Martin Winckler 2004 1
TF1 " révise " un téléfilm sur la montée du nazisme
{Hitler, La naissance du mal}, téléfilm historique américain produit en
2003 et relatant la vie d'Adolf Hitler jusqu'à son accession au
pouvoir, sera diffusé sur TF1 mercredi prochain, 28 janvier. Mais ne
croyez pas que les téléspectateurs français ont les mêmes droits que
le public américain. En effet, le téléfilm a été coupé de manière
scandaleuse par TF1 ; la chaîne française l'a en effet raccourci d'un
quart de sa durée, et l'a expurgé, entre autre, des discours les plus
antisémites prononcés par le futur dictateur.
En mai 2003, la chaîne américaine CBS a diffusé un téléfilm
historique de fois 90 minutes, intitulé : {Hitler, The Rise of Evil} ("
Hitler, La naissance du mal "). Ledit téléfilm retrace l'itinéraire et
l'accession au pouvoir de celui qui allait mettre le monde à feu et à
sang et exterminer (entre autres) des millions de Juifs. La presse
américaine, tout en relevant les imperfections de cette fiction
historique, n'a pas manqué d'en souligner les qualités et le caractère
pédagogique.
Personne (et les Etats-Unis ne manquent pas d'historiens pointilleux)
ne lui a reproché de travestir la réalité ou d' " humaniser " le
personnage d'Hitler - principale crainte exprimée, avant la diffusion,
par la communauté juive. Le diffuseur (la chaîne CBS) a consacré une
partie de son site internet à la présentation du téléfilm ; la
présentation en ligne insiste tout particulièrement sur l'historicité
des personnages incarnés dans le téléfilm. Le site (en anglais) est
toujours accessible à ce jour.
[Consultez le site de CBS consacré à {Hitler, the Rise of Evil}->
http://www.cbs.com/specials/rise_of_evil/]
Cette fiction, TF1 l'a achetée et programmée pour le 28 janvier
prochain (mercredi soir) ; parallèlement, sa filiale TF1 Vidéo, a
annoncé la sortie du téléfilm dans un double DVD prévu pour le mois
Martin Winckler 2004 2
de mars prochain. Mais, lors de la conférence de presse de
présentation, TF1 a expliqué aux journalistes présents que la version
diffusée en France (et dont la cassette a été adressée à la presse)
serait plus courte que la version originale de trois heures. Il suffit
de consulter les magazines de télévision pour constater
effectivement que la durée indiquée est de 2 h 10, et non de 177
minutes heures - soit une durée réduite de plus de 45 minutes.
Il suffit de commander le DVD commercialisé en Angleterre et
contenant ces 177 minutes pour le comparer à la version qui sera en
principe diffusée mercredi prochain. Dans la version TF1, près de 20
minutes ont disparu de la première partie. Que manque-t-il ? Lors de
la conférence de presse, un responsable de TF1 aurait déclaré que
les coupes, portant essentiellement sur des scènes se déroulant
pendant la première guerre mondiale, auraient été pratiquées au
prétexte que "Les Américains ne connaissent pas cette guerre,
tandis que les Français, eux, la connaissent !" (sous entendu : c'est
pas la peine qu'on ennuie nos compatriotes avec ça). L'ineptie du
motif n'échappera à personne.
Ce motif inepte cache bel et bien d'un mensonge pur et simple. La
première guerre mondiale n'occupe pas, à elle seule, 40 minutes du
téléfilm, mais vingt minutes au plus. La moitié des coupes effectuées
par TF1 ont porté sur des segments répartis dans toute la première
partie : des scènes entières, utiles à la compréhension du récit {mais
aussi, et c'est beaucoup plus grave, des répliques entières,
"excisées" selon toute évidence de manière délibérée}. Quelles sont
ces répliques ? Le plus souvent, les violents propos antisémites
exprimés par Hitler.
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{{Détail des coupes effectuées par TF1 dans la première partie de
{Hitler, The Rise of Evil} }}
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Si la version adressée aux journalistes est diffusée mercredi 28
janvier, vous ni ne verrez pas les séquences suivantes (la traduction
des dialogues est de mon fait) :
{{Coupés}} : Plusieurs plans du générique (entièrement remonté par
TF1) dans lesquels on voyait :
- un homme faisant écouter du Wagner au petit Adolf ;
- le père d'Hitler se maudissant d'avoir a épousé sa propre nièce ;
- la mère d'Hitler, malade, tenant des propos xénophobes pendant
qu'un médecin (probablement juif !) l'examine ;
- le même médecin annonçant au jeune Adolf que sa mère va mourir
d'un cancer du sein et le jeune homme répondant : "C'est un
mensonge ! Elle ferait n'importe quoi pour compromettre ma
carrière." ;
- Hitler se plaignant des Juifs à un compagnon d'infortune, avec qui il
dort dans la rue, et l'homme lui répondant : "C'est drôle [que tu
dises ça], je pensais que tu étais juif, tu leur ressemble !"
{{Coupé}} : Juste avant la première guerre mondiale, lorsque sa soeur
découvre qu'il est sans le sou, Hitler lui déclare : "Ce sont les Juifs
qui tiennent les galeries, et il n'achètent pas mes tableaux. Quant
aux Polonais, ils travaillent pour rien, alors je ne trouve pas de
travail."
{{Coupé}} : Pendant la guerre, Hitler recueille un chien errant.
Lorsque les autres soldats se moquent de lui, il le bat et le tue.
{{Coupé}} : Dans les tranchées, Hitler reproche à son supérieur, un
lieutenant juif, de ne pas lui avoir fait décerner la croix de fer, et
ajoute : "J'ai pourtant toujours soutenu votre peuple."
{{Coupé}} : À l'hôpital où il a été soigné après avoir été victime des
gaz, Hitler devient fou furieux en apprenant la reddition de
l'Allemagne.
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Le jour où, en uniforme, il arrive à Munich, Hitler assiste à un
affrontement entre des militants communistes et les miliciens
d'Ernst Röhm (dont il se rapprochera par la suite). Röhm tire sur un
des militants, puis achève l'homme tombé à terre. {{Le plan où Röhm
achève le blessé a été coupé.}}
{{Coupé}} : Un militaire qui a chargé Hitler de moucharder les
groupuscules activistes est effaré devant les opinions racistes que
son mouchard a écrites dans un de ses dossiers ; il lui déclare que se
débarrasser des Juifs est impossible. Dans la version TF1, Hitler
réplique : "C'est parfaitement faisable". Dans la VO, il poursuit :
{{"On peut les exiler, les déporter si nécessaire. Imaginez-vous un
monde sans {eux} ? Comme il serait pur, et saint ! Pensez-vous qu'il y
a des Juifs au Valhalla ?"}}
Une suite de scènes situées dans les brasseries où Hitler commence
sa carrière d'orateurs le montre devant des salles de plus en plus
pleines. L'une de ces scènes, au cours de laquelle Hitler commente le
traité de Versailles, a totalement disparu de la version TF1. Or, tous
les historiens s'accordent à dire qu'Hitler s'est beaucoup nourri de
la frustration et de l'humiliation infligée à l'Allemagne par ce traité.
Un élément historique important pour comprendre la montée de
l'hitlérisme a donc été purement et simplement omis par les censeurs
de TF1.
Lors d'un de ses premiers meetings, Hitler lance : "- Qui, à eux seuls,
sont les responsables de la décadence nationale qui ronge notre
société ?" Dans l'assistance, un homme se lève et crie : "Les Juifs !"
Dans la version originale, Hitler s'enflamme: {{"Oui, les Juifs ! qui ont
toujours été des intrus et des indésirables, et qui sont partout. Ils
envahissent notre gouvernement, nous volent notre épargne, violent
nos familles et notre héritage !"}} Cette profession de foi a été
excisée de la version TF1, dans Hitler poursuit : "Je vous le dis, c'est
une guerre, une guerre qui changera bientôt de cours car les
envahisseurs deviendront des victimes !"
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{{Coupée}} , intégralement : une impressionnante scène longue de 3
minutes montrant, pendant un autre meeting d'Hitler, les futurs SA
tabassant à coups de matraque les militants communistes venus le
contredire.
{{Coupée}} : une scène montrant Helena et Ernst Hanfstaengl, couple
de riches Allemands qui soutiendront Hitler, dans un cabaret tenu
par un de leurs amis, juif. Le cabaret présente des revues satiriques
dont le ton est résolument antimilitariste. Le patron du cabaret
déclare qu'il ira écouter l'orateur parler dans une brasserie, non
parce qu'il soutient son action mais parce qu'il a besoin de matériau
pour sa revue. Ernst Hanfstaengl propose de l'accompagner. Toute la
scène a disparu. Qui plus est, la scène suivante, qui se déroule dans la
brasserie en question {a été remontée de telle manière par TF1 que
le sens de la scène est totalement dénaturé}
- D'une part, la tirade suivante d'Hitler a été tronquée au montage :
(la partie coupée est en gras) "Avec Lohengrin comme héros et la
musique de Wagner pour nous inspirer nous pendrons les profiteurs
{{nous briserons les Communistes et nous désinfecterons notre pays
de la vermine juive !}} Et nous triompherons ! ! !"
- D'autre part, l'ami juif de Hanfstaengl, présent à ses côtés dans la
VO, {a été purement et simplement éliminé de la scène dans la
version TF1}. Quand Hanfstaengl, séduit par le discours d'Hitler, se
lève pour applaudir, il se retourne et constate que son ami, révulsé
par l'antisémitisme de l'orateur, a quitté la salle. {Le personnage
ayant été purement et simplement éliminé par les coupes de TF1, ce
plan prend dans la VF un tout autre sens que dans la VO : il donne le
sentiment que Hanfstaengl admire l'effet des paroles d'Hitler sur
les hommes qui l'acclament !}
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De plus, la scène du cabaret vise à montrer que les Hanfstaengl ne
sont pas antisémites, mais qu'ils seront séduits par le discours
nationaliste d'Hitler. Dans la version TF1, les circonstances dans
lesquelles Hanfstaengl vient entendre Hitler et les motifs de son
adhésion à son discours sont incompréhensibles.
Dans l'une des scènes suivantes, des plans de la même tirade raciste
sont repris dans la VO. L'imprécation "Les Juifs! " que l'on entend
distinctement dans la version originale a disparu de la version TF1.
De même, un peu plus loin, dans une scène située en 1921, Hitler,
appuyé par Röhm, pousse Anton Drexler (co-fondateur du parti
ouvrier allemand) à lui abandonner la direction du parti. Il exige que
Drexler fasse de lui son successeur devant les membres assemblés.
La scène, qui dure près d'une minute, montre Hitler acclamé par la
foule des militants. Elle a été raccourcie et réduite à sa simple
expression, alors que sa durée contribuait à renforcer le profond
dégoût exprimé par Drexler (et ressenti par le spectateur) quand
Hitler, après avoir traversé la salle en triomphe, monte sur l'estrade.
Dans la version de TF1, cette scène semble anodine, alors qu'elle
montre, pour la première fois, Hitler dans son rôle de "Führer".
Une coupe ultérieure, effectuée dans une scène montrant Hitler avec
le journaliste politique Fritz Gerlich, est significative du travail de
"révision" idéologique et narrative opéré par TF1. Hitler se plaint à
Gerlich "des immigrants, des Juifs qui volent notre travail." Gerlich
réplique : " Des Juifs {allemands}. "Une partie du dialogue qui suit
(indiquée en gras) a été expurgée de la version TF1 :
- (Gerlich) : Des Juifs {allemands}. {{Un parti qui prendrait le pouvoir
garantirait certainement...
- (Hitler, hystérique, l'interrompt) : Nous parlons des {Juifs} ! Ce ne
sont pas des citoyens ! Ils n'ont aucun droit. Vous qui vous dites
nationaliste, vous devriez le savoir ! Nous ne ferons jamais de
compromis au sujet des Juifs ! Jamais ! }}
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Dans le plan suivant, la voix "off" de Gerlich décrit Hitler comme fou
et psychotique, ce qui n'a plus grand sens, car la séquence montrant
cette folie (Hitler éructant, l'écume aux lèvres) a disparu sous les
ciseaux de la première chaîne privée française.
Cette coupe, qui contribue ni plus, ni moins, à réécrire la scène, est
significative du travail effectué par les censeurs. En effet, deux
autres scènes antérieures, au cours desquelles Hitler agresse
verbalement les Juifs, ont été conservées ; l'une se passe pendant
qu'Hitler est au front, en 14-18 ; l'autre au repas, dans le salon des
Hanfstaengl ; dans la première un soldat juif lui tient tête ; dans
l'autre, c'est un invité dont le père était juif. Telle qu'elle a été
remontée par TF1, la scène que j'ai décrite précédemment donne à
penser que le journaliste, lui aussi, tient tête au petit moustachu ; en
réalité, dans la scène intégrale, Hitler l'interrompt et sa réaction
violente et caractérielle laisse Gerlich sans voix.
Plus tard, lors d'un meeting au cirque Krone, le discours d'Hitler
dans la VO se termine de la manière suivante :
"(...) Le moment crucial de ma vie est celui où le bandeau m'a été
arraché des yeux et où j'ai pu voir mon ennemi, notre ennemi : le Juif
! {{Nous le reconnaissons, nous le reconnaissons ! Nous voyons
comment sa saleté et sa cupidité ont infiltré le coeur de ce grand
pays. Nous devons écraser cette vermine, libérer notre nation de
cette peste!}}"
Les phrases en gras ont disparu de la version de TF1.
TF1 a opéré des coupes particulièrement importantes sur la longue
séquence relatant le "putsch de la brasserie", au cours duquel Hitler,
Röhm et les SA tentent de prendre le pouvoir à Munich. Toutes les
scènes situées dans la brasserie (on y voit Hitler et ses partisans
séquestrer Von Kahr, le commissaire général de Bavière, et
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l'assemblée devant laquelle il allait faire une déclaration de politique
intérieure) ont été coupées. De même que le montage narratif qui
mettait trois actions en parallèle : la marche d'Hitler et de ses
hommes, le discours de Von Kahr et une saynète satirique, très
brechtienne, représentée par la troupe du cabaret vu plus tôt dans la
VO, mais supprimé dans la VF.
Cette nouvelle coupe a pour résultat qu'un événement crucial dans la
carrière d'Hitler, qui occupe dix minutes de film, est réduit de plus
de moitié et se résume, finalement à deux séquences : une
escarmouche entre les hommes de Röhm et les soldats réguliers
d'une caserne, et une scène dans laquelle Hitler, bras-dessus brasdessous
avec ses hommes, se fait tirer dessus par l'armée. Si l'on ne
se fie qu'à la version "formatée" par TF1, lorsque le pauvre Hitler se
fait tirer dessus, c'est sans aucun motif intelligible... Le spectateur
non averti risque fort d'attribuer à l'inculture des scénaristes
américains des incohérences qui sont entièrement l'oeuvre de TF1.
A la fin du putsch de la brasserie, alors que Hitler vient de
comprendre que les choses ne tournent pas comme il l'avait prévu,
Gerlich lui lance : "Où est votre conscience ?" - "La conscience ! "
réplique Hitler, " Encore une invention des Juifs !"
Cette réplique, évidemment, a disparu. Pas assez intelligible au goût
de TF1, sans doute.
--------------
{{Deux versions opposées d'une même histoire}}
Mon travail de comparaison entre les deux versions n'est pas
terminé. Je posterai sur cette page, d'ici quelques heures, le reste
de la comparaison (je vais passer mon dimanche dessus !). Mais il
m'est d'ores et déjà possible de dire ceci : quand on le voit dans son
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intégralité, le téléfilm de CBS ne peut en aucun cas porter à
confusion. On peut sans doute examiner en détail la véracité
historique de la narration (mais, même si je ne suis pas historien, je
la trouve très proche de ce que j'en ai lu dans des ouvrages de
référence) ; on ne peut en revanche, en aucun cas, douter du sens que
les auteurs ont donné à cette histoire, ou de leur opinion sur le
personnage qu'ils mettent en scène.
Hitler est (très bien) interprété par le comédien britannique Robert
Carlyle, qui le présente, sans la moindre ambiguïté, comme un frustré
paranoïaque, xénophobe et meurtrier. Les déclarations antisémites
qui sont attribuées au personnage ne peuvent en aucun cas être
prises comme exprimant l'opinion personnelle des auteurs mais, au
contraire, comme une volonté délibérée de ne pas du tout "édulcorer"
le personnage.
De plus, cette première partie du téléfilm ne sacrifie pas du tout à l'
"hollywoodisme" car les personnages secondaires ne sont pas
idéalisés. Ainsi, l'épouse du financier et compagnon d'Hitler Ernst
Hanfstaengl, Helen, est clairement désignée comme étant née aux
Etats-Unis, et son époux comme y ayant fait fortune. Ce "détail", les
auteurs américains du téléfilm ne l'ont pas escamoté (ce qui, quand
on connaît la part que les entreprises américaines ont pris dans les
succès industriels d'Hitler, n'est évidemment pas anodin). Autant
dire que si l'on peut faire des reproches à {Hitler, The Rise of Evil},
ce n'est pas celui de la complaisance. De plus, le montage originel est
très subtilement conçu, il évite les grands discours démonstratifs, et
se montre pédagogique sans être simplificateur.
En résumé : quand on la compare à la version originale, il est évident
que la version tronquée montrée aux journalistes :
- passe sous silence des éléments historiques avérés permettant de
comprendre l'itinéraire du futur dictateur ;
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- prend le parti, de manière assez systématique, d'éliminer de la
version proposée au public français les discours antisémites les plus
violents prononcés par le personnage ;
- gomme tout aussi systématiquement les scènes où la personnalité
pathologique d'Hitler apparaît dans toute son intensité ;
Dans la version "revue et corrigée" par TF1, Hitler est un personnage
qui ne perd jamais son sang-froid, et son antisémitisme est plusieurs
tons en dessous de ce que montrent les documents d'archives
couramment diffusés sur Arte ou Planète.
Devinette : comment nomme-t-on les manoeuvres destinées à
travestir la réalité historique ?
Le révisionnisme.
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{{Un débat truqué}}
Dans quel but, pour servir quels intérêts, cette version expurgée,
trafiquée a-t-elle été mise en oeuvre par TF1 ? Il n'est pas
supportable que dans un pays qui se dit démocratique, une chaîne
censure impunément une oeuvre de fiction que les spectateurs
d'autres pays ont pu voir dans son intégralité. Il n'est pas
supportable qu'une période historique qui a fait l'objet d'autant de
travaux et de commentaires soit réécrite par une chaîne, fût-ce dans
une fiction ! ! ! !
TF1 a-t-elle peur que ce téléfilm ne "choque" son public ? Alors, il ne
fallait pas l'acheter. Le public est-il si immature aux yeux des
dirigeants de la chaîne ? Redoute-t-elle de le "troubler" {même en lui
Martin Winckler 2004 11
livrant une version expurgée} ? On serait tenté de le croire car, de
manière tout à fait inhabituelle, la diffusion sera suivie par un débat.
Animé par l'inévitable PPDA, ce "débat" devrait réunir Bernard
Volker (ex-correspondant de TF1 en Allemagne), August von
Kageneck, ex-officier de l'armée allemande et journaliste, Paul-
Marie de la Gorce, auteur de {La prise du pouvoir par Hitler : 1928-
1933} et Marion von Haaren, correspondante d'ARD à Paris. Outre
qu'on s'interroge sur la compétence de ces quatre intervenants et la
pertinence de leurs remarques (de quoi vont-ils bien pouvoir parler ?)
on se croirait revenu au bon vieux temps des {Dossiers de l'écran}, à
l'époque où il était de bon ton d'expliquer au public ce qu'il venait de
voir, ce qu'il fallait comprendre, ce qu'il fallait en penser !
Mais qui, mercredi soir, expliquera au public de TF1 que la première
chaîne privée française prend ses spectateurs pour des imbéciles,
incapables de comprendre ce que les spectateurs du monde entier
sont capables de voir et d'entendre (le téléfilm a été diffusé dans
plusieurs pays et le DVD est disponible partout...) ?
Et qui, mercredi soir, lorsque l'un ou l'autre des invités balaiera de
son mépris les lacunes historiques du téléfilm, indiquera au
spectateur que le moindre commentaire à ce sujet est impossible,
{puisque TF1, en le dénaturant, a irrémédiablement pipé les dés} ?
Cette censure n'est pas seulement une insulte à l'intelligence des
spectateurs français, c'est une insulte à la mémoire de {toutes} les
victimes de la folie hitlérienne.
{{Ne laissez pas TF1 travestir la réalité et réécrire l'histoire au nom
d'on ne sait quelle idéologie ! ! ! !}}
{{Avertissez tous les journalistes de quotidiens, de radios, de
magazines que vous connaissez, redirigez-les sur cette page, et d'ici
à mercredi prochain, faites massivement pression (par courrier, par
Martin Winckler 2004 12
téléphone, [par e-mail->) sur la chaîne et sur les journaux pour que
les dirigeants de la chaîne s'expliquent sur cette censure
inacceptable et diffusent la version intégrale!}}
Martin Winckler
PS : Le DVD du téléfilm (contenant en principe la version intégrale)
devait sortir en mars prochain. Alors que le pressage des disques est
déjà fait et les jaquettes prêtes (de nombreux journalistes les ont
déjà reçues), TF1 Vidéo vient d'en repousser la sortie {sine die}. Que
faut-il en penser ?
********************************
{{Détail des coupes effectuées par TF1 dans la deuxième partie de
"Hitler-La naissance du mal "}}
La première scène de la deuxième partie est coupée en partie : après
l'arrivée de Hitler en prison (conservée au montage), la séquence où
Hess (qui se trouve dans la cellule voisine) se joint à lui a disparu.
{{Coupée intégralement : }} La deuxième scène montre les
Hanfstaengl au lit de leur petite fille malade. Ernst propose à Helena
de retourner en Amérique pour la faire soigner " à présent que Hitler
est en prison ". (Comme la scène du cabaret et l'ami juif des
Hanfstaengl ont disparu de la version TF1, ce revirement de Ernst
est incompréhensible... ) La femme de chambre vient le prévenir
qu'on l'appelle au téléphone de la prison où Hitler est enfermé. (Et
là, on revient à la version TF1).
{{Coupé (à 5'51 2e partie, version DVD) ; }} Pendant que Hitler dicte
à Hess ce qui deviendra {Mein Kampf} il tourne dans la cour de la
prison et dit : {{" L'Allemagne devra se libérer des Juifs, ou il n'y
aura pas d'Allemagne " (Germany will either be free of Jews or
Martin Winckler 2004 13
there will be no Germany)}} Cette première phrase est coupée. Sur la
version TF1, on passe directement à la fin de la tirade : " Il nous faut
un chef, un homme qui voit loin, un homme qui ait le courage de
broyer ses ennemis et de les réduire en poussière et il arrive ! Et il
vit aujourd'hui ! Et il va mener son peuple à la victoire ! "
Donc, pour TF1, Hitler est mégalomane, mais son antisémitisme n'y
est pour rien (puisqu'on l'évacue).
Dans la scène suivante, nous sommes chez les Hanfstaengl, à Noël.
Leur fille est au lit, malade. Leur fils ouvre ses cadeaux. " Oncle Dolf
" vient leur rendre visite. La petite fille appelle. Ernst se lève et
laisse Helena en tête à tête avec Hitler, qui se jette à ses pieds.
Cette scène est identique dans la VO et dans la VF, à ceci près que,
se retrouvant seul avec elle, Hitler {{demande à Helena si sa fille est
très malade}} avant de se jeter à ses pieds. Bref, les censeurs sont
logiques : de même qu'ils ont fait disparaître la petite fille malade
dans une scène antérieure, ils la suppriment dans celle-ci. A ce point
de ma " lecture " je m'interroge : ces coupes ont fait disparaître
successivement : des communistes, des Allemands non extrêmistes,
une petite fille malade et beaucoup de Juifs (l'un d'eux a même été
éliminé totalement, ainsi que les spectacles qu'il produisait dans son
cabaret). La simple énumération de ces personnages
systématiquement éliminés de la version TF1 me fait froid dans le
dos. Pas à vous ?
La coupe suivante est, encore une fois, très caractéristique de la
nature délibérée de la censure opérée (c'est le cas de le dire) par
TF1.
Une scène très longue (de 13'40 à 17' 01 sur le DVD) montre Hitler
avec Geli, la fille adolescente de sa demi-soeur, en 1925 ou 26. Ils
sont dans la campagne, c'est l'hiver, il fait très froid. Hitler dessine.
Geli fait de la bicyclette. Hitler est manifestement troublé par la
jeune femme, à qui il promet de l'emmener à Munich. Geli tombe.
Hitler la rejoint et l'entraîne loin de Hess, qui assiste à la scène.
Martin Winckler 2004 14
Hitler demande à la jeune femme de tourner autour de lui, puis, sur
un ton de plus en plus autoritaire, caractériel, de s'immobiliser et de
ne plus rien dire, de ne plus bouger. La jeune fille pleure. La scène
est coupée entièrement alors qu'elle est riche de sens. D'abord
parce qu'elle montre la perversité sexuelle du personnage, troublée
par sa jeune nièce adolescente, ce qui renvoie au plan {{coupé par
TF1, pardi}} du tout début du film dans lequel le père d'Hitler se
maudit d'avoir épousé sa propre nièce ; ensuite, parce qu'elle montre
aussi la perversité du personnage. En effet, sur le visage de la jeune
fille, avant de passer à la scène suivante, on entend {la voix de Fritz
Gerlich} lire des paroles de Hitler :
{{" Through so-called "assimilation", the Jew defiles our
inexperienced young blonde girls and thereby destroys something
given to the earth by God's good grace. "}} /{{" Par une soi-disant "
assimilation ", le Juif avilit nos naïves jeunes filles blondes et détruit
ainsi ce que la bonne grâce de Dieu a offert à la terre. "}}
Dans la VO, la fin de la phrase est prononcée par Gerlich dans le
bureau de son rédacteur en chef, qui lui répond :
{{" Paranoïd ramblings, Fritz. Paranoïd ramblings ! Nobody takes him
seriously anymore. He's yesterday's news. "}}
{{" Délire paranoïaque, Fritz. Délire paranoïaque ! Plus personne ne le
prend plus au sérieux. "}}
Tout ce qui précède a été censuré par TF1. Seule reste la dernière
phrase ({He's yesterday's news}) traduite par " Hitler est un homme
du passé à présent. "
La scène entre Geli et Hitler est une mise en scène métaphorique
mais très claire : Hitler est profondément frustré sexuellement, et il
projette sa frustration sexuelle sur les Juifs. Mais cette analyse,
TF1 n'en a cure, alors même qu'elle contribue, encore une fois, à
montrer que l'antisémitisme du personnage n'est pas une volonté
politique, mais ce qui nourrit sa personnalité pathologique. La coupe
Martin Winckler 2004 15
de cette scène interdit toute compréhension des liens entre Geli et
Hitler qui, plus tard (la scène est conservée dans la version TF1),
lorsqu'il retourne à Munich prendre les rènes du parti, dit à sa soeur
de faire les bagages de la jeune fille, car il l'emmène avec lui. Geli lui
saute au cou. Ce qui suggère qu'ils sont peut-être amants, alors que la
scène dans la campagne, coupée par TF1, vise manifestement à nous
montrer qu'ils ne peuvent pas l'être....
{{Coupe (24'25'' sur le DVD)}} : une scène très courte où l'on voit le
couple Hanfstaengl, au cimetière, enterrer leur fille. Pour les
censeurs sans âme de TF1, ce plan est inutile, puisque l'enfant n'a
jamais été malade... La censure, c'est comme le mensonge : quand on
censure ou ment une fois, on est obligé de couper tout ce qui peut
faire deviner qu'on a censuré ou menti auparavant...
Plan coupé dans la scène suivante : chez les Hanfstaengl, deux mois
après l'enterrement (on lit " mars 1929 " sur l'image et sur la tombe
de la petite Herta, la date du décès était janvier 1929), Hitler
discute avec Goebbels. Helena passe devant lui. Hitler la suit des
yeux puis quitte brusquement Goebbels et la rejoint : elle s'est
appuyée sur le pas de la porte. Une partie de la séquence a été
coupée : {{Ernst Hanfstaengl, (lequel n'apprécie pas, depuis la scène
où Hitler s'est jetée à ses pieds, l'intérêt que Helena et Hitler se
portent) regarde leur manège. Hitler qui s'est approché d'Helena, lui
parle de la mort de son enfant. Dans la VO, on sait que Ernst
s'inquiète pour rien : ils ne sont pas en train de marivauder. Dans la
VF, toute mention de la petite fille morte a été supprimée, la scène
prend alors un tout autre sens : Ernst est jaloux du Führer qui
drague sa femme.
Dans la scène suivante, Helena (qui dirige la collecte de fonds pour la
campagne d'Hitler) présente le siège tout neuf du parti Nazi aux
donataire qui applaudissent.
Martin Winckler 2004 16
La fin de cette scène {{Ernst propose à sa femme de l'emmener au
cabaret le soir. Elle refuse.}} a été coupée ainsi que les deux
suivantes
{{1. au cabaret (celui de leur ami Friedrich) est celui que les censeurs
ont fait disparaître. Sur la scène, une chanteuse interprète une
chanson satirique, " Go blame the Jews " (" La faute aux Juifs ") sur
l'air de " L'amour est enfant de bohême. " Friedrich demande à
Ernst ce qu'il fait là. Ernst dit qu'il a un rival et qu'il cherche une
consolation. Friedrich lui répond : " Incroyable ! Voyons, tu n'étais
pas à la synagogue que les SA ont attaqué, la nuit dernière. Est-ce
une consolation suffisante ? Des gens ont été tués, Ernst. Rentre
chez toi. Nous ne servons plus les gens comme toi. "}}
{{ 2. En voix off, la chanteuse de cabaret poursuit sa chanson : " If
we have flaws, go blame the Jews " (" Si nous avons des défauts, la
faute aux Juifs ") et la séquence suivante (sans dialogue) se déroule
au son de la chanson : pour la première fois Hitler donne un meeting
électoral en chemise brune avec des SS maintenant la foule, sous des
drapeaux à swastika et un aigle hitlérien ; il sort de scène et
embrasse Geli qui est, manifestement, dégoûtée par " son oncle " ;
puis il pose devant des photographes pendant que Geli,
manifestement obligée de le suivre, l'attend dans la voiture et sourit
au chauffeur. Regard de Hitler sur eux (similaire à celui que Ernst
Hanfstaengl posait sur Hitler et sa femme un peu plus tôt) tandis que
la chanteuse dit " Whatever wrong, the Jew's to blame. " - " Quand
ça va mal, c'est la faute au Juif ". }} puis retour à la version TF1 :
Hitler présente à Geli leurs nouveaux appartements ou il lui apprend
que dorénavant, elle sera " protégée " en permanence par un garde du
corps...
(total de la coupe : 2 minutes entre 27'30 et 29'30 sur la version
DVD)
Martin Winckler 2004 17
Il faut noter que les divers " signes et insignes " du nazisme ont été
distillés petit à petit dans le téléfilm : la montée d'Hitler au pouvoir
et dans l'imaginaire est donc montrée très clairement comme un
processus, une accumulation progressive : la swastika, l'apparition du
mot " Fuhrer ", le salut hitlérien, l'expression " Sieg Heil ", les
apparats nazis sont mis en place très intelligemment par la mise en
scène... Quand la scène décrite ci-dessus est montrée, on sent que
{tout s'est mis en place} : le décorum nazi représente très
précisément son idéologie.
{Mais en pratiquant ces coupes, tout cela, TF1 l'a gommé ! ! ! ! ! }
{{Coupée }} : Une scène très significative : au siège du parti nazi,
Goebbels dit à Hitler que l'opposition s'interroge sur les relations
entre Hitler et sa nièce.
- Hitler : " Trust these Jews to paint everyone as dirty as they are. "
(" Il faut s'attendre à ce que ces Juifs recouvrent chacun de leur
propre saleté. ")
- Goebbels : " But it's not just them. People in the party are also
beginning to object... " (Mais il n'y a pas qu'eux, dans le parti même,
on commence à réprouver...)
- Hitler hurle : " She's my niece for God's sake ! We go to the Opera
together ! " (C'est ma nièce, nom de Dieu ! Nous allons à l'Opéra
ensemble ! ! !)
Dans la grande salle, tout le monde se tait.
Cette scène est très courte (20'') mais, comme évidemment, elle
accroit le malaise au sujet de la vie sexuelle d'Hitler et montre que
les crises de colère caractérielle sont sa manière de faire cesser
toute discussion.
{{Séquence coupée :}} Dans une scène ultérieure, (juste après la
rencontre avec Eva Braun, conservée dans la version TF1), Geli est
surprise se serrant dans les bras du chauffeur. Hitler est à deux
doigts de les tuer tous les deux. Geli lui dit qu'elle n'en peut plus. Il
Martin Winckler 2004 18
ne l'entend pas et l'emmène. Dans la scène suivante, qui se passe
après les élections (le parti nazi, avec 107 sièges, est la seconde
composante du Reichstag), Geli est surprise tentant de quitter la
réception seule en taxi. Hitler la fait raccompagner chez eux par un
SS. Les plans où elle rentre dans l'appartement et se retrouve prise
au piège, entre deux hommes en chemise brune, ont été coupés, alors
qu'ils annoncent la scène suivante, où Hitler la trouve morte, tuée
d'une balle de pistolet. Telle qu'elle existe dans la VO, la scène laisse
planer l'ambiguïté : Geli a pu se suicider ou être exécutée sur ordre
d'Hitler. Dans la VF, cette ambiguïté n'existe pas, on pense qu'elle
s'est tuée.
{{Scène coupée : }} Juste après la mort de Geli, Hitler, dans la
chambre de la jeune fille de la maison familiale, est prostré dans un
coin et caresse un vêtement lui appartenant. Sa soeur est présente.
Hitler la somme de ne rien toucher dans la pièce, il déclare que " la
déesse de l'histoire surveille tout ce qu'il fait " puis s'affale en
pleurant sur le lit.
{{Une coupe bizarre : }} Scène suivante : 1932, au parti Nazi (visible
dans la version TF1) Goebbels remet le diplôme de citoyenneté à
Hitler. Il déclare :
" Thank God, your family changed its name. " (" Dieu merci votre
famille a changé de nom ! ") Dans la version TF1, la fin de la phrase
de Goebbels et les deux plans suivants ont sauté : {{ Goebbels ajoute
: " Or else we'd all be saying : Heil Schickelgruber ! " (Sinon, on
serait tous en train de dire : Heil Schickelgruber !) Les dignitaires
nazis s'esclaffent. Hitler se force à sourire.}}
On se demande pourquoi cette blague a été supprimée. Je n'ose
croire que c'est parce que le censeur de TF1 trouvait que les
scénaristes avaient en la faisant manqué de respect pour le Fuhrer...
Martin Winckler 2004 19
{{Fin de scène coupée : }} Eva Braun est à la fenêtre dans la maison
de campagne de Hitler et échange un bref dialogue avec Angela (la
soeur de AH).
Le reste de la scène (les deux tiers) sont coupés : {{Angela lui parle
de Geli, la fait monter dans la chambre, lui dit qu'elle ne fait pas le
poids face à un souvenir. (Ca fait penser à Mrs Danvers parlant de
Rebecca à la nouvelle femme de Lord DeWynter...) Eva B., pas très
impressionnée (elle a touché à tout alors que c'est interdit) sort en
disant à Angela qu'elle doit partir.}}
La scène est manifestement destinée à montrer que Eva B. est
persuadée avoir une toute autre trempe que Geli et pouvoir mener
Hitler par le bout du nez. Dans une scène ultérieure, elle réalise qu'il
n'en est rien. Mais sa surprise est peu compréhensible étant donné
que la séquence ci-dessus (qui précisait sa personnalité) a disparu.
{{Coupée}} : après que Gerlich a eu l'idée de faire imprimer ses
articles chez l'imprimeur du parti nazi, {{une courte scène au cours
de laquelle des hommes de Röhm s'entraînent au tir de précision.
Röhm donne la cible percée de balles à un homme en costume et
chapeau noir qui fait bien sûr penser à un agent de la Gestapo et lui
montre un tireur d'élite.)
La scène suivante commence en montrant Hitler en conférence avec
Goebbels et Goering ; ils discutent de savoir si Hindenburg va
nommer Hitler chancelier. Dans la version TF1, on passe directement
au bureau de Hindenburg qui parle des difficultés avec le parti nazi.
{{Entre les deux, TF1 a coupé la fin de la scène, où Goebbels demande
pourquoi Hindenburg ferait appel à Hitler et où celui-ci répond " à
cause des problèmes que je lui ferai s'il ne le fait pas ", et une autre
scène, très importante, pendant laquelle Hitler fait sortir Goebbels
et Goering et reçoit Röhm, qu'il fait taire et à qui il fait comprendre
qu'il le soupçonne de vouloir le faire assassiner, que les SA sont "
trop rebelles " ne sont plus dans ses petits papiers et qu'il lui
demande de les contrôler de près, sinon....}}
Martin Winckler 2004 20
Cette scène coupée annonce évidemment l'élimination des SA par les
SS. Mais cela a dû paraître secondaire aux censeurs de TF1, qui
semblent vouloir continuer sur la même voie qu'Hitler en faisant
disparaître de l'écran les personnages qu'Hitler s'est lui-même
employé à éliminer...
Dans les scènes qui suivent, plusieurs plans ont été coupés pendant
les conversations entre Hindenburg et ses conseillers, puis entre
Hindenburg et Hitler, relatives aux manoeuvres de Hitler pour se
faire nommer chancelier. {{Une courte scène où Hindenburg se
résout à appeler Hitler au pouvoir a été totalement coupée du
montage. }}
{{Nouvelle coupe " pour délit d'ethnicité "}} : Le début d'une scène
où Gerlich travaille dans une bibliothèque a été coupé : {{Plan d'un
poste de radio et voix d'Hitler éructant : " We must crush this
vermin ! We must remove this abomination " (Nous devons écraser
cette vermine ! Nous devons nous débarrasser de cette abomination
!). Gerlich dit " Someone please turn him off ! " (Que quelqu'un le
fasse taire, s'il vous plaît).}}
Dans ce plan-là, le mot " Juif " n'est pas prononcé, mais les censeurs
ont sans doute très bien compris que dans l'esprit d'Hitler vermine =
juif. Il faut noter à ce sujet qu'à force de couper toutes les
allusions de ce style, les censeurs de TF1 {parviennent à faire en
sorte qu'il ne soit pratiquement plus jamais question des Juifs
pendant toute la seconde partie du téléfilm, comme s'il n'y en avait
plus en Allemagne à cette époque-là } ! ! ! ! Mais n'est-ce pas
exactement ce que voulait Hitler. Bravo, TF1 !
{{Coupée :}} une scène où l'imprimeur de Gerlich l'appelle pour lui
dire qu'il ne va plus le publier, en raison des dangers qu'il lui fait
courir ; et où la femme de Gerlich tente une nouvelle fois de le
convaincre de cesser à écrire des pamphlets contre Hitler.
Martin Winckler 2004 21
{{Coupées entièrement :}}
- une scène où, juste après l'incendie du Reichstag, Hindenburg
décide de donner les pleins pouvoirs à Hitler, lequel prononce des
paroles qui font froid dans le dos tant elles sont actuelles :
{{ These are troubled times, Sir. The constitution couldn't anticipate
them. A national monument has been destroyed. Our democracy is
under attack. If we are to wage wars in these foreign infiltrators,
certain civil rights must be suspended. }}
{{Nous vivons une époque troublée, Monsieur. La constitution ne
pouvait pas la prévoir. Un monument national a été détruit. C'est
notre démocratie qu'on attaque. Si nous voulons faire la guerre à ces
étrangers infiltrés, certains droits civiques doivent être suspendus.}}
Cette déclaration est évidemment lourde de sens, elle a d'ailleurs
fait beaucoup d'encre : les critiques républicains y ont vu une
attaque très claire, car elle reproduit très clairement la pensée
politique de George W. Bush à l'égard des libertés individuelles après
l'attaque du 11 septembre.
Cette tirade donne au téléfilm une dimension historique de résonance
étonnamment contemporaine, mais les téléspectateurs français n'ont
pas le droit de l'entendre. Sa censure est, en elle-même, aussi lourde
de sens que la déclaration d'Hitler : n'avons-nous pas, nous aussi,
droit à des discours de ce genre, en ce moment même, en France ?
A la fin de la scène, Hindenburg dit à Hitler que pour obtenir les
pleins pouvoirs, il doit en obtenir le vote au Reichstag. La scène
suivante (coupée également) se passe dans un théâtre utilisé comme
lieu de réunion provisoire. Devant l'assemblée, Hitler déclare
{{ In order for the government to carry out the necessary
procedures against terrorism, Reichstag must support an enabling
act. This act is your opportunity to hand power to those who can
wield them most effectively. From now on, all legislation will be
Martin Winckler 2004 22
handled by the Administration which will have sole rights to make
constitutional changes. Freedoms of speech, association and the
press are temporarily suspended. Privacy rights in relation to
telephone and postal communication are revoked. }}
Traduction :
" Afin que le gouvernement mette en oeuvre toutes les
procédures nécessaires contre le terrorisme, le Reichstag doit lui
voter son soutien. Ce soutien est l'occasion pour vous de donner le
pouvoir à ceux qui peuvent l'exercer le plus efficacement.
Dorénavant, toutes les procédures légales seront confiées à
l'administration, qui aura seule le droit de modifier la constitution.
Les libertés d'expression, d'association et de la presse sont
temporairement suspendues. Le droit à la vie privée relatif aux
communications téléphoniques et postales est révoqué. "
Pendant une partie du discours, Hitler a été applaudi. A la fin, la
moitié du Reichstag (celle qui n'est pas en chemise brune) se met à
protester...
A l'heure où le parlement français doit voter une loi supprimant le
caractère privé des échanges par courrier électronique et instaurant
le flicage des sites internet par les fournisseurs d'accès, ce discours
d'Hitler était éminemment d'actualité, même en France.
Heureusement, TF1 veille ! ! ! !{{La coupe qui achève d'éradiquer la présence des Juifs dans le
téléfilm : }}
Après l'élimination de Röhm, au cours d'une séquence présente dans
la version de TF1, on entend simplement la voix de Gerlich qui, de
prison, écrit à sa femme pour l'encourager à vivre. Puis on voit à
l'écran Gerlich et ses compagnons arriver à Dachau. Dans le premier
des plans qui suivent (l'élimination systématique des adversaires
d'Hitler) {{les SS saccagent le cabaret et entourent la chanteuse et
Martin Winckler 2004 23
Friedrich, le satiriste juif}} ce plan de la VO, a été coupé par les
censeurs de TF1.
Or, Friedrich, son cabaret et sa chanteuse incarnent la seule
présence récurrente de personnages juifs, et surtout la participation
des juifs à la vie culturelle de l'Allemagne, pendant tout le téléfilm.
Ce personnage symbolique, TF1 l'a, purement et simplement, éradiqué
de la VF. Le symbole de cette élimination est très, très lourd, et je
ne vois pas comment TF1 peut le justifier.
Cette suppression de presque toute mention de la haine des nazis
envers les Juifs est d'autant plus incompréhensible que le film se
termine par plusieurs cartons énumérant leurs victimes. Ces cartons
sont évidemment conservés à la fin de la VF, comme à la fin de la VO.
Ils mentionnent les victimes juives, les homosexuels, les gitans, les
témoins de Jéhovah, les dissidents politiques, les handicapés. Ils
sont affichés sur des clichés d'époque tirés d'archives
photographiques authentiques. Mais, comme ils font partie
intégrante du film et en constituent la conclusion, ils étaient,
évidemment, impossibles à couper...
{{Conclusion :}}
{Hitler, the Rise of Evil} est, dans sa version intégrale, un téléfilm
très puissant, très bien écrit et tourné, qui raconte de manière
extrêmement claire l'ascension de Hitler, en sacrifiant très peu aux
conventions habituelles du genre. Amputé par TF1, il perd une grande
partie de sa puissance narrative et, surtout, il tronque, déforme,
dénature et pervertit le propos des auteurs.
La diffusion de cette
version tronquée est une manipulation et une escroquerie
intellectuelle, historique, politique et morale.
Martin Winckler, lundi 26 janvier 2004http://martinwinckler.com/IMG/pdf/Hitler-Rise_of_Evil_Les_coupes_de_TF1.pdf