Âmi du monde 8/12/2009, 01:36
Entretien avec Cheikh Bentounès (Nouvelles Clés)
Propos recueillis par Bruno Solt
Maître soufi de la confrérie Alawiya de Mostaganem, Cheikh Khaled Bentounès, qui fait régulièrement le voyage entre les deux rives de la Méditerranée, se retrouve au coeur du drame algérien. Homme de paix, qui consacre toute sa vie à oeuvrer pour le dialogue entre les religions, que pense-t-il de l’espoir que suscitent en nous les résistants à la barbarie ?
C. Bentounès – DR.
Nouvelles Clés : À considérer certaines informations qui nous arrivent d’Algérie , on se prend à croire que la plus grande lumière peut réellement côtoyer la plus grande obscurité…
Cheikh Bentounès : Il faut plus d’une émission de télévision pour comprendre ce qui se passe réellement dans ce pays. La souffrance de l’Algérie martyrisée dépasse – et de loin – ce que la presse et les médias peuvent rapporter épisodiquement. Nous sommes confrontés à un problème dont l’origine est lointaine et les intérêts colossaux. S’il est bon et souhaitable que tous ceux qui se sentent proches de ce pays, qui l’aiment ou qui le respectent, prennent la parole afin de briser le mur de silence et d’indifférence qui le cerne, nous sommes loin d’être informés réellement des dessous que cache cette dure réalité vécue quotidiennement par des millions d’Algériens. L’Algérie est un pays riche et prospère, capable de nourrir tous ses habitants. Peut-être l’un de ses malheurs est-il cette richesse mal exploitée et mal répartie. Faut-il pour autant désespérer ? Je ne pense pas. Ce pays a traversé dans son histoire une multitude d’épreuves, dont il s’est toujours relevé, plus fort peut-être qu’il ne l’était.
N.C. : Combien troublant le courage de ces hommes, et plus encore de ces femmes, qui ont décidé de lutter, à visage découvert, pour défendre la liberté et la conscience au péril de leur vie. L’avenir musulman semble dépendre du courage de ses femmes…
C.B. : Les femmes sont notre honneur, notre joie et notre consolation. Elles sont les premières touchées par ce drame qui nous assaille, le dernier rempart hurlant à la folie humaine. Elles n’ont plus de larmes à force d’avoir pleuré. Il ne leur reste que les cris stridents qui déchirent la nuit et demandent un secours qui ne viendra jamais. Elles ont été la force de ce peuple, les gardiennes de sa tradition. Le Prophète lui- même les a honorées. N’a-t-il pas dit : “Le Paradis est sous les talons de la mère” ? Elle était, hier, l’amam, la garante de paix des conflits. Elle est devenue aujourd’hui l’agneau du sacrifice des messes noires du Cheïtan (Satan) déchaîné.
N.C. : En écoutant les jeunes gens du village de Tibirine dire toute l’amitié qui les liait aux moines trappistes assassinés par les hommes de l’ombre, puis le mufti de Marseille, Soheib Ben cheikh, expliquer la subtilité de l’équilibre des fraternités de part et d’autre de la Méditerranée entre chrétiens et musulmans, on est gagné par un espoir fou…
C.B. : Un proverbe arabe dit : “Celui qui est loin du conflit garde toute sa raison.” Avant de parler de fraternité entre les hommes, de respect mutuel entre les cultures, de compréhension et d’échanges entre les deux rives de la Méditerranée, il faudrait savoir à qui l’on s’adresse. Si l’humanité a encore un sens pour nous, si elle habite encore le coeur des hommes, tout est clair pour chacun de nous dans l’intérêt de tous. C’est l’évidence même ! Le respect de l’islam pour les autres religions du Livre, l’histoire l’a confirmé, car il est le garant de l’universalité inscrite dans cette religion. Durant des siècles, juifs, chrétiens et musulmans ont vécu dans les mêmes cités, les mêmes quartiers, les mêmes maisons… Il nous faut vaincre la barbarie dans nos coeurs !http://www.nouvellescles.com/article.php3?id_article=680