Transformations du "Regnum"
Dans l'introduction à la nouvelle édition des "Protocoles des Sages de Sion", ce fameux document fort intéressant et actuel (1. Alors que je revoyais les épreuves de cet article, les journaux ont annoncé que le tribunal du canton de Berne a infirmé le 1er courant la décision de première instance de 1935 par laquelle les "Protocoles" avaient été jugés "apocryphes" et a condamné les communautés israélites aux dépens), récemment publié par Vita Italiana, J.Evola note le double aspect de la pensée qui s'y exprime. En effet, les "Protocoles", d'une part, contiennent le plan et la tactique de destruction du monde traditionnel et, corrélativement, il y est question d'une organisation occulte qui dirigerait les forces visibles des partis et des peuples, provoquerait, à des fins précises, les événements apparents et répandrait les idées les plus adaptées pour préparer un terrain idoine à une action générale déterminée ; d'autre part, s'y fait jour l'idée, ou l'idéal, d'un Regnum supranational, qui n'a absolument pas de traits diaboliques et que l'on pourrait même considérer d'une certaine façon comme une copie de l'idéal traditionnel - qui est loin d'être spécifiquement juif et encore moins maçonnique - du Sacrum Imperium. C'est là la remarque d'Evola.
Dans son livre, "Die Echten Protokolle der Weisen von Zion" (Erfurt, 1935), Ulrich Fleischauer, directeur du Service Mondial [2. Le Service Mondial, agence de presse antijuive située à Erfurt, "entretenait des contacts suivis avec de nombreux publicistes français, (dont) Henry Coston de l'Office de propagande nationale", "L'antisémitisme en France dans l'entre-deux-guerres : Préludes à Vichy", Ralph Schor, p.42], un des plus grands experts de la question juive, fait remarquer (pp.44-46) que c'est justement la présence de ce second aspect dans les "Protocoles" qui constitue une des preuves les plus solides contre ceux qui pensent qu'ils ont été créés de toutes pièces par la police secrète tsariste et, en général, par les antisémites, pour attiser la haine des Juifs. Il aurait été tout simplement infantile, comme le note à raison Fleischauer, de faire figurer dans un document inventé à cette fin de telles idées, non seulement sur l'empire sacré et spirituel, mais aussi sur un souverain qui devrait apparaître comme un miroir du monde et un envoyé de Dieu et reconnaître que sa première tâche est de détruire, en lui et chez ses sujets, tout ce qui obéit à la voix irrationnelle de l'instinct et de l'animalité.
Le premier aspect des "Protocoles", celui qui se rapporte au plan de destruction, nous laisse entrevoir les dessous de l'histoire occidentale et nous permet de commencer à en comprendre le véritable sens. La controverse antisémite en est désormais arrivée à reconnaitre que les "Protocoles", qu'ils soient "authentiques" ou non, qu'ils soient le produit d'une volonté consciente ou fassent partie de plans analogues, etc, ont, dans les deux cas, le caractère d'une "révélation", aussi indirectes que soient les voies par lesquelles elle s'est produite et aussi fantaisiste que soit, dans une certaine mesure, la publication dans laquelle elle s'est faite. Les "Protocoles" d'un côté et, de l'autre, les fameux dialogues de Joly, dont ils ont repris de nombreux thèmes, puis le "Discours du rabbin" de Prague dans le roman "Biarritz" de Sir Retcliffe (H.Goedsche), l'introduction au roman "Joseph Balsamo" de Dumas, dont Jean Drault a signalé récemment la singulière correspondance avec l'idée centrale des "Protocoles", tous ces documents sont autant d'expressions de la sensation obscure d'une réalité. Ils ne s'expliquent pas les uns par les autres (ou alors seulement superficiellement et accessoirement), mais par une origine commune qui pourrait éventuellement être à ces documents ce qu'un bruit déterminé serait aux diverses images auquel le rêve donne naissance dans l'imagination des dormeurs qui l'ont vaguement perçu. Ce qui est intéressant, c'est que la plupart des auteurs des documents en question, soit ont du sang juif, soit ont eu des relations avec la franc-maçonnerie. C'est là ce qui a contribué inconsciemment à l'émergence de certaines représentations qui dissimulent les véritables causes et les forces occultes de la subversion mondiale.
Mais s'il en est ainsi, comment se fait-il que l'idée supérieure du "Regnum" soit présente dans les "Protocoles" ? Quel rapport cette idée peut-elle bien avoir avec le complot international judéo-maçonnique et ses dirigeants masqués ? La question est importante ; il faut clarifier des points fondamentaux pour dissiper de nombreux malentendus et définir le véritable front du combat antisémite et antimaçonnique.
Nous connaissons par expérience les manœuvres fausses et dangereuses qui sont faites dans ce combat, lorsqu'il en arrive à obéir aux mots d'ordre de personnes non qualifiées et peu préparées. Dans certains milieux, par exemple, il est impossible de faire allusion à des organisations occultes, même si elles sont très anciennes, sans que l'on pense tout de suite à la franc-maçonnerie moderne et à l'antichristianisme et qu'on les confonde dans le même opprobre. Dans d'autres milieux, influencés par les conceptions d'un nationalisme laïc extrêmement particulariste, l'antisémitisme a pour condition l'aversion pour toute idée, non seulement internationale, mais aussi universelle, c'est-à-dire supranationale ; de là, un animus antiromain et anticatholique bien connu. Enfin, il est aussi des milieux qui imputent à l'ancienne idée messianique juive toute l'action destructrice de la franc-maçonnerie moderne et des autres forces subversives, révolutionnaires et communistes, qui en sont solidaires.
Il nous faut dire en quelques mots, une bonne fois pour toutes, ce qu'il en est réellement. Ce n'est pas l'ancienne idée messianique juive, mais sa déchéance et sa matérialisation, qui est le véritable point de repère des forces subversives qui veulent détruire définitivement notre civilisation et exercer une domination satanique sur toutes les forces terrestres. Sous sa forme sacrée originelle, antérieure à la période des prophètes (qui marqua un premier écroulement "mystique" et démocratique de l'ancienne tradition d'Israël), l'idée du Messie eut de nombreux traits communs avec des conceptions et des idéaux purement aryens, auxquels, du reste, les Juifs, sous ce rapport, empruntèrent souvent des éléments. Il suffirait de mentionner a cet égard les traditions iraniennes relatives à Caociant et de songer à la reprise de l'idée du retour à l'"âge d'or" dans la Rome impériale, par exemple chez Virgile. Le mérite de mons. Trecziak, dont nos lecteurs connaissent l'article paru dans le numéro précédent, est d'avoir montré, dans une œuvre récente sur "Le Messie et la question juive", des aspects importants de la transformation subie par l'ancienne conception messianique au cours de l'histoire du peuple juif. Un de ces aspects est la collectivisation de cette idée, après qu'elle eut reçu une formulation purement matérialiste et "socialiste", jointe aux expressions les plus violentes de haine antichrétienne. C'est de la sorte que l'ancienne tradition est devenue uniquement un prétexte à la praxis la plus ignoble : c'est l'usurier dévot, celui qui prêche l'idéal humanitaire de la justice tout en fomentant toute sorte de révoltes et de méfaits, le chantre de la "liberté" qui essaie d'assurer à l'or un pouvoir inconditionnel sur les peuples et les gouvernements. Aussi une idée atavique, tenace, qui est devenue, pour ainsi dire, un instinct racial, s'inverse-t-elle et sa contrefaçon démonique devient-elle l'âme des forces les plus dangereuses de la révolution mondiale.
Voilà qui suffira en ce qui concerne spécifiquement l'idée messianique. La tradition correspondant au "Regnum", pris soit comme une réalité invisible et inviolable, soit comme la mission de forces déterminées qui se cachent dans les coulisses de l'histoire, est beaucoup plus importante et complexe. Cette tradition est fort ancienne. On peut mentionner ce que dit Hésiode sur les êtres de l'âge primordial, qui ne seraient jamais morts, mais contrôleraient invisiblement les destins des mortels des âges suivants. René Guénon, dans son œuvre classique "Le Roi du monde" (Paris, 1925), a recueilli une documentation impressionnante sur l'idée, fréquente dans les traditions de tous les peuples, d'un centre invisible du monde et d'un souverain invisible qui dirigerait les destins des peuples, intervenant et allant jusqu'à se manifester dans des moments historiques déterminés. J. Evola, dans son œuvre récente "Le Mystère du Graal et la tradition gibeline de l'empire" (Bari, 1937), a montré que, au fond, c'est justement cette idée qui est la base des diverses histoires relatives au règne du Graal, à la chevalerie du Graal et à la court du roi Arthur, dans lesquelles l'idéal le plus élevé du gibelinisme moyenâgeux s'est exprimé, pour ainsi dire, sous une forme littéraire et mythologique et le symbole impérial a trouvé en quelque sorte sa contrepartie transcendante.
Or, il est indéniable qu'il existe une analogie et une continuité entre ces traditions et les idées même des "Protocoles" et d'autres documents qui dissimulent l'existence et l'action d'organisations secrètes à moitié occultes, à moitié maçonniques. Il serait particulièrement intéressant d'étudier la signification de cette continuité, et, bien que nous ne puissions pas approfondir la question ici, il est indispensable d'en dire quelques mots.
C'est dans la forme médiévale et gibeline d'apparition de l'ancienne idée de la "royauté invisible" et d'un ordre de templiers, de chevaliers et d'initiés placés à son service dans une organisation occulte supranationale (car c'est là l'essence du mythe du Graal), que nous pouvons trouver le point de départ d'une transformation et d'un renversement qui devaient aboutir peu à peu aux mythes de la maçonnerie et des "Sages de Sion". Face à l'opposition entre l'Église et l'Empire, qui a tragiquement polarisé toute la tension spirituelle du Moyen-Âge, l'idéal de la "Royauté", de la mystique chevaleresque du Graal et du chef suprême, invisible, "Roi du monde" et "Roi des rois", en est arrivé à se rattacher au pôle "Empire" et à être saturé, pour ainsi dire, d'éléments, souvent contingents, liés à la lutte des empereurs gibelins contre l'Église. Cette lutte - qu'on ne s'y trompe pas - ne fut nullement celle d'un pouvoir temporel laïc qui voulait s'émanciper et aller jusqu'à écraser l'autorité spirituelle. Les empereurs gibelins revendiquaient au contraire le caractère spirituel, surnaturel, transcendant de leur fonction ; ils faisaient souvent allusion à la "supériorité royale de Melchisédek" et c'est essentiellement pour cela (et accessoirement pour des intérêts politiques) qu'ils se sentaient tenus de limiter le pouvoir de l'Église. Quant à leur "mythe", des idéaux comme celui du Graal avaient incontestablement au moins autant d'envergure spirituelle que ceux du "Regnum" spécifiquement évangélique.
Toutefois, il semble que cette conjoncture ait eu une issue fatale. Ce qui n'était pas encore vrai au Moyen-Âge impérial l'est devenu avec la Réforme: l'aversion pour l'Église a perdu toute justification supérieure, a revêtu un caractère nettement antihiérarchique et antitraditionnel et a contribué à une révolte du pouvoir temporel contre l'autorité spirituelle. Tous ces résidus traditionnels qui s'étaient rattachés au pôle "Empire" et se trouvaient primitivement à un niveau effectivement spirituel devaient s'en ressentir à plus ou moins longue échéance. C'est ainsi que l'anticatholicisme, se transformant purement et simplement en antichristianisme, puis en laïcisme, et, enfin, en athéisme, va jouer un rôle de plus en plus important dans la franc-maçonnerie, dans les liens de la franc-maçonnerie moderne, non seulement avec le judaïsme et la haine séculaire du judaïsme pour le christianisme, mais encore avec les diverses organisations internationales révolutionnaires, socialistes et communistes.
L'ordre de la Rose-Croix et la secte des Illuminés marquent une étape importante dans ce processus. Il est singulier que les spécialistes de la question juive qui se sont lancés dans la recherche des antécédents des "Protocoles" ne se soient pas intéressés à la franc-maçonnerie rosicrucienne, c'est-à-dire à la Rose-Croix du XVIIe siècle, qu'il faut bien distinguer de la franc-maçonnerie et encore plus des diverses sectes "occultistes" du XIXe siècle qui ont pris abusivement cette appellation. Les "Manifestes des Rosi-Rosicruciens", dont l'un a été publié à Francfort et les deux autres à Paris entre 1613 et 1623, sont des documents extrêmement intéressants. On peut dire qu'ils sont la dernière forme de l'ancienne idée spirituelle du Regnum liée à l'action d'une organisation invisible supranationale. En effet, les Rosicruciens affirmaient être une communauté visible et invisible qui adoptait, suivant les circonstances, les "apparences" et la "langue" des différents peuples dans lesquels ses membres résidaient et qui reconnaissait pour chef et souverain de l'humanité un Imperator "romain", "Seigneur du quatrième empire", dont les Rosicruciens devaient préparer la manifestation et l'avènement, car c'était celui que l'Europe attendait. L'ancien héritage gibelinisme se manifeste ici par une nette aversion pour le catholicisme : l'empereur rosicrucien, suivant les "Manifestes", combattra "les blasphémateurs d'Orient et d'Occident" (les Mahométans et les Catholiques), et pulvérisera le triple diadème du pape. De plus, des correspondances entre les Rosicruciens et les templiers sont indéniables. Ce qui brille donc ici pour la dernière fois, c'est l'idée du Regnum et de l'empire transcendant liée à une organisation occulte supranationale qui méprisait les formes de la confession religieuse dominante parce qu'elle les trouvait insuffisantes et même prévaricatrices. Mais la tradition veut que les vrais Rosicruciens aient abandonné l'Europe peu après l'apparition des "Manifestes". Le fait est que le processus d''involution et de subversion des sociétés ne semble n'avoir plus connu de frein après eux, comme cela apparaît déjà clairement dans la secte des Illuminés, dont le lien avec la franc-maçonnerie révolutionnaire et, précisément, "illuministe", est apparent. Nous avons eu l'occasion de faire remarquer que cette transition se révèle déjà dans la transformation du sens du mot d'"illuminisme" : dans les théories originelles de la secte, il se rapportait à l'illumination spirituelle, à la lumière de l'intellectualité pure ; mais, par la suite, il est devenu synonyme de rationalisme et de critique rationaliste et, enfin, d'une mentalité qui devait méconnaître, discréditer et contaminer tout ce qui est supérieur à la "raison" de l'individu. On a là la même inversion que celle que nous avons mentionnée dans l'anticatholicisme : le droit de celui qui possède une illumination transcendante de considérer comme limitées et inférieures certaines formes dogmatiques extérieures de la tradition se transforme en un procès aberrant de la critique rationaliste et de l'individualisme contre la religion révélée et, en général, contre toute transcendance.
Mais des revendications déjà politiques apparaissent dans les sectes désormais plus ou moins maçonniques liées à celle des Illuminés et cette "réforme du vaste monde intérieur" dont parlaient les Rosicruciens prend les traits, plus ou moins connus, mais toujours antiaristocratiques, antimonarchiques, antihiérarchiques et révolutionnaires, de l'action judéo-maçonnique. On peut considérer que ces tendances se sont accompagnées de programmes reconstructeurs et spirituels jusqu'au seuil de la révolution française, ce qui est pour le moins apparent chez les Illuminés allemands, qui justifiaient leur action révolutionnaire par la corruption et l'incapacité des princes et cultivaient l'utopie d'une régénération universelle. L'introduction à "Joseph Balsamo", que nous avons déjà citée et qui a été écrite sous Louis-Philippe, reflète d'une manière frappante la mentalité de ces associations secrètes. On y décrit une réunion qui eut lieu le 6 mai 1770 à la frontière franco-allemande entre les chefs des loges de différentes nations. Il est intéressant de noter qu'il est dit que le serment relatif à cette association libère de tout lien naturel et de toute fidélité à une patrie ou à un souverain, à laquelle se substitue l'obéissance inconditionnelle au Chef suprême de l'ordre. C'est ce chef qui se manifeste à la réunion et donne les directives générales du programme de l'action révolutionnaire contre l'ancienne Europe. "La France, dit-il, est à l'avant-garde des nations ; mettons-lui un flambeau à la main. Ce flambeau dût-il être une torche, la flamme qui la dévorera sera un salutaire incendie, puisqu'il éclairera le monde". A celui qui lui demande qui il est, le chef répond: "Ego sum qui sum", qui est, comme on le sait, la formule biblique de la révélation biblique. Il a pour signe distinctif, scintillant sur sa poitrine, le sigle LDP, dont il révèle ensuite la signification: Lilia pedibus destrue (détruis les lis, c'est-à-dire la royauté française, en les foulant aux pieds), en ajoutant : "Que chaque initié porte ces trois lettres, non seulement dans le cœur, mais sur son cœur, car nous souverain maître des loges d'orient et d'occident, nous ordonnons la ruine des lis". Nous sommes parfaitement d'accord avec Drault pour y voir beaucoup plus qu'une simple fiction romanesque : ce qui s'y reflète, sous une forme romancée, ce sont les dessous des mouvements apparents et c'est à cela que faisait allusion le juif Disraëli dans ce passage connu sur les mouvements révolutionnaires de 1848 (il faut noter que Dumas écrivit son roman en 1845) : "Le monde est gouverné par de toutes autres personnes que ne se l'imaginent ceux dont l'œil ne plonge pas dans les coulisses." Ce qui est intéressant par rapport à ce que nous notions plus haut, c'est l'association entre la formule divine "ego sum qui sum" et la formule révolutionnaire LDP ; celui qui est attendu comme un envoyé divin et une espèce de nouveau roi du Graal a cette formule pour signe distinctif. On n'aurait pas pu mieux exprimer le pathos des organisations secrètes très précises qui passaient de la phase spiritualo-initiatique à la phase maçonnico-subversive, dans laquelle elles se sont unies au judaïsme révolutionnaire et à son messianisme sécularisé.
Ce qui s'en est suivi est vraisemblablement comparable à ces processus d'inversion pathologique qui permettent aux forces subconscientes de se libérer et de prendre le contrôle de toutes les facultés de l'être conscient, parfois même sans que ce dernier s'en rende compte. Il faut dire que ces organisations ont été victimes des forces qu'elles n'avaient évoquées, dans un premier temps, que pour d'autres buts, des idéaux de régénération ou de restauration. Ce qui était auparavant au centre devient superstructure, masque, survivance fantomatique. Il s'agit là de formes désormais sans autonomie, qui, à l'état, pour ainsi dire, de survivance somnambulique, sont entraînées par le courant des forces obscures. C'est justement cette conjoncture qui résout et éclaire le problème dont nous sommes partis, c'est-à-dire la singulière coexistence d'éléments contradictoires dans des documents comme les "Protocoles", l'illusion d'une sorte de Sacrum Imperium lié à des plans qui correspondent exactement à l'action systématique, passée et présente, des forces occultes de la subversion mondiale. Il n'y a pas que cette conjoncture qui s'explique, mais aussi la survivance de certains traits de l'ancien idéal messianique dans l'action démonique du judaïsme actuel et, en outre, et surtout, la présence, dans la franc-maçonnerie, d'un symbolisme et d'un rituel qui ont incontestablement de nombreux caractères traditionnels et ne sauraient en aucune manière se concilier avec l'esprit et l'action de la franc-maçonnerie internationale d'aujourd'hui et d'hier.
L'allusion que nous venons de faire à un processus d'"inversion" pourrait donner lieu à d'intéressants développements dans un ordre auquel il convient que tout antisémite sérieux s'intéresse, plutôt que de s'intéresser uniquement et unilatéralement aux formes extérieures des forces qui agissent actuellement par le judaïsme, la franc-maçonnerie et le communisme. Pour conclure, nous nous bornerons à reproduire certaines des considérations que Guénon vient tout juste de développer dans les numéros 210 et 211 des Études traditionnelles, qui donnent là aussi des points de référence vraiment éclairants.
Guénon part de considérations qui apparaîtront très singulières à de nombreux lecteurs. Il parle de "chamanisme" et de "nécromancie". En l'occurrence, il ne s'agit nullement de pratiques absurdes et superstitieuses. Suivant l'enseignement traditionnel, la mort provoque une désagrégation de l'unité psychique de l'être humain et, tandis que sa partie spirituelle rejoint des formes transcendantes d'existence, sa partie "vitale" et psychique passe, pour ainsi dire, à l'état libre, donne naissance à une sorte de second cadavre, faisceau de forces invisibles qui conservent souvent une sorte de reflet de la personnalité à laquelle elles appartenaient. Le "chaman" s'efforce, par des pratiques spéciales, de capter ces énergies psychiques qui sont devenues automatiques et n'ont plus de rapport avec un principe supérieur, pour des buts particuliers ; il agit par la "vitalité" des morts, par des "cadavres psychiques".
Guénon fait remarquer que cela vaut non seulement pour certaines pratiques de "magie noire" dans l'ordre individuel, mais aussi dans le domaine collectif, pour les vestiges d'une tradition entièrement éteinte. Mais, en dehors de ce cas, où l'on a donc affaire à des influences obscures qui s'emparent de forces collectives appartenant déjà à des organismes vivants, il convient d'en envisager un autre : "celui d'une ancienne civilisation traditionnelle qui, pour ainsi dire, se survit à elle-même, en ce sens qu'elle a tellement déchue que l'"esprit" s'en est entièrement retiré. Certains éléments pourront encore continuer à se transmettre, principalement les plus inférieurs, mais ils seront naturellement susceptibles de subir toutes sortes de déviations, car ils ne sont plus que des "débris" d'un autre genre, la doctrine dont ils auraient normalement dû dépendre ayant disparu. Dans ce cas de "survivance", les influences psychiques que les représentants de la tradition ont mis en mouvement antérieurement pourront encore être captées, même à l'insu de leurs continuateurs apparents, mais désormais illégitimes ; ceux qui s'en serviront réellement auront l'avantage d'avoir à leur disposition, comme instruments inconscients de l'action qu'ils veulent exercer, non plus seulement des choses presque inanimées, mais des hommes vivants qui servent également de support à ces influences et dont l'existence actuelle leur donne une vitalité beaucoup plus grande."
"Une tradition aussi déviée est en réalité morte comme telle, tout autant que celle qui n'a plus aucune apparence de continuité. D'ailleurs, si elle était encore vivante, une telle subversion, qui n'est en définitive qu'une perversion de ce qui en subsiste à des fins par définition traditionnelles, ne pourrait aucunement avoir lieu. Il faut cependant ajouter que, avant d'en arriver là et à partir du moment où des organisations traditionnelles sont devenues trop faibles pour pouvoir opposer une résistance suffisante, des agents, plus ou moins directs, de forces obscures que nous appellerions volontiers "contre-traditionnelles" peuvent déjà s'y introduire pour s'efforcer de hâter le moment où la subversion deviendra possible. Si leur action réussit, si la mort se produit, l'ennemi se trouvera, pour ainsi dire, au cœur même de la citadelle, prêt à en tirer tout l'avantage possible et à se servir immédiatement du "cadavre" à ses fins."
Guénon conclut : "Les représentants de ce qui conserve encore aujourd'hui un caractère traditionnel authentique dans le monde occidental auraient selon nous tout intérêt à tirer profit de cette dernière considération pendant qu'il en est encore temps, car, malheureusement, les signes inquiétants d'"infiltrations" de ce genre ne manquent pas autour d'eux, pour ceux qui s'en apercevraient."
Nous voudrions que tous les lecteurs réfléchissent à cet ordre de considérations fort intéressantes, qui éclairent de nombreux secteurs du "sous-sol" de l'histoire, surtout par rapport à l'action et à la transformation des sociétés secrètes. Celui qui développera un tel ordre d'idées et appliquera ces vues générales sera aussi en mesure d'écarter toute confusion dangereuse, de ne pas mettre, comme il en est beaucoup qui le font, même avec les meilleures intentions, tout le monde dans le même sac : il distinguera les signes de la tradition, retrouvera un héritage perdu et reconnaîtra sans hésiter la vraie nature et la vraie origine des forces secrètes de l'action subversive judéo-maçonnique à l'époque moderne.