Par Stephanie Hegarty
22 février 2012
Nous nous inquiétons souvent de rester éveillés au milieu de la nuit – mais cela pourrait nous être bénéfique. De plus en plus de preuves, provenant autant de la science que de l'histoire, suggèrent que dormir huit heures de suite pourrait ne pas être naturel.
Au début des années 1990, le psychiatre Thomas Wehr a mené une expérience pendant laquelle un groupe de gens fut plongé dans l'obscurité 14 heures par jour pendant un mois.
Il fallut du temps pour que leur sommeil se régule mais à la quatrième semaine les sujets se retrouvaient avec deux sommeils très distincts. Ils dormaient d'abord pendant quatre heures, puis restaient éveillés pendant une ou deux heures avant de se rendormir une deuxième fois pendant 4 heures.
Malgré l'impression faite sur certains spécialistes du sommeil par cette étude, l'idée persiste auprès du public qu'il faille dormir huit heures de suite.
En 2001, l'historien Roger Ekirch de l'université de Virginie publia un article déterminant, fruit de 16 ans de recherche, qui révéla une mine de preuves historiques sur le fait que les humains dorment habituellement en deux étapes.
Le livre ''La nuit au fil du temps'', qu'il publia 4 ans plus tard, mit à jour plus de 500 références sur un modèle de sommeil fractionné – venant de journaux intimes, d'enregistrement de procès, de livres médicaux et de la littérature, depuis l'Odyssée d'Homère jusqu'à des récits des tribus actuelles au Nigéria.
Bien plus que l'expérience de Wehr, ces références décrivent un premier sommeil qui démarrait environ deux heures après le crépuscule, était suivi par une période d'éveil d'une ou deux heures et ensuite se poursuivait par une deuxième période de sommeil.
''Ce n'est pas le nombre de références – c'est ce qu'elles nous apprennent, comme si c'était une connaissance banale,'' dit Ekirch.
Pendant cette période d'éveil les gens étaient très actifs. Souvent ils se levaient, allaient aux toilettes ou fumaient, et certains allaient même rendre visite aux voisins. La plupart des gens restaient au lit, écrivaient et souvent priaient. D'innombrables livres de prière de la fin du 15ème siècle contenaient des prières spéciales pour les heures entre deux sommeils.
Et ces heures n'étaient pas entièrement solitaires, les gens bavardaient souvent avec leurs compagnons de lit.
Un livre de médecine de la France du 16ème siècle conseillait même aux couples que le meilleur moment pour concevoir n'était pas après une longue journée de travail mais ''après le premier sommeil'', quand ''ils étaient plus disposés'' et ''le faisaient mieux''.
Ekirch découvrit que ces références au premier et deuxième sommeil ont commencé à disparaître vers la fin du 17ème siècle. Cela démarra dans les classes citadines élevées du nord de l'Europe et au cours des deux siècles suivants gagna le reste de la société occidentale.
Pendant les années 1920 l'idée d'un premier et second sommeil avait entièrement disparu de notre conscience sociale.
Il attribue le changement initial à des améliorations dans l'éclairage des rues, à l'éclairage dans les maisons et à une extension des cafés – qui étaient parfois ouverts toute la nuit. La nuit devenant un lieu d'activité légitime et cette activité augmentant, le temps que les gens pouvaient consacrer au repos se raccourcissait.
Dans son dernier livre, ''L'empire du soir'', l'historien Craig Koslofsky propose une explication sur la manière dont cela s'est passé.
''Tout ce qui était associé à la nuit avant le 17ème siècle n'était pas correct,'' dit-il. La nuit était un endroit peuplé de gens de mauvaise réputation – des criminels, des prostituées et des ivrognes.
''Même les gens riches, qui pouvaient se procurer des bougies, avaient de meilleures choses à dépenser. Il n'y avait aucun prestige ou valeur sociale associés avec le fait de rester debout toute la nuit.''
Cela changea à la suite de la Réforme et de la contre-Réforme. Les protestants et les catholiques s'habituèrent à tenir des services secrets la nuit pendant la période des persécutions. Si auparavant la nuit avait appartenu aux réprouvés, maintenant les gens respectables s'accoutumaient à exploiter les heures d'obscurité.
Cette tendance migra également vers la sphère sociale, mais seulement pour ceux qui pouvaient se permettre de vivre à la lumière des bougies. Avec l'arrivée de l'éclairage public, cependant, la vie sociale nocturne commença à s'infiltrer à travers les classes sociales.
En 1667, Paris devint la première cité au monde à éclairer ses rues, en utilisant des bougies de cire dans des lampes en verre. Elle fut suivie par Lille la même année et Amsterdam deux ans plus tard, où des lampes remplies d'huile beaucoup plus efficaces furent installées.
Londres ne rejoignit leur rang qu'en 1684 mais à la fin du siècle, plus de 50 grandes villes et cités européennes étaient éclairées la nuit.
La nuit devint à la mode et passer des heures couché au lit fut considéré comme une perte de temps.
Une petite ville comme Leipzig au centre de l'Allemagne employait 100 hommes pour s'occuper de 700 lampes.
''Les gens devinrent de plus en plus conscients de l'heure et sensibles à l'efficacité, certainement avant le 19ème siècle,'' dit Roger Ekirch. ''Mais la révolution industrielle intensifia ce comportement par à-coups.''
Une importante preuve de ce changement d'attitude se trouve dans un journal médical de 1829 qui incitait les parents à obliger leurs enfants à sortir du modèle des premier et deuxième sommeils.
''Sauf maladie ou accident, ils n'auront pas besoin d'un repos supplémentaire à celui obtenu dans leur premier sommeil.
''Et ensuite, s'ils repartent pour un deuxième somme, on leur enseignera à le considérer comme du laisser-aller pas du tout à leur avantage.''
Aujourd'hui, la plupart des gens semblent s'être très bien adaptés à un sommeil de huit heures d'une traite, mais Ekirch pense que de nombreux problèmes de sommeil ont leur racine dans la préférence naturelle du corps humain pour une nuit fractionnée et dans l'omniprésence de la lumière artificielle.
Ceci pourrait être la cause d'une situation nommée troubles du maintien du sommeil, où les gens s'éveillent pendant la nuit et ont des difficultés à s'y replonger, suggère-t-il.
Cette situation apparaît d'abord dans la littérature de la fin du 19ème siècle, en même temps que des récits d'un sommeil fragmenté disparaissent.
''Pendant presque toute notre évolution nous dormions d'une certaine manière,'' dit le psychologue du sommeil Gregg Jacobs. ''Se réveiller pendant la nuit fait partie de la physiologie normale de l'être humain.''
L'idée que nous devons dormir en une seule fois pourrait être dommageable, dit-il, si cela rend anxieux les gens qui se réveillent la nuit, car cette anxiété même peut interdire le sommeil et s'insinue probablement aussi pendant la vie active.
Russel Foster, enseignant de neuroscience circadienne [science des rythmes biologiques sur 24 heures, NdT] à Oxford, partage ce point de vue.
''Beaucoup de gens se réveillent la nuit et paniquent,'' dit-il. ''Je leur dis que ce qu'ils vivent est une survivance du modèle de sommeil bimodal [de deux manières, NdT]''.
Mais la majorité des médecins ont toujours du mal à reconnaître qu'un sommeil de huit heures d'une traite peut ne pas être naturel.
''Plus de 30% des problèmes médicaux auxquels font face les médecins découlent directement ou indirectement du sommeil. Mais le sommeil a été ignoré pendant la formation médicale et il n'y a que très peu de centres où le sommeil est étudié,'' dit-il.
Jacobs suggère que la période d'éveil entre les sommeils, quand les gens ont eu des périodes de repos et de relaxation obligées, pourrait avoir joué un rôle important dans la capacité humaine à réguler naturellement le stress.
Dans de nombreux récits historiques, Ekirch a découvert que les gens utilisaient ce temps pour méditer sur leurs rêves.
''Aujourd'hui nous passons moins de temps à nous occuper de ces choses,''dit le Dr Jacobs. ''Ce n'est pas une coïncidence si, dans la vie moderne, le nombre de gens se plaignant d'anxiété, de stress, de dépression, d'alcoolisme et d'abus de drogues est en augmentation.''
Donc la prochaine fois que vous vous réveillerez au milieu de la nuit, pensez à vos ancêtres pré-industriels et relaxez-vous. Rester éveillé pourrait être bon pour vous.
SOURCE: http://www.bbc.co.uk/news/magazine-16964783
Traduit par Hélios pour le BistroBarBlog
http://bistrobarblog.blogspot.com/
22 février 2012
Nous nous inquiétons souvent de rester éveillés au milieu de la nuit – mais cela pourrait nous être bénéfique. De plus en plus de preuves, provenant autant de la science que de l'histoire, suggèrent que dormir huit heures de suite pourrait ne pas être naturel.
Au début des années 1990, le psychiatre Thomas Wehr a mené une expérience pendant laquelle un groupe de gens fut plongé dans l'obscurité 14 heures par jour pendant un mois.
Il fallut du temps pour que leur sommeil se régule mais à la quatrième semaine les sujets se retrouvaient avec deux sommeils très distincts. Ils dormaient d'abord pendant quatre heures, puis restaient éveillés pendant une ou deux heures avant de se rendormir une deuxième fois pendant 4 heures.
Malgré l'impression faite sur certains spécialistes du sommeil par cette étude, l'idée persiste auprès du public qu'il faille dormir huit heures de suite.
En 2001, l'historien Roger Ekirch de l'université de Virginie publia un article déterminant, fruit de 16 ans de recherche, qui révéla une mine de preuves historiques sur le fait que les humains dorment habituellement en deux étapes.
Le livre ''La nuit au fil du temps'', qu'il publia 4 ans plus tard, mit à jour plus de 500 références sur un modèle de sommeil fractionné – venant de journaux intimes, d'enregistrement de procès, de livres médicaux et de la littérature, depuis l'Odyssée d'Homère jusqu'à des récits des tribus actuelles au Nigéria.
Bien plus que l'expérience de Wehr, ces références décrivent un premier sommeil qui démarrait environ deux heures après le crépuscule, était suivi par une période d'éveil d'une ou deux heures et ensuite se poursuivait par une deuxième période de sommeil.
''Ce n'est pas le nombre de références – c'est ce qu'elles nous apprennent, comme si c'était une connaissance banale,'' dit Ekirch.
Pendant cette période d'éveil les gens étaient très actifs. Souvent ils se levaient, allaient aux toilettes ou fumaient, et certains allaient même rendre visite aux voisins. La plupart des gens restaient au lit, écrivaient et souvent priaient. D'innombrables livres de prière de la fin du 15ème siècle contenaient des prières spéciales pour les heures entre deux sommeils.
Et ces heures n'étaient pas entièrement solitaires, les gens bavardaient souvent avec leurs compagnons de lit.
Un livre de médecine de la France du 16ème siècle conseillait même aux couples que le meilleur moment pour concevoir n'était pas après une longue journée de travail mais ''après le premier sommeil'', quand ''ils étaient plus disposés'' et ''le faisaient mieux''.
Ekirch découvrit que ces références au premier et deuxième sommeil ont commencé à disparaître vers la fin du 17ème siècle. Cela démarra dans les classes citadines élevées du nord de l'Europe et au cours des deux siècles suivants gagna le reste de la société occidentale.
Pendant les années 1920 l'idée d'un premier et second sommeil avait entièrement disparu de notre conscience sociale.
Il attribue le changement initial à des améliorations dans l'éclairage des rues, à l'éclairage dans les maisons et à une extension des cafés – qui étaient parfois ouverts toute la nuit. La nuit devenant un lieu d'activité légitime et cette activité augmentant, le temps que les gens pouvaient consacrer au repos se raccourcissait.
Dans son dernier livre, ''L'empire du soir'', l'historien Craig Koslofsky propose une explication sur la manière dont cela s'est passé.
''Tout ce qui était associé à la nuit avant le 17ème siècle n'était pas correct,'' dit-il. La nuit était un endroit peuplé de gens de mauvaise réputation – des criminels, des prostituées et des ivrognes.
''Même les gens riches, qui pouvaient se procurer des bougies, avaient de meilleures choses à dépenser. Il n'y avait aucun prestige ou valeur sociale associés avec le fait de rester debout toute la nuit.''
Cela changea à la suite de la Réforme et de la contre-Réforme. Les protestants et les catholiques s'habituèrent à tenir des services secrets la nuit pendant la période des persécutions. Si auparavant la nuit avait appartenu aux réprouvés, maintenant les gens respectables s'accoutumaient à exploiter les heures d'obscurité.
Cette tendance migra également vers la sphère sociale, mais seulement pour ceux qui pouvaient se permettre de vivre à la lumière des bougies. Avec l'arrivée de l'éclairage public, cependant, la vie sociale nocturne commença à s'infiltrer à travers les classes sociales.
En 1667, Paris devint la première cité au monde à éclairer ses rues, en utilisant des bougies de cire dans des lampes en verre. Elle fut suivie par Lille la même année et Amsterdam deux ans plus tard, où des lampes remplies d'huile beaucoup plus efficaces furent installées.
Londres ne rejoignit leur rang qu'en 1684 mais à la fin du siècle, plus de 50 grandes villes et cités européennes étaient éclairées la nuit.
La nuit devint à la mode et passer des heures couché au lit fut considéré comme une perte de temps.
Une petite ville comme Leipzig au centre de l'Allemagne employait 100 hommes pour s'occuper de 700 lampes.
''Les gens devinrent de plus en plus conscients de l'heure et sensibles à l'efficacité, certainement avant le 19ème siècle,'' dit Roger Ekirch. ''Mais la révolution industrielle intensifia ce comportement par à-coups.''
Une importante preuve de ce changement d'attitude se trouve dans un journal médical de 1829 qui incitait les parents à obliger leurs enfants à sortir du modèle des premier et deuxième sommeils.
''Sauf maladie ou accident, ils n'auront pas besoin d'un repos supplémentaire à celui obtenu dans leur premier sommeil.
''Et ensuite, s'ils repartent pour un deuxième somme, on leur enseignera à le considérer comme du laisser-aller pas du tout à leur avantage.''
Aujourd'hui, la plupart des gens semblent s'être très bien adaptés à un sommeil de huit heures d'une traite, mais Ekirch pense que de nombreux problèmes de sommeil ont leur racine dans la préférence naturelle du corps humain pour une nuit fractionnée et dans l'omniprésence de la lumière artificielle.
Ceci pourrait être la cause d'une situation nommée troubles du maintien du sommeil, où les gens s'éveillent pendant la nuit et ont des difficultés à s'y replonger, suggère-t-il.
Cette situation apparaît d'abord dans la littérature de la fin du 19ème siècle, en même temps que des récits d'un sommeil fragmenté disparaissent.
''Pendant presque toute notre évolution nous dormions d'une certaine manière,'' dit le psychologue du sommeil Gregg Jacobs. ''Se réveiller pendant la nuit fait partie de la physiologie normale de l'être humain.''
L'idée que nous devons dormir en une seule fois pourrait être dommageable, dit-il, si cela rend anxieux les gens qui se réveillent la nuit, car cette anxiété même peut interdire le sommeil et s'insinue probablement aussi pendant la vie active.
Russel Foster, enseignant de neuroscience circadienne [science des rythmes biologiques sur 24 heures, NdT] à Oxford, partage ce point de vue.
''Beaucoup de gens se réveillent la nuit et paniquent,'' dit-il. ''Je leur dis que ce qu'ils vivent est une survivance du modèle de sommeil bimodal [de deux manières, NdT]''.
Mais la majorité des médecins ont toujours du mal à reconnaître qu'un sommeil de huit heures d'une traite peut ne pas être naturel.
''Plus de 30% des problèmes médicaux auxquels font face les médecins découlent directement ou indirectement du sommeil. Mais le sommeil a été ignoré pendant la formation médicale et il n'y a que très peu de centres où le sommeil est étudié,'' dit-il.
Jacobs suggère que la période d'éveil entre les sommeils, quand les gens ont eu des périodes de repos et de relaxation obligées, pourrait avoir joué un rôle important dans la capacité humaine à réguler naturellement le stress.
Dans de nombreux récits historiques, Ekirch a découvert que les gens utilisaient ce temps pour méditer sur leurs rêves.
''Aujourd'hui nous passons moins de temps à nous occuper de ces choses,''dit le Dr Jacobs. ''Ce n'est pas une coïncidence si, dans la vie moderne, le nombre de gens se plaignant d'anxiété, de stress, de dépression, d'alcoolisme et d'abus de drogues est en augmentation.''
Donc la prochaine fois que vous vous réveillerez au milieu de la nuit, pensez à vos ancêtres pré-industriels et relaxez-vous. Rester éveillé pourrait être bon pour vous.
SOURCE: http://www.bbc.co.uk/news/magazine-16964783
Traduit par Hélios pour le BistroBarBlog
http://bistrobarblog.blogspot.com/