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Comprendre l'Islam, de Frithjof Shuon: #http://dl.free.fr/getfile.pl?file=/cQdeb5fB
Bonne lecture à tous.
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Alliance spirituelle contre la subversion mondialiste. Forum d'éveil des consciences par le partage des connaissances et l'esprit de solidarité.
Frithjof Schuon, Du divin à l'humain.« Une preuve souvent avancée en faveur de la religion, mais souvent incomprise dans toute son étendue, est l'argument de l'efficacité morale de la Législation divine : en effet, que devient la société humaine si on la prive d'une fois fondé sur l'autorité de Dieu ? Les incroyants qui en règle générale n'ont qu'une idée fort restreinte et en partie fausse de la nature humaine – sans quoi ils ne seraient pas incroyants -, répondront qu'il suffit de remplacer la Loi religieuse par une loi civile fondée sur l'intérêt commun ; or l'opinion des « libres penseurs » sur le bien public dépend de l'échelle de valeurs, donc de l'idée qu'ils se font de l'homme et partant du sens de la vie. Mais ce qu'un individu a institué, un autre individu peut toujours l'abolir ; les philosophies changent avec les goûts, elles suivent la pente descendante de l'histoire puisque l'homme, dès qu'on le détache de sa raison d'être, enracinée en Dieu, ne peut que glisser vers le bas, conformément à la loi de la pesanteur, qui vaut pour l'ordre humain aussi bien que pour l'ordre physique, et cela nonobstant le redressement périodique opérés par les religions, les sages et les saints(1).
Or le fait que la Loi divine, en ce qu'elle a de fondamental et partant d'universel(2), est en définitive seule efficace – dans la mesure où une Loi peut et doit l'être – ce fait indique qu'elle est un Message de Vérité ; elle est seule incontestable et irremplaçable. Certes, le monde contemporain possède encore des codes et des polices, mais cela ne saurait empêcher que pour la mentalité générale il y a de moins en moins d'autorité qui soit telle « de droit », et non « de fait » seulement(3). Au demeurant, la Loi est faite pour protéger, non seulement la société, mais aussi l'individu enclin au délit ; si le « bras séculier » inspire de la crainte dans la mesure ou les hommes mal intentionnés se sentent menacé par lui, ces mêmes hommes n'ont par contre aucun motif intrinsèque de ne pas suivre leurs penchants, hormis la crainte de Dieu. La menace de la justice humaine est aléatoire donc relative ; celle de la Justice divine est absolue ; car on peut à la rigueur échapper aux hommes, mais certainement pas échapper à Dieu.
En résumé : une preuve indirecte de Dieu, c'est que sans Divinité il n'y a pas d'autorité, et sans autorité, il n'y a pas d'efficacité ; c'est dire que le Message religieux s'impose – à part ses autres impératifs – parce que sans lui il n'y a pas de vie morale et sociale possible, sauf pendant une brève période vivant encore, sans se l'avouer, des résidus d'un héritage renié. Et ceci nous amène à une autre preuve extrinsèque a contrario de Dieu, bien qu'au fond ce soit là même : c'est un fait d'expérience que la moyenne des hommes du peuple, qui ne sont pas disciplinés par nécessité sociale et qui ne le sont, précisément, que par la religion et la piété, déchoient dans leur comportement dès qu'ils n'ont plus de religion qui les encadre et les pénètre ; et l'expérience prouve que le disparition de la foi et de la morale entraîne celle de la dignité personnelle et de la vie privée, lesquelles en effet n'ont de sens et de valeur que si l'homme possède une âme immortelle. Il est à peine besoin de rappeler ici que les paysans et artisans croyants sont souvent de nature aristocratique, et qu'ils le sont par la religion ; sans oublier que l'aristocratie en soi, à savoir la noblesse de sentiment et de comportement, et la tendance à se dominer et à se dépasser, dérive de la spiritualité et y puise ses principes, consciemment ou inconsciemment.
Ce dont le peuple a besoin pour trouver un sens à la vie, donc une possibilité de bonheur terrestre, c'est la religion et l'artisanat : la religion parce que tout homme en a besoin, et l'artisanat parce qu'il permet à l'homme de manifester sa personnalité et de réaliser sa vocation dans le cadre d'un symbolisme sapientiel ; tout homme aime le travail intelligible et l'oeuvre bien faite(4). Or l'industrialisme a ravi au peuple les deux choses : d'une part la religion, niée par le scientisme dont l'industrie dérive, et rendue invraisemblable par le caractère inhumain de l'ambiance machiniste, et d'autre part l'artisanat, remplacé précisément par le machinisme ; si bien que, en dépit de toutes les « doctrines sociales » de l'Eglise et de la bourgeoisie nationaliste, il ne reste plus rien au peuple qui puisse donner un sens à sa vie et le rendre heureux, La contradiction classique du Catholicisme traditionnel est de vouloir maintenir la hiérarchie sociale, en quoi il a théoriquement raison, tout en acceptant de plein coeur – comme une acquisition de la « civilisation chrétienne » en fait abolie depuis longtemps – le scientisme et le machinisme qui en fait compromettent cette hiérarchie en retranchant le peuple pratiquement du genre humain ; l'erreur inverse se fonde sur le même culte de la technique, avec la différence qu'elle le fait au détriment de la bourgeoisie et non à celui du peuple, et qu'elle entend réduire la société entière à l'inhumanité machiniste, en lui proposant par ailleurs un « opium » fait d'amertume et de froideur, lequel tue l'organe même du bonheur ; car pour être heureux il faut être enfant, le bonheur étant fait de gratitude et de confiance, humainement parlant, La machine est contraire à l'homme, elle est par conséquent contraire à Dieu ; dans un monde où elle fait figure de norme, elle abolit et l'humain et le divin. La solution logique du problème serait le retour – en fait devenu impossible sans une intervention divine – à l'artisanat en même temps qu'à la religion(5), et par là même à une ambiance qui ne soit pas contraire à ce qui donne un sens à la vie ; une ambiance qui, en ne faussant pas notre sens du réel, ne rende pas invraisemblable ce qui est évident. Une des plus grande réussite du diable fut de créer autour de l'homme un décor dans lequel Dieu est l'immortalité paraissent incroyable(6).
(1) Les rêveurs du XVIIIe siècle, héréditairement influencés à leur insu par le Christianisme et imbus de civisme antique et d'idéalisme franc-maçonnique, s'imaginaient que l'homme est raisonnable et que la raison humaine coïncide avec leur idéologie ; celle-ci étant pour le moins fragmentaire, et rendue d'avance inopérante par le culte subversif de l'homme, Ce qu'ils ne prévoyaient pas, c'est que l'homme, une fois détaché de l'Autorité divine, ne se sent nullement obligé de se soumettre à l'autorité humaine ; dès lors qu'il se sait indépendant de toute autorité autre que la sienne, rien ne l'empêche d'inventer des morales conformes à ses erreurs et à ses vices et parée à leur tour d'un voile de rationalité, dans la mesure du moins où les euphémismes lui paraîtront encore utiles.
(2) Il y a des prescriptions révélées qui visent, non la nature de l'homme, - comme le fait notamment le Décalogue, - mais telles conditions ou circonstances particulières.
(3) Pour cette même mentalité , la morale est chose simplement subjective, et la transgression, par conséquent, chose toute relative ; or un appareil justicier se réduit quasiment à l'impuissance dans une société qui ne croit plus qu'un crime et un crime, et qui contribue ainsi à la psychanalysation de la justice et à l'abolition de la sécurité publique.
(4) Parallèlement au travail, et à la religion qui le sanctifie, le peuple a besoin aussi d'une sagesse ; c'est ce qui Richelieu, en s'acharnant contre les guildes, n'a pas compris.
(5) C'est ce qu'un Gandhi a essayer de réaliser, héroïquement mais sans résultat autre que le bon exemple et toutes sortes d'initiatives restées partielles et locales, Quant à l'Eglise, on objectera sans doute qu'elle ne pouvait se compromettre en s'opposant à ce phénomène « irréversible » qu'est l'industrialisme ; nous répondrons tout d'abord que la vérité prime toute considération d'opportunité ou d' « irréversibilité », et ensuite, que l'Eglise pouvait toujours affirmer sa position doctrinale, à toutes fins utiles sans devoir être irréaliste sur le plan des faits ; elle pouvait en outre opter, avec une parfaite logique et en accord avec tout son passé, pour la droite monarchiste et traditionnelle qui la soutenait par définition, sans devoir se compromettre, aux yeux de certains, avec la « droite » ambiguë née au XIXe siècle à l'ombre des machines.
(6) Et ce n'est certes pas là, en dépit de toutes les illusions, la « civilisation chrétienne ».
Federico GONZALEZBref sur la confusion entre l'œuvre de Guénon et celle de Schuon*
Il y a tout un ensemble de personnes qui associent les oeuvrent de ces deux écrivains, non pas tant pour ce qu'ils y exposent, mais parce que l'influence du premier sur le second est tellement évidente que l'on voit en fait dans ce dernier le continuateur du premier, comme c'est le cas récent de Kathleen Raine (Temenos Academy Review, Spring 1998, London).
D'autres encore croient que celle de Schuon complète celle de Guénon sans prendre le soin de comparer les deux oeuvres, qui s'opposent en plus d'un sens.
Un troisième facteur de confusion provient du fait de l'ordre dans lequel ont été lus ces livres. Un lecteur qui a commencé par Schuon a sûrement découvert des choses qu'il ne connaissait pas –surtout celui qui est tombé sur ses deux premiers livres, les meilleurs,– et il lui en sera reconnaissant, sans s'apercevoir que c'est cela même que n'a cessé de répéter René Guénon dans ses articles et ses livres au cours de vingt années, avant que Schuon ne publie quoi que ce soit. Sous ce même rapport, il faut se rappeler que la chose revêt une particulière importance dans les pays anglo-saxons, spécialement dans les U.S.A. où les amis de Schuon ont édité ses livres à profusion, mais seulement The Reign of Quantity and the Signs of the Times (trad. Lord Northbourne, 1953), ou The Crisis of the Modern World (trad. Marco Pallis, 1962) de Guénon, c'est-à-dire les livres dans lesquels ressort avec le plus de clarté l'attitude sévère de l'auteur à l'égard du monde moderne, ce qui naturellement devait le rendre antipathique vis-à-vis d'un lecteur devant se dépouiller de ses illusions pour pouvoir partager ses vues. La "dureté" de Guénon, alors, tranche sur l'oeuvre balsamique de Schuon, où le sentiment et l'humanisme sont à fleur de peau, et où l'on parle de Religion, d'Amour, d'Ésotérisme, d'Éternité...
Les amis en question, ou disciples, assument également la responsabilité de considérer Guénon comme un "précurseur" (ou pire encore, un "fou", comme je puis en avancer un témoignage de première main), mais ils l'utilisent comme introduction à leurs soi-disant travaux initiatiques soufis, et ils l'ont même traduit en langue castillane (de façon incomplète), bien qu'avant qu'on ne le lise ils mettent toujours en garde les candidats à leur organisation –ainsi en a-t-il été du moins en Espagne– en faisant référence à l'auteur et à sa figure saugrenue. A cette "introduction" succèdent les vertus infinies du grand Schuon, et, pour finir, le secret révélé : le Maître a une organisation initiatique, et il est le seul capable, en Occident, de conférer une initiation véritable, chose que Guénon n'a jamais réalisée à cause de ses limitations propres, et parce que finalement il était écrit que c'était à Schuon que devaient échoir la tarîqah et la barakah.
Mais venons-en au lecteur qui, à l'inverse du précédent, lit l'oeuvre de Guénon avant celle de Schuon : il trouve cette dernière dépourvue d'intérêt. Il n'en arrive qu'aux premières pages, il regrette la clarté, la lucidité, il se heurte à une agitation mentale, à une confusion qu'instinctivement il repousse, malgré des moments d'une certaine "originalité", sans doute, malgré même la trace de méditations profondes qui tournent autour d'un nombre de thèmes limités, lesquels très intensément ressentis, se centrent sur le sujet et ses expériences dans le plan intermédiaire, au point que par moments il réussit à transmettre "quelque chose". Pour un lecteur qui a commencé par Guénon, les livres de Schuon, loin d'être importants, sont tout à fait superflus ; et que dire alors des personnes qui pensent devoir tout au métaphysicien français, et qui ont compris que son oeuvre est une source inépuisable de doctrine, envisagée selon bien des aspects et des points de vue, tous également traditionnels.
Ce que nous disons, cependant, n'a pas la prétention de diminuer la littérature de Schuon, qui possède une valeur, quelle qu'elle soit, et qui, sans doute, a des lecteurs qui la croient sublime comme d'autres pensent qu'elle est illisible ; pour ma part je considère, sans ajouter aucun qualificatif, que ses axes structuraux et son contenu diffèrent complètement de la pensée guénonienne, et bien plus, la contredisent, non seulement avec les propos de son fameux article "Mystères christiques", sur l'efficacité initiatique des sacrements chrétiens, en révolte ouverte contre l'opinion de Guénon, mais encore dans toute son oeuvre (à l'exclusion de ses deux premiers livres déjà cités) qui même, en de nombreux aspects, paraît spécialement consacrée à établir des points de divergence dans le but de se séparer de Guénon, de son oeuvre et de son personnage.
Tel est le cas d'une de ses contributions, très importante, se rapportant au sujet de la noté qui suit et qui servira à confirmer ce qui vient d'être dit. Il s'agit d'un hommage à Guénon de la revue Les Dossiers H parue en 1984 (René Guénon, L'Age d'Homme, Lausanne), que nous invitons à relire. Ce n'est pas qu'antérieurement Schuon n'eût écrit en ce sens. Au contraire, il l'a fait en diverses occasions ; à peine mort Guénon, Études Traditionnelles sortit un numéro d'hommage à son créateur et inspirateur, auquel fut invité à contribuer Schuon, collaborateur de la revue ; son article ambigu et mesquin –reproduit avec son consentement, et légèrement modifié dans d'autres publications dédiées à Guénon– est connu de tous ceux qui, comme nous, s'intéressent au métaphysicien de Blois et à sa pensée.1
Mais revenons à Dossier H et à l'article de Schuon appelé "Quelques critiques". Dans sa présentation, une note de l'éditeur de Les Dossiers H nous dit : "Ces remarques critiques de M. Frithjof Schuon sont faites de notes personnelles écrites il y a bien des années et que l'auteur n'a pas destinées à la publication ; mais il estime en fin de compte qu'il n'y a pas avantage à les tenir secrètes plus longtemps, et nous lui sommes reconnaissant de nous les avoir confiées pour être insérées dans ce volume".
Dans cet article, F. Schuon lui-même nous fait savoir les différences qui le séparent de Guénon. Il y fait un examen strict des erreurs de l'oeuvre guénonienne, ainsi que de ses différences tout au long de plus de vingt années au cours desquelles il la suivit, années auxquelles doit s'ajouter le temps écoulé entre la mort de Guénon et la date à laquelle furent publiées les critiques de Schuon, c'est-à-dire trente trois ans qui, ajoutés à ceux qui précèdent, nous donnent un total approximatif de cinquante et quelques années, période passablement vaste pendant laquelle Schuon eut tout le temps pour établir des dissimilitudes.
Nous reproduirons ici quelques-unes des objections de Schuon –en parfait accord avec d'autres de Jean Borella, parues aussi dans le même numéro de la revue en question– pour rappeler ce qui fut publié en 1984.
Quoi qu'il en soit, à travers toutes ces façons diverses de voir les choses, et leurs points de vue opposés, pour n'en pas dire plus, se trouve mise en évidence pour nous –et pour bien d'autres– l'imposture qui consiste à substituer la Religion à la Métaphysique ou Science Sacrée.2
Naturellement, la Religion a été fondamentale pour la race humaine, spécialement pendant les périodes obscures, comme nous le remarquons bien avec l'étude de l'Histoire, et en vérité c'eut été une bénédiction qu'en cette fin de cycle, si complaisante pour toutes les institutions, elle eût au moins rempli sa fonction salvatrice, mais il n'en a pas toujours été ainsi. En tout cas, la véritable question est celle de la confusion entre elle et la Métaphysique, entre l'exotérique et l'ésotérique, c'est-à-dire entre deux niveaux de connaissance, que Guénon établit très clairement, mais qui se présentent mélangés dans la littérature schuonienne, où la Religion, avec toute son émotivité et son appareil sentimental, paraît supplanter la Métaphysique de façon délibérée, malgré l'utilisation de termes comme "ésotérisme", ou même "métaphysique".
En vérité, il s'agit de deux mondes distincts, analogues, et par conséquent inverses, qui ne se touchent qu'en surface.
A cette hauteur, il ne nous reste qu'à rappeler la distinction évangélique entre ceux qui sont nés d'une mère, Jean le Baptiste, et ceux qui ne sont pas conditionnés par la naissance humaine, Jean l'Évangéliste, le disciple bien-aimé. "En vérité, je vous le dis, il n'en est pas né, parmi les nés de la femme, de plus grand que Jean le Baptiste ; néanmoins, le plus petit dans le Royaume des Cieux est plus grand que lui" (Jn 11,11).
Voici quelques fragments de ce que pensait Schuon, dans les dernières années de sa vie, sur Guénon et sur son oeuvre. L'auteur suisse commence en disant :
..."ce mérite insigne ne doit pas nous empêcher –puisqu'il n'y a pas de droit supérieur à celui de la vérité– de constater les failles souvent étranges que comporte l'oeuvre guénonienne ; les relever n'est pas méconnaître les mérites de l'auteur, c'est bien au contraire protéger le contenu essentiel du message ; c'est d'une certaine façon protéger Guénon contre lui-même". (p. 56).
"Guénon ne semble connaître de la doctrine hindoue des cycles cosmiques que la vision suivante : les quatre Yugas forment un Manvantara ; quatorze Manvantaras forment un Kalpa, c'est-à-dire le "développement total d'un monde". Or selon le Manava-Dharma-Shâstra et divers Purânas;les quatre Yugas forment un Mahâyuga ; mille Mahâyugas forment un Kalpa ; soixante-et-onze Mahâyugas forment un Manvantara, quatorze Manvantaras forment un Kalpa,dont équivalent à mille Mahâyugas. Dans aucun écrit de Guénon, on ne trouve la moindre allusion à cette doctrine pûranique des cycles, trop importante pourtant pour pouvoir être passée sous silence". (p. 57).
"Guénon donne trop volontiers l'apparence d'un savoir immense –qu'il n'a guère... " (p. 57).
"Plus d'une fois, on a l'impression que Guénon lit dans les documents ce qu'il désire y trouver". (p. 58).
"Il y a chez Guénon une curieuse confusion entre les contenants et les contenus : par exemple, il affirme que le mot "idéal" ne signifie rien parce que tout le monde peut y mettre n'importe quoi, autant dire que le mot "animal" ne signifie rien parce qu'on peut l'entendre par rapport à n'importe quelle espèce, et ainsi de suite. Ou prenons l'affirmation que l'Hindouisme n'est pas une "religion" parce qu'il n'est pas composé des trois éléments "dogme, morale, culte": outre que ces éléments s'y trouvent forcément d'une certaine façon, l'Hindouisme est de toute évidence une religion puisqu'il concerne les réalités à la fois métaphysiques et eschatologiques. Ce qui est typique pour Guénon, c'est de préférer dire que l'Hindouisme n'est pas une religion que de dire que c'est une religion d'un genre différent." (p. 59).
Et Schuon poursuit : "Je ne sais d'où Guénon a cette énumération des cinq conditions de l'existence physique, qu'il appelle "corporelle": l'espace, le temps, la forme, le nombre, la vie ; je suis d'accord pour les quatre premières, mais non pour la vie..." (p. 60).
"Certes, il y a traditionnellement le secret, mais il est moins arrogant et souvent plus contingent que chez Guénon ; fort paradoxalement, Guénon semble du reste perdre volontiers de vue que la doctrine est toujours quelque chose de relativement extérieur ; il est le premier à l'admettre, mais en fait, il paraît souvent l'oublier, et ce n'est pas sa seule de ses inconséquences." (p. 63).
"C'est un trait caractéristique chez Guénon que les significations métaphysiques lui font perdre de vue les significations physiques..." (p.63).
"Guénon semble avoir une sorte d'allergie contre tout ce qui est proprement humain, d'où son option pour le "rituel" contre le 'moral' par exemple." (p. 66).
Et pour ce qui est de la Maçonnerie : "... la Maçonnerie est une initiation artisanale, si tant est qu'elle l'est restée, –mais là n'est maintenant pas la question, et on nous a dit qu'elle vise à la réalisation de l"'état primordial", ce qui équivaut au but des "petits mystères" ; et ensuite on nous demande de croire que c'est au sein d'une telle confrérie que se poursuit méthodiquement la réalisation, non seulement des "grands mystères", mais même de la suréminence spirituelle des Prophètes ! Et d'où viennent donc, soit dit en passant, ces "hauts grades" parfaitement irréalistes et syncrétistes, et sans aucune proportion, quant au genre, avec la grandeur des Avatâras ? Donc, il se produit dans la Maçonnerie le suprême degré –si ce mot "degré" a encore un sens ici– de la spiritualité universelle, et il y est administrativement enregistré, signalé, étiqueté ; a-t-on jamais vu un Avatâra se laisser enrégimenter dans une hiérarchie préfabriquée de société secrète ? Et pourquoi ce luxe démentiellement inouï d'une présence avatârique ? Pour "apporter à toute l'organisation initiatique" –à savoir la Maçonnerie écossaise– "les influences destinées à la "vivifier" ! " (p. 66-67).
Et plus loin : "Guénon, avec son aversion mathématicienne pour tout ce qui est concret et humain, perd curieusement –et tragiquement– de vue la qualité intrinsèque de la subjectivité ; d'où son empressement de dissoudre la personne humaine, qui lui est 'métaphysiquement' odieuse, dans un système innombrable d'abstractions..." (p. 72).
Et il conclut : "Un des points les plus faibles de l'oeuvre guénonienne est sans conteste possible la sous-estimation de l'homme occidental, –non du monde moderne, car sous ce rapport Guénon a mille fois raison,– et corrélativement, la surestimation de l'homme oriental et de l'état actuel des civilisations traditionnelles. Or pour juger de ces choses, il faut savoir, avant tout, ce qu'est l'homme ; il ne suffit pas de connaître les principes, pas plus qu'il ne suffit d'avoir la notion du "Principe Suprême" pour savoir ce que peut faire, ou ne pas faire, le Dieu vivant. Le sens de la métaphysique exige impérieusement le sens de l'humain, de même que la vérité, dans la mesure ou elle est élevée, se situe nécessairement dans un climat de sainteté..." (p. 80).
A cela nous devons ajouter, pour finir, quelques phrases de sa "Note sur René Guénon" (Cahier René Guénon,L'Herne, Paris 1985) avec lesquelles, honnêtement, nous ne sommes pas d'accord, pas plus qu'avec celles qui précèdent : ["Une autre objection –ou question– est la suivante : comment s'expliquer les imperfections et lacunes –somme toute surprenantes– dans l'oeuvre de Guénon, étant donné la qualité substantielle de l'auteur ? Mais ces lacunes, précisément, n'étaient pas du tout de l'ordre qui s'oppose à cette qualité ; elles étaient pour ainsi dire 'accidentelles' et 'superposés' et n'avaient certes rien de passionnel ni de mondain... C'était plutôt des hypertrophies ou des asymétries, en partie des traumatismes, renforcées par l'absence de facteurs compensatoires dans l'âme et dans l'ambiance."] (p. 367).
Qui pourrait nous reprocher de nous souvenir de ces choses après la mort de Schuon?
NOTES
* Revue Vers la TRADITION, Nº 74 "A propos de Frithjof Schuon" (Décembre 1998 - Janvier - Février 1999).
1 "La définition de l'oeuvre de René Guénon tient en quatre mots : intellectualité, universalité, tradition, théorie" ; " ... cette oeuvre est 'théorique', car elle n'a pas directement en vue la réalisation spirituelle" (E.T. Juillet-Novembre 1951, Paris, p. 256). Dans cette perspective Schuon serait le réalisateur de cette théorie qu'annonçait Guénon.
2 Lorsqu'on place au premier rang la Religion, les valeurs individuelles prennent le pas, se rattachant au salut personnel ; au contraire, si l'on insiste sur le Non-Être comme origine de l'Être, on souligne la prééminence de la Métaphysique sur la Religion, c'est-à-dire de lUniversel sur le particulier.