Préparation de l’échiquier du « choc des civilisations » : Diviser, conquérir et régner au Moyen-Orient par Mahdi Darius Nazemroaya
Mondialisation.ca
13 décembre 2011
L’expression « printemps arabe » est un slogan concocté dans des bureaux lointains à Washington, Londres, Paris et Bruxelles par des individus et des groupes qui, en plus d’avoir une connaissance superficielle de la région, en savent très peu sur les Arabes. Ce qui se déroule au sein des populations arabes est un enchaînement normal d’événements. L’insurrection comme l’opportunisme en font partie. Là où il ya une révolution, il y a toujours une contre-révolution.
Les bouleversements dans le monde arabe ne constituent pas davantage un « éveil arabe ». Une telle formule implique que les Arabes étaient endormis alors qu’ils étaient entourés par la dictature et l’injustice. Le monde arabe, qui fait partie de l’ensemble plus vaste composé par les Arabes, le Turcs et les Iraniens, a en réalité connu de fréquentes révoltes réprimées par les dictateurs arabes en coordination avec des pays comme les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France. C’est l’interférence de ces puissances qui a constamment agi comme contrepoids à la démocratie et elle continuera à le faire.
Diviser et régner : comment le premier printemps arabe a été manipulé Les plans de reconfiguration du Moyen-Orient ont commencé plusieurs années avant la Première Guerre mondiale. C’est au cours de cette guerre cependant que les desseins coloniaux ont clairement commencé à se manifester avec la « grande révolte arabe » contre l’empire Ottoman.
En dépit du fait que la Grande-Bretagne, la France et l’Italie étaient des puissances coloniales qui avaient empêché les Arabes de profiter de toute forme de liberté dans des pays comme l’Algérie, Libye, l’Égypte et le Soudan, ces pouvoirs coloniaux ont réussi à se présenter comme les amis et les alliés de la libération arabe.
Durant la « grande révolte arabe », les Britanniques et les Français ont en fait utilisé les Arabes comme fantassins contre les Ottomans pour faire avancer leurs propres plans géopolitiques. Les accords secrets Sykes-Picot entre Londres et Paris représentent un cas typique. La France et la Grande-Bretagne sont simplement arrivés à utiliser et manipuler les Arabes en leur vendant l’idée de la libération arabe de la présumée répression des Ottomans.
En réalité, l’Empire ottoman était multiethnique et accordait une autonomie locale et culturelle à toutes ses populations. Il a toutefois été manipulé et orienté vers une entité turque. Même le génocide arménien qui allait s’ensuivre en Anatolie ottomane doit être analysé dans le même contexte que l’actuel ciblage des chrétiens en Irak, comme faisant partie d’un plan de division confessionnelle lancé par des acteurs externes afin de diviser l’Empire ottoman et ses citoyens, ainsi que l’Anatolie.
Après la chute de l’Empire ottoman, ce sont Londres et Paris qui ont refusé d’accorder la liberté aux Arabes, en semant la discorde au sein de leurs populations. Les leaders arabes locaux corrompus ont également été partenaires du projet et nombreux sont ceux qui n’étaient que trop heureux de devenir des clients de la Grande-Bretagne et de la France. Le « printemps arabe est manipulé dans le même sens aujourd’hui. Les États-Unis, la France et d’autres travaillent maintenant avec l’aide de leaders et de personnalités arabes corrompues afin de restructurer l’Afrique et le monde arabe.
Le plan Yinon : l’ordre à partir du chaos… Le plan Yinon, qui constitue un prolongement du stratagème britannique au Moyen-Orient, est un plan stratégique israélien visant à assurer la supériorité d’Israël dans la région. Il souligne qu’Israël doit reconfigurer son environnement géopolitique par la balkanisation des États arabes, soit la division de ceux-ci en États plus petits et plus faibles.
Les stratèges israéliens voyaient l’Irak comme l’État arabe représentant leur plus grande menace stratégique. C’est pourquoi l’Irak a été caractérisé comme la pièce maîtresse de la balkanisation du Moyen-Orient et du monde arabe. En Irak, sur la base des concepts du plan Yinon, les stratèges israéliens ont réclamé la division de l’Irak en un État kurde et deux États arabes, l’un shiite, l’autre sunnite. La première étape de ce plan était une guerre entre l’Irak et l’Iran, abordée dans le plan Yinon.
En 2006 et en 2008, les publications de l’armée étasunienne Armed Forces Journal et The Atlantic ont respectivement publié des cartes ayant circulé abondamment et lesquelles suivaient de près les grandes lignes du plan Yinon. Outre la division de l’Irak, également recommandée par le plan Biden, le plan Yinon appelle à la division du Liban, de l’Égypte et de la Syrie. La partition de l’Iran, de la Turquie, de la Somalie et du Pakistan fait également partie de cette vision. Le plan Yinon réclame par ailleurs la dissolution de l’Afrique du Nord et prévoit qu’elle débutera en Égypte et débordera au Soudan, en Libye et dans le reste de la région.
Protection du domaine : redéfinition du monde arabe… Bien que tordu, le plan Yinon est en marche et voit le jour dans « A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm » (Une nette rupture : Une nouvelle stratégie pour protéger le domaine), un document de politique israélienne écrit en 1996 par Richard Perle et le groupe d’étude sur « Une nouvelle stratégie israélienne vers l’an 2000 » pour Benjamin Netanyahou, le premier ministre d’Israël à l’époque. Perle était alors un ancien secrétaire adjoint au Pentagone pour Ronald Reagan et est devenu par la suite conseiller militaire pour George W. Bush et la Maison-Blanche. Le groupe d’étude comprenait par ailleurs James Colbert (Jewish Institute for National Security Affairs), Charles Fairbanks Jr. (Johns Hopkins University), Douglas Feith (Feith and Zell Associates), Robert Loewenberg (Institute for Advanced Strategic and Political Studies), Jonathan Torop (The Washington Institute for Near East Policy), David Wurmser (Institute for Advanced Strategic and Political Studies) et Meyrav Wurmser (Johns Hopkins University).
Les États-Unis réalisent à bien des égards les objectifs précisés dans le texte de politique israélienne de 1996 visant à protéger le « royaume ». Par ailleurs, le terme realm, « domaine » ou « royaume », sous-entend la mentalité stratégique des auteurs. Realm fait soit référence au territoire sur lequel règne un monarque ou aux territoires soumis à son règne mais gérés et contrôlés par des vassaux. Dans ce contexte, le terme realm, est utilisé pour signifier que le Moyen-Orient constitue le royaume de Tel-Aviv. Le fait que Perle, un homme ayant essentiellement fait carrière comme officiel du Pentagone, ait contribué à écrire le document sur Israël soulève la question de savoir si le souverain conceptualisé du royaume représente Israël, les États-Unis, ou les deux.
Protéger le royaume : L’avant-projet israélien pour déstabiliser Damas Le document de 1996 demande de « repousser la Syrie », aux environs de l’an 2000 ou après, en poussant les Syriens hors du Liban et en déstabilisant la République arabe syrienne avec l’aide de la Jordanie et de la Turquie. Ces événements se sont respectivement produits en 2005 et en 2011. Le document indique : « Israël peut modeler son environnement stratégique en coopération avec la Turquie et la Jordanie, en affaiblissant, en endiguant et même en repoussant la Syrie. Afin de contrecarrer les ambitions régionales de la Syrie, les efforts pourraient viser à expulser Saddam Hussein du pouvoir, un objectif stratégique en soi important pour Israël [1].
Comme première étape de la création d’un « nouveau Moyen-Orient » dominé par Israël et encerclant la Syrie, le texte demande de chasser Saddam Hussein du pouvoir à Bagdad et fait même allusion à la balkanisation de l’Irak et à la formation d’une alliance stratégique régionale contre Damas qui comporterait un « Irak central » sunnite. Les auteurs écrivent : « Toutefois la Syrie entre dans ce conflit avec de potentielles faiblesses : Damas est trop préoccupé par la nouvelle donne régionale pour permettre toute distractions sur le front libanais. De plus Damas craint l’"axe naturel" avec Israël d’un côté, l’Irak central et la Turquie de l’autre, et la Jordanie, au centre, qui exercerait une pression sur la Syrie et la détacherait de la péninsule saoudienne. Pour la Syrie, ce pourrait être le prélude à la reconfiguration de la carte du Moyen-Orient, ce qui menacerait l’intégrité territoriale du pays [2] ».
Perle et le groupe d’étude « Nouvelle stratégie israélienne vers l’an 2000 » recommande également de mener les Syriens hors du Liban et de déstabiliser la Syrie en utilisant des personnalités de l’opposition libanaise. Le document dit : « [Israël doit détourner] l’attention de la Syrie en utilisant des éléments de l’opposition libanaise pour déstabiliser le contrôle exercé par la Syrie au Liban [3]. »C’est ce qui arriverait en 2005 après l’assassinat d’Hariri ayant contribué à déclencher la soi-disant « révolution des cèdres » et à créer l’Alliance du 14 mars, un groupe farouchement anti-Syrien contrôlé par le corrompu Saïd Hariri.
Le document demande par ailleurs à Tel-Aviv de « saisir l’opportunité afin de rappeler au monde la nature du régime syrien [4] ». Cela convient parfaitement à la stratégie israélienne consistant à diaboliser ses opposants par des campagnes de relations publiques. En 2009 des médias israéliens ont ouvertement admis que, par le biais de ses ambassades et missions diplomatiques, Tel-Aviv avait lancé une campagne médiatique mondiale et organisé des manifestations devant les ambassades iraniennes pour discréditer les élections présidentielles en Iran avant même qu’elles n’aient lieu [5].
L’étude fait aussi mention de ce qui ressemble à la situation actuelle en Syrie : « Il va de soi, et c’est le plus important, qu’Israël a intérêt à appuyer diplomatiquement, militairement et opérationnellement les actions de la Turquie et de la Jordanie contre la Syrie, comme en protégeant des alliances avec des tribus arabes à travers le territoire syrien et hostiles à l’élite dirigeante syrienne [6]. Les bouleversements de 2011 en Syrie, le mouvement des insurgés et la contrebande d’armes par les frontières jordanienne et turque sont devenus des problèmes majeurs pour Damas.
Dans ce contexte, il n’est pas surprenant qu’Israël, alors dirigé par Ariel Sharon, ait dit à Washington d’attaquer la Syrie, la Libye et l’Iran après l’invasion étasunienne de l’Irak [7]. Finalement, il importe de savoir que le document de 1996 préconise également une guerre préemptive pour modeler l’environnement géostratégique d’Israël et sculpter le « nouveau Moyen-Orient » [8]. Il s’agit d’une politique que les États-Unis adopteraient aussi en 2001.
L’éradication des communautés chrétiennes du Moyen-Orient Ce n’est pas une coïncidence si les chrétiens égyptiens ont été attaqués au même moment que le référendum sud-soudanais et avant la crise en Lybie. Ce n’est pas non plus une coïncidence si les chrétiens irakiens, une des communautés chrétiennes les plus anciennes, ont été poussées à l’exil, quittant leur patrie ancestrale. L’exode des chrétiens irakiens, sous le regard attentif des forces militaires étasuniennes et britanniques, concorde avec la division confessionnelle des quartiers de Bagdad. Les shiites et les sunnites ont été forcés, par la violence et les escadrons de la mort, à former des enclaves confessionnelles. Tout cela est lié au plan Yinon et à la reconfiguration de la région dans le cadre d’un objectif plus vaste.
En Iran, les Israéliens ont tenté en vain de faire partir la communauté juive. La population juive d’Iran est en fait la plus grande du Moyen-Orient et sans doute la plus ancienne communauté juive du monde à vivre paisiblement. Les juifs d’Iran se voient comme des Iraniens et sont liés à ce pays qu’ils considèrent comme leur patrie, au même titre que les musulmans et les chrétiens iraniens, et, à leurs yeux, le concept voulant qu’ils aient à se relocaliser en Israël parce qu’ils sont juifs est ridicule.
Au Liban, Israël s’est affairé à exacerber les tensions entre les diverses factions chrétiennes et musulmanes, incluant les druzes. Le Liban est un tremplin vers la Syrie et la division du Liban en plusieurs États est également vue comme un moyen de balkaniser la Syrie en plusieurs États arabes confessionnels de moindre envergure. Les objectifs du plan Yinon sont de diviser le Liban et la Syrie en plusieurs États sur la base des identités religieuses sunnite, shiite, druze et chrétiennes. Il est possible que l’exode des chrétiens de la Syrie fasse aussi partie des objectifs.
Le nouveau chef de l’Église maronite, la plus grande Église catholique orientale autonome, a exprimé ses craintes quant à l’expulsion des chrétiens arabes au Levant et au Moyen-Orient. Le patriarche d’Antioche, Mgr Bechara Boutros Rahi, ainsi que bon nombre de dirigeants chrétiens au Liban et en Syrie, craignent que les Frères musulmans prennent le contrôle de la Syrie. Comme en Irak, de mystérieux groupes attaquent actuellement les communautés chrétiennes en Syrie. Les dirigeants de l’Église orthodoxe, incluant le Patriarcat de Jérusalem, ont eux aussi exprimé publiquement leurs sérieuses préoccupations. Outre les arabes chrétiens, ces craintes sont partagées par les communautés assyrienne et arménienne, à majorité chrétienne.
Le cheik Rahi était récemment à Paris où il a rencontré Nicolas Sarkozy. On rapporte que le patriarche maronite et le président Sarkozy ont eu des désaccords concernant la Syrie, ce qui a incité Sarkozy à affirmer que le régime syrien allait s’effondrer. La position du patriarche maronite était que l’on devait laisser la Syrie tranquille et lui permettre de se réformer. Mgr Rahi a par ailleurs dit à Sarkozy qu’Israël devait être considéré comme une menace si la France souhaitait légitimement que le Hezbollah dépose les armes.
En raison de sa position en France, Mgr Rahi a immédiatement reçu des remerciements des dirigeants chrétiens et musulmans de la République arabe syrienne qui l’ont visité au Liban. Le Hezbollah et ses alliés politiques au Liban, dont font partie la plupart des parlementaires chrétiens, ont aussi célébré le patriarche maronite, qui a ensuite fait une tournée au sud du Liban.
En raison de sa position sur le Hezbollah et son refus d’appuyer le renversement du régime syrien, le cheik Rahi fait maintenant l’objet d’attaques politiques de la part de l’Alliance du 14 mars, menée par Hariri. Ce dernier est en train de planifier une conférence des personnalités chrétiennes pour s’opposer à la position de l’Église maronite et du patriarche Rahi. Depuis que celui-ci a donné son opinion, le Parti Tahrir, actif à la fois en Syrie et au Liban, a également commencé à en faire la cible de critiques. On rapporte par ailleurs que des officiels étasuniens de haut rang ont annulé leurs rencontres avec le patriarche maronite en signe de mécontentement envers ses positions sur le Hezbollah et la Syrie.
L’Alliance du 14 mars menée par Hariri au Liban, laquelle a toujours été une minorité populaire (même lorsqu’elle constituait une majorité parlementaire), travaille de concert avec les États-Unis, Israël, l’Arabie Saoudite, la Jordanie ainsi que le groupe ayant recours à la violence et au terrorisme en Syrie. Les Frères musulmans et d’autres soi-disant groupes salafistes de Syrie ont tenu et organisé des pourparlers secrets avec Hariri et les partis politiques chrétiens au sein de l’Alliance du 14 mars. C’est pourquoi Hariri et ses alliés se sont attaqués au cardinal Rahi. C’est aussi Hariri et l’Alliance du 14 mars qui ont amené Fatah al-Islam au Liban et ont aidé certains de ses membres à s’enfuir et aller se battre en Syrie.
Des snipers inconnus ciblent des civils syriens et l’armée syrienne dans le but de créer le chaos et une lutte interne. Les communautés chrétiennes en Syrie sont elles aussi ciblées par des groupes inconnus. Les attaquants sont fort probablement une coalition de forces étasuniennes, françaises, jordaniennes, israéliennes, turques, saoudiennes, et khaliji (arabe du Golfe) travaillant avec des Syriens à l’intérieur du pays.
Washington, Tel-Aviv et Bruxelles planifient un exode des chrétiens du Moyen-Orient. On rapporte que le président Sarkozy a informé le cheik Rahi à Paris que les communautés chrétiennes du Moyen-Orient et du Levant pourront s’établir dans l’Union européenne. Cela n’est pas offert gracieusement. Il s’agit d’une gifle par les puissances mêmes qui ont délibérément créé les conditions visant à éradiquer les anciennes communautés chrétiennes du Moyen-Orient. Il semble que le but soit que les communautés chrétiennes s’établissent à l’extérieur de la région ou de délimiter des enclaves. Il est possible que ces deux hypothèses constituent des objectifs.
Ce projet vise à délimiter les pays arabes en pays exclusivement musulmans et est conforme à la fois au plan Yinon et aux objectifs étasuniens relatifs au contrôle de l’Eurasie. Il pourrait en résulter une grande guerre. Les Arabes chrétiens ont maintenant bien des choses en commun avec les Arabes qui sont des Noirs d'Afrique.
Nouvelle division de l’Afrique : le plan Yinon est en pleine marche
En ce qui concerne l’Afrique, Tel-Aviv cherche à la protéger car elle la voit comme une partie plus vaste de sa périphérie. Cette plus vaste ou soi-disant « nouvelle périphérie » est devenue le fondement géostratégique de Tel-Aviv après la révolution iranienne de 1979. Celle-ci a déformé et engendré l’effondrement de « l’ancienne périphérie » contre les Arabes, qui comprenait l’Iran, et dont les pays étaient les plus proches alliés d’Israël durant la période Pahlavi. Dans ce contexte, la nouvelle périphérie d’Israël a été conceptualisée en incluant des pays comme l’Éthiopie, l’Ouganda et le Kenya contre les États arabes et la République islamique d’Iran. C’est pourquoi Israël a été si profondément impliqué dans la balkanisation du Soudan.
Toujours dans le contexte des divisions confessionnelles au Moyen-Orient, les Israéliens ont esquissé des plans de reconfiguration de l’Afrique. Le plan Yinon cherche à délimiter l’Afrique sur la base de trois aspects : 1) l’origine ethnolinguistique, 2) la couleur de peau et enfin 3) la religion. Afin de protéger le domaine, il se trouve que l’Institute for Advanced Strategic and Political Studies (IASPS), une boîte de réflexion israélienne dont Perle faisait partie, faisait également pression en faveur de la création du Commandement des États-Unis pour l'Afrique (AFRICOM), une division du Pentagone.
On tente actuellement d’anéantir le point de convergence d’une identité arabe et africaine. On cherche à tracer des lignes de division en Afrique entre une soi-disant Afrique noire et une Afrique du Nord prétendument « non noire ». Cela fait partie d’un projet visant à créer un schisme sur le continent entre ce qu’on l’on conçoit comme étant des « Arabes » et des « Noirs ».
Cet objectif explique pourquoi on a fait la promotion des ridicules identités du « Sud-Soudan africain » et du « Nord-Soudan arabe ». C’est également la raison pour laquelle les Libyens noirs ont été ciblés dans une campagne visant à « nettoyer » la Libye des gens « de couleur ». En Afrique du Nord, on détache l’identité arabe de son identité africaine. On tente simultanément d’éradiquer de vastes populations d’Arabes noirs afin qu’il existe une nette démarcation entre « l’Afrique noire » et une nouvelle Afrique du Nord « non noire », laquelle sera transformée en un champ de bataille entre ceux qui restent, les Berbères et les Arabes « non noirs ».
Toujours dans le contexte africain et dans le but de créer des points de rupture et des délimitations, des tensions sont fomentées entre les musulmans et les chrétiens dans des pays comme le Soudan et le Nigéria. En entretenant ces divisions sur la base de la couleur de la peau, de la religion, de l’ethnicité et du langage, on cherche à alimenter la dissociation et la désunion. Cela fait partie d’une stratégie africaine globale visant à séparer l’Afrique du Nord du reste du continent.
Préparation de l’échiquier du « choc des civilisations » À ce stade-ci, on doit rassembler toutes les pièces et faire les liens entre les événements.
On prépare l’échiquier pour un « choc des civilisations » et l’on y place toutes les pièces du jeu. Le monde arabe est sur le point d’être encerclé et de nettes démarcations se tracent. Celles-ci remplacent les frontières invisibles entre les différents groupes ethnolinguistiques, religieux et basés sur la couleur de la peau.
Dans le cadre de ce plan, il ne peut plus y avoir de mélange entre les sociétés et les pays. C’est pourquoi les chrétiens du Moyen-Orient et de l’Afrique de Nord, comme les coptes, sont ciblés. Pour les mêmes raisons, les Arabes et Berbères noirs, au même titre que d’autres populations noires, font face à un génocide en Afrique du Nord.
Après l’Irak et l’Égypte, la Jamahiriya arabe libyenne et la République arabe syrienne représentent toutes deux des points importants pour la déstabilisation régionale respectivement en Afrique du Nord et en Asie du Sud-Est. Ce qui se passe en Libye aura des répercussions en Afrique, tout comme les événements en Syrie auront des conséquences en Asie du Sud-Est et ailleurs. Dans le cadre du plan Yinon, l’Irak et l’Égypte ont servi d’amorces à la déstabilisation de la Libye et de la Syrie.
On est en train de créer un « Moyen-Orient musulman », une zone exclusivement musulmane (excluant Israël), laquelle sera troublée par les luttes entre shiites et sunnites. Un scénario semblable est mis en œuvre pour créer une « Afrique du Nord non noire » qui sera caractérisée par une confrontation entre les dits Arabes et dits Berbères. En vertu du modèle du « choc des civilisations », on prévoit simultanément un conflit entre le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord d’un côté, et l’« Occident » et « l’Afrique noire » de l’autre.
C’est pour cette raison qu’au début du conflit en Libye, Nicolas Sarkozy en France et David Cameron en Grande-Bretagne ont déclaré l’un après l’autre que le multiculturalisme était mort dans leurs sociétés ouest-européennes respectives [9]. Le véritable multiculturalisme menace la légitimité du programme de guerre de l’OTAN. Il représente par ailleurs un obstacle à l’implantation du « choc des civilisations », qui constitue la pierre angulaire de la politique étrangère des États-Unis.
À cet égard, Zbigniew Brzezinski, ancien conseiller à la Sécurité nationale explique pourquoi le multiculturalisme est une menace pour Washington et ses alliés : « En devenant une société de plus en plus multiculturelle, il se peut que les États-Unis aient de la difficulté à créer un consensus sur les questions de politique étrangère [par exemple, relativement à une guerre contre le monde arabe, la Chine, l’Iran ou la Russie et l’ancienne Union soviétique], sauf si une grande partie de la population perçoit une menace extérieure directe de très grande envergure. Un tel consensus existait de manière générale tout au long de la Seconde Guerre mondiale et même durant la guerre froide [et il existe maintenant en raison de la "guerre mondiale au terrorisme"] [10]. » La phrase suivante de Brzezinski explique pourquoi les populations s’opposent aux guerres ou les appuient : « [Le consensus] était enraciné, toutefois, il ne l’était pas seulement dans des valeurs démocratiques profondément partagées et que le public voyait menacées, mais aussi dans des affinités culturelles et ethniques avec les victimes, principalement européennes, de totalitarismes hostiles [11] ».
Au risque d’être redondant, il faut mentionner une fois de plus que les chrétiens et les Noirs sont ciblés précisément dans le but de briser ces affinités culturelles entre, d’une part, la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, et le monde soi-disant « occidental », et, d’autre part l’Afrique subsaharienne.
Ethnocentrisme et idéologie : justifier les « guerres justes » d’aujourd’hui Autrefois, les puissances coloniales de l’Europe de l’Ouest endoctrinaient leurs peuples. Leur objectif était d’acquérir un appui populaire pour les guerres de conquête. Pour ce faire, on prônait l’expansion et la promotion du christianisme et des valeurs chrétiennes avec le soutien des marchands armés et des armées coloniales.
Au même moment, on mettait de l’avant des idéologies racistes. Les peuples des pays colonisés étaient dépeints comme des « sous-humains », des inférieurs ou des personnes sans âmes. Finalement, on a utilisé l’argument de « l’épreuve de l’homme blanc », dont la mission consistait à civiliser les peuples du monde prétendument « non civilisés ». Ce cadre idéologique cohésif a été utilisé pour présenter le colonialisme comme une « cause juste ». Cette dernière a été employée à son tour pour conférer une légitimité aux « guerres justes », afin de conquérir et de « civiliser » des terres étrangères.
Aujourd’hui, les desseins impérialistes des États-Unis, de la France, de la Grande-Bretagne et de l’Allemagne n’ont pas changé. Ce qui a changé c’est le prétexte et la justification des guerres de conquête néocoloniales. Durant la période coloniale, les discours et les justifications en faveur de la guerre étaient acceptés par l’opinion publique dans les pays colonisateurs comme la France et la Grande-Bretagne. Aujourd’hui, les « guerres justes » et les « causes justes » sont menées sous les bannières des droits des femmes, des droits humains, de l’humanitarisme et de la démocratie.
Article original en anglais : Preparing the Chessboard for the "Clash of Civilizations": Divide, Conquer and Rule the "New Middle East"
Traduction Julie Lévesque pour Mondialisation.ca
Notes
[1] Richard Perle et al., A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm (Washington, D.C. and Tel Aviv: Institute for Advanced Strategic and Political Studies), 1996.
[2] Ibid.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
[5] Barak Ravid, "Israeli diplomats told to take offensive in PR war against Iran," Haaretz, June 1, 2009.
[6] Perle et al., Clean Break, op. cit.
[7] Aluf Benn, "Sharon says U.S. should also disarm Iran, Libya and Syria," Haaretz, September 30, 2009.
[8] Richard Perle et al., Clean Break, op. cit.
[9] Robert Marquand, "Why Europe is turning away from multiculturalism," Christian Science Monitor, March 4, 2011.
[10] Zbigniew Brzezinski, The Grand Chessboard: American Primacy and Its Geostrategic Imperatives (New York: Basic Books October 1997), p.211.
[11] Ibid.