Sujet très intéressant. J'ai reçu ce post par mail, sans lien... après recherches, j'ai trouvé cela : http://www.islamisation.fr/archive/2012/08/07/conerence-d-alain-chouet-ex-directeur-de-la-dgse-sur-les-rev.html
Conférence d'Alain CHOUET (ex directeur de la DGSE)
sur les révolutions islamiques en cours
Invité de l'Association Régionale Nice Côte d'Azur de l'IHEDN (AR29), le 27
juin 2012, Alain CHOUET, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la
DGSE, reconnu bien au-delà de l'Hexagone pour son expertise du monde arabomusulman,
a livré aux auditeurs son sentiment au cours d'une conférence qui a
connu un vif succès.
sur les révolutions islamiques en cours
Invité de l'Association Régionale Nice Côte d'Azur de l'IHEDN (AR29), le 27
juin 2012, Alain CHOUET, ancien chef du service de renseignement de sécurité de la
DGSE, reconnu bien au-delà de l'Hexagone pour son expertise du monde arabomusulman,
a livré aux auditeurs son sentiment au cours d'une conférence qui a
connu un vif succès.
- L'expression “printemps arabe” est censée faire référence au
“Printemps des peuples” de 1848. Depuis la révolte de Sidi Bouzid, le 17
décembre 2010, la contagion s'est étendue de la Tunisie successivement à
l'Égypte, à la Libye, à Bahrein, au Yémen et enfin en Syrie.
Contrairement à ce qui a pu être dit, ces contestations populaires,
d'une ampleur et d'une intensité très variables, n'ont pas été le fait des
“réseaux sociaux”, dans des pays où l'accès à Internet est réduit à une
minorité de personnes “branchées” et où les moyens de blocage du Net
sont très développés. Même si les aspirations de ces divers peuples
visaient à chasser des dirigeants corrompus pour favoriser l'instauration
d'une démocratie, les manifestants en reprenant le slogan Dégage !
(Erhal en arabe) entendaient réclamer un meilleur partage des richesses
pour améliorer leurs conditions de vie, obtenir des emplois et retrouver
une certaine dignité (karama en arabe). En fait, ces révoltes, révolutions
ou encore “réveil arabe” ont en commun d'avoir été financées par le
Qatar et d'autres monarchies du Golfe et d'avoir été encadrées par les
Frères musulmans.
Le résultat ne s'est pas fait attendre : on en voit déjà les effets en
Tunisie, en Libye et bientôt en Égypte. La question que l'on est en droit
de se poser est : par quel miracle, les européens ont-ils pu soutenir à ce
point des mouvements qui vont à la fois à l'encontre des intérêts mêmes
de ces populations et aussi des nôtres ? Si la démocratisation de ces pays
ne nous laisse pas indifférent, les voir retomber dans une nouvelle forme
de soumission plus insidieuse n'augure rien de bon pour l'avenir.
Depuis plus d'un an, ce printemps arabe n'en finit pas. La Syrie est
le dernier pays à avoir été pris dans une tourmente qui a mis le pays à feu
et à sang.
Les pires conjectures formulées au premier semestre 2011
concernant les mouvements de révolte arabes deviennent aujourd’hui
réalité. Je les avais largement exposées dans divers ouvrages et revues à
contre courant d’une opinion occidentale généralement enthousiaste et
surtout naïve. Car il fallait tout de même être naïf pour croire que, dans
des pays soumis depuis un demi-siècle à des dictatures qui avaient
éliminé toute forme d’opposition libérale et pluraliste, la démocratie et la
liberté allaient jaillir comme le génie de la lampe par la seule vertu d’un
Internet auquel n’a accès qu’une infime minorité de privilégiés de ces
sociétés.
Une fois passé le bouillonnement libertaire et l'agitation des
adeptes de Facebook, il a bien fallu se rendre à l'évidence. Le pouvoir est
tombé dans les mains des seules forces politiques structurées qui avaient
survécu aux dictatures nationalistes parce que soutenues financièrement
par les pétromonarchies théocratiques dont elles partagent les valeurs et
politiquement par les Occidentaux parce qu'elles constituaient un
bouclier contre l'influence du bloc de l'Est : les forces religieuses
fondamentalistes. Et le “printemps arabe” n'a mis que six mois à se
transformer en “hiver islamiste”.
En Tunisie et en Égypte, les partis islamistes, Frères musulmans et
extrémistes salafistes se partagent de confortables majorités dans les
Parlements issus des révoltes populaires. Ils cogèrent la situation avec les
commandements militaires dont ils sont bien contraints de respecter le
rôle d'acteurs économiques dominants mais s'éloignent insidieusement
des revendications populaires qui les ont amenés au pouvoir. Constants
dans leur pratique du double langage, ils font exactement le contraire de
ce qu’ils proclament. En, Égypte, après avoir affirmé sur la Place Tahrir
au printemps 2011 qu'ils n'aspiraient nullement au pouvoir, ils
revendiquent aujourd'hui la présidence de la République, la majorité
parlementaire et l'intégralité du pouvoir politique.
En Tunisie, et après avoir officiellement renoncé à inclure la charia
dans la constitution, ils organisent dans les provinces et les villes de
moyenne importance, loin de l'attention des médias occidentaux, des
comités de vigilance religieux pour faire appliquer des règlements
inspirés de la charia. Ce mouvement gagne progressivement les villes de
plus grande importance et même les capitales où se multiplient les
mesures d'interdiction en tous genres, la censure des spectacles et de la
presse, la mise sous le boisseau des libertés fondamentales et, bien sûr,
des droits des femmes et des minorités non sunnites.
Et ces forces politiques réactionnaires n'ont rien à craindre des
prochaines échéances électorales. Largement financées par l'Arabie et le
Qatar pour lesquels elles constituent un gage de soumission dans le
monde arabe, elles ont tous les moyens d’acheter les consciences et de se
constituer la clientèle qui perpétuera leur domination face à un paysage
politique démocratique morcelé, sans moyens, dont il sera facile de
dénoncer l'inspiration étrangère et donc impie.
La Libye et le Yémen ont sombré dans la confusion. Après que les
forces de l'OTAN, outrepassant largement le mandat qui leur avait été
confié par l'ONU, ont détruit le régime du peu recommandable colonel
Kadhafi, le pays se retrouve livré aux appétits de bandes et tribus rivales
bien décidées à défendre par les armes leur pré carré local et leur accès à
la rente. L'éphémère “Conseil National de transition” porté aux nues par
l'ineffable Bernard Henri LEVY est en train de se dissoudre sous les coups
de boutoir de chefs de gangs islamistes, dont plusieurs anciens adeptes
d'Al-Qaïda, soutenus et financés par le Qatar qui entend bien avoir son
mot à dire dans tout règlement de la question et prendre sa part dans
l’exploitation des ressources du pays en hydrocarbures.
Au Yémen, le départ sans gloire du Président Ali Abdallah Saleh
rouvre la porte aux forces centrifuges qui n'ont pas cessé d'agiter ce pays
dont l'unité proclamée en 1990 entre le nord et le sud n'a jamais été bien
digérée, surtout par l'Arabie Saoudite qui s'inquiétait des foucades de ce
turbulent voisin et n'a eu de cesse d'y alimenter la subversion
fondamentaliste. Aujourd'hui, les chefs de tribus sunnites du sud et de
l'est du pays, dont certains se réclament d'Al-Qaïda et tous du salafisme,
entretiennent un désordre sans fin aux portes de la capitale, Sanaa, fief
d'une classe politique traditionnelle zaydite – branche dissidente du
chiisme – insupportable pour la légitimité de la famille séoudienne.
Seul le régime syrien résiste à ce mouvement généralisé
d'islamisation au prix d'une incompréhension généralisée et de
l'opprobre internationale.
Avant de développer ce sujet, je crois devoir faire une mise au point
puisque d'aucuns croient déceler dans mes propos et prises de positions
des relents d'extrême droite et de complaisance pour les dictatures.
Je me rends régulièrement en Syrie depuis 45 ans et y ai résidé
pendant plusieurs années. Je ne prétends pas connaître intimement ce
pays mais je pense quand même mieux le connaître que certains de ces
journalistes qui en reviennent pleins de certitudes après un voyage de
trois ou quatre jours.
Mes activités m'ont amené à devoir fréquenter à divers titres les
responsables des services de sécurité civils et militaires syriens depuis la
fin des années 70. J'ai pu constater qu'ils ne font ni dans la dentelle ni
dans la poésie et se comportent avec une absolue sauvagerie. Ce n'est pas
qu'ils ont une conception différente des droits de l'homme de la nôtre.
C'est qu'ils n'ont aucune conception des droits de l'homme…
Leur histoire explique en grande partie cette absence. D'abord, ils
puisent leur manière d'être dans quatre siècles d'occupation par les Turcs
ottomans, grands experts du pal, de l'écorchage vif et du découpage
raffiné. Ensuite, ils ont été créés sous la houlette des troupes coloniales
françaises pendant le mandat de 1920 à 1943, et, dès l'indépendance du
pays, conseillés techniquement par d'anciens nazis réfugiés, de 1945
jusqu'au milieu des années 50, et ensuite par des experts du KGB
jusqu'en 1990. Tout ceci n'a guère contribué à développer chez eux le
sens de la douceur, de la tolérance et du respect humain. Quant au
régime syrien lui-même, il ne fait aucun doute dans mon esprit que c'est
un régime autoritaire, brutal et fermé. Mais le régime syrien n’est pas la
dictature d'un homme seul, ni même d'une famille, comme l'étaient les
régimes tunisien, égyptien, libyen ou irakien. Tout comme son père,
Bashar el-Assad n'est que la partie visible d'un iceberg communautaire
complexe et son éventuel départ ne changerait strictement rien à la
réalité des rapports de pouvoir et de force dans le pays. Il y a derrière lui
2 millions d'Alaouites encore plus résolus que lui à se battre pour leur
survie et plusieurs millions de minoritaires qui ont tout à perdre d'une
mainmise islamiste sur le pouvoir, seule évolution politique que
l'Occident semble encourager et promouvoir dans la région.
Quand je suis allé pour la première fois en Syrie en 1966, le pays
était encore politiquement dominé par sa majorité musulmane sunnite
qui en détenait tous les leviers économiques et sociaux. Et les bourgeois
sunnites achetaient encore – parfois par contrat notarié – des jeunes
gens et de jeunes filles de la communauté alaouite dont ils faisaient de
véritables esclaves à vie, manouvriers agricoles ou du bâtiment pour les
garçons, bonnes à tout faire pour les filles.
Les Alaouites sont une communauté sociale et religieuse persécutée
depuis plus de mille ans. Je vous en donne ici une description rapide et
schématique qui ferait sans doute hurler les experts mais le temps nous
manque pour en faire un exposé exhaustif.
Issus au Xème siècle aux frontières de l'empire arabe et de l'empire
byzantin d'une lointaine scission du chiisme, ils pratiquent une sorte de
syncrétisme mystique compliqué entre des éléments du chiisme, des
éléments de panthéisme hellénistique, de mazdéisme persan et de
christianisme byzantin. Ils se désignent eux mêmes sous le nom
d’Alaouites – c'est à dire de partisans d'Ali, le gendre du prophète -
quand ils veulent qu’on les prenne pour des musulmans et sous le nom
de Nosaïris – du nom de Ibn Nosaïr, le mystique chiite qui a fondé leur
courant – quand ils veulent se distinguer des musulmans. Et – de fait –
ils sont aussi éloignés de l'Islam que peuvent l'être les chamanistes de
Sibérie.
Et cela ne leur a pas porté bonheur…. Pour toutes les religions
monothéistes révélées, il n’y a pas pire crime que l'apostasie. Les
Alaouites sont considérés par l'Islam sunnite comme les pires des
apostats. Cela leur a valu au XIVème siècle une fatwa du jurisconsulte
salafiste Ibn Taymiyya, l'ancêtre du wahhabisme actuel, prescrivant leur
persécution systématique et leur génocide. Bien que Ibn Taymiyyah soit
considéré comme un exégète non autorisé, sa fatwa n'a jamais été remise
en cause et est toujours d'actualité, notamment chez les salafistes, les
wahhabites et les Frères musulmans. Pourchassés et persécutés, les
Alaouites ont dû se réfugier dans les montagnes côtières arides entre le
Liban et l'actuelle Turquie tout en donnant à leurs croyances un côté
hermétique et ésotérique, s'autorisant la dissimulation et le mensonge
pour échapper à leurs tortionnaires.
Il leur a fallu attendre le milieu du XXème siècle pour prendre leur
revanche. Soumis aux occupations militaires étrangères depuis des
siècles, les bourgeois musulmans sunnites de Syrie ont commis l'erreur
classique des parvenus lors de l'indépendance de leur pays en 1943.
Considérant que le métier des armes était peu rémunérateur et que
l'institution militaire n'était qu'un médiocre instrument de promotion
sociale, ils n'ont pas voulu y envoyer leurs fils. Résultat : ils ont laissé
l'encadrement de l'armée de leur tout jeune pays aux pauvres, c'est-à-dire
les minorités : chrétiens, ismaéliens, druzes, chiites et surtout alaouites.
Et quand vous donnez le contrôle des armes aux pauvres et aux
persécutés, vous prenez le risque à peu près certain qu'ils s'en servent
pour voler les riches et se venger d'eux. C'est bien ce qui s'est produit en
Syrie à partir des années 60.
Dans les années 70, Hafez el-Assad, issu d'une des plus modestes
familles de la communauté alaouite, devenu chef de l'armée de l'air puis
ministre de la défense, s'est emparé du pouvoir par la force pour assurer
la revanche et la protection de la minorité à laquelle sa famille appartient
et des minorités alliées – chrétiens et druzes - qui l'ont assisté dans sa
marche au pouvoir. Ils s'est ensuite employé méthodiquement à assurer à
ces minorités – et en particulier à la sienne - le contrôle de tous les
leviers politiques, économiques et sociaux du pays selon des moyens et
méthodes autoritaires dont vous pourrez trouver la description détaillée
dans un article paru il y maintenant près de vingt ans
Face à la montée du fondamentalisme qui progresse à la faveur de
tous les bouleversements actuels du monde arabe, son successeur se
retrouve comme les Juifs en Israël, le dos à la mer avec le seul choix de
vaincre ou mourir. Les Alaouites ont été rejoints dans leur résistance par
les autres minorités religieuses de Syrie, druzes, chiites, ismaéliens et
surtout par les chrétiens de toutes obédiences instruits du sort de leurs
frères d'Irak et des coptes d'Égypte.
Car, contrairement à la litanie que colportent les bien-pensants qui
affirment que « si l'on n'intervient pas en Syrie, le pays sombrera dans la
guerre civile »… eh bien non, le pays ne sombrera pas dans la guerre
civile. La guerre civile, le pays est dedans depuis 1980 quand un
commando de Frères musulmans s'est introduit dans l'école des cadets
de l'armée de terre d'Alep, a soigneusement fait le tri des élèves officiers
sunnites et des alaouites et a massacré 80 cadets alaouites au couteau et
au fusil d'assaut en application de la fatwa d'Ibn Taymiyya.
Les Frères l'ont payé cher en 1982 à Hama – fief de la confrérie -
que l'oncle de l'actuel président a méthodiquement rasée en y faisant
entre 10 et 20.000 morts. Mais les violences intercommunautaires n'ont
jamais cessé depuis, même si le régime a tout fait pour les dissimuler.
Alors, proposer aux Alaouites et aux autres minorités non arabes ou
non sunnites de Syrie d'accepter des réformes qui amèneraient les
islamistes salafistes au pouvoir revient très exactement à proposer aux
Afro-américains de revenir au statu quo antérieur à la guerre de
sécession. Ils se battront, et avec sauvagerie, contre une telle perspective.
Peu habitué à la communication, le régime syrien en a laissé le
monopole à l'opposition. Mais pas à n'importe quelle opposition. Car il
existe en Syrie d'authentiques démocrates libéraux ouverts sur le monde,
qui s'accommodent mal de l'autoritarisme du régime et qui espéraient de
Bashar el-Assad une ouverture politique. Ils n'ont obtenu de lui que des
espaces de liberté économique en échange d'un renoncement à des
revendications de réformes libérales parfaitement justifiées. Mais ceuxlà,
sont trop dispersés, sans moyens et sans soutiens. Ils n'ont pas la
parole et sont considérés comme inaudibles par les médias occidentaux
car, en majorité, ils ne sont pas de ceux qui réclament le lynchage
médiatisé du « dictateur » comme cela a été fait en Libye.
Si vous vous vous informez sur la Syrie par les médias écrits et
audiovisuels, en particulier en France, vous n'aurez pas manqué de
constater que toutes les informations concernant la situation sont
sourcées Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH) ou plus
laconiquement ONG, ce qui revient au même, l'ONG en question étant
toujours l’Observatoire syrien des droits de l'homme.
L'Observatoire syrien des droits de l'homme, c'est une
dénomination qui sonne bien aux oreilles occidentales dont il est devenu
la source d'information privilégiée voire unique. Il n'a pourtant rien à
voir avec la respectable Ligue internationale des droits de l'homme. C'est
en fait une émanation de l'Association des Frères musulmans et il est
dirigé par des militants islamistes dont certains ont été autrefois
condamnés pour activisme violent, en particulier son fondateur et
premier Président, Monsieur Ryadh el-Maleh. L'Osdh s’est installé à la
fin des années 80 à Londres sous la houlette bienveillante des services
anglo-saxons et fonctionne en quasi-totalité sur fonds séoudiens et
maintenant qataris.
Je ne prétends nullement que les informations émanant de l'OSDH
soient fausses, mais, compte tenu de la genèse et de l'orientation
partisane de cet organisme, je suis tout de même surpris que les médias
occidentaux et en particulier français l'utilisent comme source unique
sans jamais chercher à recouper ce qui en émane.
Second favori des médias et des politiques occidentaux, le Conseil
National Syrien, créé en 2011 à Istanbul sur le modèle du CNT libyen et à
l'initiative non de l'État turc mais du parti islamiste AKP. Censé fédérer
toutes les forces d'opposition au régime, le CNS a rapidement annoncé la
couleur. Au sens propre du terme… Le drapeau national syrien est
composé de trois bandes horizontales. L'une de couleur noire qui était la
couleur de la dynastie des Abbassides qui a régné sur le monde arabe du
IXème au XIIIème siècle. L'autre de couleur blanche pour rappeler la
dynastie des Omeyyades qui a régné aux VIIème et VIIIème siècles. Enfin, la
troisième, de couleur rouge, censée représenter les aspirations
socialisantes du régime. Dès sa création, le CNS a remplacé la bande
rouge par la bande verte de l'islamisme comme vous pouvez le constater
lors des manifestations anti-régime où l'on entend plutôt hurler
« Allahou akbar ! » que des slogans démocratiques.
Cela dit, la place prédominante faite aux Frères musulmans au sein
du CNS par l'AKP turc et le Département d'État américain a fini par
exaspérer à peu près tout le monde. La Syrie n'est pas la Libye et les
minorités qui représentent un bon quart de la population entendent avoir
leur mot à dire, même au sein de l'opposition. Lors d'une visite d'une
délégation d'opposants kurdes syriens à Washington en avril dernier, les
choses se sont très mal passées. Les Kurdes sont musulmans sunnites
mais pas Arabes. Et en tant que non-arabes, ils sont voués à un statut
d’infériorité par les Frères. Venus se plaindre auprès du Département
d'État (Des USA) de leur marginalisation au sein du CNS, ils se sont
entendus répondre qu'ils devaient se soumettre à l'autorité des Frères ou
se débrouiller tout seuls. Rentrés à Istanbul très fâchés, ils se sont joints
à d'autres opposants minoritaires pour démettre le président du CNS,
Bourhan Ghalioun, totalement inféodé aux Frères, et le remplacer par un
Kurde, Abdelbassett Saïda qui fera ce qu'il pourra – c'est à dire pas grand
chose - pour ne perdre ni l'hospitalité des islamistes turcs, ni l'appui
politique des néo-conservateurs Américains, ni, surtout, l'appui financier
des Saoudiens et des Qataris
Tout cela fait désordre, bien sûr, mais est surtout révélateur de
l'orientation que les États islamistes appuyés par les néo-conservateurs
américains entendent donner aux mouvements de contestation dans le
monde arabe.
Ce ne sont évidemment pas ces constatations qui vont rassurer les
minorités de Syrie et les inciter à la conciliation ou à la retenue. Les
minorités de Syrie – en particulier, les Alaouites qui sont en possession
des appareils de contrainte de l'État – sont des minorités inquiètes pour
leur survie qu'elles défendront par la violence. Faire sortir le président
syrien du jeu peut à la rigueur avoir une portée symbolique mais ne
changera rien au problème. Ce n'est pas lui qui est visé, ce n'est pas lui
qui est en cause, c'est l'ensemble de sa communauté qui se montrera
encore plus violente et agressive si elle perd ses repères et ses chefs. Plus
le temps passe, plus la communauté internationale entendra exercer des
pressions sur les minorités menacées, plus les choses empireront sur le
modèle de la guerre civile libanaise qui a ensanglanté ce pays de 1975 à
1990.
Il aurait peut être été possible à la communauté internationale de
changer la donne il y a un an en exigeant du pouvoir syrien des réformes
libérales en échange d'une protection internationale assurée aux
minorités menacées. Et puisque l’Arabie et la Qatar – deux monarchies
théocratiques se réclamant du wahhabisme – sont théoriquement nos
amies et nos alliées, nous aurions pu leur demander de déclarer la fatwa
d'Ibn Taymiyyah obsolète, nulle et non avenue afin de calmer le jeu. Il
n'en a rien été. À ces minorités syriennes menacées, l'Occident, France en
tête, n'a opposé que la condamnation sans appel et l'anathème parfois
hystérique tout en provoquant partout – politiquement et parfois
militairement – l'accession des intégristes islamistes au pouvoir et la
suprématie des États théocratiques soutenant le salafisme politique.
Débarrassés des ténors sans doute peu vertueux du nationalisme
arabe, de Saddam Hussein, de Ben Ali, de Moubarak, de Kadhafi, à l'abri
des critiques de l'Irak, de l'Algérie et de la Syrie englués dans leurs
conflits internes, les théocraties pétrolières n'ont eu aucun mal à prendre
avec leurs pétrodollars le contrôle de la Ligue Arabe et d'en faire un
instrument de pression sur la communauté internationale et l'ONU en
faveur des mouvements politiques fondamentalistes qui confortent leur
légitimité et les mettent à l'abri de toute forme de contestation
démocratique.
Que les monarchies réactionnaires défendent leurs intérêts et que
les forces politiques fondamentalistes cherchent à s'emparer d'un
pouvoir qu'elles guignent depuis près d'un siècle n'a rien de
particulièrement surprenant. Plus étrange apparaît en revanche
l'empressement des Occidentaux à favoriser partout les entreprises
intégristes encore moins démocratiques que les dictatures auxquelles
elles se substituent et à vouer aux gémonies ceux qui leur résistent.
Prompt à condamner l'islamisme chez lui, l'Occident se retrouve à
en encourager les manoeuvres dans le monde arabe et musulman. La
France, qui n’a pas hésité à engager toute sa force militaire pour éliminer
Kadhafi au profit des djihadistes et à appeler la communauté
internationale à en faire autant avec Bashar el-Assad, assiste, l'arme au
pied, au dépeçage du Mali par des hordes criminelles qui se disent
islamistes parce que leurs rivaux politiques ne le sont pas.
De même les médias et les politiques occidentaux ont assisté sans
broncher à la répression sanglante par les chars séoudiens et émiratis des
contestataires du Bahraïn, pays à majorité chiite gouverné par un
autocrate réactionnaire sunnite. De même les massacres répétés de
chrétiens nigérians par les milices du Boko Haram ne suscitent guère
l'intérêt des médias et encore moins la condamnation par nos politiques.
Quant à l'enlèvement et la séquestration durable de quatre membres de
la Cour Pénale Internationale par des “révolutionnaires” libyens, elle est
traitée en mode mineur et passe à peu près inaperçue dans nos médias
dont on imagine l'indignation explosive si cet enlèvement avait été le fait
des autorités syriennes, algériennes ou de tel autre pays non encore
rentré dans le rang des “démocratures”, ces dictatures islamistes sorties
des urnes. À défaut de logique, la morale et la raison nous invitent tout de
même à nous interroger sur cette curieuse schizophrénie de nos
politiques et nos médias. L'avenir dira si notre fascination infantile pour
le néo-populisme véhiculé par Internet et si les investissements massifs
du Qatar et de l'Arabie dans nos économies en crise valaient notre
complaisance face à la montée d'une barbarie dont nous aurions tort de
croire que nous sommes à l'abri.