XXX La majorité des écrivains depuis un siècle, le plus grand nombre des maîtres de la jeunesse depuis cinquante ans, presque toutes les voix de la grande presse européenne à l'heure présente, appartiennent à la Franc maçonnerie. Or, même pour le plus honnête homme du monde engagé dans les loges, pour le plus innocent apprenti, c'est une règle jurée rigoureusement, de ne jamais parler ni écrire dans le monde profane sur l'ordre maçonnique ni sur les associations secrètes.
Maçon jurant que jamais il ne traira son sement de fidelité et de
silence, sans quoi il se verrait transpercé de part en part par le fer. De là ce phénomène singulier entre tous et que signale fort bien Mgr de Ketteler, cet esprit si pénétrant et si versé dans la politique contemporaine:
« La Franc-maçonnerie revendique et obtient dans l'univers entier le privilège remarquable d'une position tout exceptionnelle. D'elle seule au monde il n'est pas question, à peu d'exceptions près, dans la presse publique, et elle ne veut pas qu'il en soit question. Tandis que le prêtre parle et prononce sur toutes les autres relations qui intéressent les hommes ; tandis que le Christianisme avec tous ses enseignements et toutes ses prescriptions, que l'État avec ses lois et ses constitutions sont l'objet de la discussion, tandis que même les plus intimes relations personnelles...
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...sont mises au grand jour , la Franc-maçonnerie seule, d'après un consentement européen général, est une chose sacrée à laquelle il ne faut pas toucher ; chacun craint d'en parler comme d'une sorte de spectre. Cette position si étrange est déjà une preuve de l'immense puissance que la Franc-maçonnerie exerce dans le monde (1). »
Voilà pourquoi, sans même parler du temps présent, dans tant d'histoires du XVIIIe siècle et de la Révolution, un silence sysématique est gardé sur l'existence même des loges maçonniques.
Le degré réel de leur influence peut être discuté entre des hommes d'égale bonne foi, mais le fait de leur multiplication et de leur activité s'impose à quiconque n'a pas la plume liée, et nous verrons tout à l'heure que parmi les membres des sociétés secrètes, plusieurs n'ont pas interprété si strictement leurs serments, et n'ont pas craint de proclamer bien haut la puissance de l'action maçonnique.
1 - Freiheit, Auktoritœt und Kirche, p. 218.
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Néanmoins, au fur et à mesure que la Révolution a fait des progrès, le voile s'est soulevé, les aveux se sont multipliés, les hommes les plus avancés n'ont pas craint de hausser la voix et de reprocher aux arriérés leur manque de courage et de logique. Louis Blanc, entre autres, a mis en pleine lumière l'action prépondérante des sociétés secrètes dans les événements du XVIIIe siècle. Henri Martin leur a consacré de longues pages dans les derniers volumes de son Histoire de France (1). Après avoir décrit la variété de leurs rites, il conclut en disant qu'elles furent, jusqu'en 1789, l'instrument général de la philosophie et le laboratoire de la Révolution. C'est en faisant allusion à ces temps que Mme Georges Sand a dit de son côté « qu'il y a des moments où l'histoire des empires n'existe que nominalement et où il n'y a de réellement vivant que les sectes cachées dans leur sein (2). »
1 - Histoire de France (quatrième édition), t. XX, p. 399,400 ; t. XVI,
526, 532, 535.
2 - Les compagnons du tour de France, préface.
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Le cardinal Mathieu, résumant la longue expérience de sa vie d'évèque et d'homme public, écrivait à son tour :
« Je suis à m'interroger péniblement, et à savoir comment il se fait que les puissants de ce siècle ne regardent pas même autour d'eux, et si près d'eux, ce qui les mine et qui les ronge en attendant leur renversement complet. Je suis très-persuadé que la plupart des grands et sinistres événements de nos jours ont été préparés et consommes par la Franc-maçonnerie. »
(Lettre du 7 avril 1875 à 31. Robinet de Cléry.)
XXXVI
La vérité, difficile à pénétrer au commencement de ce siècle, éclate donc de plus en plus, et, pour tout esprit non prévenu, l'action des sociétés secrètes dans l'histoire moderne est un fait qu'on ne peut plus passer sous silence. On y serait d'autant moins fondé que, dans l'orgueil de leur triomphe, beaucoup de francs-maçons dévoilent la part que la Maçonnerie a prise dans le passé à l'œuvre de la Révolution. C'est le FM .:
Malapert, par exemple, orateur du suprême conseil du rite écossais, qui, parlant, en 1874, à une tenue de maîtrise de la...
Loge.: Alsace...
XXXVII
...Lorraine, dit en propres termes : « Au XVIIIe siècle, la Franc-maçonnerie était si répandue dans le monde,
QU'ON PEUT DIRE QUE RIEN NE S'EST FAIT DEPUIS CETTE ÉPOQUE SANS SON CONSENTEMENT. »
Les aveux de ce genre abondent actuellement (1) ; ils sont appuyés sur des preuves historiques indéniables et reposent d'ailleurs sur une tradition conservée dans les loges, qui est elle même une preuve de premier ordre.
L'étude des sociétés secrètes est donc une nécessité absolue pour avoir l'intelligence des temps modernes. Elle est possible pour un écrivain doué de perspicacité et se donnant la peine de pousser ses investigations dans le champ, très-vaste aujourd'hui, des documents tombés dans le domaine public. Le père Deschamps, dans la préface de la première édition de cet ouvrage, a indiqué en termes excellents la méthode à suivre :
« Catholique de naissance, prêtre par vocation, dévoué â l'Église et à tous les devoirs qu'elle impose â ses ministres, nous n'avons jamais fait partie de sociétés secrètes quelconques, nous n'avons jamais prêté aucun des serments attachés à leurs grades, nous n'en avons jamais reçu la confidence intime, ou sous le secret, ou par une trahison vengeresse, d'aucun de leurs membres, et cependant nous sommes convaincu, — et bien des maçons eux-mêmes le...
1 - En 1854 le fameux Verhœgen, grand-maître du Grand-Orient de
Belgique, dit à une assemblée des loges :
« Constatons qu'en maintes circonstances la Maçonnerie a unanimement méconnu la restriction de ses statuts. Elle s'est activement mêlée aux luttes politiques, et quand le triomphe de sa cause, salué par la nation entière, démontrait combien elle est sympathique au pays, qui donc oserait la blâmer ? Ce serait calomnier l'histoire, nier l'immense service rendu à la patrie ! Aussi sommes-nous fondés à dire qu'elle accomplissait un impérieux devoir et que, s'il le faut, elle fera bien de persister dans cette voie. »
XXXVIII
...seront, — que nous avons une connaissance plus complète de la Franc-maçonnerie et de ses principales sectes, que la plupart de ses membres, méme les plus avancés en apparence. Cette connaissance, nous la devons à l'observation et à l'étude approfondie des révolutions françaises et européennes, des phases diverses qu'elles ont parcourues, des événements, des constitutions et des lois qui on sont sortis, des assemblées ou des hommes éminents qui leur ont servi d'agents. C'est l'étude de tous ces éléments, de leur ensemble surtout et de leurs rapports, qui nous a mis sur la voie de leur cause première et nous a poussé â remonter jusqu'à ses sources mystérieuses, pour y puiser, non seulement la certitude de son existence, mais pour en faire éclater dans tous les esprits do bonne foi l'incontestable évidence. Ces sources sont multiples. Les premières, celles qui saisissent l'esprit avec une évidence qui s'impose, sont les constitutions et statuts maçonniques, préparés par les commissions des plus illustres maçons, approuvés et votés par les couvents généraux ou assemblées législatives des Grands-Orients, et qui ne peuvent être imprimés et distribués aux loges que par les ordres des grands maîtres et de leurs conseils.
Un Résumé des rapports faits au Grand Orient de France, au nom de la commission de révision, les 30 novembre 1838 et 13 mars 1839, en présentant à sa sanction le résultat de la discussion des statuts généraux de l'Ordre par le Comité central (1), rend un compte historique fidèle de la tendance et de l'esprit centralisateur avec lesquels furent successivement faits et fixés ces codes, constitutions, statuts et règlements.
La seconde, plus abondante encore, n'est pas moins sûre. Elle se compose des Manuels maçonniques ou Tuileurs de tous les grades et rites de la Maçonnerie, des cahiers officiels de ces grades, des modes ou rituels de leurs réceptions, des instructions, catéchismes, serments ou obligations des récipiendaires, des signes et mois de passe, des cantiques (c'est le nom qu'on leur donne) qui survent ces réceptions, ou sont chantés aux loges de tables qui accompagnent pour l'ordinaire les réceptions aux principaux grades. C'est lâ,
1 - Cette commission se composait des FM de la Chantcric, président,
Morand, Pillol, Detournay, Bessin, Arthaud, Janin, Sicard, ofliciers du
G:.O:. et avait pour rapporteur le F:. Vassal.
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dans les détails de ces grades, dans les développements oratoires
ou dialogues entre le vénérable, les surveillants et les candidats, dans l'ensemble surtout de tons les éléments constitutifs de la Maçonnerie, de ses grades et de ses rites, que sont pris sur le fait l'esprit, les tendances, les principes et les conséquences, le but et les moyens de ce Briarée aux cent bras et de ses agissements diversifiés à l'infini.
Cette source, si riche à première vue, offre de non moins incontestables garanties; c'est la sûreté donnée par les serments ou obligations imposées, dans la réception même des grades, à chaque récipiendaire, et sous les plus graves peines, de garder un silence absolu sur tout ce qui concerne la réception de ces grades, objet, mode, discours, circonstances diverses, sur tout ce qui se passe dans les loges, et d'en rien révéler par une voie quelconque.
La formule de ces serments, qu'on répète à la réception de chaque grade, tantôt plus courte, tantôt plus développée, d'après la différence des rites, est partout la même au fond. L'impression des manuels ou recueils des grades maçonniques et do tout ce qui s'y rapporte n'a donc pu se faire sans l'autorisation des Orients divers et sans leur explicite ou tacite approbation, ce qui leur donne l'autorité même de ces Grands-Orients et de toute la Maçonnerie.
A la garantie d'aussi redoutables serments, vient se joindre celle que fournissent à l'appui les constitutions et statuts de l'ordre dans tous les pays. Parmi les maçons frappés d'irrégularité, on compte, d'après l'article 203 de la constitution promulguée à la suite du rapport que nous avons cité plus haut : « Ceux qui, par la voie d'impression ou de toute autre manière, rendent publics les cahiers des grades et les mystères de la Franc-maçonnerie, enfin ceux qui publient les travaux des ateliers de la correspondance ou ceux du Grand-Orient sans Y autorisation spéciale... »
On lit aussi, art. 215 : « Ceux qui, par la voie de l'impression ou de la lithographie ou par tout autre moyen, ont rendu publics les cahiers des grades et les mystères de la Franc-maçonnerie, sont exclus à perpétuité des ateliers de la correspondance du Grand-Orient et ne peuvent, eu aucun cas, être réhabilités comme maçons. »
XLIIISymbolique des illuminées de Bavière, enfants de la veuves, fonder
par Adam Weisshaupt, en lien avec le G:.O:. lors de la transmission
de ses protocoles. Que désirer de plus? Et cependant nos recherches et nos preuves ne se sont pas bornées là : elles se sont corroborées des écrits de Weishaupt et de Knigge, des livres de St-Martin, de St-Simon, d'Enfantin, de Fourier et de leurs principaux disciples, des manifestes des fondateurs de l'internationale, Karl Marx, Odger, Fribourg, Tolain, Langlois, etc. ;des témoignages et du manifeste du duc de Brunswick, établi grand maître de la Maçonnerie par les députés des loges maçonniques de l'univers entier au convent de Willhemsbad ; du mémoire au congrès de Vérone du baron de Haugwitz, directeur des loges maçonniques en Prusse, en Allemagne, en Pologne et en Russie ; des discours tenus dans les princi..
XLIV
...pales loges d'Allemagne recueillis en livres par les maçons les
plus célèbres ou imprimés dans les revues et journaux maçonniques ; des récits du célèbre suédois Wit, dit Doéring, protégé du ministère Decazes, condisciple de Sand, l'assassin de Kotzebue, principe summo patriarcha de la Carbonara, et chargé de faire, comme inspecteur suprême, la correspondance de la haute Maçonnerie entre l'Allemagne, la France, la Suisse et l'Italie. Nous avons dépouillé les mémoires et les correspondances de Voltaire, ainsi que les doctrines morales et politiques des Helvétius, d'Alembert, Diderot, Rousseau, Gondorcet, Cabanis, tous éminents maçons, que le secrétaire du Grand-Orient, Bazot, nous assure être identiquement les mêmes que celles de la Maçonnerie.
A tous ces témoignages, à toutes ces autorités souveraines pour les francs-maçons, sont venus se joindre les jugements, les aveux, les faits et gestes des maçons les plus célèbres dans l'histoire, nous voulons dire les Mirabeau, Talleyrand-Périgord, Duport, Lafayette, Grégoire, Sieyès, Condorcet, Robespierre, Babeuf, Buonarotti, Cambacérès, Napoléon Bonaparte, Dupont de l'Eure, Crémieux, Michel de Bourges, Palmerston, Mazzini, Cavour, Enfantin ... »
XLV
Aussi bien quand on signale le rôle prépondérant joué par les sociétés secrètes dans la Révolution, on n'entend nullement nier les autres causes qui viennent joindre leur action à la leur. Être ondoyant et divers, l'homme obéit rarement à un mobile unique ; souvent il veut des choses contradictoires, mais il finit toujours par tomber du côté où il penche, sauf à se relever parfois par un secret instinct, contrairement aux lois de la logique et de l'équilibre.
Ainsi en est-il des nations : quand elles se sont abandonnées à la Révolution, elles ont subi l'impulsion des sectes anti-chrétiennes, mais elles ont aussi payé les peines de fautes et d'erreurs anciennes.
On ne saurait trop le reconnaître, l'exagération du pouvoir des princes à la suite des agitations causées par le protestantisme, et la suppression de la représentation régulière des différents intérêts sociaux dans les États du continent, avaient introduit en France, en Espagne, en Italie, pendant le siècle dernier, des causes de souffrance et des ferments d'irritation, qui firent accueillir avec enthousiasme par une société fatiguée et mal assise
le programme perfide de la Franc-maçonnerie, des philosophes et des illuminés. Les associations secrètes se multiplièrent d'autant plus que la vie publique s'était resserrée davantage. Ainsi les parasites se développent-ils sur les organismes malades.
XLVI
Les sectaires, qui ont fait la Révolution, ont dans toute l'Europe brisé violemment les bous rapports des classes, dissous ces grandes familles qui, comme des chênes séculaires, défendaient de vastes espaces contre les tempêtes, spolié et aboli par la force les corporations, ces institutions tutélaires dans lesquelles le génie des âges chrétiens avait élevé si haut moralement et économiquement les familles du peuple, détruit les coutumes qui fixaient au sol les travailleurs agricoles, et surtout, par le plus grand des crimes, ils ont, en arrachant la religion du cœur du peuple, enlevé l'espérance du ciel à ceux qu'ils ne pouvaient rassasier des biens de la terre !
Une fois ces destructions accomplies, les masses populaires laissées sans religion et sans protection, blessées dans leurs intérêts moraux et matériels, se livrent au socialisme. Les trade-unions, les sociétés de résistance, les groupes communistes se fondent comme d'eux-mêmes en dehors de la Maçonnerie et contrairement à la volonté de ses chefs. La suprême habileté de ceux-ci consiste à s'emparer de leur direction sans qu'ils s'en doutent, à les pénétrer de leur pensée anti-chrétienne, à faire marcher ces hordes affamées de jouissance de façon à ne pas être écrasés eux-mêmes.
C'est parfois des masses socialistes que l'on peut dire avec vérité que la haine anti-religieuse est accidentelle chez elles. On en a la preuve éclatante dans la facilité avec laquelle les chrétiens dévoués, qui s'adressent à la fois au coeur et aux intérêts de l'ouvrier, le ramènent à l'ordre. Le peuple est la première dupe et la plus grande victime de la Révolution !
XLVII
Parmi les personnes sous les yeux desquelles tomberont ces pages, beaucoup appartiendront à la Franc-maçonnerie, ou compteront des francs-maçons dans le cercle de leurs relations. Or, peut-être seront-elles surprises en comparant avec leurs impressions personnelles ce que nous venons de dire du rôle de la Maçonnerie et des sociétés secrètes dans les événements contemporains. On n'a jamais conspiré dans les loges dont elles faisaient partie. La Franc-maçonnerie leur est apparue sous l'aspect d'une association de bienfaisance et de sociabilité, qui procure des relations utiles à ses membres. Elle laisse chacun d'eux suivre en paix son culte et ne les a jamais molestés dans l'exercice de leur religion. La Franc-maçonnerie, diront-ils encore, repousse dans tous
ses actes publics, et par l'organe de ses grands maîtres réguliers, toute solidarité avec ces sociétés secrètes, dont on trouve la main dans les révolutions contemporaines, telles que la Charbonnerie, la Jeune-Europe, l'Alliance démocratique universelle, l'Internationale...
A ces objections nous allons répondre en décrivant sommairement l'organisation de la Franc-maçonnerie, en étudiant sa double action sur les doctrines et sur les faits, en précisant ses relations avec les autres sociétés secrètes, enfin en recherchant son secret et son but dernier.