LETTRE OUVERTE A BERNARD GIRAUDEAU
par Olivier Bonnet
par Olivier Bonnet
Cher Bernard,
Je me permets de vous donner du “cher Bernard” parce que je vous estime, à la fois comme artiste et homme. Plusieurs membres de ma famille ont eu l’occasion de travailler avec vous en tant qu’agents artistiques et ils sont unanimes pour louer votre fidélité à vos idées et valeurs. C’est justement la raison pour laquelle je vous interpelle aujourd’hui : vous auriez accepté de participer au téléfilm Notable donc coupable, réalisé pour France 2 par Francis Girod, mais votre accord ne peut s’expliquer que par une méconnaissance du dossier. On ne vous en blâmera pas, chacun son métier. Vous savez bien sûr que le scénario est écrit par les auteurs du livre Le bûcher de Toulouse, les journalistes Marie-France Etchegoin et Matthieu Aron, ouvrage censé mettre un point final aux affaires Alègre. Mais ce que vous devez ignorer, c’est que la version qu’ils délivrent est éminemment contestée, notamment par l’association Stop à l’oubli, qui regroupe des familles de victimes réclamant inlassablement la vérité dans 48 dossiers de crimes ou de disparitions non-élucidés. Son président, Gabriel Loubradou, dans une lettre adressée au président de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau, dresse un état des lieux implacable : “Depuis trop longtemps, la justice toulousaine est montrée du doigt pour de nombreuses affaires de disparitions, de meurtres classés en suicides, de meurtres non élucidés et pour des dysfonctionnements de toutes sortes qui ont permis au tueur en série Patrice Alègre d’agir en toute impunité durant une douzaine d’années (disparitions de scellés, refus d’entendre certains témoins, menaces, entraves à la recherche de la vérité et autopsies bâclées par deux médecins légistes).” L’association recense ainsi par exemple 17 “suicides à la toulousaine”, ces cas flagrants de meurtres qu’on tente contre l’évidence de camoufler. Saviez-vous par exemple, cher Bernard, que Hadja Benyoucef a été retrouvée “suicidée” avec une corde au cou, une couche-culotte pliée en huit dans la bouche et un couteau à travers la gorge ? Ou qu’Edith Schleichardt, au cadavre découvert sur le bord d’une route, jupe relevée, une bombe lacrymogène entre les cuisses, avec six dents cassées et un éclat d’émail dans la gorge, dont l’autopsie a conclu à la probable “mort violente avec intervention d’une tierce personne“, s’est pourtant “suicidée” elle aussi ? Stop à l’oubli a collecté nombre de faits et témoignages concordants autant qu’explosifs sur les liens à Toulouse entre policiers, milieu, notables et magistrats-enquêteurs, le tout couvert par les deux derniers ministres de la justice.
Un magistrat en travers des procédures contre Patrice Alègre
Le premier garde des sceaux incriminé, Dominique Perben, a fait nommer procureur général Michel Barrau, l’homme qui n’eut de cesse de faire systématiquement obstacle aux investigations du juge Halphen sur les milliards engrangés par la Chiraquie, l’étouffeur en chef des affaires gênantes pour le pouvoir ou ses amis. Le second, Pascal Clément, a en sa possession un rapport écrit par l’ancien procureur de Toulouse, Michel Bréard, qui met très gravement en cause l’ancien substitut Pierre Bouragué, comme le révèle le journaliste Aziz Zemouri dans les colonnes du Figaro : “Le haut magistrat s’étonne de le retrouver régulièrement en travers des procédures qui mettent en cause Patrice Alègre. Michel Bréard fait notamment état des témoignages de trois policiers qui ont reconnu l’ancien substitut comme étant le magisrat présent, avant l’arrivée de la police, sur les lieux du meurtre de Line Galbardi en 1992, crime dont Alègre est suspecté. Marc Bourragué a toujours démenti. Mais l’ancien procureur de Toulouse rapporte qu’en niant par écrit ces faits, Marc Bourragué pourrait être inquiété pour “un délit d’attestation faisant état de faits matériellement inexacts”. Et ce n’est pas tout ! Le journaliste précise aussi que le nom de Bourragué figure dans le dossier de la disparition d’Hélène Loubradou, la fille du président de Stop à l’oubli : “Lorsque le lieutenant-colonel de gendarmerie se saisit de l’affaire, qui informe-t-il ? Marc Bourragué, spécialisé dans les affaires financières au parquet“. On peut s’interroger sur le rapport entre les affaires financières et la disparition de cette jeune femme de 26 ans… Mais le rapport avec Bourragué ? Toujours le même, Patrice Alègre. Hélène Loubradou a en effet noté dans son journal intime pour le jour de sa disparition un rendez-vous avec “Pat”, dans un bar juste devant le lac où Alègre avait l’habitude de pêcher, et une photo est montrée au serveur de la brasserie, qui reconnaît la disparue et dit l’avoir vue en compagnie d’un homme dont le signalement correspond à celui d’Alègre. Mais le lieutenant-colonel - dont on se demande pourquoi il a prévenu Bourragué -, contre toute attente, n’ouvre pas d’enquête. Les hallucinantes révélations sur le rôle de Bourragué contenues dans le rapport Bréard, qui dort dans un coffre-fort de la chancellerie depuis janvier 2005, n’ont toujours pas été rendues publiques par Pascal Clément. Il a chargé notre spécialiste de l’enterrement d’affaires cité plus haut, le procureur général Michel Barrau, de déclarer avec un toupet ahurissant : “ce rapport n’a révélé après examen aucun fait de nature à entraîner des poursuites disciplinaires ou pénales“. Tout va bien, donc. Chiche qu’on le publie, alors ! Mais le président de Stop à l’oubli, malgré les rapprochements évidents dès le départ avec Patrice Alègre, aura tout de même dû attendre 14 ans pour que le dossier de la disparition de sa fille soit enfin rouvert. Lorsque Gabriel Loubradou rencontre en 2003 le chef de la nouvelle section Homicide 31, le gendarme Michel Roussel.
Une version déjà condamnée pour diffamation
Loubradou raconte ainsi son entrevue avec l’enquêteur : “Il me faisait répéter ce que j’avais déjà dit aux gendarmes. La première enquête datait de 1989, tout de même ! C’est alors que Roussel, excédé, me montre enfin mon dossier : il était vide. J’étais stupéfait. Toutes les pièces que j’avais fournies ainsi que les témoignages avaient disparu. Je commence à comprendre qu’on s’était moqué de moi pendant tout ce temps-là. Je me rends compte aussi que mon cas n’est pas isolé : d’autres dossiers de “disparitions” ou de crimes maquillés en suicides ont subi le même sort que le mien.” De tout cela, sera-t-il question dans Notable donc coupable ? Evidemment pas. Etchegoin et Aron, les scénaristes de cette “fiction”, relaient de façon zélée la version officielle, celle de Dominique Baudis. Qu’il défend dans son livre Face à la calomnie, pour lequel il a été condamné à deux reprises pour diffamation envers Michel Roussel. L’ouvrage même adapté pour le film, Le bûcher de Toulouse, est poursuivi par la famille d’une des victimes, Line Galbardi, pour “atteinte à la dignité de la victime” et “outrage à la justice“. La plainte devait être examinée le 29 mai dernier mais le tribunal de Toulouse, à la stupéfaction générale, s’est finalement déclaré “territorialement incompétent“. Parce que Dominique Galbardi ne lui a pas fourni le ticket de caisse prouvant qu’elle avait bien acheté Le bûcher de Toulouse à… Toulouse ! La plaignante a évidemment fait appel. Que cache cette ahurissante décision, jamais vue dans les annales de la justice française ? Fallait-il éviter que le livre ne soit condamné avec d’en tirer un film ? Dans ce cas, c’est raté : le 22 septembre dernier, la 17è chambre du tribunal correctionnel de Paris a condamné l’éditeur Grasset pour diffamation, à la suite d’une plainte déposée par l’ancien procureur Bréard lui-même - celui du rapport enterré par Clément ! En janvier, c’est Dominique Baudis qui sera jugé à son tour, “exactement pour les mêmes raisons qui viennent d’entraîner la condamnation“ du Bûcher de Toulouse, précise l’avocat de Bréard, Maître Jacques Lévy.
France 2 lave plus blanc le président du CSA
Voilà donc l’histoire, déjà condamnée par la justice comme diffamatoire, que vous vous apprêtez à tourner. Voilà la version que le grand public prendra forcément pour argent comptant, diffusée en prime time sur le service public et servie par des interprètes de votre trempe. Voilà pourquoi, cher Bernard, je vous demande aujourd’hui de revenir sur votre accord de participer à ce qui s’apparente à une opération de désinformation. Une pantalonnade où il est décidé de raconter à sa façon une affaire qui implique le président du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel, alors même que des procédures judiciaires sont toujours en cours. Mais que l’on se rassure, on attendra pour diffuser l’oeuvre que Baudis ait quitté la présidence du CSA ! Ne laissez pas instrumentaliser votre talent de comédien et votre popularité au service de la propagation d’une vérité officielle qui ne peut convaincre quiconque se penche sur le dossier. Ne vous faites pas le porte-parole du mensonge d’Etat, pas vous ! Pour finir de vous en convaincre, lisez donc l’effrayant communiqué publié le 2 juin 2003 par l’association Survie*, avec pour titre De Toulouse à Paris et à la Françafrique : Débauches mortelles, méga-corruption et coopération mafieuse sous le même édredon judiciaire ? (texte à lire en entier sur le site de l’association), qui commence ainsi : “Sans entrer prématurément dans le détail et le degré des culpabilités, il est déjà clair que le serial killer et violeur en série Patrice Alègre n’a longtemps pu agir en toute impunité que grâce à des protections policières, judiciaires et politiques considérables. Au-delà d’un séisme provincial, ce contexte rappelle une composante taboue de la très grande corruption en France et de la criminalité françafricaine (en Afrique et en France) : l’appartenance à des cercles d’initiés. Un mode d’”initiation”, parmi d’autres, est la participation à des “partouzes” filmées, voire à des séances de crimes sexuels (viols, pédophilie, tortures, dégénérant en certains cas extrêmes jusqu’au meurtre des victimes). Un point commun à tout cela : tenir un certain nombre de gens par le chantage.”
Un texte écrit par Olivier Bonnet.
* : Survie est une association (loi 1901), fondée par le regretté François-Xavier Verschave, qui mène des campagnes d’information et d’interpellation des citoyens et des élus pour une réforme de la politique de la France en Afrique et des relations Nord-Sud, à la création inspirée par le manifeste-appel de 126 prix Nobel contre la faim et pour le développement (1981).
Source : LE MONDE CITOYEN (28 septembre 2006)
Edit Bardamu
Merci pour ce document intéressant Nex, par contre l'usage des polices de grandes taille et en gras n'est pas souhaitable car il rend la lecture pénible d'où cette ré-édition du message...
Dernière édition par Bardamu le 21/4/2015, 15:25, édité 2 fois (Raison : Modification de la police et également du titre pour faciliter la lecture et les recherches dans l'index)