Ce texte, La Société contre l'État, que nous rééditons est
la conclusion d'un recueil d'articles, de même nom,
écrit par Pierre Clastres* portant sur les sociétés primitives, et plus
particulièrement sur les sociétés amérindiennes.
Loin de nous de vouloir idéaliser, ou prendre pour modèle, ces
sociétés. Elles ont, elles aussi, leurs défauts : répartition sexuelle du
travail, primat du collectif sur l'individu, relation conflictuelle, voire
violente, avec les sociétés voisines…
Néanmoins ces sociétés, disparues pour la plupart mais encore
intactes en certains endroits du globe, nous permettent de
« décoloniser » notre imaginaire : la société occidentale, hiérarchisée et
autoritaire, n'est pas le seul modèle. Il existe d'autres modes
d'organisation possible : des sociétés sans États.
Trop souvent la société « moderne », la société industrielle et
technicienne, est considérée comme l'aboutissement de l'organisation
sociale ou, pour les plus modérés, un stade plus évolué par lesquelles
devront passer les sociétés dite primitives. Il n'en est rien, et Pierre
Clastres nous le démontre dans ce texte.
La société primitive n'est pas une société « sous évoluée »,
société qui n'aurait pas encore abouti à la forme étatique. Bien au
contraire, la société primitive, sans État, est un autre choix de société,
une société qui s'organise de façon à lutter contre l'émergence de l'État
et de tout pouvoir coercitif. La Société contre l’État
Société sans État, donc. Mais aussi société sans classe.
Contrairement aux idées marxistes, Pierre Clastres démontre également
que la division en classes sociales ne vient pas de l'économie mais de
l'émergence de l'État : le politique prime sur l'économique.
Autre mythe trop souvent persistant : la société primitive serait
une société du manque et de la survie. Cette croyance vient du fait que
les sociétés primitives ont un niveau technologique peu développé (par
rapport à celui des sociétés modernes, mais bien suffisant pour leur
mode de vie) et une économie de subsistance.
Pourtant, rien n'est plus faux. Au contraire, les sociétés
primitives sont des sociétés d'abondance, mais d'abondance dans la
sobriété : pas de courses effrénées dans les rendements ou les
innovations technologiques. La production, et donc le travail, sont
remis à leur juste place : produire le nécessaire pour combler les
besoins (ce qui inclus un stock pour prévenir les aléas climatiques).
Du coup le travail s'en trouve transformé : on ne perd plus sa vie
à la gagner. D'une part il redevient une activité utile, « plaisante » et
socialisante ; d'autre part sa durée journalière est drastiquement
réduite : 4 heures de labeur sont suffisante à ces sociétés pour subvenir
à leurs besoins.
Il en va de même pour la technique. On crée de nouveaux outils
uniquement pour s'adapter aux conditions extérieures lorsque le besoin
s'en fait sentir. Contrairement à nos sociétés occidentales, les outils
s'adaptent aux modes et aux choix de vies et non l'inverse.
Ces sociétés primitives nous permettent donc d'imaginer et
d'élaborer un autre mode d'organisation sociale : une société
antiautoritaire et décroissante, où le progrès et le travail reprendrait leur
juste place, nécessaire mais non primordiale.
Gijomo