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IV. Vos mensonges concernant Margaret Sanger
Mais j’entends déjà votre réponse : « L’American Birth Control League, me direz-vous, a été créée par Margaret Sanger, une raciste notoire ! Et c’est son racisme qui a mené à l’eugénisme le plus dur ». C’est ce que vous soutenez dans les Cahiers Saint Raphaël où un article portant votre signature est consacré à cette femme restée jusqu’au bout chantre du Contrôle des naissances (Birth control). Son titre : « Margaret Sanger ou le chaudron du diable » (CSR, p. 30).
Je le précise tout de suite : si l’on se place sur le plan des principes, les idées défendues par M. Sanger ne sont pas les miennes. Mais cela ne me donne le droit ni de contester sa bonne foi, ni ― infiniment plus grave ― de la calomnier. Or, c’est ce que vous faites, comme je vais maintenant le démontrer.
M. Sanger n’a jamais adhéré au Ku Klux Klan
Vous commencez ainsi :
Elle se nomme Margaret Sanger (1879-1966). Il s’agit probablement du plus grand monstre de l’histoire de l’Humanité [Id.].
Diable ! Ce n’est pas rien. Mais lisons la suite :
Cette américaine, imbue des théories malthusiennes, considérait que les Noirs étaient une sous-race qu’il fallait neutraliser. Elle prônait leur stérilisation massive au nom de la pureté raciale [Id.].
Voilà donc qui contredit ce que je viens d’écrire sur l’absence de racisme chez les partisans du Birth control. Mais qu’avez-vous à produire à l’appui de telles accusations ? On attend au moins une citation dans laquelle M. Sanger exposerait clairement des thèses racistes. Rien ne vient. A la place, vous invoquez un fait : M. Sanger a tout d’abord adhéré au Ku Klux Klan. Vous écrivez : « D’où son adhésion dans au premier temps au Ku Klux Klan ». Et pour mieux impressionner vos lecteurs, vous publiez une photo qui montre « Margaret Sanger haranguant le Ku Klux Klan » (p. 31, voir le cliché).
Des réponses à des invitations
L’ennui est que sur le cliché, le « plus grand monstre de l’histoire de l’humanité » ne porte pas, contrairement à tous ceux qui l’entourent, l’uniforme du KKK. Et pour cause, M. Sanger n’a jamais adhéré à cette organisation ! Elle s’est contentée de répondre à des invitations. Dans son autobiographie publiée en 1938, elle ne l’a pas caché, expliquant :
Pour moi, tout groupe intéressé [à la cause du Birth control] était toujours un bon groupe, et c’est pourquoi j’ai accepté une invitation à parler devant la branche féminine du Ku Klux Klan […]. Comme quelqu’un sortait du hall, j’ai vu à travers la porte de pâles silhouettes parader avec des bannières et des croix illuminées. J’ai encore attendu vingt minutes. Il faisait plus chaud et je ne m’en suis guère inquiétée. Finalement les lumières furent allumées, l’audience s’assit d’elle-même ; je fus escortée vers la plateforme, présentée et je commençai à parler […]. Une douzaine d’invitations à intervenir devant des groupes similaires furent lancées[34].
Le cliché que vous publiez montre une de ses causeries. Sur la petite pancarte en bas à droite, on lit : « Les femmes chevaliers du Ku Klux Klan de Silver Lake N° 3 souhaitent la bienvenue à Margaret Sanger » (voir cliché original).
Un comportement normal chez un militant
Pour un militant d’une cause quelconque, ce comportement est parfaitement justifié. Dois-je vous rappeler qu’en 1938, le très catholique docteur Le Bec répondit à l’invitation de Francs-Maçons qui voulaient l’entendre parler des miracles de Lourdes[35] ? Pour ma part, je suis intervenu devant des assemblées très diverses aux côtés d’athées, de gauchistes et de néo-païens. Si, demain, un groupe de juifs homosexuels partisans de l’avortement m’invite à exposer les thèses révisionnistes, j’irai.
Le fait qu’il existe des points de rencontre entre certaines causes très différentes, voire opposées, est une évidence. Les marxistes et les fascistes se rejoignent dans leur lutte contre le capitalisme ; dès lors, on conçoit tout à fait qu’un marxiste puisse exposer devant une assemblée fasciste une critique du libéralisme économique. Dans le cas qui nous intéresse, des adhérentes du KKK soucieuses de mieux connaître le contrôle des naissances ont invité M. Sanger. Ce fait ne permet ni de juger les convictions politiques de cette dernière ni d’affirmer qu’elle aurait adhéré au KKK !
Votre erreur est inexcusable
L’erreur que vous avez commise est inexcusable, car il vous aurait suffi de consulter l’encyclopédie Wikipedia ― que vous dites avoir consultée afin de rédiger votre article sur le Lenbenborn ― pour vous en rendre compte[36].
Ce manque de vérification la plus élémentaire trahit chez vous une grave cécité intellectuelle.
M. Sanger aurait condamné la charité
Votre présentation des faits
La suite de votre article, d’ailleurs, le confirme ; car après avoir prétendu que M. Sanger aurait adhéré au KKK, vous écrivez :
Sa haine de l’humanité s’est étendue ensuite aux théories darwiniennes de l’élimination des plus faibles au nom de la nature. Elle déclare par exemple que « les organisations charitables sont le symptôme d’une maladie sociale maligne. Tout ce vaste complexe et d’organisations [elle vise explicitement l’église catholique - ndJPD] ont pour but de contrôler et de diminuer la diffusion de la misère et de l’indigence issues d’un sol sinistrement fertile. Tout ceci est le signal le plus certain que notre civilisation a nourri, nourrit, et augmente constamment le nombre des handicapés, délinquants, et des dépendants » Quelle solution ? « Les services de maternité pour les femmes des taudis sont nuisibles à la société et à la race. La charité ne fera que prolonger la misère des inaptes » (1922) [CSR, p. 30.].
Incapable, faute de références et d’informations suffisantes, de remettre ces propos dans leur contexte, votre lecteur croira que pour M. Sanger :
- secourir les handicapés, les délinquants et autres dépendants au nom de la charité aurait été une « maladie sociale maligne » ;
- il aurait mieux valu supprimer les maternités sociales des quartiers pauvres afin de laisser mourir les enfants, les préservant ainsi d’une longue vie misérable…
M. Sanger était charitable
Mais en vérité, ce n’est pas du tout dans ce sens que M. Sanger écrivait. Dans son ouvrage intitulé Le Pivot de la civilisation (The Pivot of Civilization, éd. Brentano, New York, 1922), elle soulignait nettement :
Tout comme le moraliste le plus conservateur, je me rends compte que l’humanité requiert que les individus bien portants au sein de l’espèce doivent consentir certains sacrifices pour préserver de la mort les infortunés venus au monde avec des tares héréditaires[37].
Et encore :
Nous ne croyons pas non plus que la communauté pourrait ou devrait mettre dans une chambre de mort les enfants malformés issus d’une union irresponsable et inintelligente[38].
Il faut connaître l’histoire personnelle de M. Sanger
Votre présentation malhonnête de sa jeunesse
Rappelons ― ce que vous avez omis de faire ― que M. Sanger était avant tout une ardente avocate du contrôle des naissances. Pourquoi l’était-elle devenue ? Vos lecteurs n’en sauront rien, car dans les Cahiers Saint Raphaël, la biographie de cette femme pour les années 1879-1914 est des plus sommaires. Le docteur Luc Perrel se contente d’écrire :
Le personnage de Margaret Sanger doit être connu. Issue d’une famille nombreuse (18 enfants, 11 vivants) catholique de New-York, elle s’oppose très tôt au modèle familial. Après son divorce en 1913, elle fonde son premier journal : « La Femme Rebelle » avec comme divise « Ni Dieu, ni maître », où elle préconise le contrôle des naissances [CSR, p. 47].
Vos lecteurs croiront donc que M. Sanger fut une enfant terrible, une anarchiste née au sein d’une famille catholique heureuse.
Une mère morte précocement
La vérité est cependant ailleurs. Si M. Sanger en vint à rejeter le modèle familial et social de l’époque, c’est ― entre autres ― suite à plusieurs expériences. La première avait été la mort prématurée de sa mère, Anne Higgins (une pieuse catholique), emportée par la tuberculose à l’âge de 50 ans après avoir mis au monde dix-huit enfants (dont onze vivants). Or, on savait à l’époque que les grossesses (et l’allaitement) ― sources de fatigues intenses ― avaient bien souvent un effet désastreux sur des femmes souffrant de tuberculoses évolutives ou seulement prédisposées à la maladie ; les tuberculoses gravidiques ou puerpérales étaient caractérisées « par un taux très élevé de mortalité »[39]. Dans son ouvrage The Case of Birth Control, M. Sanger rappela ce triste épisode en ces termes :
Quand j’avais dix-sept ans, ma mère mourut de surmenage et de tension nerveuse à cause de ses grossesses trop fréquentes. Je dus m’occuper des plus jeunes et partager le fardeau de tous[40].
On imagine sans peine l’état d’esprit de cette jeune-fille de dix-sept ans (voir cliché de M. Sanger jeune), qui n’a quasiment jamais vu sa mère qu’enceinte (c’est-à-dire fatiguée et surmenée), désormais orpheline et subitement en charge de cinq enfants. La cause de son rejet du modèle familial, elle est là, très compréhensible. Par conséquent, occulter cet épisode, comme le fait le docteur Perrel, se révèle très malhonnête.
M. Sanger témoin des ravages des maternités répétées
A partir de 1900, M. Sanger travailla comme infirmière. Là, elle put se rendre compte des terribles effets des maternités répétées, notamment chez les femmes issues des milieux défavorisés (pauvreté endémique, enfances abandonnées, avortement clandestin…). Plus tard, elle raconta :
Quelques années de ce travail [d’infirmière] m’amenèrent à la découverte choquante ― que la connaissance des méthodes de contrôle des naissances était accessible aux femmes bien nanties alors que les travailleuses étaient délibérément tenues dans l’ignorance !
Je découvris que les femmes des classes ouvrières souhaitaient autant que leurs sœurs bien nanties obtenir cette connaissance, mais qu’on leur opposait l’existence, dans les codes, de lois interdisant qu’on la leur apporte. Et les médecins obéissaient religieusement à ces lois quand la patiente était une femme pauvre.
Je découvris que les femmes de la classe ouvrière savaient parfaitement qu’il était criminel de mettre au monde un enfant pour qu’il meure de faim. Elles préféreraient risquer leur vie dans un avortement plutôt que de donner naissance à des petits auxquels elles ne pourraient apporter ni soins ni nourriture.
Les lois interdisant la diffusion de cette connaissance contraignent les femmes à se mettre entre les mains de sages-femmes les plus répugnantes et d’avorteurs charlatans ― à moins qu’elles n’acceptent de porter ces enfants non-voulus ― avec comme conséquence une mortalité des suites d’avortements touchant presque uniquement des femmes de la classe ouvrière.
Aucun autre pays dans le monde n’a un si grand nombre d’avortements et un si grand nombre de femmes mortes à la suite de l’un deux que les États-Unis. Nos législateurs ferment leurs yeux vertueux. D’après l’estimation la plus basse, 250 000 avortements sont pratiqués chaque année dans ce pays.
Souvent, m’étant retrouvée au chevet d’une femme qui accouchait, j’ai vu ses larmes de contentement couler et je l’ai entendu soupirer « Merci mon Dieu » quand on lui annonçait que son bébé était mort-né [Ibid., p. 6] (voir cliché de M. Sanger à cette époque).
L’expérience décisive
En 1914 survint l’expérience décisive : une jeune mère de trois enfants, enceinte une quatrième fois, avait avorté seule. Son mari était un ouvrier qui travaillait dur pour faire (sur)vivre sa famille. Amenée à l’hôpital dans un état grave, un médecin ― assisté par M. Sanger ― parvint à la sauver in-extremis après trois semaines de soins intensifs. Au moment de sortir de l’hôpital, la femme, un peu honteuse, demanda timidement comment faire pour ne plus retomber enceinte. L’infirmière, présente à ce moment-là, crut que le médecin lui indiquerait une méthode quelconque. Mais en guise de réponse, il se contenta de rire… Et trois mois plus tard, ce qui devait fatalement arriver arriva. M. Sanger fut réveillée à minuit par l’époux de cette femme qui lui demandait de venir en urgence. Elle raconte :
J’arrivai et je la trouvai dans un état désespéré. Une nouvelle conception l’avait envoyée dans les bras d’un avorteur au rabais : elle mourut à quatre heures le même matin, laissant derrière elle trois petits enfants et un mari rendu fou [Ibid., p. 9].
M. Sanger poursuit :
Je suis retournée à la maison alors que le soleil apparaissait au-dessus des toits […], et je réalisais combien futiles avaient été mes efforts et mon travail. Moi aussi, comme les philanthropes et les assistantes sociales, j’avais traité les symptômes plutôt que la maladie. J’ai jeté mon sac d’infirmière et j’ai annoncé à ma famille que ne m’occuperais plus jamais d’un nouveau cas tant que je ne serais pas parvenue à permettre aux ouvrières américaines de connaître le contrôle des naissances [Id.]. (voir cliché)
Tel fut l’origine de l’engagement de M. Sanger, une origine que le docteur Perrel cache soigneusement. On peut certes contester les méthodes prônées (car elles violaient la morale catholique), mais toute personne honnête reconnaîtra que, du point de vue strictement naturel, la démarche de M. Sanger n’était pas criminelle, bien au contraire : dans une société déjà fortement déchristianisée, elle voulait, par simple charité envers ses semblables, éviter les effets désastreux des maternités répétées dont elle avait été un témoin privilégié… A ceux qui la jugeaient, elle lançait :
Brossez l’image d’une femme avec cinq ou six petits et qui doit vivre avec les 10 dollars hebdomadaires que gagne un ouvrier. La femme est brisée dans sa santé et dans son esprit, elle n’est plus que la pâle ombre de la femme qu’elle a été. Où est l’homme ou la femme qui me reprocherait de tenter de lui apporter la connaissance qui lui évitera de donner naissance à d’autres enfants voués à une pauvreté et à une misère certaines, et peut-être à la maladie et à la mort.
Dois-je être classée comme immorale parce que je défends les petites familles pour la classe ouvrière […] ?
Mais je vous demande : qu’est-ce qui est plus moral ― exhorter les femmes de cette classe à n’avoir que les enfants qu’elles désirent et dont elles peuvent s’occuper ou les tromper en leur disant qu’elles peuvent se reproduire insouciamment ? Quelle est la définition américaine de la moralité ?[41]
M. Sanger devient une militante
En mars 1914, elle lança un mensuel : The Woman Rebel (La femme rebelle) dont la devise était : « no gods, no masters » (ni dieux, ni maîtres). On y prônait l’émancipation de la Femme, la libéralisation du mariage et le droit à la contraception, ce qui violait la loi Comstock de 1873 prohibant la vente et la circulation de la « littérature obscène », notion qui englobait les textes en faveur de la « contraception » (prevention of conception)[42]. Pour ce motif, trois livraisons du mensuel furent interdites et, en août 1914, M. Sanger fut condamnée à une courte peine de prison.
Nulle trace de racisme
Sous le pseudonyme de Bertha Watson, elle s’enfuit en Angleterre. De là, elle fit diffuser 100 000 exemplaire de sa première brochure : Family Limitation (Limitation de la famille). La couverture portait : « Pour diffusion privée ». On n’y trouvait ni discours raciste, ni défense des thèses malthusiennes. L’auteur, qui souhaitait s’adresser à tous (Noirs, Jaunes, Blancs, riches, pauvres…), avait pour unique objectif de faire connaître au public américain, expliquées en langage le plus simple possible (the simplest English), les principales méthodes contraceptives proposées par des médecins français et allemand[43], en dehors naturellement de l’abstinence pure et simple que M. Sanger estimait mauvaise[44]. Elle voulait éviter aux femmes les maternités répétées et non-voulues. Dans l’introduction, elle écrivait avec franchise :
Cela paraît peu artistique ou sordide d’insérer un pessaire ou un cachet [vaginal] avant l’acte sexuel. Mais il est beaucoup plus sordide de vous retrouver, quelques années plus tard, chargée d’une demi-douzaine d’enfants non-voulus, sans aide, affamés, mal habillés, accrochés à votre jupe, vous-même n’étant plus que l’ombre de la femme que vous étiez auparavant [Id.].
Venaient ensuite, minutieusement décrites, les différentes méthodes contraceptives alors en vogue : douche (pp. 7-9), condom (pp. 9-11), pessaire (pp. 11-12), éponge (pp. 12-13) et cachet vaginal (pp. 13-15).
M. Sanger contre l’avortement
Je note que jamais M. Sanger ne prôna l’avortement. Dès 1917, elle le qualifia de « honte pour une communauté civilisée »[45]. En 1920, encore, dans un texte intitulé : « Contraceptifs ou avortement ? », elle écrivit :
Alors qu’il y a des cas où même la loi [civile] reconnaît qu’un avortement est justifiable s’il est recommandé par un médecin, j’affirme que les centaines de milliers d’avortements pratiqués chaque année aux USA sont une honte pour la civilisation[46].
Le message de M. Sanger aux femmes était clair : puisque, pour des raisons personnelles et/ou sociales, il vous est impossible d’élever correctement une grande famille, que l’abstinence n’est pas une bonne méthode et que l’avortement est une honte pour la civilisation, limitez le nombre des naissances à l’aide de moyens chimiques et/ou mécaniques (voir cliché).
Pourquoi M. Sanger a pu critiquer les organisations charitables
Voilà pourquoi M. Sanger critiquait les œuvres charitables qui, au nom du principe « croissez et multipliez », se préoccupaient uniquement de protéger la grossesse et l’accouchement : pour elle, c’était traiter le symptôme, pas la cause. En 1922, elle publia : Le pivot de la civilisation, avec une introduction de H.G. Wells. Le cinquième chapitre était intitulé : « La cruauté de la charité ». C’est de lui que vous avez extrait la citation sur les « organisations charitables […] symptôme d’une maladie sociale maligne. » Une remise dans le contexte démontre toutefois que l’auteur ne condamnait pas la charité en tant que telle et qu’elle ne voulait pas laisser mourir les pauvres. Voici ce qu’elle écrivait :
Même si nous acceptons la charité organisée à sa propre valeur, et accordons qu’elle fait du mieux qu’elle peut, elle reste exposée à une critique plus profonde. Elle révèle un vice fondamental et irrémédiable. Son grand succès, sa grande efficacité, sa grande nécessité à l’ordre social sont eux-mêmes des indications claires. La charité organisée est en elle-même le symptôme d’une maladie sociale maligne.
Ces organisations vastes, complexes, reliées entre elles, qui veulent contrôler et diminuer l’extension de la misère, de l’indigence et de tous les maux menaçants qui émergent d’un sol sinistrement fertile, sont le plus sûr signe que notre civilisation a nourri, nourrit et perpétue en permanence une nombre croissant d’handicapés, de délinquants et de dépendants. Voilà pourquoi ma critique ne pointe pas du doigt l’ « échec » de la philanthropie, mais plutôt, son succès[47].
Donné avec les informations indispensables, le sens de ce texte apparaît clairement : M. Sanger expliquait que là où il y avait charité organisée à grande échelle, c’est qu’il y avait pléthore d’handicapés, de délinquants et de dépendants, symptôme évident d’une société malade.
Pour l’auteur, la protection de la petite enfance au sein des familles nombreuses pauvres ne pouvait qu’aggraver le problème, puisqu’elle ne faisait qu’augmenter la disette, la promiscuité et l’enfance abandonnée. Voilà pourquoi, plus loin, elle écrivait :
[Cette charité] masque une cruauté stupide, car elle n’est pas assez courageuse pour faire face aux faits déplaisants […]. En effet, il n’est pas dans les intentions de cette philanthropie de donner aux mamans pauvres, sous-nourries et surchargées des taudis, l’opportunité de faire elles-mêmes le choix, de décider si elles veulent mettre régulièrement des enfants au monde. Elle dit seulement : « Croissez et multipliez ; nous sommes préparés à vous aider à le faire ». Alors que la grande majorité des mères réalise les graves responsabilités auxquelles elles font face en gardant en vie et en élevant les enfants qu’elles ont déjà mis au monde, le Centre maternel veut leur apprendre comment en avoir plus. La pauvre femme est renseignée sur la façon d’avoir son septième enfant, quand ce qu’elle veut savoir, c’est comment éviter de mettre au monde son huitième [Id.].
Telle est la raison pour laquelle M. Sanger a pu critiquer les « services de maternité pour les femmes des taudis », en les déclarant « nuisibles à la société et à l’espèce »[48], et qu’elle a pu dire : « La charité ne fera que prolonger la misère des inaptes ». Il ne faut pas y voir une volonté d’abandonner les pauvres à la mort, mais un argument en faveur du contrôle des naissances : « Plutôt que de prendre soin, dans des conditions socialement impossibles, d’enfants mis au monde, agissons en amont pour qu’ils ne soient pas conçus ». Telle était, je le répète, le message de M. Sanger.
M. Sanger aurait été adepte de la pureté raciale
Votre présentation des faits
Plus bas, vous écrivez :
dès 1921, la Revue pour le contrôle des naissances qu’elle a créée titre : « Le contrôle des naissances, pour créer une race de pur sang ». Tel sera le programme d’Hitler quand il écrit dans Mein Kampf : « L’État doit placer la race au centre de toute la vie ».
Nous y voilà ! M. Sanger devançait Hitler puisque, avant même la rédaction de Mein Kampf, elle prônait la pureté raciale. (voir cliché)
La citation exacte
Seulement, l’expression « une race de sang pur » est surprenante. J’ai tout d’abord cru que vous aviez traduit littéralement « a race of pure blood ». Mais s’il s’était agi, comme vous le prétendez, de pureté raciale, l’auteur anglophone aurait tout simplement écrit : « a pure race » (une race pure). J’ai donc recherché la référence exacte du texte et je me suis procuré l’exemplaire en question de la Birth Control Review (il s’agit du n° 11, vol. V, novembre 1921). J’ai alors pu m’apercevoir :
- qu’il ne s’agissait pas d’un titre mais d’une simple phrase mise en exergue sous le titre : « Unity ! » (Unité !). Loin de tout racisme, l’auteur de l’article ― sans doute M. Sanger ― plaidait pour qu’une unité vivante (living unity) existe entre les différents mouvements favorables au contrôle des naissances ;
- que la phrase exacte était : « Birth Control. To create a race of throughbreds » (Le contrôle des naissances. Pour créer une race de purs-sangs ») (voir le document). Une rapide recherche m’a permis de découvrir que l’expression n’était pas de M. Sanger, mais du docteur Edward A. Kempf. Dans son livre Le pivot de la civilisation, M. Sanger la citait (référence à l’appui[49]) en guise de conclusion du sixième chapitre intitulé : « Facteurs négligés du problème mondial ». Veuillez, docteur, lire ce sixième chapitre. Vous n’y trouverez aucun développement sur une quelconque « pureté raciale ». M. Sanger expliquait simplement qu’une approche purement économique des problèmes mondiaux était insuffisante, parce qu’elle niait la dimension sexuelle de l’Homme avec toutes ses conséquences (maternités forcées et répétées, pauvreté, mortalité infantile, travail des enfants…). Elle déclarait que le sexe ne devait plus être considéré « comme seulement un acte de propagation » ou « seulement comme une nécessité biologique pour la perpétuation de la race » mais comme « une voie psychique et spirituelle d’expression »[50]. Elle en profitait d’ailleurs pour critiquer les eugénistes en ces termes :
C’est cette conception limitée et inhibée du sexe qui vicie tant les pensées et les idées des eugénistes[51].
M. Sanger soulignait ensuite que ni les lois restrictives (filles des vieux tabous sexuels) ni la charité ne résoudraient les grands problèmes sociaux de l’heure. Et afin d’appuyer ses affirmations, elle citait le docteur Edward A. Kempf qui, deux ans plus tôt, à la Conférence mondiale des femmes médecins, avait déclaré :
L’homme descend d’un anthropoïde ; il a hérité de ses passions qu’il peut seulement affiner sans espérer les castrer sans quoi il tarirait les fontaines d’énergie qui maintiennent la civilisation, gardent vivante la valeur de la vie et embellissent les valeurs du monde…. Aucun problème ne sera résolu par l’élaboration et l’application de lois répressives. Rien ne sera plus désastreux. La société doit faire de la manière de vivre et de l’amélioration [de l’Homme] une valeur pour la personne en la conditionnant à aimer et à rechercher ce qui est aimé de manière à ce que cela ait un effet constructif sur son congénère et que cela lui donne des opportunités convenables. La virilité du corps est détruite par la gourmandise excessive ou par la faim, par le confort excessif ou par la pauvreté, par le travail excessif ou par l’inactivité, par la débauche ou par la pudibonderie intolérante. L’art le plus noble et le plus difficile de tous est la formation de purs-sangs humains [Id.].
De façon évidente, E. A. Kempf parlait d’hommes bien constitués, équilibrés et en parfaite santé (un peu comme les chevaux pur-sang), pas de gens « racialement purs ». Et c’est dans ce même sens que la Birth Control Review reprit l’expression, le terme « race » ayant dans ce contexte le sens d’espèce.
Il est donc très malhonnête de citer cette phrase mise en exergue dans une livraison de la Birth Control Review pour en déduire que, sur le plan de la race, M. Sanger aurait eu les mêmes objectifs qu’A. Hitler. Vos méthodes, docteur, sont vraiment déshonnêtes.