« En 1990, 9,5 millions de retraitésCampagne du gouvernement sur les retraites - avril 2010
En 2010, 16 millions de retraités
En 2030, 21 millions de retraités. »
Avec des slogans de ce type, dans le cadre d’une campagne de communication de plus de 5 millions d’euros, le trio Sarkozy-Fillon-Woerth a lancé il y a quelques semaines la « réforme des retraites ». Objectif de cette première phase : persuader les Français que « ça ne peut plus durer comme ça », qu’il « va falloir faire quelque chose » et que, compte tenu de l’augmentation du nombre des retraités, nous allons devoir nous résigner à cotiser plus longtemps… et à percevoir moins.
Présenté sous cet angle, le débat est complètement biaisé, faussé. Ne traiter que de la question des retraites en l’isolant du thème beaucoup plus large de la rémunération du travail et de la répartition des richesses, c’est vouloir, dès le départ, que l’arbre cache la forêt.
Prenons donc un peu de recul et revenons aux « fondamentaux » des relations entre coût du travail et partage de la valeur générée par le travail.
Pourquoi rémunère-t-on un salarié ? Tout simplement parce qu’il « rapporte », c’est-à-dire qu’il « dégage » une certaine productivité, créant ainsi, pour son employeur, un montant de richesses supérieur au salaire qui lui est versé.
Cette productivité, cette richesse créée par le travailleur, permet :
– de le rémunérer sous forme de salaire ;
– de dégager une marge, un profit, pour l’entreprise qui l’emploie ;
– de régler les retraites de ceux qui ne travaillent plus (si l’on se trouve dans un système de retraite par répartition) ou de constituer une épargne pour les futurs retraités (dans un système de retraite par capitalisation).
En toute logique, plus la productivité du travailleur augmente, plus il crée de richesses, plus son salaire devrait augmenter, comme devraient croître le bénéfice de l’entreprise et la somme versée ou épargnée pour les retraites.
Est-ce le cas ? Un simple coup d’œil au graphique ci-dessous (source des chiffres : INSEE) va permettre de comprendre l’état de la situation… et la véritable nature du problème.
Productivité et salaires
Comme on le voit, pendant une vingtaine d’années, de 1959 à 1979, tout gain de productivité se traduisait automatiquement par une hausse équivalente des salaires. Et puis, à compter du début des années 1980, tout déraille : la productivité des salariés continue de s’améliorer mais les salaires décrochent. Trente ans après ce décrochage, ils sont aujourd’hui 35 % inférieurs à ce qu’ils devraient être s’ils avaient augmenté en phase avec les gains de productivité !
De plus, ce graphique ne reflète pas un élément aggravant qui a pris naissance à la même époque : plus élevé le salaire, plus forte la hausse dont il a bénéficié.
Ainsi, en 10 ans, les 0,1 % de salariés les mieux rémunérés (environ 13 000 personnes en France) ont vu leur salaire mensuel progresser de 28 %, inflation déduite, soit un gain de 5 426 € par mois (oui, par mois…) alors que 90 % des salariés n’ont enregistré aucune progression significative.
Pour 90 % des salariés, la rémunération est donc restée à peu près la même (inflation déduite) entre 2000 et 2010 ! La conséquence ? En 30 ans, l’écart entre augmentation de la productivité et augmentation des salaires (hormis les salaires les plus élevés) atteint 45 % ! Vous avez bien lu : si, ces trente dernières années, votre salaire avait augmenté dans les mêmes proportions que votre productivité, vous seriez rémunéré 45 % de plus qu’aujourd’hui !
Mais où sont allés tous ces gains de productivité ? Qui en a bénéficié ? Les entreprises, tout simplement, sous la forme d’une véritable explosion des bénéfices, lesquels, ne trouvant pas à s’employer dans l’investissement productif faute d’une demande solvable suffisante, se sont rués vers la finance et l’investissement spéculatif, générant des « bulles » boursières à répétition. Mais ceci est une autre histoire qui fera certainement l’objet d’un prochain billet…
Revenons au cœur de notre sujet en mettant en perspective, au niveau national, les montants des salaires d’une part, des bénéfices d’autre part. La masse totale des salaires de l’ensemble des entreprises du secteur privé est de l’ordre de 500 milliards d’euros par an. En comparaison, les 40 sociétés du CAC 40 « dégagent » 100 milliards d’euros de bénéfices par an (à l’exception de 2009, « mauvaise année » où les bénéfices n’ont été « que » de 47 milliards d’euros). 40 entreprises réalisent donc un bénéfice égal au cinquième de la rémunération de tous les salariés du privé en France !
On le comprend mieux : aborder uniquement la question des retraites avec pour seul objectif de faire peser la charge de leur paiement sur les seuls salariés, c’est traiter volontairement le problème par le petit bout de la lorgnette et c’est surtout charger encore plus la barque de ceux qui, depuis 30 ans, n’ont absolument pas bénéficié des efforts qu’ils ont réalisés pour augmenter la productivité des entreprises, notamment des plus grandes.
Poursuivons en effet le calcul : le rattrapage de l’écart existant entre augmentation cumulée de la productivité et augmentation cumulée des salaires (35 à 45 % selon le mode de calcul ; voir ci-dessus) représente 168 à 216 milliards d’euros par an. Dans ces conditions, la centaine de milliards d’euros de déficit du régime des retraites que l’on nous présente comme un épouvantail est tout à fait « absorbable » par les entreprises, notamment les plus importantes, qui ont profité à plein, depuis 30 ans d’une productivité sans cesse accrue de leurs collaborateurs, sans les en faire bénéficier en retour.
Lundi
La Lettre du Lundi 2010
http://lalettredulundi.fr/2010/05/02/retraites-larnaque/
En 2010, 16 millions de retraités
En 2030, 21 millions de retraités. »
Avec des slogans de ce type, dans le cadre d’une campagne de communication de plus de 5 millions d’euros, le trio Sarkozy-Fillon-Woerth a lancé il y a quelques semaines la « réforme des retraites ». Objectif de cette première phase : persuader les Français que « ça ne peut plus durer comme ça », qu’il « va falloir faire quelque chose » et que, compte tenu de l’augmentation du nombre des retraités, nous allons devoir nous résigner à cotiser plus longtemps… et à percevoir moins.
Présenté sous cet angle, le débat est complètement biaisé, faussé. Ne traiter que de la question des retraites en l’isolant du thème beaucoup plus large de la rémunération du travail et de la répartition des richesses, c’est vouloir, dès le départ, que l’arbre cache la forêt.
Prenons donc un peu de recul et revenons aux « fondamentaux » des relations entre coût du travail et partage de la valeur générée par le travail.
Pourquoi rémunère-t-on un salarié ? Tout simplement parce qu’il « rapporte », c’est-à-dire qu’il « dégage » une certaine productivité, créant ainsi, pour son employeur, un montant de richesses supérieur au salaire qui lui est versé.
Cette productivité, cette richesse créée par le travailleur, permet :
– de le rémunérer sous forme de salaire ;
– de dégager une marge, un profit, pour l’entreprise qui l’emploie ;
– de régler les retraites de ceux qui ne travaillent plus (si l’on se trouve dans un système de retraite par répartition) ou de constituer une épargne pour les futurs retraités (dans un système de retraite par capitalisation).
En toute logique, plus la productivité du travailleur augmente, plus il crée de richesses, plus son salaire devrait augmenter, comme devraient croître le bénéfice de l’entreprise et la somme versée ou épargnée pour les retraites.
Est-ce le cas ? Un simple coup d’œil au graphique ci-dessous (source des chiffres : INSEE) va permettre de comprendre l’état de la situation… et la véritable nature du problème.
Productivité et salaires
Comme on le voit, pendant une vingtaine d’années, de 1959 à 1979, tout gain de productivité se traduisait automatiquement par une hausse équivalente des salaires. Et puis, à compter du début des années 1980, tout déraille : la productivité des salariés continue de s’améliorer mais les salaires décrochent. Trente ans après ce décrochage, ils sont aujourd’hui 35 % inférieurs à ce qu’ils devraient être s’ils avaient augmenté en phase avec les gains de productivité !
De plus, ce graphique ne reflète pas un élément aggravant qui a pris naissance à la même époque : plus élevé le salaire, plus forte la hausse dont il a bénéficié.
Ainsi, en 10 ans, les 0,1 % de salariés les mieux rémunérés (environ 13 000 personnes en France) ont vu leur salaire mensuel progresser de 28 %, inflation déduite, soit un gain de 5 426 € par mois (oui, par mois…) alors que 90 % des salariés n’ont enregistré aucune progression significative.
Pour 90 % des salariés, la rémunération est donc restée à peu près la même (inflation déduite) entre 2000 et 2010 ! La conséquence ? En 30 ans, l’écart entre augmentation de la productivité et augmentation des salaires (hormis les salaires les plus élevés) atteint 45 % ! Vous avez bien lu : si, ces trente dernières années, votre salaire avait augmenté dans les mêmes proportions que votre productivité, vous seriez rémunéré 45 % de plus qu’aujourd’hui !
Mais où sont allés tous ces gains de productivité ? Qui en a bénéficié ? Les entreprises, tout simplement, sous la forme d’une véritable explosion des bénéfices, lesquels, ne trouvant pas à s’employer dans l’investissement productif faute d’une demande solvable suffisante, se sont rués vers la finance et l’investissement spéculatif, générant des « bulles » boursières à répétition. Mais ceci est une autre histoire qui fera certainement l’objet d’un prochain billet…
Revenons au cœur de notre sujet en mettant en perspective, au niveau national, les montants des salaires d’une part, des bénéfices d’autre part. La masse totale des salaires de l’ensemble des entreprises du secteur privé est de l’ordre de 500 milliards d’euros par an. En comparaison, les 40 sociétés du CAC 40 « dégagent » 100 milliards d’euros de bénéfices par an (à l’exception de 2009, « mauvaise année » où les bénéfices n’ont été « que » de 47 milliards d’euros). 40 entreprises réalisent donc un bénéfice égal au cinquième de la rémunération de tous les salariés du privé en France !
On le comprend mieux : aborder uniquement la question des retraites avec pour seul objectif de faire peser la charge de leur paiement sur les seuls salariés, c’est traiter volontairement le problème par le petit bout de la lorgnette et c’est surtout charger encore plus la barque de ceux qui, depuis 30 ans, n’ont absolument pas bénéficié des efforts qu’ils ont réalisés pour augmenter la productivité des entreprises, notamment des plus grandes.
Poursuivons en effet le calcul : le rattrapage de l’écart existant entre augmentation cumulée de la productivité et augmentation cumulée des salaires (35 à 45 % selon le mode de calcul ; voir ci-dessus) représente 168 à 216 milliards d’euros par an. Dans ces conditions, la centaine de milliards d’euros de déficit du régime des retraites que l’on nous présente comme un épouvantail est tout à fait « absorbable » par les entreprises, notamment les plus importantes, qui ont profité à plein, depuis 30 ans d’une productivité sans cesse accrue de leurs collaborateurs, sans les en faire bénéficier en retour.
Lundi
La Lettre du Lundi 2010
http://lalettredulundi.fr/2010/05/02/retraites-larnaque/