Le 29 avril 2009, l’assemblée nationale a commencé l’étude en 2ème lecture de la loi Hadopi. Dans mon précédent article, j’ai tenté de montrer en quoi ce texte est potentiellement dangereux pour le net Français et pourquoi il est déjà dépassé techniquement. Cependant, un autre point me semble également intéressant : cette loi est autant gênante par son contenu que par ses omissions. Suite à l’évolution rapide des technologies que nous avons connue ces 15 dernières années, de nombreuses questions mériteraient d’être posées. Hors la loi Hadopi, outre son caractère liberticide, n’offre aucune réflexion en profondeur. Elle ne prévoit entre autres aucun changement dans le mode de rémunération des artistes, et semble vouloir pérenniser le système actuel sans réfléchir aux atouts que pourrait apporter la dématérialisation des échanges. Pour Christine Albanel, l’offre légale actuelle est suffisante et abordable, à tel point « qu’il n’y a pas du tout besoin de télécharger illégalement ». Je vous propose un petit tour de l’offre légale et illégale où nous verrons que tout n’est pas si parfait. J’essaierai également d’élargir le débat sur les possibilités qu’offrent la technologie à l’industrie culturelle.
Le piratage, ou l’histoire d’un acte manqué
Pour cela je vais commencer par vous raconter mon expérience personnelle dans le domaine. Tout commence en 1997, alors que j’expérimente ma première connexion internet. Certes les adresses en "http://" ont commencées à fleurir en bas des pages de publicité, mais en réalité le réseau en est encore à ses débuts. Les offres sont limitées (les forfait dépassent rarement 20h), le débit sont très faibles (5Ko/sec par beau temps, donc plus de 3 minutes pour télécharger 1Mo de données), les déconnexions sont fréquentes et la plupart des pages webs françaises sont faites artisanalement par des amateurs. Cependant, ayant pris l’habitude d’écouter mes CDs audio sur ordinateur et constatant leur inexorable empilement (c’était l’époque glorieuse où AOL, Infonie, Club Internet et consorts distribuaient leurs offre sur CDs), j’ai cherché s’il existait un moyen de stocker ma musique sur ordinateur. C’est alors que j’ai découvert l’algorithme qui a révolutionné la musique : le MP3.
Cet algorithme, publié en 1995 par l’institut Fraunhoffer, permet de couper les fréquences inaudibles par l’oreille humaine et réduit ainsi drastiquement la taille d’un fichier audio : 1 méga octet de donnée permet alors de stocker environ 1 minute de musique, contre 8 à 20 Mo auparavant. Ainsi, un CD audio qui permettait de contenir environ 74 minutes de musique, pouvait désormais en contenir environ 650 (soit plus de 10h). De plus, les fichiers étaient désormais copiable d’ordinateurs à ordinateurs : la dématérialisation de la musique était née. Ma première tâche a donc été de copier mes CDs au format MP3 sur mon ordinateur. Cependant cette tâche était assez fastidieuse étant donné les fréquences des processeurs de l’époque. En effet, il fallait compter environ 1h entre le "ripage" d’une piste jusqu’à sa compression au format MP3, soit de 10 à 15h pour un CD. J’ai donc rapidement cherché s’il était possible d’acheter directement la musique au format MP3, ce qui semblait réaliste puisque le format existait depuis déjà 2 ans. Mais ma déception a été grande : aucun site ne proposait de télécharger légalement de la musique. La seule musique numérique proposée légalement se résumait à des extraits au format Real Audio pour inciter à acheter le CD. C’est à ce moment que je me suis tourné vers les sites "illégaux" qui proposaient des MP3, et que je suis devenu par la force des choses un pirate. Ces sites étaient à l’époque tenus par des particuliers qui proposaient gratuitement les MP3 qu’ils avaient laborieusement compressés. Souvent hébergés sur des serveurs privés (les fameux FTP), les fichiers étaient dur à trouver (de nombreux liens brisés), mettaient très longtemps à se télécharger (un échec de téléchargement obligeant à reprendre à zéro) et avaient parfois une qualité médiocre. A cette époque, une offre légale aurait donc été la bienvenue, tant le système d’échange des MP3s était pénible.
Puis, en 1999, apparaît un programme qui révolutionne les échanges de fichiers : Napster. Ce programme permet de visualiser tous les fichiers partagés par les internautes et de télécharger ceux qui nous intéressent. Les débits n’ont certes pas beaucoup progressés en 2 ans, mais le système permet au moins d’épargner le temps de recherche et de faciliter le téléchargement (plus besoin de tout recommencer en cas d’échec). A partir de ce moment, l’échange de fichiers audio va se démocratiser et connaître l’engouement que l’on connaît. Cependant, les majors se rendent compte de l’ampleur du phénomène et font fermer Napster en 2001, qui sera aussitôt remplacé par le réseau GNUtella (Kazaa et eDonkey étant les principaux clients). La vague du Peer to Peer est désormais lancée et rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Enfin, en 2003, iTunes Store fait son apparition. C’est la première plateforme légale à proposer le catalogue des 5 grandes majors du disque (EMI, Universal, Warner, Sony Music Entertainment et BMG). Il a donc fallu 6 ans (8 ans si on compte l’invention du MP3) pour qu’une offre légale exhaustive fasse son apparition sur Internet ! Si les prix peuvent sembler raisonnables (0,99€ par titre), le principal défaut est que les fichiers sont protégés par DRM, protection imposée par les majors qui craignent que les fichiers achetés légalement ne soient ensuite échangés. Ainsi, un fichier téléchargé légalement ne peut être lu que sur certaines plateformes (Windows, Mac et les iPods). Pire, changer un composant sur votre ordinateur rend tous vos fichiers illisibles et vous devez alors les racheter. De plus, un fichier acheté légalement n’est pas lisible sur un baladeur MP3 vendu dans le commerce, alors que ceux-ci ont déjà commencé à se démocratiser à l’époque. Ainsi, on voit clairement que l’offre légale est dès le départ partie perdante avec les DRMs. Une offre dématérialisée était certes disponible, mais elle offrait un service inférieur au compact disc : qualité moins bonne et fichiers non échangeables (contrairement aux CDs) ! Puis, en avril 2009, Apple annonce enfin la suppression des DRMs sur l’ensemble de son catalogue.
Il a donc fallu 10 ans pour qu’une offre légale payante arrive à égaler Napster, et encore... Il est déconseillé d’échanger ou de prêter les fichiers audio téléchargés légalement, ceux-ci contenant les références de l’acheteur.
L’offre légale de films (ou vidéo à la demande) est quant à elle toujours aussi pauvre. Elle est très peu fournie (seuls les derniers blockbusters sont proposés, 7 mois et demi après leur sortie), les fichiers ont des DRMs (utilisables que sous Windows, sur une seule machine, et les fichiers sont inutilisables si on change un composant du PC), la qualité est passable, le tout pour le même prix qu’un DVD... Le message ici est donc clair : n’achetez pas des films en ligne, achetez des DVDs ! Je parlerais donc très peu de l’offre cinématographique dans la suite de l’article.
Pourquoi une évolution si lente ?
Pourquoi les majors se sont-ils désespérément accrochés aux supports physiques ? Outre la peur de l’inconnu, qui n’a toujours pas été surmontée en 2009, un autre argument me semble pertinent. Pour cela, voyons comment sont répartis les gains sur la vente d’un CD :
Pour un disque vendu 13.34 € HT :
* Distributeur : 5.18 € --- 39%
* Editeur : 3.82 € --- 29%
* Producteur : 2.59 € --- 19%
* Interprète : 1.17 € --- 9%
* Auteur : 0.29 € --- 2%
* Compositeur : 0.29 € --- 2%
Premier constat : c’est le distributeur qui engrange le plus de gains (5,18€), avec l’éditeur (3,82€). Hors, avec une musique dématérialisée, ces frais disparaissent. Les premiers à vouloir freiner le développement de l’offre légale sur internet ont donc été les distributeurs (en particulier les grandes surfaces), qui possédaient à l’époque le principal moyen de diffusion de la musique et ont encore aujourd’hui de forts moyens de pression. Vient ensuite pour la répartition des gains le producteur, donc la maison de disque, qui touche 2,59€. Hors, certaines majors se chargent elles-mêmes de l’édition et de la distribution, et peuvent donc toucher jusqu’à 87% de la somme. Quant aux artistes, ils touchent en tout 1,75€, à se répartir entre eux.
Sur iTunes, la répartition est encore plus déséquilibrée. Sur un titre vendu 0,99€, Apple reverse 0,70€ à la maison de disque, celle-ci reversant ensuite 9 centimes aux artistes. La maison de disque va dans tous les cas toucher 61% de la somme, et l’artiste seulement 10% (contre 13% pour un CD). En Octobre 2008, la CRB (commission en charge de la répartition des royalties aux Etats Unis) demanda à ce que la part des artistes passe de 9 à 15 centimes par titre vendu (2). L’industrie du disque demanda alors à iTunes de payer la différence. Itunes Store menaça alors de fermer boutique, car amputer sa marge (qui est de 29 centimes) de 6 centimes supplémentaires l’aurait conduit à vendre à perte. Dans certains cas, la maison de disque "oublie" même de payer la part revenant à l’artiste (3).
On le voit, les plus gros revenus sont réservés aux maisons de disque. Ces gains sont-ils réellement indus ? Quelques nuances méritent d’être apportées.
Les majors, d’odieux exploiteurs ?
Pas tout à fait. L’industrie du disque est une industrie qui à la base fonctionne à flux poussé. Il faut d’abord créer le produit (enregistrement et édition du CD), puis le pousser sur le marché (marketing) pour qu’enfin il trouve son public qui va acheter le CD et rentabiliser l’investissement. Produire un nouvel artiste inconnu du public correspond donc à un risque pour les maisons de disque. De mauvaises ventes signifient des pertes importantes, car produire un CD et le pousser sur le marché coûte très cher, les dépenses marketing étant forcément plus importantes pour un nouvel artiste. Ainsi le groupe Kassav (groupe de musique Créole qui s’autoproduit) a récemment envoyé à PCInpact le détail des dépenses pour la production et la mise sur la marché de leur dernier CD (4) : la facture s’élève à 176663€ (dont 65500€ de marketing). Si on considère que Kassav touche en tant qu’artiste et producteur 4,34€ par CD, il lui faudra en vendre 40705 pour rentabiliser son investissement (ce qui n’est pas énorme pour un groupe mondialement connu, mais peut être dur à atteindre pour de "petits" artistes). Une fois l’artiste lancé, les dépenses marketing vont pouvoir se réduire et la rentabilité va augmenter. Ces recettes supplémentaires peuvent ainsi servir à la maison de disque à financer des nouveaux artistes et faire des bénéfices. De plus, les médias dominants (télé et radio) étant encore sur un modèle de diffusion "mainstream" dont le temps d’antenne est limité, il est nécessaire de faire appel à de grosses structures pour y être représenté. Dans une certaine mesure, les revenus des majors peuvent donc se justifier en raison du risque encouru et de la nécessité d’assurer la visibilité des nouveaux artistes sur les médias mainstream.
Cependant au début des années 90 (bien avant le début du piratage), l’industrie du disque a de plus en plus cherché à réduire les risques en fonctionnant à flux tendu. Il s’agissait alors non pas de faire connaitre un artiste nouveau au public, mais de produire des artistes répondant à la mode du moment (souvenez vous des Boys Bands...) ou ayant déjà acquis une certaine notoriété (la Star Academy est le meilleur exemple). Le risque encouru est de ce fait réduit puisque le public est quasi certain de répondre à l’appel. Les profits à court terme sont de plus privilégiés, les maisons de disque préférant exploiter à fond le potentiel d’un artiste, quitte à le surexposer et le rendre très vite "has been". La méthode permet de rentabiliser l’investissement à très court terme et de constamment inonder le marché de produits nouveaux.
Le piratage, ou l’histoire d’un acte manqué
Pour cela je vais commencer par vous raconter mon expérience personnelle dans le domaine. Tout commence en 1997, alors que j’expérimente ma première connexion internet. Certes les adresses en "http://" ont commencées à fleurir en bas des pages de publicité, mais en réalité le réseau en est encore à ses débuts. Les offres sont limitées (les forfait dépassent rarement 20h), le débit sont très faibles (5Ko/sec par beau temps, donc plus de 3 minutes pour télécharger 1Mo de données), les déconnexions sont fréquentes et la plupart des pages webs françaises sont faites artisanalement par des amateurs. Cependant, ayant pris l’habitude d’écouter mes CDs audio sur ordinateur et constatant leur inexorable empilement (c’était l’époque glorieuse où AOL, Infonie, Club Internet et consorts distribuaient leurs offre sur CDs), j’ai cherché s’il existait un moyen de stocker ma musique sur ordinateur. C’est alors que j’ai découvert l’algorithme qui a révolutionné la musique : le MP3.
Cet algorithme, publié en 1995 par l’institut Fraunhoffer, permet de couper les fréquences inaudibles par l’oreille humaine et réduit ainsi drastiquement la taille d’un fichier audio : 1 méga octet de donnée permet alors de stocker environ 1 minute de musique, contre 8 à 20 Mo auparavant. Ainsi, un CD audio qui permettait de contenir environ 74 minutes de musique, pouvait désormais en contenir environ 650 (soit plus de 10h). De plus, les fichiers étaient désormais copiable d’ordinateurs à ordinateurs : la dématérialisation de la musique était née. Ma première tâche a donc été de copier mes CDs au format MP3 sur mon ordinateur. Cependant cette tâche était assez fastidieuse étant donné les fréquences des processeurs de l’époque. En effet, il fallait compter environ 1h entre le "ripage" d’une piste jusqu’à sa compression au format MP3, soit de 10 à 15h pour un CD. J’ai donc rapidement cherché s’il était possible d’acheter directement la musique au format MP3, ce qui semblait réaliste puisque le format existait depuis déjà 2 ans. Mais ma déception a été grande : aucun site ne proposait de télécharger légalement de la musique. La seule musique numérique proposée légalement se résumait à des extraits au format Real Audio pour inciter à acheter le CD. C’est à ce moment que je me suis tourné vers les sites "illégaux" qui proposaient des MP3, et que je suis devenu par la force des choses un pirate. Ces sites étaient à l’époque tenus par des particuliers qui proposaient gratuitement les MP3 qu’ils avaient laborieusement compressés. Souvent hébergés sur des serveurs privés (les fameux FTP), les fichiers étaient dur à trouver (de nombreux liens brisés), mettaient très longtemps à se télécharger (un échec de téléchargement obligeant à reprendre à zéro) et avaient parfois une qualité médiocre. A cette époque, une offre légale aurait donc été la bienvenue, tant le système d’échange des MP3s était pénible.
Puis, en 1999, apparaît un programme qui révolutionne les échanges de fichiers : Napster. Ce programme permet de visualiser tous les fichiers partagés par les internautes et de télécharger ceux qui nous intéressent. Les débits n’ont certes pas beaucoup progressés en 2 ans, mais le système permet au moins d’épargner le temps de recherche et de faciliter le téléchargement (plus besoin de tout recommencer en cas d’échec). A partir de ce moment, l’échange de fichiers audio va se démocratiser et connaître l’engouement que l’on connaît. Cependant, les majors se rendent compte de l’ampleur du phénomène et font fermer Napster en 2001, qui sera aussitôt remplacé par le réseau GNUtella (Kazaa et eDonkey étant les principaux clients). La vague du Peer to Peer est désormais lancée et rien ne semble pouvoir l’arrêter.
Enfin, en 2003, iTunes Store fait son apparition. C’est la première plateforme légale à proposer le catalogue des 5 grandes majors du disque (EMI, Universal, Warner, Sony Music Entertainment et BMG). Il a donc fallu 6 ans (8 ans si on compte l’invention du MP3) pour qu’une offre légale exhaustive fasse son apparition sur Internet ! Si les prix peuvent sembler raisonnables (0,99€ par titre), le principal défaut est que les fichiers sont protégés par DRM, protection imposée par les majors qui craignent que les fichiers achetés légalement ne soient ensuite échangés. Ainsi, un fichier téléchargé légalement ne peut être lu que sur certaines plateformes (Windows, Mac et les iPods). Pire, changer un composant sur votre ordinateur rend tous vos fichiers illisibles et vous devez alors les racheter. De plus, un fichier acheté légalement n’est pas lisible sur un baladeur MP3 vendu dans le commerce, alors que ceux-ci ont déjà commencé à se démocratiser à l’époque. Ainsi, on voit clairement que l’offre légale est dès le départ partie perdante avec les DRMs. Une offre dématérialisée était certes disponible, mais elle offrait un service inférieur au compact disc : qualité moins bonne et fichiers non échangeables (contrairement aux CDs) ! Puis, en avril 2009, Apple annonce enfin la suppression des DRMs sur l’ensemble de son catalogue.
Il a donc fallu 10 ans pour qu’une offre légale payante arrive à égaler Napster, et encore... Il est déconseillé d’échanger ou de prêter les fichiers audio téléchargés légalement, ceux-ci contenant les références de l’acheteur.
L’offre légale de films (ou vidéo à la demande) est quant à elle toujours aussi pauvre. Elle est très peu fournie (seuls les derniers blockbusters sont proposés, 7 mois et demi après leur sortie), les fichiers ont des DRMs (utilisables que sous Windows, sur une seule machine, et les fichiers sont inutilisables si on change un composant du PC), la qualité est passable, le tout pour le même prix qu’un DVD... Le message ici est donc clair : n’achetez pas des films en ligne, achetez des DVDs ! Je parlerais donc très peu de l’offre cinématographique dans la suite de l’article.
Pourquoi une évolution si lente ?
Pourquoi les majors se sont-ils désespérément accrochés aux supports physiques ? Outre la peur de l’inconnu, qui n’a toujours pas été surmontée en 2009, un autre argument me semble pertinent. Pour cela, voyons comment sont répartis les gains sur la vente d’un CD :
Pour un disque vendu 13.34 € HT :
* Distributeur : 5.18 € --- 39%
* Editeur : 3.82 € --- 29%
* Producteur : 2.59 € --- 19%
* Interprète : 1.17 € --- 9%
* Auteur : 0.29 € --- 2%
* Compositeur : 0.29 € --- 2%
Premier constat : c’est le distributeur qui engrange le plus de gains (5,18€), avec l’éditeur (3,82€). Hors, avec une musique dématérialisée, ces frais disparaissent. Les premiers à vouloir freiner le développement de l’offre légale sur internet ont donc été les distributeurs (en particulier les grandes surfaces), qui possédaient à l’époque le principal moyen de diffusion de la musique et ont encore aujourd’hui de forts moyens de pression. Vient ensuite pour la répartition des gains le producteur, donc la maison de disque, qui touche 2,59€. Hors, certaines majors se chargent elles-mêmes de l’édition et de la distribution, et peuvent donc toucher jusqu’à 87% de la somme. Quant aux artistes, ils touchent en tout 1,75€, à se répartir entre eux.
Sur iTunes, la répartition est encore plus déséquilibrée. Sur un titre vendu 0,99€, Apple reverse 0,70€ à la maison de disque, celle-ci reversant ensuite 9 centimes aux artistes. La maison de disque va dans tous les cas toucher 61% de la somme, et l’artiste seulement 10% (contre 13% pour un CD). En Octobre 2008, la CRB (commission en charge de la répartition des royalties aux Etats Unis) demanda à ce que la part des artistes passe de 9 à 15 centimes par titre vendu (2). L’industrie du disque demanda alors à iTunes de payer la différence. Itunes Store menaça alors de fermer boutique, car amputer sa marge (qui est de 29 centimes) de 6 centimes supplémentaires l’aurait conduit à vendre à perte. Dans certains cas, la maison de disque "oublie" même de payer la part revenant à l’artiste (3).
On le voit, les plus gros revenus sont réservés aux maisons de disque. Ces gains sont-ils réellement indus ? Quelques nuances méritent d’être apportées.
Les majors, d’odieux exploiteurs ?
Pas tout à fait. L’industrie du disque est une industrie qui à la base fonctionne à flux poussé. Il faut d’abord créer le produit (enregistrement et édition du CD), puis le pousser sur le marché (marketing) pour qu’enfin il trouve son public qui va acheter le CD et rentabiliser l’investissement. Produire un nouvel artiste inconnu du public correspond donc à un risque pour les maisons de disque. De mauvaises ventes signifient des pertes importantes, car produire un CD et le pousser sur le marché coûte très cher, les dépenses marketing étant forcément plus importantes pour un nouvel artiste. Ainsi le groupe Kassav (groupe de musique Créole qui s’autoproduit) a récemment envoyé à PCInpact le détail des dépenses pour la production et la mise sur la marché de leur dernier CD (4) : la facture s’élève à 176663€ (dont 65500€ de marketing). Si on considère que Kassav touche en tant qu’artiste et producteur 4,34€ par CD, il lui faudra en vendre 40705 pour rentabiliser son investissement (ce qui n’est pas énorme pour un groupe mondialement connu, mais peut être dur à atteindre pour de "petits" artistes). Une fois l’artiste lancé, les dépenses marketing vont pouvoir se réduire et la rentabilité va augmenter. Ces recettes supplémentaires peuvent ainsi servir à la maison de disque à financer des nouveaux artistes et faire des bénéfices. De plus, les médias dominants (télé et radio) étant encore sur un modèle de diffusion "mainstream" dont le temps d’antenne est limité, il est nécessaire de faire appel à de grosses structures pour y être représenté. Dans une certaine mesure, les revenus des majors peuvent donc se justifier en raison du risque encouru et de la nécessité d’assurer la visibilité des nouveaux artistes sur les médias mainstream.
Cependant au début des années 90 (bien avant le début du piratage), l’industrie du disque a de plus en plus cherché à réduire les risques en fonctionnant à flux tendu. Il s’agissait alors non pas de faire connaitre un artiste nouveau au public, mais de produire des artistes répondant à la mode du moment (souvenez vous des Boys Bands...) ou ayant déjà acquis une certaine notoriété (la Star Academy est le meilleur exemple). Le risque encouru est de ce fait réduit puisque le public est quasi certain de répondre à l’appel. Les profits à court terme sont de plus privilégiés, les maisons de disque préférant exploiter à fond le potentiel d’un artiste, quitte à le surexposer et le rendre très vite "has been". La méthode permet de rentabiliser l’investissement à très court terme et de constamment inonder le marché de produits nouveaux.