L'hydrogène natif, une nouvelle source d'énergie ?
23 avril 2013 / Energies, nucléaire et technologies
23 avril 2013 / Energies, nucléaire et technologies
Lorsqu’ils sont partis, fin octobre 2010, vérifier les dires de leurs collègues russes, Alain Prinzhofer et Eric Deville n’y croyaient pas. L’équipe de Nikolay Larin avait contacté la direction de l’Institut français du pétrole-énergies nouvelles (IFP-EN) – où les deux chercheurs travaillaient sur un sujet controversé : la Terre serait-elle une source d’hydrogène, ce gaz qui, combiné avec l’oxygène, fait tourner des moteurs de fusée en produisant de l’eau.
Nikolay Larin les appâte avec une annonce ébouriffante. Des flux d’hydrogène sortant de terre, dans la plaine russe, à 500 kilomètres au sud-est de Moscou. Des flux de «40 000 m3 d’hydrogène par jour». Emanant de sortes de «trous de sorcières», des dépressions circulaires d’environ un kilomètre de diamètre, «dont une centaine parsèment la région», explique Alain Prinzhofer.
Ce dernier – ancien chercheur à l’Institut de physique du globe de Paris, actuellement au service d’une petite société pétrolière au Brésil – et Eric Deville penchaient pour une erreur de mesure : l’hydrogène n’est en effet pas censé sortir ainsi de terre. Et surtout, le géologue russe sent… le soufre. Nikolay Larin soutient en effet une théorie inventée par son père Vladimir Larin, en totale contradiction avec celle enseignée à l’université, sur la formation de la Terre, il y a 4,56 milliards d’années. La sienne propose que de gigantesques quantités d’hydrogène ont été alors conservées à l’intérieur de la Terre. Et que l’hydrogène qu’il mesure en provient.
La pierre philosophale de l’énergie ?
Aussi Alain Prinzhofer et Eric Deville se rendent-ils en Russie, munis d’instruments de mesure et de la conviction qu’ils vont démontrer que les Russes se trompent. Et là, surprise, les instruments confirment le flux d’hydrogène. La direction de l’IFP, qui observait depuis 2008 cette quête de l’hydrogène «natif» de la Terre avec un profond scepticisme, ont alors basculé. Et informé les journalistes que l’affaire était sérieuse. Au point «d’évaluer l’intérêt technico-économique d’une production industrielle d’H2 naturel» qui «pourrait constituer une nouvelle source d’énergie durable […] propre, respectueuse de l’environnement, et bien répartie sur les différents continents». Prinzhofer insiste, il s’agit d’une ressource «renouvelable, un flux et non un stock fossile comme le gaz ou le pétrole». Bigre, la pierre philosophale de l’énergie ?
Tous les discours sur la future «économie de l’hydrogène», tenus entre autres par Jeremy Rifkin (1), se heurtent à la même objection : d’où tirer cet hydrogène, censé remplacer pétrole, gaz et charbon ? L’industrie l’extrait du méthane, en produisant du dioxyde de carbone. L’eau en présente une réserve quasi infinie, mais séparer oxygène et hydrogène des molécules d’eau suppose beaucoup d’électricité. Centrales nucléaires, surplus de production de renouvelables (géothermie, éolien, solaire)… Plusieurs hypothèses ont été caressées par les partisans de la «révolution hydrogène», où le précieux gaz n’est pas une source, mais un vecteur d’énergie. Aucune n’est apparue en capacité de hâter cette mutation.
Pourtant, la Terre peut produire de l’hydrogène. C’est même une histoire antique, puisque les anciens Grecs connaissaient les flammes permanentes qui s’échappent de trous du mont Chimère, en Turquie, alimentées surtout par un flux de méthane, mais aussi d’hydrogène. Depuis la fin des années 70, avec l’exploration des fonds sous-marins, les scientifiques savent qu’il en existe d’autres sources. Jean-Luc Charlou et Yves Fouquet, géologues à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), ont multiplié lors des années 90 les missions sur les «dorsales océaniques», ces gigantesques lignes de fracture à partir desquelles se forment les planchers des océans. En 2002, ils ont ainsi publié la découverte d’intenses flux d’hydrogène émis par des «fumeurs noirs», cheminées d’où sortent des fluides hydrothermaux mêlés de gaz, sur la dorsale de l’Atlantique Nord (2).
Ces découvertes qui se multiplient posent deux questions, explique Eric Deville. D’où vient cet hydrogène ? Et de tels flux existent-ils à terre, puisque l’on n’imagine guère aller exploiter une telle ressource au milieu des océans et sous deux à trois mille mètres d’eau ? Les géologues de l’Ifremer ont montré que cet hydrogène sous-marin ne provenait pas de processus biologiques. Valérie Beaumont (IFP-EN) partage ce point de vue, estimant que «dans ces roches, il y a de l’olivine qui contient du fer réduit. Il capte l’oxygène de l’eau qui circule dans les roches, il rouille avec l’oxygène et en sépare l’hydrogène». Elle précise toutefois que «le débat scientifique continue sur l'origine de l'hydrogène des nouvelles sources identifiées par les Russes dont le processus de formation demeure en partie mystérieux».
A part l’équipe russe de Larin, personne ne parie sur l’hypothèse d’un stock d’hydrogène enfoui depuis des milliards d’années, mais plutôt sur un processus de séparation de l’hydrogène à partir de molécules d’eau ou de gaz naturel. C’est d’ailleurs l’explication logique des «trous de sorcières». Au fur et à mesure que les molécules d’eau se séparent en hydrogène et oxygène, il se forme une dépression dans le sol.
De l'hydrogène sort des cratons
A terre, il existe quelques sites où ont émergé des roches de même type que celles des fonds marins – des péridotites. L’équipe de l’IFP-EN a parcouru le monde pour vérifier qu’il s’en exhalait de l’hydrogène. «Dans le sultanat d’Oman, aux Philippines et dans la région de Prony, en Nouvelle-Calédonie», énumère Deville. S’il est resté si longtemps inaperçu, c’est qu’aussitôt émis, il se lie chimiquement, et disparaît en tant que gaz libre. Et aussi… «parce qu’on ne cherchait pas à le mesurer», précise le géologue.
Toutefois, l’idée qu’il y aurait là une ressource énergétique d’ampleur provient de la découverte des Russes, vite confirmée ailleurs, en Amérique ou en Afrique, qu’une autre sorte d’environnement géologique pouvait émettre de l’hydrogène en grande quantité.
Car le site russe n’a rien à voir avec les roches océaniques. C’est un «craton», précise Deville, autrement dit les parties les plus anciennes des continents et qui en représentent près de 50%. Surtout, dès que l’on s’est mis à chercher, «d’autres sites ont été découverts aux Etats-Unis [en Caroline du Nord, ndlr] et au Brésil», avance Prinzhofer. Un agriculteur américain du Kansas, Donald Clarke, tente même d’utiliser un aquifère profond de 800 m qui se présente comme «un Perrier avec des bulles d’hydrogène», s’amuse Deville. Et au Mali, près de Bamako, un forage réalisé pour obtenir de l’eau est tombé sur un aquifère tellement chargé en hydrogène que la tête du puits en laisse échapper un flux.
Fracturer les roches et les drainer de leur gaz
Pour Prinzhofer, l’important, en termes de ressources, est qu’il s’agit d’une énergie «renouvelable», si l’hypothèse de la formation d’hydrogène par réaction chimique se confirme. Tant qu’il y a de l’eau qui circule, il y aura génération d’hydrogène. Mais comment le récupérer ? L’idée simple d’une «cloche» au-dessus des zones d’émission n’a pas de sens, estime Deville, car «l’hydrogène ne s’y accumulera pas et sa séparation d’avec l’air n’est pas un problème trivial».
Reste la solution d’aller le chercher dans le sol. Le plus simple serait de pomper des aquifères chargés en gaz. Et d’améliorer le rendement économique en combinant géothermie, récupération d’hydrogène… et d’hélium, un gaz utilisé dans la haute technologie et cher, qui lui semble souvent associé. Lorsqu’il n’y a pas d’aquifères, le problème se complique. Il faut imaginer fracturer les roches et les drainer de leur gaz. Le slogan «hydrogène, énergie propre» pourrait en prendre un coup. Il faut savoir patience garder, comme le précise l’IFP-EN, «le chemin est encore long avant d’envisager une production industrielle d’ampleur». De son côté,Laboratoire interdisciplinaire des énergies de demain (Lied) de l’université Denis-Diderot (Paris-VII) y croit si fort qu’une équipe mixte de sciences humaines et sociales (Gerald Bronner, Alain Gras) et de géologues planche déjà – via de la sociologie expérimentale – sur l’imaginaire de l’hydrogène.•
(1) «L’Economie hydrogène», la Découverte, 2002.
(2) «Chemical Geology», 2002.
Par Sylvestre Huet, le 23 avril 2013
http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2013/04/lhydrog%C3%A8ne-natif-une-nouvelle-source-d%C3%A9nergie-.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/Hydrog%C3%A8ne
Sujet à creuser, je ne crois pas avoir déjà entendu parler de Vladimir Larin.
Théorie qui, si vous avez vu la vidéo (en anglais), croise la théorie de l'expansion terrestre.
http://fr.wikipedia.org/wiki/Expansion_terrestre