(debut de l'article page precedente titre:"Dossiers subprimes US, très interessant")
Bear Stearns rayée de la carte.
« L’ensemble du marché des subprimes a vraiment une sale gueule. Il pourrait être carbonisé. » Ce petit courriel, saisi par le FBI, pourrait condamner Matthew Tannin, 46 ans, gestionnaire d’un fonds de la banque Bear Stearns bourré de subprimes jusqu’à la gueule. Datant d’avril 2007, il est adressé à un collègue, Ralph Cioffi, 52 ans, qui gère un autre fonds, toujours pour Bear Stearns et toujours bourré de subprimes. Quatre jours après ce mail très (trop) clairvoyant, les deux hommes expliquent pourtant à leurs investisseurs qu’ils sont « tout à fait à l’aise ». Mensonge ! En juillet 2007, les deux fonds sont fermés. Aujourd’hui, Cioffi et Tannin sont accusés par le FBI de « fraude » et de « conspiration » . Ils sont les premiers à payer pour la crise financière. Sûrement pas les derniers : à la mi-juin, le FBI avait procédé à 406 inculpations et 60 arrestations et plusieurs établissements étaient dans son collimateur à la suite de plaintes (Countrywide, Bearer Homes, Chevy Chase Bank, Doral Financial...).
Ce que ne savaient pas les deux compères Tannin et Cioffi, c’est que leur échec allait marquer le début de la fin pour leur banque, la Bear Stearns, l’une des grandes signatures de Wall Street, une institution vieille de 85 ans. En quelques jours seulement, Bear Stearns, qui comme ses deux gérants avait abusé des subprimes, sera rayée de la carte. Tout s’est précipité le 13 mars 2008 quand éclate une crise de confiance. Les gros clients de Bear se mettent à retirer leurs fonds. Alan Schwartz, directeur général de la banque, ne réalise pas tout de suite le danger. Ce jour-là, il est avec des clients en Floride. Quand il se ravise, il est trop tard. Il appelle James Dyson, son collègue de JPMorgan Chase, pour sauver les meubles. Dyson dînait en famille dans un restaurant grec de New York. Il veut voir ce que la Réserve fédérale, prévenue par les avocats de la Bear, va faire. La réponse tombe assez vite : la Fed octroie un prêt jumbo de 29 milliards de dollars pour permettre le rachat de la Bear par JPMorgan. C’est la plus grosse opération de sauvetage jamais effectuée depuis la crise de 1929 ! Le 16 mars, JPMorgan ramasse la Bear à la casse : entre banquiers, le sens de l’entraide a ses limites...
Pendant ces moments cruciaux, James Cayne, 74 ans, le chairman de la Bear (il possédait à lui seul 5 % du capital), participait à un tournoi de bridge, sa passion, à Chicago. Il ne sortira de sa torpeur que pour obtenir un relèvement du prix payé par JPMorgan, qui finalement topera à 10 dollars l’action au lieu de 2.
Exit donc Alan Schwartz et James Cayne. Ces figures de Wall Street ne sont pas les seules à avoir payé leur tribut à la crise. La liste des « cadavres exquis » est impressionnante. En octobre 2007, c’est Stanley O’Neal, le patron de Merrill Lynch, qui doit partir, juste après avoir procédé à une dépréciation massive (8,6 milliards de dollars). En novembre de la même année, Charles Prince, de Citigroup, alors la plus grande banque du monde, tombe à son tour. L’un de ses actionnaires, le prince saoudien Al-Walid, ne cessait de le critiquer ; la crise l’a emporté. Plus récemment, en juin 2008, deux autres gros calibres mordent la poussière. Martin Sullivan, 53 ans, dirigeait AIG, la plus grande compagnie d’assurances au monde. Son erreur ? Ne pas avoir suivi d’assez près sa filiale, AIG Financial Products, un concentré de produits hautement spéculatifs. Kennedy Thomson, 57 ans, dirigeait lui Wachovia, la quatrième banque américaine. Il paie le fait d’avoir racheté au pire moment, en octobre 2006, Golden West Financial, spécialiste du... financement immobilier.
Les dirigeants américains en première ligne ? Normal, le centre de la crise financière se situe aux Etats-Unis. C’est là que tout s’est joué. Là que les subprimes, invention diabolique, ont été rachetées par des banques, puis agglomérées à d’autres dettes et finalement transformées en obligations (la fameuse « titrisation »), puis placées dans le monde entier. Occasionnant des dégâts collatéraux hors des Etats-Unis. Et quels dégâts !
Du jamais-vu depuis cent ans !
« Comment la quatrième économie mondiale a-t-elle pu connaître une panique digne de la république de Weimar ou du Zimbabwe ? » En Grande-Bretagne, un mois après le naufrage de Northern Rock, huitième banque du pays, un député conservateur s’interroge. Tout commence le 13 septembre 2007, quand la BBC révèle que Northern Rock demande un soutien d’urgence à la Banque d’Angleterre. Fuite mortelle pour la banque de Newcastle aux pratiques commerciales limites. Dès le lendemain, elle est obligée d’accorder un prêt, car les déposants, alertés, font la queue devant les 90 agences de Northern Rock dans tout le pays. Du jamais-vu depuis cent ans ! Le gouvernement de Gordon Brown va, lui, garantir les dépôts, et la Banque d’Angleterre ne cessera d’augmenter ses concours (au total près de 40 milliards d’euros !). Pendant toute la crise, la Banque d’Angleterre (qui voulait lâcher la banque) et le gouvernement (qui prônait le soutien) ne sont pas sur la même longueur d’onde. D’où les atermoiements. Des groupes privés (dont l’inévitable Richard Branson) essaieront de mettre le grappin sur Northern Rock, qui finalement sera nationalisée en février 2008. Décision invraisemblable dans la très libérale Angleterre ! Grandes (HSBC, RBS...) ou petites (Bradford & Bingley...), les autres banques britanniques, tout en accusant le coup, ont mieux résisté que Northern Rock.
Mais que dire de la Suisse ? Avec la Grande-Bretagne, et dans une mesure moindre l’Allemagne (IKB, Sachsen LB...), c’est le pays européen qui a le plus souffert. C’est spécialement vrai de la première d’entre elles, UBS. De janvier 2007 à juillet 2008, UBS a annoncé, et de loin, les plus lourdes dépréciations de toutes les banques européennes : 38 milliards de dollars ! Marcel Ospel, l’ex-PDG d’UBS, était un monument. Lui qui, depuis 1996, avait fait de son établissement une banque de dimension mondiale, a tout perdu en quelques mois. Tout cela pour avoir retenu un super-trader, John Costas, qui menaçait de partir à la concurrence et qui, finalement, exposera trop massivement la banque aux subprimes. Ospel tentera de sauver sa peau. En avril 2008, il doit partir. Victime emblématique de la crise, tout comme, très récemment, Jean-Paul Votron, le patron du géant belgo-néerlandais Fortis.
Rien à voir avec les mésaventures d’un Daniel Bouton, qui de PDG est devenu simple président du conseil d’administration de la Société générale : l’affaire Kerviel, qui éclate le 24 janvier 2008, n’est que très indirectement liée à la crise financière mondiale. Sans elle, Bouton aurait survécu aux vents contraires venus des Amériques et conservé sa morgue : sa banque a déprécié 6,3 milliards de dollars, soit moins que le Crédit agricole (8,3 milliards). Ce qui a d’ailleurs provoqué un beau psychodrame à la tête de la banque verte. Les barons qui dirigent les caisses régionales ont renâclé devant les milliards du Crédit agricole partis en fumée sur les marchés internationaux. René Carron, le charismatique président, les a fait taire d’un bon coup de poing sur la table. Les ennuis de la banque verte, il est vrai, ne sont rien à côté de ce qui se passe chez Natixis, banque d’investissement commune aux Caisses d’épargne et aux Banques populaires. Le 17 juillet, il a fallu improviser une augmentation massive de capital. C’est l’état d’urgence.
Trois autres crises.
Quand ce cauchemar se terminera-t-il donc ? Le problème, c’est que la crise bancaire coexiste avec trois autres. Une crise inflationniste : les prix augmentent à un niveau jamais égalé depuis près de vingt ans (5 % en rythme annuel aux Etats-Unis, 4 % dans la zone euro, en juin, et... 3,6 % en France !). Une crise pétrolière : le prix du brut a pratiquement doublé en un an. Une crise monétaire, enfin : l’euro a touché le 15 juillet son plus haut historique avec le dollar (1,60). « C’est la totale », dit un banquier. D’autant que le credit crunch (resserrement du crédit) provoqué par les banques qui veulent rétablir leurs comptes commence à faire mal. Les perspectives 2008 de croissance économique aux Etats-Unis ne sont pas brillantes (0,5 % selon le Fmi). Même scénario pour la zone euro (1,7 %). La liste des pays les plus menacés par une récession n’est pas secrète : Royaume-Uni, Espagne, mais aussi Danemark, Irlande, Islande. En Allemagne, le moral des entrepreneurs est au plus bas. En France, c’est le moral des ménages.
Comment dénouer tous ces noeuds ? Si l’idée est d’en finir au plus vite avec la crise financière en donnant plus d’aisance aux banques, tout en « forçant » la croissance économique et en relançant le logement, il faudrait maintenir des taux d’intérêt bas. C’est ce que fait Ben Bernanke à la Fed (son taux directeur est de 2 %). Il n’a pas le choix : son système bancaire est en capilotade. Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne, a pris, lui, un autre parti : lutter contre l’inflation. C’est pourquoi, petit à petit, il a relevé ses taux (4,25 % début juillet). La vraie, la seule question qui se pose aujourd’hui est celle de savoir si Bernanke ne va pas rejoindre le combat de Trichet. Un indice : « L’inflation est trop élevée », vient de déclarer le président de la Fed. Comme Trichet, Bernanke a l’obsession du « second tour ». Il sait que, si les banques centrales laissent filer les prix des matières premières et du pétrole sans réagir, au final cela va amorcer l’infernale spirale prix-salaires. Alors, si d’aventure les Etats-Unis, eux aussi, remontaient leur taux, on se retrouverait au bord du précipice... Noir, c’est noir.
A moins que... A moins que l’on ne pointe quelques raisons d’espérer. Après tout, sans parler de Goldman Sachs qui a merveilleusement joué de la crise, certaines banques, comme Well’s Fargo, JPMorgan, Bank of America ou Citigroup refont surface. Tout en fait se jouera-c’est ça, la mondialisation...-en dehors de l’Europe et des Etats-Unis. Le répit pourrait en effet venir d’un ralentissement de la croissance en Chine et en Inde (8 à 10 %). Ralentissement qui provoquerait une accalmie bienvenue sur le front de l’inflation. N’en voit-on pas les premiers signes ? A la mi-juillet, le prix du pétrole a perdu 11 dollars en trois jours, passant au-dessous de 130 dollars le baril. De même, depuis quatre mois, les prix alimentaires (notamment les céréales) semblent se calmer. Simple rémission ?
De passage récemment à Paris, John Paulson, un gestionnaire de hedge funds très écouté (il a touché l’an dernier la plus grosse rémunération dans son secteur, 3,7 milliards de dollars !), estimait que les banques n’avaient pas fini de nettoyer leurs bilans. D’après lui, les pertes liées aux subprimes portent sur 1 300 milliards de dollars (contre 945 selon le Fmi) et seules 30 % ont, pour l’instant, été inscrites dans les bilans. « Il faudra deux ans », assure-t-il, pour revenir à la normale. Deux ans, autrement dit l’éternité. Espérons qu’il se trompe.
source:boursorama pseuo:"Cameon"