Hervé Ryssen, vous venez de publier un livre qui met enfin en pleine lumière la logique mondialiste et ses soubassements religieux. Depuis trop longtemps, en effet, les intellectuels de la mouvance nationale n’osent pas aborder les « sujets qui fâchent » et s’interdisent de dénoncer la propagande cosmopolite. Pourriez-vous tout d’abord expliciter le titre de votre livre pour nos lecteurs ?
C’est très simple : je me suis penché sur la production écrite des intellectuels juifs afin de tenter de comprendre leur vision du monde. Après avoir lu des dizaines d’essais politiques, de romans et de récits en tout genre, je me suis aperçu que le mot « espérance » apparaissait régulièrement dans les textes. Il s’agit bien entendu pour eux de l’attente d’un monde meilleur, du messie et de la « terre promise ». Rappelons que si les chrétiens ont reconnu leur messie, les juifs attendent toujours le leur. Cette attente messianique est au cœur de la religion hébraïque et de la mentalité juive en général, y compris chez les juifs athées. C’est le point fondamental. Quant au terme « planétarien », c’est un néologisme qui ne signifie rien d’autre que l’aspiration à un monde sans frontière.
Mon travail est exclusivement centré sur les intellectuels juifs. Contrairement à ce que beaucoup de gens peuvent penser, l’utilisation du mot « juif » ne tombe pas encore sous le coup de la loi. Je sais bien que nombreux sont ceux dans le milieu nationaliste qui se mettent à avoir des sueurs à la simple évocation de ce mot, mais c’est probablement parce qu’ils craignent de tenir des propos antisémites, qui sont effectivement aujourd’hui lourdement condamnés. Personnellement, je n’éprouve nullement cette crainte, puisque mes travaux sont exclusivement basés sur la recherche à travers les sources hébraïques. Disons que j’ai une approche rationnelle du sujet, et, osons le dire, totalement dépassionnée.
On entend effectivement souvent parler chez les juifs de « terre promise » et de « messie », mais nous avons toujours du mal à comprendre ce que ces concepts signifient. La « terre promise », n’est-ce pas l’Etat d’Israël ?
Historiquement, c’est bien la terre du pays de Canaan, que Yahvé à donné à Abraham, ainsi qu’on peut le lire dans la Genèse, le premier livre de la Torah. Mais avant même la destruction du second Temple par les légions romaines de Titus et la dispersion, de nombreux juifs vivaient déjà dans la diaspora. Il n’en demeure pas moins qu’en 1917, avec la déclaration Balfour qui créait un « foyer juif en Palestine », certains juifs ont pu penser qu’en récupérant la « terre promise », les temps messianiques étaient enfin proches. Mais il ne faut pas oublier que d’autres juifs, beaucoup plus nombreux, pensaient à alors la même époque que cette terre promise se situait plus au Nord, dans cette immense Union soviétique où, après la révolution d’Octobre 1917, tant de juifs apparaissaient aux plus hauts échelons du pouvoir. Cependant, il suffit de lire des textes un peu plus anciens pour s’apercevoir qu’au XIXe siècle, c’était la France ─ le pays des droits de l’homme ─ qui soulevait tous les espoirs et constituait aux yeux des juifs du monde entier la « terre promise ». La Vienne du début du XXe siècle, ou l’Allemagne de Weimar durant l’entre-deux guerres ont aussi pu être considérées comme des « terres promises », tant la culture et la finance, notamment, étaient à ce moment-là très largement influencées par les banquiers, les intellectuels et les artistes d’origine juive.
On notera que cet espoir se termine toujours par une cruelle désillusion. Le fait est que l’Etat d’Israël ne constitue pas un havre de paix, c’est le moins que l’on puisse dire. Quant à la Russie judéo-bolchevique, elle s’est retournée contre les juifs qui ont été évincés du pouvoir après la Seconde Guerre mondiale. La « France des droits de l’homme » est aujourd’hui en voie de tiers-mondisation, et l’on entend depuis 2001 certains juifs appeler à fuir ce pays « antisémite », où les juifs subissent de plus en plus la colère des jeunes Arabes. Bref, pour les juifs, tout semble se finir toujours très mal, où qu’ils aillent, quoi qu’ils fassent.
La « terre promise » s’est aussi pendant longtemps incarnée dans le rêve américain. Dès les années 1880, des dizaines de milliers de juifs d’Europe centrale partent pour les Etats-Unis où ils espèrent une vie meilleure, loin des Cosaques, des pogroms et de ce tsar honni (« Rrk-tpff ! » ─ les juifs crachent par terre à l’évocation du tsar). Mais la « terre promise » la plus récente fut évidemment la Russie après l’effondrement du soviétisme. En quelques années, une poignée d’« oligarques » avait réussi à mettre le grappin sur une grande partie des richesses russes privatisées. Le plus connu d’entre eux, le milliardaire Khodorkovski, dort aujourd’hui dans les prisons de la nouvelle Russie de Vladimir Poutine. Manifestement, cette nouvelle « terre promise » n’a pas non plus été la bonne ! Bref, vous l’avez compris, depuis la sortie du ghetto, les juifs ne cessent de changer de « terre promise », et leur errance se termine systématiquement par une déception. Seuls les Etats-Unis représentent toujours à leurs yeux cet Eldorado et nourrissent encore leurs espérances. Mais pour combien de temps ?
Vous nous entretenez ici d’histoire et de géographie, mais le messianisme et l’idée de terre promise ne sont-ils pas plutôt des concepts religieux ?
Nous rentrons ici au cœur du sujet. Si vous allez discuter avec un rabbin dans la rue des Rosiers, il va immédiatement vous dire que les juifs aspirent par-dessus tout à l’instauration d’un monde de Paix, un monde dans lequel tous les conflits auront disparu, qu’il s’agisse des conflits sociaux, ou qu’il s’agisse des conflits entre races ou nations. C’est à ce monde de Paix universelle qu’il faut parvenir, parce que ce monde de Paix se confond pour eux avec les temps messianiques. Les auteurs sont ici assez clairs. Voici ce qu’écrit le philosophe Emmanuel Lévinas à ce sujet : « On peut grouper les promesses des prophètes en deux catégories : politique et sociale. L’aliénation qu’introduit l’arbitraire des puissances politiques dans toute entreprise humaine, disparaîtra ; mais l’injustice sociale, l’emprise des riches sur les pauvres disparaîtra en même temps que la violence politique… Quant au monde futur, poursuit-il, notre texte le définit comme “humanité unie dans un destin collectif ”. » (Difficile liberté, 1963, pp. 85-86.)
Le Grand Rabbin du Consistoire central, Jacob Kaplan a rappelé lui aussi dans Le vrai Visage du judaïsme (Stock, 1987) le passage célèbre qui est l’une des sources du messianisme juif : « le loup habitera avec la brebis, le tigre reposera avec le chevreau ; veau, lionceau, bélier vivront ensemble et un jeune enfant les conduira. » (Isaïe, XI, 6 à 9). « C’est évidemment une image, ajoute Kaplan, des relations qui s’établiront entre les nations, heureuses de maintenir entre elles l’union et la concorde. »
Dans son livre sur le messianisme, David Banon confirme bien cette vision du monde : « L’ère messianique telle qu’elle a été décrite par l’ensemble des prophètes consiste en la suppression de la violence politique et de l’injustice sociale . »
Les prophéties hébraïques nous promettent donc à la fois une progression de l’humanité vers un monde unifié, et parallèlement à cela, la suppression des inégalités sociales. On reconnaît là évidemment aussi bien les sources primitives du marxisme que celles qui inspirent aujourd’hui notre idéologie planétarienne en ce début de troisième millénaire, et qui, publicité aidant, fait rêver tant de nos concitoyens. Voilà le point central de la vision juive du monde. C’est de là qu’il faut partir si l’on veut comprendre l’univers mental des juifs. Et c’est ce qui explique que les juifs ont toujours le mot « paix » plein la bouche. Leur « combat pour la paix » est incessant.
Un exemple : En mars 2000, Chirac inaugura un « Mur pour la paix » sur le Champ de Mars, conçu par Clara Halter, l’épouse de l’écrivain Marek Halter : c’est une sorte de vestibule de verre, où la petite Clara a écrit le mot « Paix » en trente-deux langues, pour narguer, on imagine, les élèves-officiers de l’école militaire installés juste en face. Ces œuvres ont une signification religieuse que bien peu de goys peuvent déceler.
On peut donc avancer que le concept de « terre promise » ne signifie rien d’autre qu’un espoir de dimension planétaire, où toutes les nations auront disparu. C’est bien ce que nous dit le philosophe Edgar Morin, lorsqu’il écrit : « Nous n’avons pas la Terre promise, mais nous avons une aspiration, un vouloir, un mythe, un rêve : réaliser la Terre patrie . » Et c’est aussi ce dont parle Jacques Attali, dans L’Homme nomade : « faire du monde une terre promise . » C’est donc ce monde unifié, pacifié, qui sera la « terre promise ». Mais les textes nous laissent parfois penser que dans l’esprit de certains intellectuels, l’idée est prise au sens littéral : ce serait bien toute la Terre qui leur serait promise ! D’où certains comportement parfois un peu envahissants…
A en juger par la politique du président américain George Bush, il n’apparaît pas que les conseillers sionistes, qui sont nombreux à ses côtés, agissent en faveur du monde de « paix » dont vous parlez. Comment expliquez vous ces contradictions ?
Il est indéniable que les chefs de la communauté juive américaine ont une bonne part de responsabilité dans la guerre en Irak. Il faut être aveugle pour ne pas le voir ; il faut être de mauvaise foi pour le nier. Leur poids politique dans les gouvernements américains successifs a d’ailleurs toujours été important depuis le début du XXe siècle. Les nationalistes américains comme le fameux aviateur Charles Lindbergh dénonçait en son temps les pressions du « lobby juif » (aux Etats-Unis, c’est un lobby parmi d’autres) pour pousser un peuple trop isolationniste à la guerre contre l’Allemagne nazie. Déjà, dans les années vingt, le constructeur Henry Ford avait pris la mesure du problème et faisait largement diffuser ce type d’informations dans un journal créé à cet effet. On rappellera encore que Madeleine « Albright » et les faucons du département d’Etat américain ont pesé aussi de tout leur poids dans la guerre contre la Serbie en 1999. Vous avez donc parfaitement raison en soulignant cette contradiction entre la foi messianique et les « opérations terrestres », si je puis dire.
Mais c’est très sincèrement que l’on vous déclarera alors que ces guerres sont « œuvre de « paix » ! Écoutez un peu Elie Wiesel, un prix Nobel de la « paix », justement, qui était naturellement un ultra-belliciste en 1991, quand il s’agissait, d’aller bombarder l’Irak : « Il ne s’agit pas seulement d’aider le Koweït, disait-il alors, il s’agit de protéger le monde arabe tout entier. » Tout les Occidentaux devaient donc se mobiliser contre « le tueur de Bagdad », coupable de faire peser une menace sur l’Etat d’Israël : « A sa guerre, écrit Elie Wiesel, il est impératif de faire la guerre. A la force destructrice qu’il emploie contre l’humanité, il faut opposer une force plus grande pour que l’humanité reste en vie. Car il y va de la sécurité du monde civilisé, de son droit à la paix, et non seulement de l’avenir d’Israël… Soif de vengeance ? Non : soif de justice. Et de paix . »
Vous constatez ici que l’on n’hésite pas à se draper dans les grands idéaux de paix et d’amour quand il s’agit d’anéantir son ennemi. Mais il est bien entendu hors de question que l’Etat juif s’occupe lui-même de ces basses œuvres militaires. C’est là le travail des Occidentaux, qu’il s’agit donc de convaincre, par des campagnes de « sensibilisation », d’aller déboulonner le dictateur. Une fois votre ennemi vaincu, votre inlassable combat pour la démocratie et « pour la Paix » se retrouve à nouveau en phase avec la situation politique. Après avoir écrasé ses ennemis, effectivement, on est toujours pour la « paix ».
Vous parlez de « démocratie »… Quel rapport peut-il y avoir entre un système politique et la foi messianique ? La démocratie est-elle nécessaire à l’arrivée du messie ?
La démocratie n’a pas toujours été le seul cheval de bataille des espérances planétariennes. Pendant longtemps, l’idéal marxiste a aussi joué ce rôle. On sait que Marx lui-même, et la grande majorité des principaux doctrinaires et des chefs marxistes étaient juifs : Lénine avait des origines juives, Léon Trotsky, Rosa Luxemburg, Georg Lukacks, Ernest Mandel, etc., de même que la quasi totalité des leaders de mai 68. Ce n’est pas un hasard, et il n’y a guère que le petit militant communiste de base qui ne s’en rende pas compte. Le marxisme aspire à l’établissement d’un monde parfait, où les religions, comme les nations, auront disparu en même temps que les conflits sociaux. Ce schéma, on le constate, entre parfaitement dans le cadre messianique. La pensée de Marx n’est finalement que la sécularisation de l’eschatologie juive traditionnelle.
George Steiner a pu présenter le marxisme dans la perspective des prophéties bibliques : « Le marxisme, dit-il, est au fond un judaïsme qui s’impa¬tiente. Le Messie a trop tardé à venir ou, plus précisément, à ne pas venir. C’est à l’homme lui-même d’instaurer le royaume de la justice, sur cette terre, ici et maintenant… prêche Karl Marx dans ses manuscrits de 1844, où l’on reconnaît l’écho transparent de la phraséologie des Psaumes et des prophètes . »
Ni Marx, Ni Lénine, Ni Trotsky ne croyaient en Dieu, et pourtant, leurs origines juives apparaissent en pleine lumière à travers la grille de lecture du messianisme juif. Le marxisme politique a néanmoins été marginalisé en Europe depuis la chute du Mur de Berlin. Le fait est que, dans les projets d’unification planétaire, la démocratie a triomphé partout où le communisme a échoué. On constate cependant que les groupes d’extrême gauche continuent de bénéficier de toute l’attention médiatique dans les sociétés occidentales : c’est parce qu’ils représentent le fer de lance du projet de société égalitaire et multiraciale et canalisent dans un sens mondialiste les oppositions radicales que suscite le système libéral. Cette utopie mobilisatrice est toujours nécessaire à un système démocratique désespérant, qui ne propose à sa jeunesse que de déambuler dans les supermarchés. C’est donc niché à l’intérieur même de la démocratie que le marxisme rend finalement ses meilleurs services. Marxisme et démocratie sont deux forces absolument complémentaires et indispensables l’une à l’autre dans le projet d’édification de l’Empire global. Sans le communisme, les opposants se dirigeraient immanquablement vers les courants nationalistes, et le Système n’y survivrait pas.
C’est très simple : je me suis penché sur la production écrite des intellectuels juifs afin de tenter de comprendre leur vision du monde. Après avoir lu des dizaines d’essais politiques, de romans et de récits en tout genre, je me suis aperçu que le mot « espérance » apparaissait régulièrement dans les textes. Il s’agit bien entendu pour eux de l’attente d’un monde meilleur, du messie et de la « terre promise ». Rappelons que si les chrétiens ont reconnu leur messie, les juifs attendent toujours le leur. Cette attente messianique est au cœur de la religion hébraïque et de la mentalité juive en général, y compris chez les juifs athées. C’est le point fondamental. Quant au terme « planétarien », c’est un néologisme qui ne signifie rien d’autre que l’aspiration à un monde sans frontière.
Mon travail est exclusivement centré sur les intellectuels juifs. Contrairement à ce que beaucoup de gens peuvent penser, l’utilisation du mot « juif » ne tombe pas encore sous le coup de la loi. Je sais bien que nombreux sont ceux dans le milieu nationaliste qui se mettent à avoir des sueurs à la simple évocation de ce mot, mais c’est probablement parce qu’ils craignent de tenir des propos antisémites, qui sont effectivement aujourd’hui lourdement condamnés. Personnellement, je n’éprouve nullement cette crainte, puisque mes travaux sont exclusivement basés sur la recherche à travers les sources hébraïques. Disons que j’ai une approche rationnelle du sujet, et, osons le dire, totalement dépassionnée.
On entend effectivement souvent parler chez les juifs de « terre promise » et de « messie », mais nous avons toujours du mal à comprendre ce que ces concepts signifient. La « terre promise », n’est-ce pas l’Etat d’Israël ?
Historiquement, c’est bien la terre du pays de Canaan, que Yahvé à donné à Abraham, ainsi qu’on peut le lire dans la Genèse, le premier livre de la Torah. Mais avant même la destruction du second Temple par les légions romaines de Titus et la dispersion, de nombreux juifs vivaient déjà dans la diaspora. Il n’en demeure pas moins qu’en 1917, avec la déclaration Balfour qui créait un « foyer juif en Palestine », certains juifs ont pu penser qu’en récupérant la « terre promise », les temps messianiques étaient enfin proches. Mais il ne faut pas oublier que d’autres juifs, beaucoup plus nombreux, pensaient à alors la même époque que cette terre promise se situait plus au Nord, dans cette immense Union soviétique où, après la révolution d’Octobre 1917, tant de juifs apparaissaient aux plus hauts échelons du pouvoir. Cependant, il suffit de lire des textes un peu plus anciens pour s’apercevoir qu’au XIXe siècle, c’était la France ─ le pays des droits de l’homme ─ qui soulevait tous les espoirs et constituait aux yeux des juifs du monde entier la « terre promise ». La Vienne du début du XXe siècle, ou l’Allemagne de Weimar durant l’entre-deux guerres ont aussi pu être considérées comme des « terres promises », tant la culture et la finance, notamment, étaient à ce moment-là très largement influencées par les banquiers, les intellectuels et les artistes d’origine juive.
On notera que cet espoir se termine toujours par une cruelle désillusion. Le fait est que l’Etat d’Israël ne constitue pas un havre de paix, c’est le moins que l’on puisse dire. Quant à la Russie judéo-bolchevique, elle s’est retournée contre les juifs qui ont été évincés du pouvoir après la Seconde Guerre mondiale. La « France des droits de l’homme » est aujourd’hui en voie de tiers-mondisation, et l’on entend depuis 2001 certains juifs appeler à fuir ce pays « antisémite », où les juifs subissent de plus en plus la colère des jeunes Arabes. Bref, pour les juifs, tout semble se finir toujours très mal, où qu’ils aillent, quoi qu’ils fassent.
La « terre promise » s’est aussi pendant longtemps incarnée dans le rêve américain. Dès les années 1880, des dizaines de milliers de juifs d’Europe centrale partent pour les Etats-Unis où ils espèrent une vie meilleure, loin des Cosaques, des pogroms et de ce tsar honni (« Rrk-tpff ! » ─ les juifs crachent par terre à l’évocation du tsar). Mais la « terre promise » la plus récente fut évidemment la Russie après l’effondrement du soviétisme. En quelques années, une poignée d’« oligarques » avait réussi à mettre le grappin sur une grande partie des richesses russes privatisées. Le plus connu d’entre eux, le milliardaire Khodorkovski, dort aujourd’hui dans les prisons de la nouvelle Russie de Vladimir Poutine. Manifestement, cette nouvelle « terre promise » n’a pas non plus été la bonne ! Bref, vous l’avez compris, depuis la sortie du ghetto, les juifs ne cessent de changer de « terre promise », et leur errance se termine systématiquement par une déception. Seuls les Etats-Unis représentent toujours à leurs yeux cet Eldorado et nourrissent encore leurs espérances. Mais pour combien de temps ?
Vous nous entretenez ici d’histoire et de géographie, mais le messianisme et l’idée de terre promise ne sont-ils pas plutôt des concepts religieux ?
Nous rentrons ici au cœur du sujet. Si vous allez discuter avec un rabbin dans la rue des Rosiers, il va immédiatement vous dire que les juifs aspirent par-dessus tout à l’instauration d’un monde de Paix, un monde dans lequel tous les conflits auront disparu, qu’il s’agisse des conflits sociaux, ou qu’il s’agisse des conflits entre races ou nations. C’est à ce monde de Paix universelle qu’il faut parvenir, parce que ce monde de Paix se confond pour eux avec les temps messianiques. Les auteurs sont ici assez clairs. Voici ce qu’écrit le philosophe Emmanuel Lévinas à ce sujet : « On peut grouper les promesses des prophètes en deux catégories : politique et sociale. L’aliénation qu’introduit l’arbitraire des puissances politiques dans toute entreprise humaine, disparaîtra ; mais l’injustice sociale, l’emprise des riches sur les pauvres disparaîtra en même temps que la violence politique… Quant au monde futur, poursuit-il, notre texte le définit comme “humanité unie dans un destin collectif ”. » (Difficile liberté, 1963, pp. 85-86.)
Le Grand Rabbin du Consistoire central, Jacob Kaplan a rappelé lui aussi dans Le vrai Visage du judaïsme (Stock, 1987) le passage célèbre qui est l’une des sources du messianisme juif : « le loup habitera avec la brebis, le tigre reposera avec le chevreau ; veau, lionceau, bélier vivront ensemble et un jeune enfant les conduira. » (Isaïe, XI, 6 à 9). « C’est évidemment une image, ajoute Kaplan, des relations qui s’établiront entre les nations, heureuses de maintenir entre elles l’union et la concorde. »
Dans son livre sur le messianisme, David Banon confirme bien cette vision du monde : « L’ère messianique telle qu’elle a été décrite par l’ensemble des prophètes consiste en la suppression de la violence politique et de l’injustice sociale . »
Les prophéties hébraïques nous promettent donc à la fois une progression de l’humanité vers un monde unifié, et parallèlement à cela, la suppression des inégalités sociales. On reconnaît là évidemment aussi bien les sources primitives du marxisme que celles qui inspirent aujourd’hui notre idéologie planétarienne en ce début de troisième millénaire, et qui, publicité aidant, fait rêver tant de nos concitoyens. Voilà le point central de la vision juive du monde. C’est de là qu’il faut partir si l’on veut comprendre l’univers mental des juifs. Et c’est ce qui explique que les juifs ont toujours le mot « paix » plein la bouche. Leur « combat pour la paix » est incessant.
Un exemple : En mars 2000, Chirac inaugura un « Mur pour la paix » sur le Champ de Mars, conçu par Clara Halter, l’épouse de l’écrivain Marek Halter : c’est une sorte de vestibule de verre, où la petite Clara a écrit le mot « Paix » en trente-deux langues, pour narguer, on imagine, les élèves-officiers de l’école militaire installés juste en face. Ces œuvres ont une signification religieuse que bien peu de goys peuvent déceler.
On peut donc avancer que le concept de « terre promise » ne signifie rien d’autre qu’un espoir de dimension planétaire, où toutes les nations auront disparu. C’est bien ce que nous dit le philosophe Edgar Morin, lorsqu’il écrit : « Nous n’avons pas la Terre promise, mais nous avons une aspiration, un vouloir, un mythe, un rêve : réaliser la Terre patrie . » Et c’est aussi ce dont parle Jacques Attali, dans L’Homme nomade : « faire du monde une terre promise . » C’est donc ce monde unifié, pacifié, qui sera la « terre promise ». Mais les textes nous laissent parfois penser que dans l’esprit de certains intellectuels, l’idée est prise au sens littéral : ce serait bien toute la Terre qui leur serait promise ! D’où certains comportement parfois un peu envahissants…
A en juger par la politique du président américain George Bush, il n’apparaît pas que les conseillers sionistes, qui sont nombreux à ses côtés, agissent en faveur du monde de « paix » dont vous parlez. Comment expliquez vous ces contradictions ?
Il est indéniable que les chefs de la communauté juive américaine ont une bonne part de responsabilité dans la guerre en Irak. Il faut être aveugle pour ne pas le voir ; il faut être de mauvaise foi pour le nier. Leur poids politique dans les gouvernements américains successifs a d’ailleurs toujours été important depuis le début du XXe siècle. Les nationalistes américains comme le fameux aviateur Charles Lindbergh dénonçait en son temps les pressions du « lobby juif » (aux Etats-Unis, c’est un lobby parmi d’autres) pour pousser un peuple trop isolationniste à la guerre contre l’Allemagne nazie. Déjà, dans les années vingt, le constructeur Henry Ford avait pris la mesure du problème et faisait largement diffuser ce type d’informations dans un journal créé à cet effet. On rappellera encore que Madeleine « Albright » et les faucons du département d’Etat américain ont pesé aussi de tout leur poids dans la guerre contre la Serbie en 1999. Vous avez donc parfaitement raison en soulignant cette contradiction entre la foi messianique et les « opérations terrestres », si je puis dire.
Mais c’est très sincèrement que l’on vous déclarera alors que ces guerres sont « œuvre de « paix » ! Écoutez un peu Elie Wiesel, un prix Nobel de la « paix », justement, qui était naturellement un ultra-belliciste en 1991, quand il s’agissait, d’aller bombarder l’Irak : « Il ne s’agit pas seulement d’aider le Koweït, disait-il alors, il s’agit de protéger le monde arabe tout entier. » Tout les Occidentaux devaient donc se mobiliser contre « le tueur de Bagdad », coupable de faire peser une menace sur l’Etat d’Israël : « A sa guerre, écrit Elie Wiesel, il est impératif de faire la guerre. A la force destructrice qu’il emploie contre l’humanité, il faut opposer une force plus grande pour que l’humanité reste en vie. Car il y va de la sécurité du monde civilisé, de son droit à la paix, et non seulement de l’avenir d’Israël… Soif de vengeance ? Non : soif de justice. Et de paix . »
Vous constatez ici que l’on n’hésite pas à se draper dans les grands idéaux de paix et d’amour quand il s’agit d’anéantir son ennemi. Mais il est bien entendu hors de question que l’Etat juif s’occupe lui-même de ces basses œuvres militaires. C’est là le travail des Occidentaux, qu’il s’agit donc de convaincre, par des campagnes de « sensibilisation », d’aller déboulonner le dictateur. Une fois votre ennemi vaincu, votre inlassable combat pour la démocratie et « pour la Paix » se retrouve à nouveau en phase avec la situation politique. Après avoir écrasé ses ennemis, effectivement, on est toujours pour la « paix ».
Vous parlez de « démocratie »… Quel rapport peut-il y avoir entre un système politique et la foi messianique ? La démocratie est-elle nécessaire à l’arrivée du messie ?
La démocratie n’a pas toujours été le seul cheval de bataille des espérances planétariennes. Pendant longtemps, l’idéal marxiste a aussi joué ce rôle. On sait que Marx lui-même, et la grande majorité des principaux doctrinaires et des chefs marxistes étaient juifs : Lénine avait des origines juives, Léon Trotsky, Rosa Luxemburg, Georg Lukacks, Ernest Mandel, etc., de même que la quasi totalité des leaders de mai 68. Ce n’est pas un hasard, et il n’y a guère que le petit militant communiste de base qui ne s’en rende pas compte. Le marxisme aspire à l’établissement d’un monde parfait, où les religions, comme les nations, auront disparu en même temps que les conflits sociaux. Ce schéma, on le constate, entre parfaitement dans le cadre messianique. La pensée de Marx n’est finalement que la sécularisation de l’eschatologie juive traditionnelle.
George Steiner a pu présenter le marxisme dans la perspective des prophéties bibliques : « Le marxisme, dit-il, est au fond un judaïsme qui s’impa¬tiente. Le Messie a trop tardé à venir ou, plus précisément, à ne pas venir. C’est à l’homme lui-même d’instaurer le royaume de la justice, sur cette terre, ici et maintenant… prêche Karl Marx dans ses manuscrits de 1844, où l’on reconnaît l’écho transparent de la phraséologie des Psaumes et des prophètes . »
Ni Marx, Ni Lénine, Ni Trotsky ne croyaient en Dieu, et pourtant, leurs origines juives apparaissent en pleine lumière à travers la grille de lecture du messianisme juif. Le marxisme politique a néanmoins été marginalisé en Europe depuis la chute du Mur de Berlin. Le fait est que, dans les projets d’unification planétaire, la démocratie a triomphé partout où le communisme a échoué. On constate cependant que les groupes d’extrême gauche continuent de bénéficier de toute l’attention médiatique dans les sociétés occidentales : c’est parce qu’ils représentent le fer de lance du projet de société égalitaire et multiraciale et canalisent dans un sens mondialiste les oppositions radicales que suscite le système libéral. Cette utopie mobilisatrice est toujours nécessaire à un système démocratique désespérant, qui ne propose à sa jeunesse que de déambuler dans les supermarchés. C’est donc niché à l’intérieur même de la démocratie que le marxisme rend finalement ses meilleurs services. Marxisme et démocratie sont deux forces absolument complémentaires et indispensables l’une à l’autre dans le projet d’édification de l’Empire global. Sans le communisme, les opposants se dirigeraient immanquablement vers les courants nationalistes, et le Système n’y survivrait pas.