Noam Chomsky a refusé d’accorder un entretien au journal Le Monde
Lors de son passage à Paris, Noam Chomsky a refusé d’accorder un entretien au Monde. Il méprise à la fois nos intellectuels à la mode et leur quotidien de préférence. Il faut dire qu’on ne trouve pas en France de journal plus oblique que Le Monde. Chaque jour, d’un ton de nez fort dévot, il s’autorise à nous indiquer la Voie, la Vérité et la Vie ; il le fait aussi bien dans son éditorial quotidien, non signé, que dans l’ensemble de ses articles et, en particulier, dans son supplément littéraire aux relents de confessionnal shoatique. Prônant le respect des valeurs de liberté et de tolérance, il n’en pratique que mieux intolérance et censure.
Dans les années 1978-1979, il avait entamé contre le révisionnisme historique une campagne – malhonnête – qu’il poursuit encore à ce jour. En 1980, grâce à Serge Thion, les éditions de la Vieille Taupe (Pierre Guillaume) avaient publié mon Mémoire en défense contre ceux qui m’accusent de falsifier l’histoire / La question des chambres à gaz. Ledit mémoire était “précédé d’un avis de Noam Chomsky” intitulé “Quelques commentaires élémentaires sur le droit à la liberté d’expression”. Sans contorsions ni périphrases, N. Chomsky y déclarait qu’il n’avait pas à se préoccuper du “prétendu ‘antisémitisme’ de M. Faurisson” et que ce dernier, comme tout le monde, devait avoir le droit de s’exprimer librement sur un sujet d’histoire.
Aujourd’hui, dans sa livraison du 4 juin 2010, en pages 6 et 7, Le Monde consacre à N. Chomsky un dossier d’où se détachent en particulier deux articles signés de Jean Birnbaum. Le premier s’intitule : “Chomsky à Paris, le malentendu” ; le second porte pour titre : “[N. Chomsky] ne cache pas son mépris pour les intellectuels parisiens” ; cette dernière phrase est du linguiste Jean-Claude Milner qui déclare également : “L’affaire Faurisson a été, je crois, décisive dans sa poussée d’hostilité [aux intellectuels ‘parisiens’]”.
On trouvera ci-dessous un extrait du premier article dont je me contente de souligner quelques mots.
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Chomsky à Paris, le malentendu
an Birnbaum 4 juin 2010
<http://www.lemonde.fr/livres/article/2010/06/03/chomsky-a-paris-chronique-d-un-malentendu_1367002_3260.html>
[...] A l'origine du grand malentendu entre Chomsky et la France, pourtant, il y a aussi quelques faits. A commencer par la sordide "affaire Faurisson", qui n'en finit plus de peser sur la réception de Chomsky en France. En 1980, en effet, un texte signé de lui fut publié sous forme de préface à un livre du négationniste Robert Faurisson. L'intellectuel américain commença par protester du fait que son texte ne visait qu'à défendre la liberté d'expression. Mais il alla ensuite plus loin, et la polémique qui s'ensuivit fut d'autant plus dévastatrice qu'elle l'opposa à l'une des grandes consciences de la gauche française, l'historien et militant anticolonialiste Pierre Vidal-Naquet (1930- 2006). "Vous avez le droit de dire : mon pire ennemi a le droit d'être libre (...). Vous n'avez pas le droit de prendre un faussaire et de le repeindre aux couleurs de la vérité", lançait-il à Chomsky dans Les Assassins de la mémoire (La Découverte, 1987). "Pierre [Vidal-Naquet] était ulcéré par les explications de Chomsky, qui ne tenaient pas debout, se souvient François Gèze, PDG des éditions La Découverte, ami et éditeur de Vidal-Naquet. Si Chomsky n'avait pas commis cette gravissime erreur politique, il aurait sans doute été mieux entendu en France. "
Héritage empoisonné
Depuis lors, les amis de Chomsky doivent faire avec cet héritage empoisonné. Certains d'entre eux confient leur désarroi. "A l'époque, je lui avais fortement déconseillé de s'embarquer là-dedans. Noam s'est mal renseigné, il s'est trompé. Et il est sûr que cette erreur a eu de lourdes conséquences en France", déplore André Schiffrin. D'autres sont plus offensifs, et traitent de "calomniateur" quiconque ose évoquer l'épisode Faurisson. Or celui-ci demeure riche d'enseignements pour qui veut comprendre les relations entre Chomsky et la France. Car ce qui se trouvait en jeu, par-delà le face-à-face avec Vidal-Naquet, c'est le peu d'estime que Chomsky porte aux intellectuels français en général. Derrida ou Deleuze, Foucault ou Lacan : à ses yeux, tout ce que les Américains nomment la "French theory" n'a jamais représenté qu'un bavardage sans intérêt. Et s'il traita par le dédain un grand historien de l'Antiquité comme Vidal-Naquet, il qualifia aussi le psychanalyste Jacques Lacan de "malade mental" [...].
NB : La semaine précédant cet article, le même Jean Birnbaum s’était indigné de ce que, le 26 décembre 2008, au Zénith, Dieudonné eût fait remettre “un prix de l’infréquentabilité et de l’insolence au faussaire Faurisson” (“Un rire de liberté”, Le Monde Magazine, 29 mai 2010, p. 82).