était pas moi. Ils ont fouillé toute la maison, mais corrects. Je les avais prévenus, pas de menottes, pas de cellule.»
Dachau. Au commissariat de Maubeuge, la garde à vue dure sept heures. Nom du père, nom de la mère. «Mon père est un ancien déporté. Henri Brassart, FTP [Franc-tireurs et partisans, ndlr]. Il a fait Dachau et Buchenwald. Les Russes les ont libérés. Parfois, il nous réunissait, et il disait : "Vous n’êtes pas sauvés, il faut être vigilant. Ils peuvent vous prendre votre corps, pas votre esprit".» Nom des neuf frères et sœurs, service militaire, appelé en Algérie, médailles. ADN, empreintes, photo, de face et de profil, «comme un criminel. Comme dans "les Experts à Miami".» Profession ? «J’étais connu, aux services techniques. Le procureur et le juge me confiaient des gars en travaux d’intérêt général, je les mettais dans l’équipe, pour balayer, goudronner, faire les espaces verts.» Connu au foot aussi, membre du comité directeur de l’US Maubeuge. On l’interroge encore, «comme un assassin. "Combien tu gagnes ?" J’ai dit : "Tu demandes au percepteur". Il me tutoyait, moi aussi.» On lui demande de signer, pour comparer avec la signature. «Au moins 50 fois.» Devant lui, un policier téléphone. «Je l’entends dire : "On s’est planté, c’est des gens bien".» Il porte plainte contre X pour usurpation d’identité, mais attend aussi des excuses. «Pas un mot, pas un coup de fil. On vous laisse là. Ils me disent : "Vous êtes pas content, prenez un avocat". Avec quel argent ?»
Le dimanche, il croise le correspondant de la Voix du Nord au stade de foot, et lui raconte tout. «Il m’a dit : "Il ne faut pas laisser passer".» Il en parle à son voisin conseiller municipal. La maire, Annick Mattighello (PCF), l’appelle. «Elle m’a dit de porter plainte et d’aller voir mon médecin.» Le lendemain de la garde à vue, il pleure tout le temps. «Ça partait tout seul.» Sa femme «panique» quand on frappe à la porte. «On est des gens petits, et honnêtes.» La nuit, «on dort plus, on pense». Le jour, il essaie de rire : «Je sais déjà qu’au camping, en avril, je vais me faire chambrer.» Le parquet de Paris a confirmé à l’AFP qu’aucune charge n’avait été retenue contre lui. La brigade criminelle continue d’enquêter pour trouver le corbeau.
Haydée Sabéran
http://www.libelille.fr/saberan/2009/02/lhomme-qui-ne-v.html