La Franc-Maconnerie en Algérie
Messagede africapax_admin le Dim 16 Nov 2008, 15:50
La Voix des Opprimés
Des franc-maçons en Algérie, la sentence ressemble à un scoop de tabloïd de hall de gare. Les francs-maçons ont bien existé en Algérie et des documents sérieux et authentiques le prouvent.
Il y a sans conteste les maçons de la loge algéroise de Bélisaire créée autour de 1835. Une loge officielle que les colonisateurs ont ramenée dans leurs bagages. Il reste que l’ancienneté des écritures sur lesquelles se fonde la franc-maçonnerie, la transmission d’un savoir ésotérique qui foisonne de références historiques, laisse penser que les maçons existaient en Algérie bien avant l’arrivée des Français et ce sont les francs-maçons eux-mêmes qui le soutiennent.
Un franc-maçon de la loge de Bélisaire du nom de Piessel, en voyage dans le sud-est algérien au milieu du XIXe siècle parle d’une zaouia, celle des Khouan. Pour lui, cette “secte indigène” appartient à “la grande famille” par une ramification oubliée ou encore un filon perdu. La revue La Maçonnerie africaine parle encore des Khouan et soutient que les termes utilisés par cette société secrète ou les attouchements – les francs-maçons ont des façons propres à eux de se saluer et pour se reconnaître – sont liés directement aux maçons. Des aspects difficilement vérifiables mais qui rappellent que la maçonnerie, par son ancienneté et les conditions de sa création, fait que le lien entre Orient et Occident sur ce plan est indubitable. Mais au delà de la quête purement intellectuelle, il y a aussi les textes officiels des loges recueillis par Xavier Yacono dans la revue Africiane en 1951. Ce dernier signale que “dans le Registre des Procès-Verbaux de la Chambre de Paris du Grand Orient en date du 14 septembre 1785, le TCF (très cher frère en écriture maçonnique, ndlr) Mouhammed Techeliby, Algérien, a demandé l’entrée du temple et a été introduit après avoir été thuilé (?) aux trois premiers grades. Ce F (frère) étant muni d’un certificat d’une L (loge) d’Angleterre a prié la Chambre de le viser, ce qui a été accordé à l’unanimité”.
Dans le même artcile de Yacono, “un procès-verbal de la 168e assemblée générale du Grand Orient du 7 avril 1786 dit que le F Méhémet Celibi, maçon algérien, a dit que s’étant trouvé à l’de Nantes et désirant fraterniser avec les maçons français il s’était présenté à la L de la Parfaite située sous le même O, mais que les FF de cette L, quoiqu’il fût connu du vénérable, lui ont refusé l’entrée de leur temple en lui faisant dire que la différence de religion ne leur permettait pas de l’admettre à leurs travaux. Le même F algérien, afin de ne plus être exposé à de semblables refus en visitant d’autres ateliers (sic) a prié le GO de lui accorder la faveur de viser les patentes maçonniques qui constatent sa qualité de frère”. Celebi, selon la graphie turque, ou Tchelebi, a pu faire viser ses patentes prouvant sa qualité de frère le 11 avril, alors que devait se tenir une assemblée de trois ateliers.
Mais le Tchelebi en question n’était pas seul ! Yacono découvre, dans les archives du Grand Orient, un autre Algérien. Dans un extrait de la 184e assemblée extraordinaire du 13 juillet 1787 : “Le R président a invité l’assemblée à accorder des secours aux FF Abraham Gollingo, Turc, et Abraham Baker (peut-être une mauvaise transcription de Bakir ou Bakr, ndlr), Algérien ; il a même proposé de faire une quête extraordinaire en leur faveur.”
Une quête qui rapporté la somme de trente livres deux sols et on y a ajouté une somme “quelconque prise dans la caisse des secours” pour permettre aux deux frères de poursuivre leur route. Cela dit, les documents trouvés par Yacono ne disent pas où ces “frères” ont été initiés.
Abdelkader, une énigme ?
“L’Emir Abdelkader, un maçon”, la phrase fait sursauter beaucoup monde tant l’ignorance de la franc-maçonnerie pousse aux conclusions les plus hâtives. Dans le même temps, le fonctionnement secret de la franc-maçonnerie permet en fait de taxer n’importe qui de maçon d’autant qu’il n’a plus les moyens de remettre en question l’assertion. L’Emir Abdelkader, fondateur historique de l’Etat algérien moderne, combattant et résistant à la colonisation mais aussi grand ami de la France après avoir intercédé en faveur des chrétiens de Damas qui ont failli être massacrés, aurait été initié à Alexandrie, en Egypte. Il n’est pas un ouvrage généraliste, un texte maçon accessible aux profanes, la moindre liste des personnalités célèbres qui ont été franc-maçon qui ne rappelle inlassablement que l’Emir Abdelkader était un “frère”.
Christian Guigue, franc-maçon et historien, interrogé à propos de l’initiation de l’Emir, indique que “personne ne peut retirer la qualité maçonnique d’un franc-maçon ni même ses frères ni son obédience. On peut l’exclure mais en aucun cas annuler sa qualité de maçon comme il est impossible de retirer la qualité de musulman à un homme puisque la circoncision et son engagement devant Allah ont eu lieu”. Un texte historique, un procès-verbal de la loge Henri VI à Paris précise que “le F Emir Abdelkader a été reçu en visite” dans cette loge. Mais une visite à la loge n’est aucunement la preuve d’une initiation. Pour Guigue, “l’Emir Abdelkader semble le plus ancien (musulman et algérien) sinon le premier pour l’ancienne zone française”.
Christian Guigue indique qu’il y a non seulement “des maçons algériens célèbres actuellement. Il reste impossible de donner des noms de maçons vivants”.
Quant aux loges, elles peuvent exister (Guigue refuse d’être affirmatif), “mais travaillent cachées”. Cette façon de faire n’est pas nouvelle, “ce fut toujours le cas au Maghreb. Un membre de ma famille a fondé et fait travailler plusieurs loges en Tunisie, Maroc et Algérie alors que cela était interdit par le pouvoir en place. Elles ont eu une existence officielle, ayant été soutenues par le Grand Orient de France en ce temps-là”.
Zaouïa ou loge maçonnique ?
Mais finalement, quelle meilleure manière a-t-on en Algérie pour cacher aux yeux indiscrets l’existence d’une loge maçonnique ? Effectivement les va-et-vient, les tenues (nom donné aux réunions chez les maçons) les convents (les assemblées générales), les initiations et les travaux multiples et variés d’une loge pourraient laisser supposer l’existence de pratiques clandestines. A moins de transformer la loge en mouhafada du FLN, la meilleure façon de la camoufler reste la zaouïa. Si on pratique des rites ou des rituels, cela n’offusque personne et ne devrait pas semer le doute. D’autant que les adeptes d’une zaouïa comme il y en a beaucoup en Algérie peuvent venir de partout et se réunir de manière régulière. A ce propos, on parle d’une zaouïa à Mostaganem dont les adeptes sont parfois des universitaires ou des hommes d’affaires. Des gens qui ne viennent pas pour invoquer le saint patron de la zaouïa mais pour des réunions. Le cheikh de cette zaouïa, qu’on s’attendrait à voir habillé d’une gandoura et portant turban, porte un costume-cravate, a une vie sociale tout à fait normale et vaque à ses affaires.
Une autre zaouïa de Mostaganem se retrouve dans le parcours de René Guénon, personnage fantasque et célèbre pour les passionnés d’ésotérisme ; il est considéré comme le fondateur de l’école traditionaliste en franc-maçonnerie ou encore du “guénonisme”. Sa quête de la “parole perdue” le mènera vers la franc-maçonnerie puis vers l’église gnostique avant de se convertir à l’islam en 1910 sous l’influence d’un peintre présenté tantôt comme suédois, tantôt comme français, qui s’appellerait Yvan ou Gustave Anguéli, devenu Abdoulhadi.
René Guenon devient alors Abdelwahid Yahia, avant de recevoir la baraka en Egypte d’un cheikh de la tariqa chadlya, Addel-Rahmân Elish el-Kebir. Guenon fera un tour par l’Algérie en 1917 en tant qu’enseignant et séjournera près d’une année à Sétif.
Dans les années trente, on verra se former autour de Guénon tout un groupe d’Européens : Schuon, Titus Burckhardt, Martin Lings, Michel Valsan, qui ne verront de salut que dans la voie ésotérique musulmane. Son influence est telle qu’une loge sera créée avec son accord en France en 1947 puis une seconde sera créée en Suisse sous son nom. En fait, trois courants principaux de disciples ont été esquissés à la mort de René Guénon en Europe : ceux de Frithjof Schuon, de Michel Valsan et de Roger Maridort.
Mais on signale aussi le rôle du cheikh Alawî de Mostaganem (en Algérie) que Schuon rencontrera en 1932. Alors que nous sommes à la quatrième génération des disciples de Guénon, la majorité s’est convertie à l’islam. Non pas à l’islam traditionaliste ou encore aux préceptes salafistes, mais ont rejoint cet islam ésotérique, d’un ordre quasiment “intellectuel” dont le représentant le plus symbolique reste Ibn El-Arabi.
Pour Abdelouahid Yahia, des guildes de maçons opératifs existaient dans le monde musulman. “Ces maçons orientaux utilisaient même des marques similaires à celles de leurs collègues occidentaux du Moyen Age, et qui étaient appelées en arabe khatt el-bannaïn, c’est-à-dire ‘écriture des bâtisseurs’.” Mais tout cela appartient à un passé déjà assez lointain. Par ailleurs, dans les turuq islamiques ou confréries ésotériques (qui sont également “opératives” en fait, mais évidement dans un autre sens plus profond que le sens purement “professionnel”), certains éléments ont été conservés qui ressemblent étrangement au “compagnonnage” occidental, par exemple le port du ruban ou du bâton qui a exactement la même forme. En ce qui concerne le symbolisme de ces bâtons, il y aurait beaucoup à dire en rapport avec les sciences secrètes qui sont spécialement attribuées à Seyidnâ Suleymân.
Quand Bruno Etienne rencontre Abdelkader
Bruno Etienne, né en Algérie, est professeur de sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille III. Spécialiste de l’Algérie et de l’islam, il est l’auteur, entre autres, d’une biographie extraordinairement détaillée sur l’Emir Abdelkader. Il s’agit en fait d’un dialogue imaginaire entre l’Emir et lui.
Franc-maçon et universitaire, Bruno Etienne a écrit également Une Voie pour l’Occident avec pour sous-titre La franc-maçonnerie à venir. Le lien de Bruno Etienne avec l’Emir ne s’arrête pas, bien sûr, à une rencontre intellectuelle. Il a aidé les premiers gouvernements algériens d’après l’indépendance. Il croyait sérieusement à la révolution socialiste menée d’abord par Ben Bella puis par Boumediene. Il a commis, entre autres ouvrages, à cette époque, L’Algérie comme montreur de conduite du Tiers-Monde. Mais cette approche quasi révolutionnaire, à la mode dans les années soixante, n’est pas l’essentiel dans sa rencontre avec l’Emir.
Bruno Etienne assista au rapatriement du corps de l’Emir Abdelkader. Cette rencontre posthume a dû le marquer puisque, travaillant sur la sédentarisation des nomades dans le Sud, Bruno Etienne fit probablement les mêmes remarques que René Guénon à son époque et vit que les musulmans dans le désert tracent, pour la prière dans le sable, des formes orientées. Le rapprochement est vite fait avec les temples maçonniques qui sont tous orientés, vers… l’Orient.
C’est aussi le rapprochement avec le soufisme et la spiritualité telle que définie par les mystiques. Mais si des liens entre le mouvement Maçonniques et les Algériens ont été tissés, ils restent enfouis dans les méandres de l’histoire sans que l’on sache où s’accrochent effectivement ces mêmes fils en Algérie.
Amine Esseghir"
Messagede africapax_admin le Dim 16 Nov 2008, 15:50
La Voix des Opprimés
Des franc-maçons en Algérie, la sentence ressemble à un scoop de tabloïd de hall de gare. Les francs-maçons ont bien existé en Algérie et des documents sérieux et authentiques le prouvent.
Il y a sans conteste les maçons de la loge algéroise de Bélisaire créée autour de 1835. Une loge officielle que les colonisateurs ont ramenée dans leurs bagages. Il reste que l’ancienneté des écritures sur lesquelles se fonde la franc-maçonnerie, la transmission d’un savoir ésotérique qui foisonne de références historiques, laisse penser que les maçons existaient en Algérie bien avant l’arrivée des Français et ce sont les francs-maçons eux-mêmes qui le soutiennent.
Un franc-maçon de la loge de Bélisaire du nom de Piessel, en voyage dans le sud-est algérien au milieu du XIXe siècle parle d’une zaouia, celle des Khouan. Pour lui, cette “secte indigène” appartient à “la grande famille” par une ramification oubliée ou encore un filon perdu. La revue La Maçonnerie africaine parle encore des Khouan et soutient que les termes utilisés par cette société secrète ou les attouchements – les francs-maçons ont des façons propres à eux de se saluer et pour se reconnaître – sont liés directement aux maçons. Des aspects difficilement vérifiables mais qui rappellent que la maçonnerie, par son ancienneté et les conditions de sa création, fait que le lien entre Orient et Occident sur ce plan est indubitable. Mais au delà de la quête purement intellectuelle, il y a aussi les textes officiels des loges recueillis par Xavier Yacono dans la revue Africiane en 1951. Ce dernier signale que “dans le Registre des Procès-Verbaux de la Chambre de Paris du Grand Orient en date du 14 septembre 1785, le TCF (très cher frère en écriture maçonnique, ndlr) Mouhammed Techeliby, Algérien, a demandé l’entrée du temple et a été introduit après avoir été thuilé (?) aux trois premiers grades. Ce F (frère) étant muni d’un certificat d’une L (loge) d’Angleterre a prié la Chambre de le viser, ce qui a été accordé à l’unanimité”.
Dans le même artcile de Yacono, “un procès-verbal de la 168e assemblée générale du Grand Orient du 7 avril 1786 dit que le F Méhémet Celibi, maçon algérien, a dit que s’étant trouvé à l’de Nantes et désirant fraterniser avec les maçons français il s’était présenté à la L de la Parfaite située sous le même O, mais que les FF de cette L, quoiqu’il fût connu du vénérable, lui ont refusé l’entrée de leur temple en lui faisant dire que la différence de religion ne leur permettait pas de l’admettre à leurs travaux. Le même F algérien, afin de ne plus être exposé à de semblables refus en visitant d’autres ateliers (sic) a prié le GO de lui accorder la faveur de viser les patentes maçonniques qui constatent sa qualité de frère”. Celebi, selon la graphie turque, ou Tchelebi, a pu faire viser ses patentes prouvant sa qualité de frère le 11 avril, alors que devait se tenir une assemblée de trois ateliers.
Mais le Tchelebi en question n’était pas seul ! Yacono découvre, dans les archives du Grand Orient, un autre Algérien. Dans un extrait de la 184e assemblée extraordinaire du 13 juillet 1787 : “Le R président a invité l’assemblée à accorder des secours aux FF Abraham Gollingo, Turc, et Abraham Baker (peut-être une mauvaise transcription de Bakir ou Bakr, ndlr), Algérien ; il a même proposé de faire une quête extraordinaire en leur faveur.”
Une quête qui rapporté la somme de trente livres deux sols et on y a ajouté une somme “quelconque prise dans la caisse des secours” pour permettre aux deux frères de poursuivre leur route. Cela dit, les documents trouvés par Yacono ne disent pas où ces “frères” ont été initiés.
Abdelkader, une énigme ?
“L’Emir Abdelkader, un maçon”, la phrase fait sursauter beaucoup monde tant l’ignorance de la franc-maçonnerie pousse aux conclusions les plus hâtives. Dans le même temps, le fonctionnement secret de la franc-maçonnerie permet en fait de taxer n’importe qui de maçon d’autant qu’il n’a plus les moyens de remettre en question l’assertion. L’Emir Abdelkader, fondateur historique de l’Etat algérien moderne, combattant et résistant à la colonisation mais aussi grand ami de la France après avoir intercédé en faveur des chrétiens de Damas qui ont failli être massacrés, aurait été initié à Alexandrie, en Egypte. Il n’est pas un ouvrage généraliste, un texte maçon accessible aux profanes, la moindre liste des personnalités célèbres qui ont été franc-maçon qui ne rappelle inlassablement que l’Emir Abdelkader était un “frère”.
Christian Guigue, franc-maçon et historien, interrogé à propos de l’initiation de l’Emir, indique que “personne ne peut retirer la qualité maçonnique d’un franc-maçon ni même ses frères ni son obédience. On peut l’exclure mais en aucun cas annuler sa qualité de maçon comme il est impossible de retirer la qualité de musulman à un homme puisque la circoncision et son engagement devant Allah ont eu lieu”. Un texte historique, un procès-verbal de la loge Henri VI à Paris précise que “le F Emir Abdelkader a été reçu en visite” dans cette loge. Mais une visite à la loge n’est aucunement la preuve d’une initiation. Pour Guigue, “l’Emir Abdelkader semble le plus ancien (musulman et algérien) sinon le premier pour l’ancienne zone française”.
Christian Guigue indique qu’il y a non seulement “des maçons algériens célèbres actuellement. Il reste impossible de donner des noms de maçons vivants”.
Quant aux loges, elles peuvent exister (Guigue refuse d’être affirmatif), “mais travaillent cachées”. Cette façon de faire n’est pas nouvelle, “ce fut toujours le cas au Maghreb. Un membre de ma famille a fondé et fait travailler plusieurs loges en Tunisie, Maroc et Algérie alors que cela était interdit par le pouvoir en place. Elles ont eu une existence officielle, ayant été soutenues par le Grand Orient de France en ce temps-là”.
Zaouïa ou loge maçonnique ?
Mais finalement, quelle meilleure manière a-t-on en Algérie pour cacher aux yeux indiscrets l’existence d’une loge maçonnique ? Effectivement les va-et-vient, les tenues (nom donné aux réunions chez les maçons) les convents (les assemblées générales), les initiations et les travaux multiples et variés d’une loge pourraient laisser supposer l’existence de pratiques clandestines. A moins de transformer la loge en mouhafada du FLN, la meilleure façon de la camoufler reste la zaouïa. Si on pratique des rites ou des rituels, cela n’offusque personne et ne devrait pas semer le doute. D’autant que les adeptes d’une zaouïa comme il y en a beaucoup en Algérie peuvent venir de partout et se réunir de manière régulière. A ce propos, on parle d’une zaouïa à Mostaganem dont les adeptes sont parfois des universitaires ou des hommes d’affaires. Des gens qui ne viennent pas pour invoquer le saint patron de la zaouïa mais pour des réunions. Le cheikh de cette zaouïa, qu’on s’attendrait à voir habillé d’une gandoura et portant turban, porte un costume-cravate, a une vie sociale tout à fait normale et vaque à ses affaires.
Une autre zaouïa de Mostaganem se retrouve dans le parcours de René Guénon, personnage fantasque et célèbre pour les passionnés d’ésotérisme ; il est considéré comme le fondateur de l’école traditionaliste en franc-maçonnerie ou encore du “guénonisme”. Sa quête de la “parole perdue” le mènera vers la franc-maçonnerie puis vers l’église gnostique avant de se convertir à l’islam en 1910 sous l’influence d’un peintre présenté tantôt comme suédois, tantôt comme français, qui s’appellerait Yvan ou Gustave Anguéli, devenu Abdoulhadi.
René Guenon devient alors Abdelwahid Yahia, avant de recevoir la baraka en Egypte d’un cheikh de la tariqa chadlya, Addel-Rahmân Elish el-Kebir. Guenon fera un tour par l’Algérie en 1917 en tant qu’enseignant et séjournera près d’une année à Sétif.
Dans les années trente, on verra se former autour de Guénon tout un groupe d’Européens : Schuon, Titus Burckhardt, Martin Lings, Michel Valsan, qui ne verront de salut que dans la voie ésotérique musulmane. Son influence est telle qu’une loge sera créée avec son accord en France en 1947 puis une seconde sera créée en Suisse sous son nom. En fait, trois courants principaux de disciples ont été esquissés à la mort de René Guénon en Europe : ceux de Frithjof Schuon, de Michel Valsan et de Roger Maridort.
Mais on signale aussi le rôle du cheikh Alawî de Mostaganem (en Algérie) que Schuon rencontrera en 1932. Alors que nous sommes à la quatrième génération des disciples de Guénon, la majorité s’est convertie à l’islam. Non pas à l’islam traditionaliste ou encore aux préceptes salafistes, mais ont rejoint cet islam ésotérique, d’un ordre quasiment “intellectuel” dont le représentant le plus symbolique reste Ibn El-Arabi.
Pour Abdelouahid Yahia, des guildes de maçons opératifs existaient dans le monde musulman. “Ces maçons orientaux utilisaient même des marques similaires à celles de leurs collègues occidentaux du Moyen Age, et qui étaient appelées en arabe khatt el-bannaïn, c’est-à-dire ‘écriture des bâtisseurs’.” Mais tout cela appartient à un passé déjà assez lointain. Par ailleurs, dans les turuq islamiques ou confréries ésotériques (qui sont également “opératives” en fait, mais évidement dans un autre sens plus profond que le sens purement “professionnel”), certains éléments ont été conservés qui ressemblent étrangement au “compagnonnage” occidental, par exemple le port du ruban ou du bâton qui a exactement la même forme. En ce qui concerne le symbolisme de ces bâtons, il y aurait beaucoup à dire en rapport avec les sciences secrètes qui sont spécialement attribuées à Seyidnâ Suleymân.
Quand Bruno Etienne rencontre Abdelkader
Bruno Etienne, né en Algérie, est professeur de sciences politiques à l’université d’Aix-Marseille III. Spécialiste de l’Algérie et de l’islam, il est l’auteur, entre autres, d’une biographie extraordinairement détaillée sur l’Emir Abdelkader. Il s’agit en fait d’un dialogue imaginaire entre l’Emir et lui.
Franc-maçon et universitaire, Bruno Etienne a écrit également Une Voie pour l’Occident avec pour sous-titre La franc-maçonnerie à venir. Le lien de Bruno Etienne avec l’Emir ne s’arrête pas, bien sûr, à une rencontre intellectuelle. Il a aidé les premiers gouvernements algériens d’après l’indépendance. Il croyait sérieusement à la révolution socialiste menée d’abord par Ben Bella puis par Boumediene. Il a commis, entre autres ouvrages, à cette époque, L’Algérie comme montreur de conduite du Tiers-Monde. Mais cette approche quasi révolutionnaire, à la mode dans les années soixante, n’est pas l’essentiel dans sa rencontre avec l’Emir.
Bruno Etienne assista au rapatriement du corps de l’Emir Abdelkader. Cette rencontre posthume a dû le marquer puisque, travaillant sur la sédentarisation des nomades dans le Sud, Bruno Etienne fit probablement les mêmes remarques que René Guénon à son époque et vit que les musulmans dans le désert tracent, pour la prière dans le sable, des formes orientées. Le rapprochement est vite fait avec les temples maçonniques qui sont tous orientés, vers… l’Orient.
C’est aussi le rapprochement avec le soufisme et la spiritualité telle que définie par les mystiques. Mais si des liens entre le mouvement Maçonniques et les Algériens ont été tissés, ils restent enfouis dans les méandres de l’histoire sans que l’on sache où s’accrochent effectivement ces mêmes fils en Algérie.
Amine Esseghir"