Le saser : un laser de sonAutrefois, des physiciens mettaient au point des lasers ( light amplification by stimulated emission of radiation), ces dispositifs émettant un fin rayon lumineux. Aujourd'hui, d'autres s'affairent à concevoir des sasers (sound amplification by stimulated emission of radiation), qui, au lieu d'amplifier la lumière, amplifieraient le SON! Plusieurs groupes de recherche universitaires tentent de réaliser ces "lasers sonores", chacun d'eux ayant sa petite idée sur le sujet.
Tout a commencé dans les années 1980, lorsque Douglas Shields, un ingénieur acoustique de l'Université du Mississippi, exécutait une expérience sur un long tube de verre rempli de gaz (azote). Il a soumis le gaz à une impulsion sonore, après lui avoir fourni de l'énergie à l'aide d'une étincelle. À mesure que les impulsions rebondissaient sur le haut et le bas du tube, Shields s'est aperçu que le son devenait de plus en plus fort. Toutefois, tant d'énergie était nécessaire pour produire ce phénomène, que le gaz s'est mis à surchauffer, endommageant sérieusement son équipement.
Pendant que Shields délaissait son projet, d'autres poursuivirent les recherches. Évidemment, pour faire de la recherche, il faut de l'argent! Et les différentes sources de financement voulaient connaître les applications pratiques reliées à ces recherches. Les scientifiques espéraient que le fruit de leur travail les amènerait à concevoir un microscope acoustique, à améliorer les sonars (appareils de détection sous-marine) ou à créer des appareils servant à atténuer les bruits dans les circuits électriques. Cependant, un obstacle les arrêtait. Les lasers sont très utiles, car la lumière qui en sort est constituée de photons (particules de lumière) ayant tous la MÊME énergie. En revanche, les phonons (particules de son), que les chercheurs réussissaient à émettre par divers moyens, possédaient différentes énergies, différentes directions et différents états quantiques. Pour pouvoir se servir des phonons, on avait donc besoin d'un appareil pouvant générer des phonons IDENTIQUES. Voilà pourquoi on voulait construire un saser!
Au Debye Research Institute de l'Université d'Utrecht (Pays-Bas), l'équipe de recherche dirigée par Harold de Wijn a conçu un prototype de saser à partir d'un cristal de rubis de 5 millimètres de long. Ce cristal est refroidi dans de l'hélium liquide jusqu'à ce qu'il atteigne une température de 1,8 Kelvins (environ - 271 oC), éliminant ainsi les possibilités d'interférence créée par des ondes sonores non souhaitées. Ensuite, on pointe un rayon laser à un tiers de millimètres du centre du cristal. En absorbant l'énergie lumineuse, les électrons du cristal grimpent dans un niveau d'énergie plus élevée, puis retombent à leur niveau inférieur en émettant de la lumière. Afin que les électrons émettent des phonons au lieu des photons, de Wijn soumet le cristal à un champ magnétique, ce qui empêche les électrons de libérer, d'un seul coup, toute l'énergie absorbée. Ainsi, de petites quantités d'énergie sont dégagées successivement par les électrons. Ces énergies sont trop faibles pour être expulsées sous forme de photons, mais juste assez grandes pour l'être sous forme de phonons. C'est alors que les phonons formés vibrent d'un bord à l'autre du cristal. Dans leur mouvement, ils entraînent d'autres électrons à produire des phonons en perdant quelque peu leur énergie. Cette réaction en chaîne cause l'amplification du son. Cependant, la bataille n'est pas encore gagnée! Pour pouvoir avoir un saser, il faudrait être en mesure d'utiliser ces phonons, mais ils sont emprisonnés dans le rubis. Un léger changement de densité dans le matériau transforme les extrémités du cristal en surfaces aussi réfléchissantes qu'un miroir. Les phonons ne réussissant pas à les traverser, de Wijn et ses compagnons sont donc à la recherche d'un moyen pour libérer les phonons de l'emprise du rubis!
Pendant ce temps, le groupe de Jean-Yves Prieur de l'Université de Paris-Sud travaille sur une autre sorte de saser. Sur les côtés opposés d'un bloc de verre de 2 centimètres de longueur, sont apposés deux transducteurs piezo-électriques1. L'un deux envoie des impulsions qui, au fur et à mesure qu'elles traversent le bloc, transmettent leur énergie aux atomes du verre. L'autre transducteur envoie une impulsion de phonons à haute fréquence qui iront stimuler les atomes à céder leur énergie. D'autres phonons seront ainsi créés. Toutefois, Prieur et ses collègues ont remarqué que lorsque l'impulsion est réfléchie, au bout du bloc, elle produit de l'interférence destructive en revenant sur ses pas. Cela a pour effet d'éliminer quelques phonons tout juste émis. Malgré ce problème, le saser de Prieur produit un son qui est environ 30 fois plus intense que celui du début.
Ces prototypes de saser ne sont pas les seuls! Contrairement à de Wijn et Prieur, Sergei Zavtrak, de l'Université d'état du Bélarus à Minsk, n'utilise pas la notion de phonons pour concevoir son saser (les fréquences choisies sont trop faibles pour que cette notion soit utile).
Il se sert plutôt d'un contenant cylindrique rempli d'eau dans lequel une multitude de minuscules bulles de gaz sont insérées par divers moyens (comme l'électrolyse de l'eau, par exemple). En pressant et en relâchant alternativement la paroi du contenant ou en y envoyant un champ électrique, les bulles se contractent et se mettent ensuite à vibrer. À ce moment, selon Zavtrak, si on injectait une impulsion sonore dans le cylindre, les bulles s'aligneraient alors en plusieurs plans perpendiculaires à la direction de cette onde. Ces plans formeraient le même patron que les zones de haute et de basse pression de l'onde sonore. En puisant l'énergie des bulles oscillantes, le son s'amplifierait et un faisceau directionnel d'ondes sonores à basse fréquence émergerait au bout du contenant. Cependant, tout n'est encore que théorie, comme le projet de saser de Sergio Makler (Université fédérale de Fluminense à Niteroi, au Bésil) et de Mikhail Vasilevski (Université d'état du Nijni-Novgorod, en Russie).
Il y a cinq ans, ces derniers ont élaboré un saser à partir d'un puit quantique. D'après leur théorie, il serait possible d'obtenir une grande quantité de phonons à très hautes fréquences en introduisant un électron dans un puit quantique avec une légère tension électrique. C'est en passant d'un niveau d'énergie à l'autre que l'électron produirait les phonons. Si Makler et Vasilevski réussissaient à rendre leur idée fonctionnelle, cela éviterait de s'attarder sur les inconvénients des autres prototypes de saser. De plus, avec cette méthode, il serait possible d'obtenir des phonons ayant une fréquence qui pourrait atteindre 1012 hertz et plus. Makler estime qu'un microscope acoustique utilisant ces fréquences pourrait éventuellement atteindre le niveau atomique des solides! Il suppose aussi que les phonons pourraient servir à transporter les données des ordinateurs, tout comme le font la lumière et les électrons. Ainsi naîtrait la "phonoélectronique"!
Beaucoup d'autres projets pourraient voir le jour lorsque le premier saser aura été réalisé. En médecine, ils pourraient notamment servir à détruire les calculs rénaux2. Les physiciens, eux, pourraient découvrir des propriétés encore cachées des solides. Quant aux concepteurs de micro-circuits, les sasers pourraient leur permettre de vérifier la qualité des fines connexions métalliques des circuits électroniques, car les petits défauts dans les matériaux interagissent fortement avec les phonons. Les sasers pourraient aussi avoir une place dans l'industrie minière, en contrôlant la détonation des explosifs à distance. Ce ne sont donc pas les utilités qui manquent! Il suffit seulement que les chercheurs réussissent à construire un saser fonctionnel!
Marie-Ève Gosselin j
1On dit d'un cristal qu'il est piezo-électrique s'il y a apparition de charges électriques lorsqu'il est soumis à une contrainte. Le tansducteur piezo-électrique est donc très utile pour transformer les pressions et dépressions des ondes sonores en ondes électriques (et vice versa).
2 I. V. Volkov, S. T. Zavtrak, I. S. Kuten, Theory of sound ammplification by stimulated emission of radiation with consideration for coagulation, Physical Review E 56, no 1, juillet 1997, p. 1097.
Bibliographie
Andrew Watson, Pump up the volume, New Scientist 2179, 27 mars 1999, p. 37.