La taxe inflation
Ou comment et pourquoi prêteurs et emprunteurs subissent
indistinctement et injustement les conséquences de la création monétaire
On a beau retourner le problème dans tous les sens, il s’avère que l’argent est au centre de notre société. Même si cela vous révulse, il n’empêche, tout est déterminé par l’argent. C’est l’argent qui fait courir une grande partie de l’humanité et pourtant, peu de gens connaissent le cycle de vie de l’argent et sa finalité ; peu de gens savent vraiment comment naît et meurt l’argent. Tout le monde ne cesse de geindre sur la perte de son pouvoir d’achat sans même se douter que cela est orchestré, sciemment provoqué. Le cycle de la création et de la destruction monétaire, tout comme d’ailleurs celui de la croissance économique, porte en lui les germes de la perte du pouvoir d’achat. Aimeriez-vous en savoir un peu plus sur ce sujet ? Allons donc faire un petit tour dans les coulisses de la création et de la destruction monétaire
1. Le cycle de création et de destruction monétaire
D’une manière générale, nul ne peut faire abstraction de la nécessité d’échanger des produits et des services. En effet, dans notre monde industrialisé et urbanisé, quasiment personne n’est en mesure de vivre en autarcie, replié sur lui-même avec ses seules ressources. Ainsi, ne serait-ce que pour satisfaire les besoins essentiels à la vie, à savoir se nourrir, se vêtir et se loger, il faut de l’argent, ou à défaut, un mode de paiement acceptable et accepté qui fasse office d’un instrument d’échange honnête. L’humanité a fait toutes sortes d’expériences : elle a fait du troc, elle a utilisée des matières végétales telles que le tabac ou le thé dans les colonies américaines au 17ème et 18ème siècle ; elle a aussi utilisé des matières métalliques comme la pièce de cuivre, la pièce d’argent ou la pièce d’or. Il faut bien en convenir, quels que soient les supports d’échange utilisés avant le papier-monnaie, ils se sont tous heurtés à divers obstacles telles que la possession, la conservation, la circulation et la quantité. Ces problèmes relatifs aux moyens d’échange eurent notamment pour conséquence d’étouffer le commerce et donc, de freiner les développements économiques.
La réussite de la diffusion de la monnaie-papier fut la conséquence de la résolution des problèmes inhérents à tous les autres moyens d’échanges. On peut aisément se déplacer avec des liasses de billets dans ses poches qui ont la valeur d’une grange remplie de feuilles de tabac. On voit d’ailleurs ici que c’est la valeur nominale du billet et pas nécessairement la quantité qui est importante car s’il faut une brouette pour acheter une motte de beurre, l’intérêt de posséder des billets à foison y perd tout son sens. Qu’il se soit diffusé sous forme de monnaie fiduciaire ou scripturale, au cours du 20ème siècle, le papier-monnaie a partout, dans tous les pays, progressivement remplacé tous les autres moyens de paiement. Or, avec du recul, force est de constater que le papier-monnaie est tout sauf un instrument d’échange honnête puisque sa valeur s’effrite continuellement.
Le contrôle de la création monétaire a toujours été au centre des préoccupations de ceux qui détiennent le pouvoir. Celui qui contrôle la monnaie contrôle le monde. Autrefois, les empereurs et les rois se sont octroyé le droit de battre monnaie. Plus qu’un symbole de puissance ou de mégalomanie, frapper la monnaie à son effigie était avant tout le moyen de conserver et d’étendre son pouvoir. Plus un empire parvenait à fabriquer, ou éventuellement à capter et amasser des richesses via l’impôt, le tribut ou la rapine, et plus son souverain sentait le furieux besoin d’aller porter sa renommée hors de ses frontières. Si la puissance des républiques italiennes du 13ème au 15ème siècle résultait de ses activités commerciales (étoffes, épices, or …) dans le bassin méditerranéen, en revanche, celle des Habsbourg au 16ème et 17ème siècle fut directement liée à la refonte de l’or extrait en Amérique. L’apport massif du métal jaune en Europe provoqua une poussée inflationniste qui encouragea Jean Bodin à travers sa « Réponse au paradoxe de M. de Malestroict touchant l'enchérissement de toutes choses, et le moyen d'y remédier » à formuler la première théorie quantitative de la monnaie. Dès lors que le flux des métaux précieux en provenance des Amériques s’est tari, l’empire des Habsbourg s’effrita progressivement aux profits des Bourbons dans l’Europe du Sud et des marchands hollandais et anglais dans l’Europe du Nord et des Hohenzollern dans l’Europe de l’Est.
Si les questions de taxations de produits constituèrent le prétexte à la rupture des relations commerciales entre les Treize Colonies et la Grande-Bretagne, puis à la déclaration d’Indépendance des Etats-Unis d’Amérique, en fait, la séparation fut davantage consommé par le refus des banquiers de la City d’accepter que les Treize Colonies émettent leur propre monnaie, le « colonial script ». En votant le 9 avril 1764 le Currency Act, le parlement anglais interdisait aux Treize Colonies d’émettre quelque monnaie que ce soit et consacrait la primauté de la Livre-Sterling, une monnaie gagée sur l’or et l’argent. Or, la pénurie chronique de métaux précieux entravait le développement économique des colonies américaines. Pour obtenir ces métaux, ou du moins leurs équivalents, les colons étaient obligés de l’emprunter auprès des banquiers de la City. En émettant leur propre monnaie, les colons s’affranchissaient du paiement des intérêts d’emprunts aux banquiers de la métropole.
Il n’est pas inintéressant de s’arrêter quelques instants sur les écrits de Benjamin Franklin à propos des Treize Colonies. En 1750, il relata en tant que représentant colonial : « Impossible de trouver de population plus heureuse et plus prospère sur toute la surface du globe. Dans les colonies, nous émettons notre propre papier-monnaie, nous l'appelons Colonial Script, et nous en émettons assez pour faire passer facilement tous les produits des producteurs aux consommateurs. Créant ainsi notre propre papier-monnaie, nous contrôlons notre pouvoir d'achat et nous n'avons aucun intérêt à payer à personne. ». Ce n’est pas un hasard si les Pères fondateurs insistèrent à écrire dans l’article 1, section 8 paragraphe 5 de la Constitution américaine : « c’est au Congrès qu’appartiendra le droit de frapper l’argent et d’en régler la valeur ». En effet, en tant qu’ambassadeur en France après la Déclaration d’Indépendance, Benjamin Franklin fit la remarque suivante « En un an, (après le vote du Currency Act, NdT), les conditions changèrent tellement que l'ère de prospérité se termina, et une dépression s'installa, à tel point que les rues des colonies étaient remplies de chômeurs. Les colonies auraient volontiers supporté l'insignifiante taxe sur le thé et autres articles, sans la pauvreté causée par la mauvaise influence des banquiers anglais sur le Parlement : ce qui a créé dans les colonies la haine de l'Angleterre et causé la guerre de la Révolution. »
La fabrication de fausse-monnaie a toujours constitué un délit. Si autrefois cette activité était passible de peine de mort, aujourd’hui, sous le motif que faire passer de l’argent fantaisie pour du véritable argent est un vol de toute la société, les faussaires sont sanctionnés d’un emprisonnement à vie. Mais comme le dit Maurice Allais, Prix Nobel de Sciences Economiques 1988 : « par essence, la création monétaire ex nihilo que pratiquent les banques est semblable, je n'hésite pas à le dire pour que les gens comprennent bien ce qui est en jeu ici, à la fabrication de monnaie par des faux-monnayeurs, si justement réprimée par la loi. ». Duralex sed lex.
Actuellement, presque tout le monde pense que la création monétaire est, en vertu de l’héritage du droit régalien de battre monnaie, monopolisé par l’Etat. Vous pouvez interrogez n’importe qui à ce sujet, même votre banquier préférée, il vous répondra d’un air martial et en toute bonne foi que seul l’Etat, à travers la banque centrale, dispose du droit de créer la monnaie. Il est vrai que les pièces et les billets sortent directement des usines des banques centrales ; mais le monopole de l’émission de cette monnaie représente tout juste 10 % de l’argent en circulation (agrégat M1) et, comme nous allons le voir, c’est d’ailleurs à partir de cette base que le système bancaire et financier va générer sa propre masse de moyens de paiements (agrégat M2 etM3).
En fait, il s’avère que la plupart des Etats ont finalement peu de prise sur la création monétaire de leur pays. Savez-vous pourquoi ? Parce que les banques commerciales se sont accaparés ce pouvoir. J’entends déjà certains me dire : « Qu’est que c’est que cette farce ? Comment est-ce possible ?». Comme nous allons le voir plus loin, elles ont réussi à créer un instrument d’échange, à le promouvoir puis à le faire accepter avant de l’imposer définitivement. Et c’est évidemment pour leurs seuls bénéfices, grâce aux taux d’intérêt qu’ils encaissent sur la quasi-totalité de l’argent émis, que les banques commerciales ont réussies le tour de force à transformer un instrument d’échange en une source de profits très lucratifs.
Comment les banques commerciales s’y prennent-elles pour créer de l’argent ? En fait c’est relativement simple puisque c’est à travers les prêts accordés à tous les agents économiques que les banques commerciales créent de l’argent. Voyons comment cela se passe. Sur le plan comptable, par un banal jeu d’écritures, les banques inscrivent au passif de leurs propres comptes bancaires le montant de l’emprunt et à l’actif des comptes bancaires des emprunteurs le montant des prêts. Avant cette opération comptable, l’argent n’existait pas. Et voilà qu’à l’issue de cette opération comptable, un miracle biblique s’est produit : le compte banque de l’emprunteur est crédité d’une somme qu’il a tout loisir de dépenser comme bon lui semble. D’ailleurs l’emprunteur, dont le pouvoir d’achat vient subitement d’être regonflé, ne va pas se faire prier pour injecter dans le circuit économique cet expédient « tombé du ciel ».
En fait, en raison de la multiplication des prêts, la monnaie scripturale constitue aujourd’hui la majeure partie de l’argent en circulation. Or, de par la Loi et même si techniquement elle coûte moins chère à fabriquer, la monnaie scripturale a strictement la même valeur que la monnaie fiduciaire (= les billets de banques ou les pièces de monnaies) émis par les banques centrales. Notons que les billets et les pièces de monnaie tendent peu à peu à disparaître face à la montée en puissance de l’utilisation des cartes bancaires comme mode de paiement. D’ailleurs au passage, il n’aura échappé à personne combien les gens s’obstinent à qualifier leurs cartes bancaires de « carte de crédit ». Je soupçonne quelques services marketing d’entretenir l’ambiguïté sémantique vis-à-vis de l’appellation d’origine contrôlé de la carte bancaire. En effet, au regard de la fièvre acheteuse s’emparant de quelques cervelles de piafs, parfois je me demande si à chaque fois qu’ils chauffent leurs « cartes de crédits » ils ne pensent pas que leurs comptent banques augmentent. Les consommateurs auraient-ils le même comportement consumériste s’ils la dénommaient par ce qu’elle est vraiment : une carte de débit ? Il y en a même qui appelle affectueusement leur carte bancaire : « carte bleue ». En tous les cas je puis vous assurer, à chaque passage en caisse, votre carte bancaire a bien pour fonction de tailler votre compte à la hache et de provoquer inlassablement des hémorragies comptables. Mais revenons au sujet qui nous occupe et préoccupe. En distribuant les prêts, les banques commerciales disposent donc du royal privilège de créer de l’argent. Comme nous allons le voir maintenant, elles ne vont pas se priver pour user et abuser de ce droit.
Dernière édition par ziril le 18/4/2011, 10:30, édité 2 fois