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Nous allons, dans cet article, nous intéresser aux principes de base de la manipulation de l'opinion publique et à ses objectifs. Cet article a pour but de donner des éléments généraux aux lecteurs qui pourraient être tentés de croire facilement à un certain nombre d'informations qui leur parviendraient sur des sujets relativement divers. Ces principes, dont la plupart sont appliqués ici et maintenant, comme ils le furent de tout temps, servent toujours quelqu'un ou quelques uns. Le problème de fond est qu'ils servent aussi, indirectement, ceux qui les dénoncent.
Généralités sur la survie des sociétés
La manipulation de l'opinion publique est une nécessité pour un certain nombre d'états dans la mesure où ces états ne peuvent se satisfaire de ce qu'ils ont, la plupart du temps dans le domaine matériel. Ainsi, la paix sociale relative d'un état étant fondée sur une certaine robustesse de son économie, la sauvegarde de la machine économique de chaque état est une priorité absolue pour un certain nombre de pays « forts ».
Une des composantes majeures de cette nécessité est l'accès aux ressources naturelles, d'abord en termes énergétiques puis, dans une seconde mesure, en termes de matières premières. Si un état se trouve dans la dépendance envers d'autres états en matière énergétique et en matières premières, il est à la merci d'une paralysie de son activité économique et d'un mécontentement important de sa population[1].
Ces règles de survie des sociétés impliquent qu'il est obligatoire pour certaines sociétés à certains moments de leur histoire d'aller chercher « ailleurs » ce qui leur manque chez eux. Deux solutions peuvent être alors envisagées :
le commerce, avec le risque de dépendre des prix fixés par le vendeur et de sa bonne volonté dans la fourniture des biens indispensables à la survie de l'économie du pays, option que nous qualifierons de « dépendance » ;
la colonisation, avec la nécessité de disposer d'une armée forte qui peut soumettre un pays afin de l'exploiter à ses propres fins et ainsi de garantir son « indépendance ».
Ces règles sont immuables et peuvent être trouvés dans la plupart des grands conflits entre états, cela à n'importe quelle époque des civilisations humaines. Certains facteurs conjoncturels font que la défense de l'économie est plus ou moins critique à tel ou tel moment de la vie d'une société et que, par conséquent, sa déclinaison en termes de « pays cible » varie selon la ressource convoitée (cette dernière peut être fondée sur une recherche de biens agraires, de matières premières de type métaux ou énergie, de main d'œuvre, etc.).
Interventionnisme et état soumis
L'option commerciale est donc, dans l'absolu, la « voie de la paix », car elle garantit au vendeur et à l'acheteur des accords qui bénéficient aux deux partis. En revanche, dès lors que le besoin de l'acheteur est très supérieur à ce que le vendeur est disposé naturellement à céder, surviennent un certain nombre de problèmes, que nous qualifierons de « politiques ». Ainsi, des négociations plus globales doivent être menées, proposant la plupart du temps les termes d'une vente de grande ampleur en échange de divers services dont certains peuvent être assimilés à un interventionnisme de l'état acheteur dans les affaires de l'état vendeur (soutien militaire, vente d'armes, changement de régime, etc.). L'histoire, une fois encore, est riche en enseignements dans cette matière.
Dès lors que la politique se mêle des affaires de biens matériels, cet interventionnisme peut passer naturellement par un certain nombre de pratiques douteuses dont la plus connue est la corruption. En effet, étant donné les montants énormes de certaines transactions, en prélever une minuscule partie des montants engagés pour corrompre une caste de décideurs, tout en permettant à ces décideurs de se maintenir dans leur propre pays par les armes (vendues le plus souvent par l'acheteur lui-même), permet de trouver un « équilibre » dans la poursuite du but recherché. L'état du pays vendeur devient en quelque sorte « esclave » du pays acheteur et le pays du vendeur devient un « pays soumis » par la corruption de ses chefs et de son armée à l'acheteur.
Notons que cette situation est la plus couramment pratiquée dans l'histoire en raison de ses avantages en termes de robustesse et d'apparence morale de « l'indépendance du vendeur ». En effet, chaque renversement de gouvernement dans le pays soumis ne peut être qu'un renversement à consonance militaire, car les dirigeants du pays soumis disposent d'une armée souvent bien équipée. Qui dit coup d'état militaire dit révolte de gens dont les armes proviennent de quelque part.
Car, la soumission brutale de la population du « pays soumis » par ses propres dirigeants étant l'une des clefs du succès de la corruption des dirigeants, la plupart des pays soumis ne peuvent être que des pays pauvres, dans lesquels la population souffre tandis que les dirigeants vivent dans l'opulence. Il ne manque par conséquent jamais de personnes dans le pays soumis pour aller jusqu'à la lutte armée pour renverser le pouvoir. Deux cas se présentent alors :
soit le gouvernement corrompu « mate » la rébellion avec l'appui de son « acheteur favori »,
soit le gouvernement corrompu a donné des signes de désobéissance à son acheteur favori, auquel cas ce dernier préférerai changer de gouvernement corrompu et soutient les partisans du coup d'état, qu'il a, bien souvent, lui-même armés.
Nous nommerons cela une « politique cynique » dans la mesure où elle permet aux pays forts d'asservir certains états faibles tout en se couvrant du prétexte du partenariat commercial. La morale est sauve du strict point de vue « indépendance territoriale » même si, dans les faits, les dirigeants du pays soumis sont des fantoches.
L'option militaire
Une autre option moins « économique » (et qui n'est pas exclusive d'avec la politique cynique) est l'option militaire. Cette dernière se décline en deux grandes techniques :
menacer d'intervenir militairement dans les états qui ne veulent pas « jouer le jeu » de la politique cynique et donc forcer la main de l'accord économique injuste du fait de la puissance militaire (nous la nommerons la « politique de la menace »),
intervenir militairement dans l'état afin de prendre soi-même le contrôle des ressources, ce que nous nommerons la « colonisation ».
Cette option militaire est aussi teintée, comme dans le cas de la politique cynique, de considérations économiques fortes liées à la fabrication et à la vente des armes. L'état acheteur se doit de posséder des industries puissantes en termes d'armement et donc de se placer en supériorité technologique par rapport aux états soumis ou annexés. Ainsi, à toute époque, nous pourrons voir la supériorité des états dont la technologie militaire était la plus forte, à la fois dans le cadre des politiques cynique et des politiques coloniales.
Bien entendu, il est vital que les états soumis ne puissent jamais se développer au point de pouvoir créer eux-mêmes leurs propres armes et que les armes nécessaires aux diverses résistances soient toujours fournies par des pays ayant des vues plus globales dans la nécessité de l'arrivée au pouvoir de telle ou telle faction « contestataire ». Si tel était le cas, ils deviendraient alors des potentiels dangers pour les états cyniques ou les états conquérants dans la mesure où ils pourraient opposer une résistance farouche, sans aucune aide extérieure[2].
La dualité des états cyniques et conquérants en matière d'opinion publique
Les opinions publiques des états cyniques et conquérants profitent aussi de cette supériorité technologique sur les états soumis ou annexés mais, cette fois, dans le domaine civil. Ainsi, voyant souvent le niveau de préoccupations matérielles de leurs membres baisser, les opinions publiques de ces états « forts » ont le loisir de se poser des questions sur la « moralité » des pratiques de leurs gouvernants.
Nous noterons que ces interrogations sont paradoxales, quand elles ne sont pas que des interrogations de principe, paradoxales car voilées par une absence de vision globale. En effet, la poursuite de la part des états forts de politiques cyniques ou coloniales vise à assurer le confort matériel de leur population afin qu'une partie d'entre eux aient le loisir de s'interroger sur la moralité de leurs dirigeants !
Il y a donc, dans la conscience collective de chaque état fort une dualité sans précédent :
d'un côté, des mouvements d'opinion contre les pratiques immorales de leurs dirigeants,
d'un autre côté, une acceptation tacite des fruits des politiques immorales de ces mêmes dirigeants dans le confort matériel résultant de ces mêmes immoralités.
Cet équilibre n'est pas forcément dangereux, vu du pouvoir, à la condition qu'il soit maîtrisé et donc que l'opinion publique ne fasse pas le lien que nous venons d'évoquer. Il faut donc que l'individu social ne se rende pas compte qu'il travaille, consomme et vit correctement matériellement, le plus souvent au détriment d'un certain nombre de populations que ses dirigeants exploitent d'une manière plus ou moins directe ou cachée.
Il est donc nécessaire, pour la survie des sociétés, de chercher à canaliser l'opinion publique et à l'empêcher d'avoir une vision globale sur un certain nombre de sujets. Pour cela, il est nécessaire de trouver des prétextes à la politique cynique et à la politique coloniale et de présenter ces prétextes comme des « actes moraux ». Ces prétextes ont été, dans l'histoire, de tout type : économique, religieux, racial, etc.
L'existence de groupuscules ayant une vision contestataire de ces mêmes actes n'est pas grave si tant est :
que leur audience reste limitée,
que leur pouvoir reste limité (notamment leur pouvoir financier et médiatique),
que de nombreux groupuscules contestataires soient eux aussi manipulés pour ne s'intéresser qu'à une fraction des problèmes moraux ou lutter contre des moulins[3].
Loin de la « théorie du complot » comme la critiquent certains intellectuels français, nous sommes ici en pleine « raison d'état ». Il est nécessaire de manipuler l'opinion publique car :
il faut maintenir l'illusion démocratique que le peuple gouverne,
il faut des gens pour garnir les armées et des financements pour produire des armes,
il faut que certaines choses ne s'ébruitent pas ou pas trop ou de manière déformée.
La paix économique et sociale est à ce prix.
Manipuler l'information de masse
Si les médias de masse sont jeunes, les principes de leur manipulation sont, eux, vieux comme le monde. Les médias de masse ont profité, ces dernières décennies, d'une aura de vérité allant avec l'amélioration des conditions technologiques, notamment avec l'avènement du direct télévisé. L'immédiateté incontestable de la diffusion de l'information a comblé les appétits insatiables des « consommateurs d'information », habitués aux techniques de consommation boulimiques plus courante en vogue dans les sociétés occidentales. La préoccupation première des médias de masse est donc plus la quantité que la qualité, la nouveauté plus que l'analyse ou le recul.
La relation de l'homme occidental aux médias a donc été modifiée. Chaque lecteur averti pourra faire l'exercice de changer de chaîne en cours de journal télévisé ou radiodiffusé afin de voir que, hormis quelques partis pris politiques « locaux » (de gauche ou de droite en France) dans l'exposition des « actualités », le contenu est souvent incroyablement ressemblant sur l'ensemble du spectre médiatique. Cela résulte souvent du fait que les sources sont les mêmes et que l'exposition du matériel fourni par ces sources est standardisé par le travail du journaliste.
Si l'on veut manipuler les médias de masse, il est donc nécessaire de manipuler leurs sources, ce qui est beaucoup plus profitable que de manipuler directement les journalistes qui, dans le cadre de leur travail sous pression, se contenteront de faire le « traitement technique » qui convient. Ainsi, les journalistes ne sont pas des manipulateurs au sens strict du terme, mais ils sont manipulés par leurs sources et ils sont, la plupart du temps, des relais inconscients des manipulations qui leur sont soumises.
Les dimensions de la manipulation
Les états cyniques et coloniaux sont donc obligés de mettre en place des réseaux de manipulation de l'opinion à la source même des événements médiatiques, c'est-à-dire :
soit dans la chaîne de transmission de l'information,
soit au travers ceux qui sont considérées comme les « autorités » reconnues pour analyser les faits,
soit dans la création de certains événements.
Influer sur la chaîne de transmission est relativement aisé, mais cette technique a le désavantage de pouvoir être découverte facilement et de lever des protestations. On comptera comme exemples actuels de cette technique les manipulations de reporters sur site, qui voient ce qu'on veut bien leur faire voir et seulement cela, mais aussi certaines manipulations explicites de journalistes au sein des agences de presse, à la source de la presque quasi-totalité des informations. C'est une technique dont il faut user avec parcimonie car elle est détectable, notamment dans la classe journalistique.
La mécanique de mettre en place des autorités reconnues pour analyser le problème est beaucoup plus fine. Car, si le public a l'habitude de se méfier de ses dirigeants dans la plupart des pays, il n'a pas encore pris l'habitude de se méfier des organisations non gouvernementales (ONG). Le simple intitulé « ONG » est d'ailleurs très révélateur : « non gouvernemental » signifie tacitement « indépendant et non contrôlé par un gouvernement ». Le recours à des « experts » n'est pas nouveau, et il suffit de voir comme les soit disant « experts » peuvent ne jamais tomber d'accord dans le cadre des tribunaux pour comprendre combien il est simple d'investir quelqu'un d'une « autorité non gouvernementale » qui permette d'interpréter certains faits d'une façon plutôt que d'une autre.
Les ONG, à l'instar des sociétés, ont des objectifs précis et des contraintes de type financier. Ces organisations, souvent présentées comme contestataires du discours officiel, ont le grand avantage de pouvoir avoir une légitimité qui n'est pas celle des gouvernants. Elles ont aussi l'immense avantage de ne toujours travailler que sur une faible portion de a réalité et donc de ne pas avoir de vision globale. Ainsi, les explications fournies par les ONG sont, la plupart du temps, parcellaires donc non dangereuses, cela même parfois au travers de personnes de bonne foi dont la profondeur de vue est inexistante.
L'objectif de certains gouvernements est donc naturellement de prendre la main sur certains réseaux d'organisations non gouvernementales que cela soit au niveau financier mais aussi au niveau des missions et des objectifs. Le double jeu de la version d'état et de la vision de certaines organisations d'« experts indépendants » permet de verrouiller le débat public en maintenant une illusion de débat, mais hors des sentiers de la dangerosité[4].
Une fois encore, comme il est largement expliqué sur ce site dans de nombreux articles, le but est que les médias se posent la mauvaise question au lieu de présenter les choses de manière correcte. Une fois que la question a été suggérée, le traitement de l'information peut faire entrer la version officielle et la version contestataire dans la même illusion d'opposition des « pour » et des « contre ». Le « débat d'opinions » est créé, dans toute sa stérilité et dans tout son éloignement sur le débat concernant la « véracité ».
Le troisième axe de manipulation des opinions résulte de la « création » de certains événements en les attribuant à d'autres. L'histoire nous enseigne les intrigues des cours de rois visant à empoisonner tel ou tel roi ou courtisan afin de jouer une partie d'échecs politiques à court, moyen ou long terme. Le principe est le même : tuer des personnalités ou des civils pour pouvoir mener une fausse enquête et attribuer la faute sur le ou les personnes qui, depuis toujours, étaient la cible réelle des attaques.
Ce genre d'actes a un effet immédiat sur l'opinion publique surtout quand des civils innocents sont tués, notamment par des techniques qui permettent l'accusation de groupuscules invisibles. La « terreur » provoquée par les actions terroristes se transmue en haine contre les coupables désignés par la hargne populaire. L'effet escompté est d'une terrible efficacité. Les morts civils ne peuvent être que condamnées et l'enquête peut être bâclée tout en prétendant qu'elle fut rapide et appuyée par des travaux des services de renseignements. On cherche des coupables, dans l'urgence, et ceux qui, le plus rapidement possible après les faits, pointent le coupable du doigt entraînent, aujourd'hui comme hier, l'opinion publique derrière soi dans sa volonté de justice voire de vengeance. Il faut, à cet instant précis, bien regarder celui qui désigne le coupable, qui pointe le doigt, et si possible qui lui a suggéré ce coupable plutôt qu'un autre, si l'on veut avancer vers la vérité.
Ces trois techniques ont pour effet de :
poser les mauvaises questions et entretenir des prises de position binaires par rapport aux dites question (« pro » ou « anti »),
entretenir la peur et la haine,
détourner l'attention des plus intelligents en les forçant à s'interroger sur les motivations des prétendus coupables à la suite de prétendues conclusions.
Les effets mécaniques sur l'opinion publique
Le poids des faits et des experts en tous genres induit une réaction en chaîne qui est, elle, tout à fait prévisible, notamment en Occident. Des intellectuels, non conscients d'être manipulés et ayant assez d'ego pour pouvoir se vanter d'avoir un « point de vue » personnel, peuvent à loisir se déchirer les bribes de leurs conclusions et de leurs explications ; des journalistes peuvent à loisir investiguer des fausses pistes, interprétant les silences gênés de leurs interlocuteurs comme autant de comportements portant à soupçons ; les défenseurs des gardiens du temple scientifique ou universitaire, apeurés par les questions qui leur sont suggérées, peuvent alors partir en croisade. Au-delà de l'étiquette politique locale, l'opinion publique réagit d'un bloc et chacun peut exprimer son illusion d'être un résistant indigné ou horrifié face à l'ennemi désigné.
Il devient évidemment très complexe de faire entendre une voix réellement discordante dans tout ce vacarme « affecto-médiatique ». Tout contrevenant aux idées reçues se voit taxé de « fou », de « partisan de l'autre camp » et d'autres insultes de circonstance historique. Tout le monde étant « anti », le moindre doute exprimé fait du contestataire un « pro », un suspect. Des groupements d'autorités normatives se créent spontanément afin de théoriser l'ennemi commun qui, même s'il n'existe pas, a pour effet de souder les gens entre eux dans leur haine, et de laisser les gouvernants travailler tranquillement.
Dans ce cadre, les politiques cyniques passent encore et toujours inaperçues du grand public qui voit souvent la conséquence comme la cause et consomme les fausses questions comme autant de friandises intellectuelles, génératrices d'angoisse.
Les politiques coloniales, quant à elles, s'appuient avec force sur ces courants d'opinion qui leur permettent, du moins pendant un certain, de prendre des dispositions qui sont toujours les mêmes :
augmenter les budgets concernés aux armes,
réduire les informations publiques sur les enquêtes menées dans le cadre du « secret défense »,
stériliser toute possibilité de retour arrière sur des campagnes d'annexions de territoire[5],
tenter de réécrire l'histoire.
Dans 1984 d'Orwell, certains slogans devraient faire réfléchir certaines personnes avides de littérature, notamment le très célèbre « la guerre, c'est la paix », slogan que l'on nous sert pour toute nouvelle intervention militaire à caractère colonial ou cynique.
La bonne question
La bonne question est aussi simple que dans la plupart des enquêtes policières et n'a pas changé depuis le début des sociétés humaines : « à qui profite le crime ? » Une fois cette question posée sans tabou, nous pouvons regarder avec transparence les intérêts des uns et des autres et nous faire, cette fois-ci, une opinion personnelle.
A noter que si opinion personnelle il y a, elle ne peut la plupart du temps pas être glanée dans le camp des intellectuels mais dans le camp des faits. En effet, les intellectuels ne peuvent se permettre de remettre en cause trop violemment les « acquis » de l'opinion publique de laquelle ils vivent en vendant leurs idéologies dans des livres. Un livre trop décalé ne se vend pas et l'on est vite pris pour un fou. Leurs liens avec la société de leurs pairs les a rendu mondains et conscients des limites leurs « amitiés », et leur intelligence les rend soucieux d'« agiter » intellectuellement mais « dans les limites du raisonnable ». Les universitaires sont dans le même cadre. Leur communauté est si fermée et si intolérante que le moindre faux-pas peut ressembler à un « suicide bibliographique ». Mieux vaut garder ses opinions pour soi et travailler sur des sujets en vogue, ces derniers ayant au moins l'avantage de n'être pas dangereux pour sa propre carrière. Une pétition signée de temps en temps peut donner l'illusion d'un engagement de type humaniste, sans mettre en péril une réputation établie ou en vue d'établissement.
Travailler dans le camp des faits est possible aujourd'hui sur internet pourvu que l'on maîtrise quelques langues, et que l'on cherche beaucoup. Bien entendu, il faut du temps, de l'effort et de la persévérance, de l'honnêteté aussi, ce qui rend cette démarche inaccessible à beaucoup de personnes.
Si la manipulation de l'opinion est une des nécessités fondamentales des sociétés humaines, la recherche de la vérité est une des directions fondamentales dans lesquelles certains hommes se tourneront toujours. Cet article leur rend hommage. Ils se reconnaîtront.
Notes
1 La « population » est ici envisagée du strict point de vue matériel.
2 On se rappellera par exemple de l'horreur annoncée des « armes de destruction massive » de Sadam Hussein, poussée par un gouvernement qui a la plus grosse armée du monde.
3 C'est pourquoi les utopistes sont les moins dangereux des opposants.
4 On pourra s'interroger sur la prise de responsabilité du gouvernement français de la sécurité et de l'approvisionnement en eau durant le grand rassemblement altermondialiste du Larzac, probablement parce que ce dernier ne représentait en aucune façon un danger pour l'Etat.
5 Comme en Irak où finalement, l'opinion se moque désormais des vraies motivations de l'invasion.
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Nous allons, dans cet article, nous intéresser aux principes de base de la manipulation de l'opinion publique et à ses objectifs. Cet article a pour but de donner des éléments généraux aux lecteurs qui pourraient être tentés de croire facilement à un certain nombre d'informations qui leur parviendraient sur des sujets relativement divers. Ces principes, dont la plupart sont appliqués ici et maintenant, comme ils le furent de tout temps, servent toujours quelqu'un ou quelques uns. Le problème de fond est qu'ils servent aussi, indirectement, ceux qui les dénoncent.
Généralités sur la survie des sociétés
La manipulation de l'opinion publique est une nécessité pour un certain nombre d'états dans la mesure où ces états ne peuvent se satisfaire de ce qu'ils ont, la plupart du temps dans le domaine matériel. Ainsi, la paix sociale relative d'un état étant fondée sur une certaine robustesse de son économie, la sauvegarde de la machine économique de chaque état est une priorité absolue pour un certain nombre de pays « forts ».
Une des composantes majeures de cette nécessité est l'accès aux ressources naturelles, d'abord en termes énergétiques puis, dans une seconde mesure, en termes de matières premières. Si un état se trouve dans la dépendance envers d'autres états en matière énergétique et en matières premières, il est à la merci d'une paralysie de son activité économique et d'un mécontentement important de sa population[1].
Ces règles de survie des sociétés impliquent qu'il est obligatoire pour certaines sociétés à certains moments de leur histoire d'aller chercher « ailleurs » ce qui leur manque chez eux. Deux solutions peuvent être alors envisagées :
le commerce, avec le risque de dépendre des prix fixés par le vendeur et de sa bonne volonté dans la fourniture des biens indispensables à la survie de l'économie du pays, option que nous qualifierons de « dépendance » ;
la colonisation, avec la nécessité de disposer d'une armée forte qui peut soumettre un pays afin de l'exploiter à ses propres fins et ainsi de garantir son « indépendance ».
Ces règles sont immuables et peuvent être trouvés dans la plupart des grands conflits entre états, cela à n'importe quelle époque des civilisations humaines. Certains facteurs conjoncturels font que la défense de l'économie est plus ou moins critique à tel ou tel moment de la vie d'une société et que, par conséquent, sa déclinaison en termes de « pays cible » varie selon la ressource convoitée (cette dernière peut être fondée sur une recherche de biens agraires, de matières premières de type métaux ou énergie, de main d'œuvre, etc.).
Interventionnisme et état soumis
L'option commerciale est donc, dans l'absolu, la « voie de la paix », car elle garantit au vendeur et à l'acheteur des accords qui bénéficient aux deux partis. En revanche, dès lors que le besoin de l'acheteur est très supérieur à ce que le vendeur est disposé naturellement à céder, surviennent un certain nombre de problèmes, que nous qualifierons de « politiques ». Ainsi, des négociations plus globales doivent être menées, proposant la plupart du temps les termes d'une vente de grande ampleur en échange de divers services dont certains peuvent être assimilés à un interventionnisme de l'état acheteur dans les affaires de l'état vendeur (soutien militaire, vente d'armes, changement de régime, etc.). L'histoire, une fois encore, est riche en enseignements dans cette matière.
Dès lors que la politique se mêle des affaires de biens matériels, cet interventionnisme peut passer naturellement par un certain nombre de pratiques douteuses dont la plus connue est la corruption. En effet, étant donné les montants énormes de certaines transactions, en prélever une minuscule partie des montants engagés pour corrompre une caste de décideurs, tout en permettant à ces décideurs de se maintenir dans leur propre pays par les armes (vendues le plus souvent par l'acheteur lui-même), permet de trouver un « équilibre » dans la poursuite du but recherché. L'état du pays vendeur devient en quelque sorte « esclave » du pays acheteur et le pays du vendeur devient un « pays soumis » par la corruption de ses chefs et de son armée à l'acheteur.
Notons que cette situation est la plus couramment pratiquée dans l'histoire en raison de ses avantages en termes de robustesse et d'apparence morale de « l'indépendance du vendeur ». En effet, chaque renversement de gouvernement dans le pays soumis ne peut être qu'un renversement à consonance militaire, car les dirigeants du pays soumis disposent d'une armée souvent bien équipée. Qui dit coup d'état militaire dit révolte de gens dont les armes proviennent de quelque part.
Car, la soumission brutale de la population du « pays soumis » par ses propres dirigeants étant l'une des clefs du succès de la corruption des dirigeants, la plupart des pays soumis ne peuvent être que des pays pauvres, dans lesquels la population souffre tandis que les dirigeants vivent dans l'opulence. Il ne manque par conséquent jamais de personnes dans le pays soumis pour aller jusqu'à la lutte armée pour renverser le pouvoir. Deux cas se présentent alors :
soit le gouvernement corrompu « mate » la rébellion avec l'appui de son « acheteur favori »,
soit le gouvernement corrompu a donné des signes de désobéissance à son acheteur favori, auquel cas ce dernier préférerai changer de gouvernement corrompu et soutient les partisans du coup d'état, qu'il a, bien souvent, lui-même armés.
Nous nommerons cela une « politique cynique » dans la mesure où elle permet aux pays forts d'asservir certains états faibles tout en se couvrant du prétexte du partenariat commercial. La morale est sauve du strict point de vue « indépendance territoriale » même si, dans les faits, les dirigeants du pays soumis sont des fantoches.
L'option militaire
Une autre option moins « économique » (et qui n'est pas exclusive d'avec la politique cynique) est l'option militaire. Cette dernière se décline en deux grandes techniques :
menacer d'intervenir militairement dans les états qui ne veulent pas « jouer le jeu » de la politique cynique et donc forcer la main de l'accord économique injuste du fait de la puissance militaire (nous la nommerons la « politique de la menace »),
intervenir militairement dans l'état afin de prendre soi-même le contrôle des ressources, ce que nous nommerons la « colonisation ».
Cette option militaire est aussi teintée, comme dans le cas de la politique cynique, de considérations économiques fortes liées à la fabrication et à la vente des armes. L'état acheteur se doit de posséder des industries puissantes en termes d'armement et donc de se placer en supériorité technologique par rapport aux états soumis ou annexés. Ainsi, à toute époque, nous pourrons voir la supériorité des états dont la technologie militaire était la plus forte, à la fois dans le cadre des politiques cynique et des politiques coloniales.
Bien entendu, il est vital que les états soumis ne puissent jamais se développer au point de pouvoir créer eux-mêmes leurs propres armes et que les armes nécessaires aux diverses résistances soient toujours fournies par des pays ayant des vues plus globales dans la nécessité de l'arrivée au pouvoir de telle ou telle faction « contestataire ». Si tel était le cas, ils deviendraient alors des potentiels dangers pour les états cyniques ou les états conquérants dans la mesure où ils pourraient opposer une résistance farouche, sans aucune aide extérieure[2].
La dualité des états cyniques et conquérants en matière d'opinion publique
Les opinions publiques des états cyniques et conquérants profitent aussi de cette supériorité technologique sur les états soumis ou annexés mais, cette fois, dans le domaine civil. Ainsi, voyant souvent le niveau de préoccupations matérielles de leurs membres baisser, les opinions publiques de ces états « forts » ont le loisir de se poser des questions sur la « moralité » des pratiques de leurs gouvernants.
Nous noterons que ces interrogations sont paradoxales, quand elles ne sont pas que des interrogations de principe, paradoxales car voilées par une absence de vision globale. En effet, la poursuite de la part des états forts de politiques cyniques ou coloniales vise à assurer le confort matériel de leur population afin qu'une partie d'entre eux aient le loisir de s'interroger sur la moralité de leurs dirigeants !
Il y a donc, dans la conscience collective de chaque état fort une dualité sans précédent :
d'un côté, des mouvements d'opinion contre les pratiques immorales de leurs dirigeants,
d'un autre côté, une acceptation tacite des fruits des politiques immorales de ces mêmes dirigeants dans le confort matériel résultant de ces mêmes immoralités.
Cet équilibre n'est pas forcément dangereux, vu du pouvoir, à la condition qu'il soit maîtrisé et donc que l'opinion publique ne fasse pas le lien que nous venons d'évoquer. Il faut donc que l'individu social ne se rende pas compte qu'il travaille, consomme et vit correctement matériellement, le plus souvent au détriment d'un certain nombre de populations que ses dirigeants exploitent d'une manière plus ou moins directe ou cachée.
Il est donc nécessaire, pour la survie des sociétés, de chercher à canaliser l'opinion publique et à l'empêcher d'avoir une vision globale sur un certain nombre de sujets. Pour cela, il est nécessaire de trouver des prétextes à la politique cynique et à la politique coloniale et de présenter ces prétextes comme des « actes moraux ». Ces prétextes ont été, dans l'histoire, de tout type : économique, religieux, racial, etc.
L'existence de groupuscules ayant une vision contestataire de ces mêmes actes n'est pas grave si tant est :
que leur audience reste limitée,
que leur pouvoir reste limité (notamment leur pouvoir financier et médiatique),
que de nombreux groupuscules contestataires soient eux aussi manipulés pour ne s'intéresser qu'à une fraction des problèmes moraux ou lutter contre des moulins[3].
Loin de la « théorie du complot » comme la critiquent certains intellectuels français, nous sommes ici en pleine « raison d'état ». Il est nécessaire de manipuler l'opinion publique car :
il faut maintenir l'illusion démocratique que le peuple gouverne,
il faut des gens pour garnir les armées et des financements pour produire des armes,
il faut que certaines choses ne s'ébruitent pas ou pas trop ou de manière déformée.
La paix économique et sociale est à ce prix.
Manipuler l'information de masse
Si les médias de masse sont jeunes, les principes de leur manipulation sont, eux, vieux comme le monde. Les médias de masse ont profité, ces dernières décennies, d'une aura de vérité allant avec l'amélioration des conditions technologiques, notamment avec l'avènement du direct télévisé. L'immédiateté incontestable de la diffusion de l'information a comblé les appétits insatiables des « consommateurs d'information », habitués aux techniques de consommation boulimiques plus courante en vogue dans les sociétés occidentales. La préoccupation première des médias de masse est donc plus la quantité que la qualité, la nouveauté plus que l'analyse ou le recul.
La relation de l'homme occidental aux médias a donc été modifiée. Chaque lecteur averti pourra faire l'exercice de changer de chaîne en cours de journal télévisé ou radiodiffusé afin de voir que, hormis quelques partis pris politiques « locaux » (de gauche ou de droite en France) dans l'exposition des « actualités », le contenu est souvent incroyablement ressemblant sur l'ensemble du spectre médiatique. Cela résulte souvent du fait que les sources sont les mêmes et que l'exposition du matériel fourni par ces sources est standardisé par le travail du journaliste.
Si l'on veut manipuler les médias de masse, il est donc nécessaire de manipuler leurs sources, ce qui est beaucoup plus profitable que de manipuler directement les journalistes qui, dans le cadre de leur travail sous pression, se contenteront de faire le « traitement technique » qui convient. Ainsi, les journalistes ne sont pas des manipulateurs au sens strict du terme, mais ils sont manipulés par leurs sources et ils sont, la plupart du temps, des relais inconscients des manipulations qui leur sont soumises.
Les dimensions de la manipulation
Les états cyniques et coloniaux sont donc obligés de mettre en place des réseaux de manipulation de l'opinion à la source même des événements médiatiques, c'est-à-dire :
soit dans la chaîne de transmission de l'information,
soit au travers ceux qui sont considérées comme les « autorités » reconnues pour analyser les faits,
soit dans la création de certains événements.
Influer sur la chaîne de transmission est relativement aisé, mais cette technique a le désavantage de pouvoir être découverte facilement et de lever des protestations. On comptera comme exemples actuels de cette technique les manipulations de reporters sur site, qui voient ce qu'on veut bien leur faire voir et seulement cela, mais aussi certaines manipulations explicites de journalistes au sein des agences de presse, à la source de la presque quasi-totalité des informations. C'est une technique dont il faut user avec parcimonie car elle est détectable, notamment dans la classe journalistique.
La mécanique de mettre en place des autorités reconnues pour analyser le problème est beaucoup plus fine. Car, si le public a l'habitude de se méfier de ses dirigeants dans la plupart des pays, il n'a pas encore pris l'habitude de se méfier des organisations non gouvernementales (ONG). Le simple intitulé « ONG » est d'ailleurs très révélateur : « non gouvernemental » signifie tacitement « indépendant et non contrôlé par un gouvernement ». Le recours à des « experts » n'est pas nouveau, et il suffit de voir comme les soit disant « experts » peuvent ne jamais tomber d'accord dans le cadre des tribunaux pour comprendre combien il est simple d'investir quelqu'un d'une « autorité non gouvernementale » qui permette d'interpréter certains faits d'une façon plutôt que d'une autre.
Les ONG, à l'instar des sociétés, ont des objectifs précis et des contraintes de type financier. Ces organisations, souvent présentées comme contestataires du discours officiel, ont le grand avantage de pouvoir avoir une légitimité qui n'est pas celle des gouvernants. Elles ont aussi l'immense avantage de ne toujours travailler que sur une faible portion de a réalité et donc de ne pas avoir de vision globale. Ainsi, les explications fournies par les ONG sont, la plupart du temps, parcellaires donc non dangereuses, cela même parfois au travers de personnes de bonne foi dont la profondeur de vue est inexistante.
L'objectif de certains gouvernements est donc naturellement de prendre la main sur certains réseaux d'organisations non gouvernementales que cela soit au niveau financier mais aussi au niveau des missions et des objectifs. Le double jeu de la version d'état et de la vision de certaines organisations d'« experts indépendants » permet de verrouiller le débat public en maintenant une illusion de débat, mais hors des sentiers de la dangerosité[4].
Une fois encore, comme il est largement expliqué sur ce site dans de nombreux articles, le but est que les médias se posent la mauvaise question au lieu de présenter les choses de manière correcte. Une fois que la question a été suggérée, le traitement de l'information peut faire entrer la version officielle et la version contestataire dans la même illusion d'opposition des « pour » et des « contre ». Le « débat d'opinions » est créé, dans toute sa stérilité et dans tout son éloignement sur le débat concernant la « véracité ».
Le troisième axe de manipulation des opinions résulte de la « création » de certains événements en les attribuant à d'autres. L'histoire nous enseigne les intrigues des cours de rois visant à empoisonner tel ou tel roi ou courtisan afin de jouer une partie d'échecs politiques à court, moyen ou long terme. Le principe est le même : tuer des personnalités ou des civils pour pouvoir mener une fausse enquête et attribuer la faute sur le ou les personnes qui, depuis toujours, étaient la cible réelle des attaques.
Ce genre d'actes a un effet immédiat sur l'opinion publique surtout quand des civils innocents sont tués, notamment par des techniques qui permettent l'accusation de groupuscules invisibles. La « terreur » provoquée par les actions terroristes se transmue en haine contre les coupables désignés par la hargne populaire. L'effet escompté est d'une terrible efficacité. Les morts civils ne peuvent être que condamnées et l'enquête peut être bâclée tout en prétendant qu'elle fut rapide et appuyée par des travaux des services de renseignements. On cherche des coupables, dans l'urgence, et ceux qui, le plus rapidement possible après les faits, pointent le coupable du doigt entraînent, aujourd'hui comme hier, l'opinion publique derrière soi dans sa volonté de justice voire de vengeance. Il faut, à cet instant précis, bien regarder celui qui désigne le coupable, qui pointe le doigt, et si possible qui lui a suggéré ce coupable plutôt qu'un autre, si l'on veut avancer vers la vérité.
Ces trois techniques ont pour effet de :
poser les mauvaises questions et entretenir des prises de position binaires par rapport aux dites question (« pro » ou « anti »),
entretenir la peur et la haine,
détourner l'attention des plus intelligents en les forçant à s'interroger sur les motivations des prétendus coupables à la suite de prétendues conclusions.
Les effets mécaniques sur l'opinion publique
Le poids des faits et des experts en tous genres induit une réaction en chaîne qui est, elle, tout à fait prévisible, notamment en Occident. Des intellectuels, non conscients d'être manipulés et ayant assez d'ego pour pouvoir se vanter d'avoir un « point de vue » personnel, peuvent à loisir se déchirer les bribes de leurs conclusions et de leurs explications ; des journalistes peuvent à loisir investiguer des fausses pistes, interprétant les silences gênés de leurs interlocuteurs comme autant de comportements portant à soupçons ; les défenseurs des gardiens du temple scientifique ou universitaire, apeurés par les questions qui leur sont suggérées, peuvent alors partir en croisade. Au-delà de l'étiquette politique locale, l'opinion publique réagit d'un bloc et chacun peut exprimer son illusion d'être un résistant indigné ou horrifié face à l'ennemi désigné.
Il devient évidemment très complexe de faire entendre une voix réellement discordante dans tout ce vacarme « affecto-médiatique ». Tout contrevenant aux idées reçues se voit taxé de « fou », de « partisan de l'autre camp » et d'autres insultes de circonstance historique. Tout le monde étant « anti », le moindre doute exprimé fait du contestataire un « pro », un suspect. Des groupements d'autorités normatives se créent spontanément afin de théoriser l'ennemi commun qui, même s'il n'existe pas, a pour effet de souder les gens entre eux dans leur haine, et de laisser les gouvernants travailler tranquillement.
Dans ce cadre, les politiques cyniques passent encore et toujours inaperçues du grand public qui voit souvent la conséquence comme la cause et consomme les fausses questions comme autant de friandises intellectuelles, génératrices d'angoisse.
Les politiques coloniales, quant à elles, s'appuient avec force sur ces courants d'opinion qui leur permettent, du moins pendant un certain, de prendre des dispositions qui sont toujours les mêmes :
augmenter les budgets concernés aux armes,
réduire les informations publiques sur les enquêtes menées dans le cadre du « secret défense »,
stériliser toute possibilité de retour arrière sur des campagnes d'annexions de territoire[5],
tenter de réécrire l'histoire.
Dans 1984 d'Orwell, certains slogans devraient faire réfléchir certaines personnes avides de littérature, notamment le très célèbre « la guerre, c'est la paix », slogan que l'on nous sert pour toute nouvelle intervention militaire à caractère colonial ou cynique.
La bonne question
La bonne question est aussi simple que dans la plupart des enquêtes policières et n'a pas changé depuis le début des sociétés humaines : « à qui profite le crime ? » Une fois cette question posée sans tabou, nous pouvons regarder avec transparence les intérêts des uns et des autres et nous faire, cette fois-ci, une opinion personnelle.
A noter que si opinion personnelle il y a, elle ne peut la plupart du temps pas être glanée dans le camp des intellectuels mais dans le camp des faits. En effet, les intellectuels ne peuvent se permettre de remettre en cause trop violemment les « acquis » de l'opinion publique de laquelle ils vivent en vendant leurs idéologies dans des livres. Un livre trop décalé ne se vend pas et l'on est vite pris pour un fou. Leurs liens avec la société de leurs pairs les a rendu mondains et conscients des limites leurs « amitiés », et leur intelligence les rend soucieux d'« agiter » intellectuellement mais « dans les limites du raisonnable ». Les universitaires sont dans le même cadre. Leur communauté est si fermée et si intolérante que le moindre faux-pas peut ressembler à un « suicide bibliographique ». Mieux vaut garder ses opinions pour soi et travailler sur des sujets en vogue, ces derniers ayant au moins l'avantage de n'être pas dangereux pour sa propre carrière. Une pétition signée de temps en temps peut donner l'illusion d'un engagement de type humaniste, sans mettre en péril une réputation établie ou en vue d'établissement.
Travailler dans le camp des faits est possible aujourd'hui sur internet pourvu que l'on maîtrise quelques langues, et que l'on cherche beaucoup. Bien entendu, il faut du temps, de l'effort et de la persévérance, de l'honnêteté aussi, ce qui rend cette démarche inaccessible à beaucoup de personnes.
Si la manipulation de l'opinion est une des nécessités fondamentales des sociétés humaines, la recherche de la vérité est une des directions fondamentales dans lesquelles certains hommes se tourneront toujours. Cet article leur rend hommage. Ils se reconnaîtront.
Notes
1 La « population » est ici envisagée du strict point de vue matériel.
2 On se rappellera par exemple de l'horreur annoncée des « armes de destruction massive » de Sadam Hussein, poussée par un gouvernement qui a la plus grosse armée du monde.
3 C'est pourquoi les utopistes sont les moins dangereux des opposants.
4 On pourra s'interroger sur la prise de responsabilité du gouvernement français de la sécurité et de l'approvisionnement en eau durant le grand rassemblement altermondialiste du Larzac, probablement parce que ce dernier ne représentait en aucune façon un danger pour l'Etat.
5 Comme en Irak où finalement, l'opinion se moque désormais des vraies motivations de l'invasion.