Au nom du grand maître du Grand orient de France (GODF) Pierre Lambicchi, qui vous prie de bien vouloir excuser son absence en raison d'un déplacement dans les DOM-TOM, je vous remercie pour votre invitation.
Les 50 000 francs-maçons du GODF, comme nombre de leurs concitoyens, attachent une importance essentielle à la laïcité qui, depuis plus d'un siècle, constitue le socle de notre République humaniste et la garantie du vivre ensemble d'une société française multiculturelle et multiconfessionnelle. Ils attachent également une très grande importance au respect de la dignité de la personne et de ses droits essentiels.
Notre amour de la laïcité n'est en rien l'avers d'une hostilité à quelque religion ou croyance que ce soit, bien au contraire. Même si nous assumons pleinement leur héritage, il n'est pas non plus le signe d'une pseudo-nostalgie des hussards noirs de la Troisième République. C'est justement parce que nous sommes attachés à la liberté absolue de conscience et à la liberté de culte que nous défendons la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'État comme clé de voûte de la relation institutionnelle entre ces deux entités mais aussi garantie de la paix religieuse et cadre de l'ordre public républicain en matière de liberté de conscience et d'expression de cette liberté dans l'espace public.
La laïcité n'est pas le monopole de la civilisation occidentale chrétienne. Alors que l'on souligne constamment le danger islamique qui menace l'Europe et le monde libre, on ne dit jamais rien des intellectuels libéraux musulmans qui, malgré un danger permanent dans leurs pays, se battent pour défendre une vision ouverte et tolérante de l'islam, voire, pour promouvoir la laïcité. Il ne s'agit donc en aucun cas de stigmatiser telle ou telle religion mais d'être fidèles aux principes fondamentaux qui, issus des Lumières, fondent la République française et inspirent tous ceux qui sont attachés aux valeurs humanistes.
Enfin, le GODF attache une importance essentielle aux principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme qui, en son article premier, proclame que tous les êtres humains naissent et demeurent libres et égaux en dignité et en droits.
Selon nous, le port du voile intégral n'est pas a priori un signe religieux qui pourrait être assimilé à la croix, à la kippa ou au voile simple. Loin de constituer l'expression légitime et normale de la pratique de l'islam, il relève du salafisme le plus radical, courant religieux extrémiste et intégriste véhiculant une idéologie et un projet de société porteur de confrontations.
Notre obédience tient à présenter trois observations principales.
Tout d'abord, le GODF estime que le voile intégral est une négation symbolique absolue de la femme qui le porte. Il s'agit, en quelque sorte, d'une disparition totale de l'individu au bénéfice de l'appartenance à un groupe replié sur lui-même. La femme est ainsi niée en tant que telle mais, également, comme citoyenne. En outre, le caractère prétendument volontaire de ce port est hautement suspect compte tenu de l'environnement oppressif, inégalitaire et parfois violent moralement etou physiquement de ces femmes dont la liberté de conscience est, à tout le moins, compromise. En tout état de cause, le risque d'aliénation inconsciente du consentement individuel est très élevé. Par ailleurs, le fait même de considérer que cette attitude serait authentiquement volontaire et librement consentie ne suffirait pas à justifier sa légitimité et sa légalité républicaines, le Conseil d'État considérant que cette pratique vestimentaire est « incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, notamment avec le principe d'égalité des sexes. » Cette dernière juridiction a, par ailleurs, rappelé que le refus du voile intégral n'a ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à la liberté religieuse et ne méconnaît nullement le principe constitutionnel de liberté d'expression religieuse ou l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ensuite, le GODF souligne que cet habit introduit une discrimination sexuelle immédiate en niant l'identité et la personnalité des femmes au profit d'une domination masculine en contradiction flagrante avec le principe d'égalité républicaine. La burqa est donc bien un instrument de soumission et de domination sexuelle inacceptable. L'égalité entre les citoyens supposant que la loi protège hommes et femmes de la servitude, le port du voile constitue une intolérable régression. Chacun sait combien il peut être difficile pour des femmes vivant dans des quartiers difficiles de s'émanciper d'un environnement culturel et social chargé de préjugés et de visions machistes ; tolérer le port du niqab et de la burqa serait leur rendre un bien mauvais service dans ce combat pour la dignité, le respect et l'égalité des droits et des devoirs qui est le leur.
Enfin, le GODF considère – et c'est un élément qui peut participer du débat sur l'identité nationale – que le port de la burqa constitue un défi lancé à la République, laquelle ne reconnaît que des citoyens et non des communautés segmentées.
Si la laïcité de l'État n'est pas mise en cause en tant que telle – pour autant que cet habit ne soit pas porté à l'école de la République ou dans les autres lieux dédiés au service public de l'État –, la forme humaniste de la société française fondée sur le respect de l'individu, la liberté et l'égalité, n'en est pas moins bafouée. Dans l'espace public, la liberté individuelle doit s'exprimer dans les limites culturelles de la communauté nationale à une période donnée. Pas plus qu'il ne peut nier l'égalité des droits et des devoirs, un citoyen ne peut librement consentir à son aliénation. Veut-on donc vivre ensemble avec ou à côté des autres ?
Le GODF est donc favorable à une loi prohibant le port du voile intégral dans la sphère publique. En effet, outre que le dialogue et la pédagogie ne nous semblent pas adaptés aux principes du salafisme – nous savons que des groupes très organisés testent le cadre juridique républicain et qu'ils disposent de puissants relais au sein de certains États étrangers qui appliquent la charia et qui, au sein du Comité des droits de l'homme de l'ONU, cherchent régulièrement à faire condamner la France pour discrimination religieuse –, il existe dans notre pays une véritable religion de la loi en tant qu'expression de la volonté collective et de l'intérêt général dans une République normative qui est seule à même de répondre au problème que nous évoquons.
En tant que législateurs de la République, il vous appartient donc, Mesdames et Messieurs les députés, de codifier une nouvelle fois le vivre ensemble de la société française avec ses espaces de liberté et ses interdits : c'est ainsi que nous rappellerons combien notre choix en faveur d'une société humaniste n'est pas négociable.
Sur la page qui centralise les débats, vous pourrez retrouver les interventions éclairées des personnalités suivantes (entre autres guignols dégénérés)