Un an après s'être levée, la tempête des subprimes ne faiblit pas aux Etats-Unis. Elle continue à provoquer des ravages dans le système bancaire le plus puissant du monde. Une semaine après le renflouement par l'Etat de Freddie Mac et Fannie Mae, les deux piliers du financement immobilier américain, c'est maintenant Lehman Brothers, la cinquième banque d'affaires de Wall Street, qui se retrouve au bord de la faillite. A la Bourse de New York, le cours de son action a dévissé de près de 80 % en une semaine.
Le scénario devient répétitif : la banque assure que, certes, les temps sont difficiles, mais un "plan d'urgence" de rétablissement est en place ; dès lors... elle plonge instantanément. Motif : la défiance des marchés est devenue telle que leur réaction est invariablement identique. Si la banque ou l'Etat assurent que les dispositions utiles sont prises, c'est que l'urgence est immensément plus grave qu'ils ne le disent. Et plus personne n'est disposé à risquer le moindre sou sans garanties "béton".
C'est ce qui s'était passé avant le sauvetage de la banque d'affaires Bear Stearns, au printemps dernier. Elle s'était retrouvée au bord du dépôt de bilan. La Fed (Federal Reserve, banque centrale américaine) avait dû avancer à JP Morgan, à des conditions proches de la donation, les 29 milliards de dollars nécessaires à sa reprise. Sauf que, cette fois, dans le cas de la banque Lehman Brothers qui plonge dans l'abîme, cette option est difficilement reproductible. Secrétaire au Trésor, Henry Paulson a laisser fuiter, vendredi 12 septembre, qu'il n'y aura pas de nouveau Bear Stearns.
Motif de l'intransigeance affichée par le secrétaire au Trésor : la crise dure maintenant depuis assez longtemps pour que Lehman n'ait pas eu le temps de se prémunir. Et depuis trois mois, les guichets de la Fed lui étaient ouverts. Le problème n'est donc pas comparable à la crise de liquidités de Bear Stearns. "Dans ces conditions, il (M. Paulson) est inflexible : il n'y aura pas d'argent public pour résoudre la situation", a déclaré à l'agence Reuters une "source anonyme" très informée (probablement le ministre lui-même).
Tout est donc allé très vite. Mardi, Lehman Brothers, vénérable institution fondée en 1850, 27 000 employés dans le monde, annonce 3,9 milliards de dollars (2,8 milliards d'euros) de pertes au troisième trimestre, compte tenu d'une dépréciation d'actifs de 5,6 milliards de dollars. Le lendemain, Wall Street tangue, Lehman perd 40 %. Son PDG, Richard Fuld, annonce une restructuration, usant du terme de "nettoyage". Lehman se déleste en particulier de sa division titres immobiliers. Dans la foulée, son patron admet qu'il serait enchanté si une "offre alléchante" lui était présentée.
Les investisseurs entendent : c'est donc qu'aucun repreneur n'est candidat. Lehman sombre. Vendredi, son action a clôturé à 3,65 dollars. Elle en valait il y a un an près de 70. Le problème n'est plus celui de sa capitalisation, mais de sa pérennité. Le Trésor et la Fed sont au chevet de l'agonisant. La banque de réserve fédérale de New York a réuni vendredi les dirigeants des grandes banques de Wall Street pour discuter de l'avenir de Lehman Brothers, a-t-on appris de source officielle.
UN PROBLÈME POLITIQUE ET FINANCIER
"De hauts représentants des grandes institutions financières se rencontrent ce soir à la banque de réserve fédérale de New York pour discuter des conditions récentes sur les marchés", a indiqué l'organisme de surveillance des marchés boursiers, la Securities and Exchange Commission (SEC). M. Paulson, le président de la SEC, Christopher Cox et le président de la Fed de New York, Timothy Geithner, participaient à la réunion, a ajouté la SEC dans son bref communiqué.
Objectif, trouver en urgence un repreneur. Beaucoup évoquent une négociation avancée avec Bank of America (BofA), en association avec le fonds souverain chinois CIC et le fonds d'investissement JC Flowers. On entend aussi les noms de la Barclays, de HSBC, d'autres.
Le noeud du problème est à la fois politique et strictement financier. Une reprise à quelles conditions ? Avec quelles garanties ? L'Etat américain semble déterminé à ne pas mettre un seul dollar d'argent public dans le sauvetage de la banque. Pour des raisons conjoncturelles, à moins de deux mois de l'échéance présidentielle. Mais surtout, dit René-Pierre Azria, PDG de la banque d'affaires Tegris Advisers à New York, parce qu'"à la différence de Bear Stearns, Lehman a un problème de valeur, d'actionnariat, mais n'est pas menacé de faillite. En adoptant cette position, Paulson évite de la condamner et préserve la possibilité de voir arriver un courageux chevalier blanc".
Et si ce dernier reste aux abonnés absents ? Alors, juge M. Azria, l'Etat américain ne pourra pas éviter de "nationaliser" de fait Lehman, comme il l'a récemment fait avec les organismes de crédit Fannie Mae et Freddie Mac. Parce que "si la banque s'effondre, on entre dans un inconnu : celui de l'avenir du système financier non bancaire dérégulé, que personne ne maîtrise. M. Paulson ne prendra pas le risque de voir s'enclencher sa faillite générale". Celle-ci, ajoute-t-il, aurait des conséquences mondiales incalculables : sur le rating AAA de la dette des Etats-Unis, donc sur le coût de financement de l'économie américaine. La perspective d'une "dépression internationale grave" serait ouverte.
Le jeu à la mode, parmi les jeunes brokers iconoclastes de Wall Street, est de parier sur la prochaine victime du "domino game". Les "mieux" cotés (ceux dont la cote est la plus proche de 1 contre 1), selon le site Dealbreaker, lieu de toutes les rumeurs du milieu financier, sont l'organisme de crédit Washington Mutual (WaMu), un des principaux détenteurs de titres subprimes, et la célèbre banque d'affaires Merrill Lynch.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/09/13/washington-organise-le-sauvetage-de-lehman_1094850_3234.html#xtor=RSS-3208
Le scénario devient répétitif : la banque assure que, certes, les temps sont difficiles, mais un "plan d'urgence" de rétablissement est en place ; dès lors... elle plonge instantanément. Motif : la défiance des marchés est devenue telle que leur réaction est invariablement identique. Si la banque ou l'Etat assurent que les dispositions utiles sont prises, c'est que l'urgence est immensément plus grave qu'ils ne le disent. Et plus personne n'est disposé à risquer le moindre sou sans garanties "béton".
C'est ce qui s'était passé avant le sauvetage de la banque d'affaires Bear Stearns, au printemps dernier. Elle s'était retrouvée au bord du dépôt de bilan. La Fed (Federal Reserve, banque centrale américaine) avait dû avancer à JP Morgan, à des conditions proches de la donation, les 29 milliards de dollars nécessaires à sa reprise. Sauf que, cette fois, dans le cas de la banque Lehman Brothers qui plonge dans l'abîme, cette option est difficilement reproductible. Secrétaire au Trésor, Henry Paulson a laisser fuiter, vendredi 12 septembre, qu'il n'y aura pas de nouveau Bear Stearns.
Motif de l'intransigeance affichée par le secrétaire au Trésor : la crise dure maintenant depuis assez longtemps pour que Lehman n'ait pas eu le temps de se prémunir. Et depuis trois mois, les guichets de la Fed lui étaient ouverts. Le problème n'est donc pas comparable à la crise de liquidités de Bear Stearns. "Dans ces conditions, il (M. Paulson) est inflexible : il n'y aura pas d'argent public pour résoudre la situation", a déclaré à l'agence Reuters une "source anonyme" très informée (probablement le ministre lui-même).
Tout est donc allé très vite. Mardi, Lehman Brothers, vénérable institution fondée en 1850, 27 000 employés dans le monde, annonce 3,9 milliards de dollars (2,8 milliards d'euros) de pertes au troisième trimestre, compte tenu d'une dépréciation d'actifs de 5,6 milliards de dollars. Le lendemain, Wall Street tangue, Lehman perd 40 %. Son PDG, Richard Fuld, annonce une restructuration, usant du terme de "nettoyage". Lehman se déleste en particulier de sa division titres immobiliers. Dans la foulée, son patron admet qu'il serait enchanté si une "offre alléchante" lui était présentée.
Les investisseurs entendent : c'est donc qu'aucun repreneur n'est candidat. Lehman sombre. Vendredi, son action a clôturé à 3,65 dollars. Elle en valait il y a un an près de 70. Le problème n'est plus celui de sa capitalisation, mais de sa pérennité. Le Trésor et la Fed sont au chevet de l'agonisant. La banque de réserve fédérale de New York a réuni vendredi les dirigeants des grandes banques de Wall Street pour discuter de l'avenir de Lehman Brothers, a-t-on appris de source officielle.
UN PROBLÈME POLITIQUE ET FINANCIER
"De hauts représentants des grandes institutions financières se rencontrent ce soir à la banque de réserve fédérale de New York pour discuter des conditions récentes sur les marchés", a indiqué l'organisme de surveillance des marchés boursiers, la Securities and Exchange Commission (SEC). M. Paulson, le président de la SEC, Christopher Cox et le président de la Fed de New York, Timothy Geithner, participaient à la réunion, a ajouté la SEC dans son bref communiqué.
Objectif, trouver en urgence un repreneur. Beaucoup évoquent une négociation avancée avec Bank of America (BofA), en association avec le fonds souverain chinois CIC et le fonds d'investissement JC Flowers. On entend aussi les noms de la Barclays, de HSBC, d'autres.
Le noeud du problème est à la fois politique et strictement financier. Une reprise à quelles conditions ? Avec quelles garanties ? L'Etat américain semble déterminé à ne pas mettre un seul dollar d'argent public dans le sauvetage de la banque. Pour des raisons conjoncturelles, à moins de deux mois de l'échéance présidentielle. Mais surtout, dit René-Pierre Azria, PDG de la banque d'affaires Tegris Advisers à New York, parce qu'"à la différence de Bear Stearns, Lehman a un problème de valeur, d'actionnariat, mais n'est pas menacé de faillite. En adoptant cette position, Paulson évite de la condamner et préserve la possibilité de voir arriver un courageux chevalier blanc".
Et si ce dernier reste aux abonnés absents ? Alors, juge M. Azria, l'Etat américain ne pourra pas éviter de "nationaliser" de fait Lehman, comme il l'a récemment fait avec les organismes de crédit Fannie Mae et Freddie Mac. Parce que "si la banque s'effondre, on entre dans un inconnu : celui de l'avenir du système financier non bancaire dérégulé, que personne ne maîtrise. M. Paulson ne prendra pas le risque de voir s'enclencher sa faillite générale". Celle-ci, ajoute-t-il, aurait des conséquences mondiales incalculables : sur le rating AAA de la dette des Etats-Unis, donc sur le coût de financement de l'économie américaine. La perspective d'une "dépression internationale grave" serait ouverte.
Le jeu à la mode, parmi les jeunes brokers iconoclastes de Wall Street, est de parier sur la prochaine victime du "domino game". Les "mieux" cotés (ceux dont la cote est la plus proche de 1 contre 1), selon le site Dealbreaker, lieu de toutes les rumeurs du milieu financier, sont l'organisme de crédit Washington Mutual (WaMu), un des principaux détenteurs de titres subprimes, et la célèbre banque d'affaires Merrill Lynch.
http://www.lemonde.fr/economie/article/2008/09/13/washington-organise-le-sauvetage-de-lehman_1094850_3234.html#xtor=RSS-3208