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AntichristLe personnage de l'Antichrist appartient à la littérature apocalyptique des premiers siècles du christianisme, mais il réapparaît régulièrement à travers l'histoire chrétienne jusqu'à la Renaissance. La forme "Antichrist" est préférable à celle "d'Antéchrist" habituellement utilisée car, comme le rappelle Isidore de Séville dans ses Etymologies (VIII, XI, 20-22), "il est appelé Antichrist parce qu'il viendra contre le Christ. Il n'est pas appelé Antichrist, comme l'entend l'ignorant, parce qu'il viendra avant le Christ, c'est à dire que le Christ doit venir après lui. Ce n'est pas ainsi, mais il est appelé "Antichrist" en grec, ce qui signifie en latin "contraire du Christ".
La venue de l'Antichrist s'inscrit dans la description que les auteurs apocalyptiques firent de la fin des temps. Cette littérature naît au IIe siècle avant J-C dans les milieux juifs - l'un des témoignages les plus anciens de l'apocalyptique juive est constitué par le Livre de Daniel -, puis est développée dans le Nouveau Testament. Les premières communautés chrétiennes étaient persuadées que la fin des temps était proche et que le Christ allait revenir sur Terre pour procéder à la résurrection des morts et au Jugement dernier. La manière dont ces évènements devaient se dérouler fut l'objet de descriptions contradictoires dans les textes canoniques, ce dont souffrit en particulier l'Antichrist dont la figure mit du temps à se profiler clairement tant les textes néo-testamentaires sur lesquels se fonde son existence restent obscurs et sujets à contestation.
Les premiers textes faisant référence à l'Antichrist datent du milieu du Ier siècle. Dans sa Deuxième Epître aux Thessaloniciens, Paul cherche à réconforter la communauté chrétienne de Thessalonique soumise aux persécutions et à maintenir sa foi dans l'attente de la parousie, le retour du Christ. Il demande aux fidèles d'être patients et leur rappelle qu'avant la parousie doit venir le temps de l'apostasie. C'est alors que se révèlera "l'Homme impie, l'Être perdu, l'Adversaire" qui exigera d'être adoré comme Dieu, mais que le Seigneur "fera disparaître par le souffle de sa bouche", qu'il "anéantira par le resplendissement de sa Venue". Chez Paul, l'Impie prend le visage d'un envoyé de Satan, chargé de tromper les hommes, en tout cas "ceux qui sont voués à la perdition pour n'avoir pas accueilli l'amour de la vérité qui leur valut d'être sauvés" (II Thess. II, 10). Le second texte évoquant l'Antichrist est postérieur de quelques années. C'est la Petite Apocalypse des Evangiles synoptiques, dont la forme la plus achevée et la plus élaborée se trouve chez Matthieu (Mt XXIV-XXV; Mc XIII; Lc XXI). Le discours eschatologique que tient le Christ devant ses disciples est un midrash, un développement du Livre de Daniel sur "l'abomination de la désolation" des derniers temps, auquel l'évangéliste fait explicitement référence. Les trois mentions auxquelles les commentateurs ultérieurs virent une allusion à l'Antichrist sont les suivants : "Prenez garde qu'on ne vous abuse. Car il en viendra beaucoup sous mon nom et qui diront : "C'est moi le Christ" et ils abuseront bien des gens" (Mt XXIV, 4); au verset 11 "Des faux prophètes surgiront en nombre et abuseront bien des gens"; puis au verset 24 : "il surgira en effet des faux Christ et des faux prophètes qui produiront des signes et des prodiges considérables, capable d'abuser si possible, même les élus."
Le nom n'est toujours pas prononcé, mais l'Antichrist serait donc un faux Christ, un faux prophète qui sèmera la zizanie dans la période de tribulations précédant la parousie et le Jugement dernier. Mais surgit aussi le premier problème auxquels les exégètes seront confrontés : Matthieu évoque plusieurs faux prophètes là où Paul ne parlait que d'un seul. A la fin du Ier siècle est écrit le Livre des Révélations, attribué à Jean de Patmos, le disciple préféré du Christ, plus connu sous le titre de l'Apocalypse de Jean. Or l'apocalypse de Jean ne fait pas référence à l'Antichrist mais à un faux prophète au service de la Bête : "Je vis surgir ensuite de la terre une autre Bête, portant deux cornes comme un agneau, mais parlant comme un dragon... Elle accomplit des prodiges étonnants, jusqu'à faire descendre, aux yeux de tous, le feu du ciel sur la terre; et, par ces prodiges qu'il lui a été donné d'accomplir au service de la Bête, elle fourvoie les habitants de la terre, leur conseillant de dresser une image en l'honneur de cette Bête qui, frappée du glaive, a repris vie. On lui donna même d'animer l'image de la Bête pour la faire parler" (Apoc XIII, 11-15). Dans le premier combat eschatologique qui précède l'instauration du royaume millénaire, le Cavalier extermine la Bête et le faux prophète, jetés tous deux vivants dans l'étang de feu et de soufre embrasé, où les rejoint avant le Jugement dernier Satan lui-même (Apoc XIX, 19-21). Il faut attendre la Première Epître de Jean, contemporain de l'Apocalypse pour que le nom apparaisse pour la première et unique fois dans les textes néo-testamentaires canoniques. Jean définit les conditions qui permettent au fidèle de marcher dans la lumière. La quatrième est de se garder des antichrists : "Petits enfants, voici venue la dernière heure. Vous avez ouï-dire qu'un Antichrist doit venir; et déjà maintenant beaucoup d'antichrists sont survenus; à quoi nous reconnaissons que la dernière heure est là" (I Jn II, 18). "Qui est le menteur, sinon celui qui nie que Jésus soit le Christ ? Le voilà l'Antichrist ! Il nie le Père et le Fils" (I Jn, II, 22).
Les problèmes souvelés par les textes bibliques sont importants. L'Antichrist est-il un individu semblable au Christ, le singeant en prêchant et en accomplissant des miracles comme lui, ainsi que semblent le penser Paul et Jean dans l'Apocalypse, ou est-il une notion spirituelle et collective ainsi que le suggèrent Matthieu et Jean dans son Epître ? L'Eglise chrétienne opta pour la première solution, mais elle dut résoudre un autre problème lié à la chronologie des derniers temps. Il s'agissait de savoir si l'Antichrist apparaissait pendant les tribulations précédent l'instauration du royaume millénaire, comme le laisse à penser le texte de l'Apocalypse de Jean, ou pendant les tribulations précédent le retour du Christ et le Jugement dernier. Ou bien existait il deux Antichrists selon la version de Matthieu. On hésita beaucoup - Lactance, dans ses Institutions divines, écrites vers 313, est partisan des deux antichrists -, mais il semble que la plupart des auteurs ultérieur aient choisi de placer la venue de l'Antichrist juste avant la parousie.
Pendant les premiers siècles, la crainte des tribulations causées par l'Antichrist et l'espoir de la parousie sont allées de pair et ont nourri les attentes eschatologiques des communautés chrétiennes, jusqu'à ce que, à l'aube du Vème siècle, saint Augustin, l'évêque d'Hippone, dans La Cité de Dieu, y mette fin en renvoyant la fin des temps à beaucoup plus tard. A ce moment-là, l'Antichrist est encore une figure mal définie et le restera longtemps, même si les invasions arabes des VIIe et VIIIe siècles en Orient comme en Espagne ont poussé les clercs à l'identifier à Mahomet. Il faut attendre la seconde moitié du Xe siècle pour assister à la naissance d'une nouvelle eschatologie chrétienne. Adso, qui était alors abbé du monastère de Montier-en-Der au diocèse de Châlons, écrivit De ortu et tempore Antichristi qu'il dédia à la reine Gerbege, épouse de Louis d'Outremer, l'un des derniers Carolingiens d'Occident. L'auteur y donnait la première biographie de l'Antichrist. Ce "Fils de la perdition" était un Juif de la tribu de Dan, né à Babylone des amours monstrueuses d'une prostituée et d'un démon. A la fin des temps, il devait revenir à Jérusalem pour y semer la zizanie par ses prêches où il se présentait comme le Messie, lui ressemblant trait pour trait, détourner les fidèles de leur foi en accomplissant de faux miracles, puis reconstruire le Temple juif, établir sa tyrannie sur le monde et persécuter les chrétiens. Pendant cette période de tribulations, deux témoins envoyés par Dieu - que la tradition assimilait aux prophètes Enoch et Elie - viendraient prêcher contre l'Antichrist pendant une période de trois ans et demi avant d'être martyrisés. L'Antichrist devait disparaître quand, en voulant monter au ciel comme le Christ sur le monts des Oliviers, il serait précipité en enfer.
L'Antichrist n'était plus une notion spirituelle ni un être collectif, mais bien un personnage à part entière, à partir duquel la littérature eschatologique et l'art allaient pouvoir broder. Adso créa également une autre figure de l'eschatologie médiévale qui n'avait jusque là aucune existence réelle, l'Empereur des derniers temps, ce roi du royaume millénaire annoncé par l'Apocalypse johannique, qui, victorieux des ennemis de la Chrétienté, était destiné à régner sur un monde de paix pendant les mille ans précédant la fin des temps. Ces deux personnages, à la fois contradictoires et complémentaires, l'Antichrist et l'Empereur des derniers temps, connurent un immense succès pendant toute la période médiévale et furent utilisés au cours de toutes les crises qui frappèrent l'Eglise. Au XIe siècle, la réforme grégorienne vit les partisans de la papauté considérer comme des antichrists tous ses adversaires, en particulier l'empereur Henri IV. Au siècle suivant, ce fut la querelle des Investitures qui opposa papauté et empire. Le pape Alexandre III traita l'empereur Frédéric Ier Barberousse d'Antichrist. Au milieu du XIIIe siècle, la lutte acharnée des papes contre la maison des Hohenstaufen créa une situation inédite au cours de laquelle la rhétorique eschatologique fut mobilisée : aux yeux de ses partisans, l'empereur Frédéric II représentait l'Empereur des derniers temps, tandis qu'il n'était que l'Antichrist au regard de ses ennemis.
A force d'être utilisée comme insulte dans les luttes politiques et religieuses, l'image de l'Antichrist commençait à se dévaloriser. Mais, à la fin du XIIe siècle, un abbé cistercien de Calabre, Joachim de Flore, renouvela la pensée eschatologique et lui redonna une actualité qu'elle avait perdue. C'est au sein de l'ordre des franciscains alors à ses débuts que la pensée joachimite connut le plus grand succès. Pour les frères Mineurs, saint François d'Assise était un nouveau Christ et, en s'appuyant sur le comput du temps proposé par Joachim de Flore, ses disciples estimaient la venue de l'Antichrist et le début de la fin des temps en 1260. Certains d'entre, qui eux avaient placé leurs espoirs dans l'empereur Frédéric II de Hoshenstaufen, furent désappointés de sa mort survenue en 1250 et non en 1260. L'héritage joachimite fut repris par certains courants spirituels de l'Ordre fransiscain (les Fraticelles) qui annoncèrent la venue de l'Antichrist respectivement pour 1320, 1335, 1350, selon le témoignage de l'inquisiteur Bernard Gui qui les pourchassa. En 1294, Célestin V fut élu au trône de saint Pierre. C'était un moine d'une très grande piété, dans lequel les Spirituels influencés par la pensée de Joachim de Flore virent le pape angélique annoncé par les prédictions et qui devait entreprendre la réforme de l'Eglise. Il fut immédiatement contraint à la démission et remplacé par Boniface VIII. Une violente campagne d'opinion fit passer Boniface VIII et ses successeurs Benoît XI et Jean XXII pour des antichrists. Au XVe siècle, ce furent les Hussites de Bohême, en particulier les Taborites, leur branche la plus radicale, qui accusèrent l'Eglise romaine d'être l'Antichrist, avant que cette même Eglise vit dans les Turcs l'incarnation de l'Antichrist. C'est sans doute à la Renaissance que l'Antichrist connut sa dernière heure de gloire. Vers 1430 commença à circuler en Allemagne, sous la forme d'une plaque xylographique, une Vie de l'Antichrist qui témoignait de la persistance des mouvements eschatologiques dans la zone de culture allemande. En 1500, Luca Signorelli peignait sur les murs de la chapelle Saint-Brice de la cathédrale d'Orvieto la fameuse fresque de la prédication de l'Antichrist. Désormais, la trace de l'Antichrist allait se perdre, même si Marthin Luther utilisa encore cette injure à l'encontre du pape Léon X. Pour retrouver des références à l'Antichrist, il faut désormais aller aux Etats-Unis, dans les mouvements eschatologiques issus de la mouvance baptiste comme les pentecôtistes, les adventistes du septième jour, ou les témoins de Jéhovah, pour citer les plus connus. Là, l'Antichrist y est encore une superstar, pour reprendre le titre d'un album de Marilyn Manson.
J.M.S
IlluminismeCe courant de pensée, véritable creuset de controverses fondatrices de notre modernité, prend naissance dès les années 1760 et se prolonge jusqu'en 1830, en touchant toute l'Europe et les pays anglo-saxons. Les idées et les écrivains qui l'animent dialoguent avec les philosophes des Lumières, mais désirent sauvegarder en l'homme une certaine ferveur mystique. Ils tâchent d'articuler "la raison humaine" avec le "coeur" : pour un théosophe et philosophe de la nature comme Karl von Eckartshausen (1752-1803), la raison est une faculté spirituelle dont les lumières trouvent leur origine en Dieu. Les illuministes interrogent les traditions anciennes (kabbale, alchimie, mythologies grecques ou égyptiennes) et méditent le plus souvent sur les thèmes développés par Jacob Boehme : approche symbolique de la sagesse, déchiffrage de la présence divine au sein de la nature, et du reflet de l'image de Dieu dans les actions accomplies par les hommes. Leurs cosmogonies prennent en compte les avancées de la science et cherchent à intégrer l'idée d'une cocréation de l'univers par Dieu et par l'homme.
Les illuministes, héritiers des anciennes sagesses, tâchent de résoudre le conflit entre la mystique et la modernité. Contemporains de l'effondrement du christianisme, ils veulent sa régénération; contemporains de l'essor de l'individualité moderne et laïque, ils veulent repenser ses liens avec Dieu et le monde. L'homme, créature supérieure destinée par Dieu à approfondir la connaissance qu'il a de lui-même, doit dépasser les errements, occasionnés par la chute d'Adam. Le ressort tragique de son existence doit le pousser à s'engager dans l'Histoire, de façon à racheter analogiquement cette première faute. C'est pourquoi dans ce désir de salut, le personnage du Christ reste central. Car, en eux, rien de fondamentalement révolutionnaire. Gardiens des éléments fondamentaux du quiétisme (Pierre Poiret, 1646-1719; Madame Guyon, 1648-1717) ils poursuivent chacun une forme de syncrétisme qui pourrait résoudre les conflits qui ont émergé entre les diverses confessions chrétiennes et cherchent la voie du "Christ intérieur". Ils poursuivent leur libre méditation sur des questions que l'Eglise a tranchées ou abandonnées, interrogent l'origine du mal, le destin des âmes, la chaîne continue des êtres jusqu'à Dieu.
Leur quête prend parfois l'apparence d'une gnose, la connaissance devant progresser par voie initiatique, ce qui explique que nombre d'entre eux s'engagent dans les groupes de francs-maçons. Entre ceux que fascinent les procédés "directs" de communication avec les anges et les puissances au-delà, et ceux qui, comme Louis-Claude de Saint-Martin, choisissent la voie de la prière, une grande variété d'attitudes est observée. Car certains, touchés par la certitude des capacités humaines, gardent encore intact l'idéal d'un contact "magique" : "l'illumination" aurait ainsi un caractère concret, fondé sur des pratiques alchimiques ou théurgiques dont le théosophe Martines de Pasqually (1710-1774) est un représentant original. Ces pratiques restent d'ailleurs héritières des symbolismes du "voile" et du "dévoilement" de la vérité. Cette dernière, que les religions instituées ne peuvent prétendre enfermer, doit pouvoir être découverte par tout homme dont le coeur est suffisamment ardent et bien conduit. Ainsi, les "hommes de désir" partagent, pensent certains illuministes, une même filiation dont l'origine remonte à la nuit des temps : le thème du "secret" des Templiers illustre bien cette attache à un ordre invisible transmettant les connaissances à travers l'Histoire et venant pour ainsi dire doubler l'histoire profane d'une histoire "sacrée" (Karl von Hund, 1722-1776; Jean-Baptiste Willermoz).
La rémanence des thèmes boehmiens donne parfois à cette quête un caractère ascétique et contemplatif : l'esprit de l'homme reste avant tout le "reflet" de l'esprit divin. Les enseignements des illuministes ménagent des étapes dans cet apprentissage du "regard" sur les reflets et les images. Les textes des Ecritures, les nombres, les lettres incitent l'homme à les suivre comme les "voiles" de la parole de Dieu et comme des chemins tracés par Dieu pour conduire jusqu'à lui. Mais également, c'est l"expérience intime" du croyant qui compte, cette expérience pouvant conduire à des actions visant la vérification, la "preuve". Ainsi, cet aspect se traduit dans deux directions : celui du monde intérieur, par voie d'analogie (avec Johann Caspar Lavater 1741-1801), ou l'observation du monde extérieur, qui contient les "arcanes" d'une "science de Dieu". Les deux orientations permettent de tisser des liens de contiguïté et de ressemblance entre les mondes de Dieu, de la nature et de l'homme. Les élaborations cosmogoniques sont liées à une vision eschatologique, le salut de l'homme devant entraîner celui de la nature toute entière.
Mais les acteurs du courant illuministe inaugurent également une transition intéressante entre les anciennes aptitudes de la mystique (capacité de "voir", d'"entendre") et les aptitudes de type médiumnique qui se développeront après 1850. La voie est ouverte vers les phénomènes qu'on nommera "métapsychiques" un siècle plus tard et qui passionnent Johann Heinrich Jung-Stilling (1740-1817) et Jean Frederic Oberlin (1740-1826). Cette voie s'inscrit dans le sillage des textes d'Emanuel Swedenborg, notamment ses Arcanes célestes (1747-1748), dans lesquels il décrit les conditions de communication avec les anges, notamment l'"état" entre la veille et le sommeil. Elle se poursuit dans les pratiques issues du mesmérisme, celles du marquis de Puységur, franc-maçon (1751-1825), lequel invente le somnanbulisme. Des maçons groupés autour de Willermoz (également "frères" de Puységur), attachés à l'enseignement théosophique de Martines de Pasqually, engendrent dès 1784 un courant du magnétisme qu'on nommera "spiritualiste". L'état de transe dans lequel sont plongés les somnambules leur semble propice à la communication avec l'autre mondre : l'esprit, libéré du corps ordinaire, peut recevoir des révélations. Aussi les maçon spiritualistes interrogent-ils les somnambules sur l'au-delà et prennent en note le contenu de leurs "sommeils", qu'ils considèrent comme un nouvel enseignement. Les écritures "magnétiques" émergent à la même époque, comme celles de l'Agent inconnu, que Louis-Claude de Saint-Martin recopie dans le "Cahier des initiés" afin de perfectionner l'enseignement des maçons les plus évolués.
En quête de révélations, les illuministes ont tendance à former de petit groupes, héritiers en cela des formes de sociabilité des communautés piétistes qui réunissaient des chrétiens de toute confession (comme celle rassemblée près de Dresde par Nikolaus Ludwig Zinzendorf, 1700-1760). Mais ce qui se joue dans les groupuscules peut prendre des formes très diverses, de même que les personnages ont parfois des contours très marqués. Un illuministe comme Niklaus Anton Kirchberger (1739-1799), héritier de Madame de Guyon en ce qu'il recherche le repos de l'âme en Dieu, est davantage un mystique, alors que Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1793), qui prend la tête des quiétistes du pays de Vaud, adopte volontiers le ton philosophique qui sied à l'époque et refuse le monde des prophéties, miracles et messages d'outre-monde adressés aux somnanbules. Les illuministes montrent qu'ils peuvent devenir de fins théoriciens : Eckartshausen critique la philosophie d'Emmanuel Kant, Franz von Baader participe grandement l'élaboration de la Naturphilosophie, le piétiste kabbaliste Friedrich Christoph Oetinger (1702-1782) intègre les savoirs scientifiques dans son système, et Gotthilf Heinrich von Schubert (1780-1860) plonge dans l'esprit humain pour analyser la Symbolique des Rêves (1814). Ces personnages, qui le plus souvent écrivent généreusement, sont abondamment lus et commentés, discutent les uns des autres, et leurs idées se répandent facilement, notamment par l'entremise de salons comme celui de la duchesse de Bourbon (1750-1822). Ils témoignent de leur héritage swedenborgien et contribuent à faire connaître le mage du Nord chacun à leur façon, comme Oberlin (dont l'influence s'étend jusqu'en Amérique) et le moine alchimiste Antoine-Joseph Pernéty (1716-1796) fondateur du groupe des Illuminés d'Avignon.
La vocation illuministe est essentiellement oecuménique, et pas seulement en ce qui concerne les domaines du religieux. L'alliance des savoirs, la réconciliation entre philosophie et poésie, raison et intuition, esthétique et politique, est le ressort de sa quête intellectuelle. Ces hommes volontiers mystiques sont aussi médecins, savants, philosophes, hommes politiques. Leur influence s'étendra en réseau, d'une parfois souterraine (jusqu'à alimenter l'occultisme naissant), et imprégnera durablement la littérature et les arts du romantisme à venir.
Ch. B.
Dernière édition par Mortelys le 22/12/2009, 01:00, édité 1 fois