J.-B. BORD
Docteur en Théologie et en Philosophie
Professeur de Dogme
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L'Apologétique par le Christ
AVIGNON
LIBRAIRIE AUBANEL FRÈRES, ÉDITEURS
IMPRIMERIE DE N. S. LE PAPE
Nihil obstat: 1a die junii 1923. Em. Ménard, censor deputatus.
Imprimatur : Vivarii, die 15a julii 1923. + Palus Nègre, Episc. Cybistrensis.
p. 323.
BOUDDHA
D'après le pan-bouddisme, la religion chrétienne ne serait qu'une forme du culte bouddhique. Cette théorie a obtenu un certain succès en ces derniers temps. A des degrés divers, elle a été défendue, en Angleterre, par Carpenter(1) et Cheyne (2); en Allemagne, par R.Seydel (3) et Pfleiderer (4); en France, par plusieurs articles de la
Revue d'Histoire des religions et quelques ouvrages imbus du même esprit. M. Anesaki, professeur à Tokyo a, publié un livre sur le même sujet (5).
1. Carpenter,
The obligation of the New Testament to Budhism.2. Cheyne,
Bible problems and the new material for their solution.3. Seydel,
Die Budhalegende und das Leben Jesus nach den Evangelien, Weimar, 1907.
4. Pfleiderer,
Das Christus Bild des Urchristlichen Glauden, Berlin, 1897.
5. Anesaki,
Budhist and christian Golspels, now first compared from the original, 1904.
Ces auteurs fondent leur hypothèse, d'une part, sur des analogies entre la vie et la doctrine de Bouddha et la vie et la doctrine du Christ, et, d'autre part, sur des ressemblances entre le Bouddhisme et le Christianisme. Ces deux religions prescrivent des observances morales communes : le mépris du monde, la mortification de la chair, le sentiment profond de notre misère et des difficultés de la vertu, la bienveillance envers les hommes.
De ces prémisses faut-il conclure que Jésus n'est que le Bouddha transformé et que Bouddha était le Christ avant le Christ ?
- Non, il est impossible d'assimiler et de confondre la légende de Bouddha avec l'histoire de Jésus, son enseignement avec l'évangile chrétien.Nous avons dit : la légende de Bouddha. C'est qu'en effet les documents anciens qui nous renseignent sur ce personnage, sont rares et d'une authenticité plus que douteuse ; ils ont été composés plusieurs siècles après la mort du héros qu'ils célèbrent.
Les historiens bouddhistes racontent que
Gotama Fo, appelé aussi
Çakya-Mouni ( solitaire de la race de Çakya ) et
Bouddha ( sage, illuminé ) naquit miraculeusement de la reine Maya, entre l'an 550 et 370 avant Jésus-Christ. Peu après sa naissance, il fut porté dans un temple par son père qui l'offrit aux dieux. Là un vieillard, nommé Asita, prédit la sublime vocation religieuse de cet enfant. Celui-ci grandit au milieu des savants et du luxe fastueux de la maison paternelle. Puis il se maria. Vers l'âge de vingt-sept ans, il abandonna sa famille et s'enfuit dans une solitude ; sept années durant, il s'y livra à la pénitence et à la mortification ; il lutta victorieusement contre des esprits mauvais. Ses vertus et ses mérites furent récompensés : il découvrit enfin la sagesse suprême, qui consiste à connaître les causes des maux et leurs remèdes.
Touché des malheurs des hommes, Bouddha résout de les secourir en leur communiquant le trésor de sa sagesse. Pendant qurante-cinq ans environ, il prêche dans les Indes, il forme des disciples et les groupe en monastères, il opère des miracles et meurt des suites d'un repas trop copieux. Des prodiges accompagnent sa mort comme ils avaient signalé sa naissance (1).
1. Sur le Bouddhisme : Burnouf,
Introduction à l'histoire du Bouddhisme indien, 1844. - Senart,
Essai sur la légende du Bouddha. - Barthé lemy Saint-Hilaire,
Le Bouddha et sa religion, 1859. - Oldenberg,
Le Bouddha, sa vie, sa doctrine, sa communauté, trad. Foucher, Paris, 1903. - Abbé de Broglie,
Problèmes et conclus. de l'Hist. des Religions, c.VI. - De la Vallée-Poussin,
Bouddhisme, opinions sur l'Hist. de la Dogmatique, Paris, 1909. - Otto Wecker,
Budhismus und Christenthum, Münster, 1908. - Hugueny,
Critique et catholique, Paris, 1910, pp. 179-190. - Thomas,
Christianisme et Bouddhisme, 2 vol.
(Science et Religion). -
Ami du Clergé, 1er juin 1905.
De l'Inde, le Bouddhisme s'étendit dans l'île de Ceylan (IIIe siècle avant Jésus-Christ), dans le royaume de Siam, au Japon (VIe siècle après Jésus-Christ), puis dans le Thibet et les régions voisines.
La doctrine de Bouddha est moins spéculative que pratique. - La théodicée en est absente, Bouddha semble ignorer l'existence d'un être suprême et d'un culte à lui rendre. Admet-il, dans l'homme, une âme spirituelle ? Non, puisqu'il soutien l'égalité essentielle de tous les êtres. La métempsychose avec toutes ses conséquences est l'un de ses dogmes fondamentaux. L'homme, dans une série plus ou moins longue de vies successives, s'achemine par une purification de plus en plus parfaite jusqu'au
nirvâna, dont la nature n,est pas clairement définie. Le
nirvâna marque la fin de la souffrance pour l'individu, qui, selon les uns, est totalement annihilé, et, d'après les autres, totalement absorbé par l'être universel, privé de toute conscience et de toute activité, jouissant d'un repos parfait, complet, qui semble voisin du néant.
La morale bouddhique part de ce principe pessimiste (2) que le plus grand des maux physique est la vie. Celle-ci est la punition des fautes commises par l'homme dans ses vies antérieures. Le mal moral consiste dans le désir de vivre et de jouir, c'est la concupiscence. Par suite, la perfection tend à la suppression de la douleur, elle réside dans le renoncement à la concupiscence et aux voluptés, elle empêche la domination du corps sur l'âme, cette domination est le principe de toute faute, par suite des existences et des douleurs qui en seront le châtiment.[/b]
2. Oldenberg,
Le Bouddha, trad. Foucher, IIe p., c,I.
Les adeptes du Bouddhisme se divisent en deux classes, les parfaits et les laïques. Les premiers aspirent à la sainteté. Ils observent la pauvreté, la chasteté et la charité, entendues au sens bouddhique. Ils consacrent leur vie à la méditation de la doctrine du Bouddha qui donne la sagesse ; ils doivent s'abstenir de travailler, parce que le travail les distrairait de la contemplation. Les parfaits rappellent à certains égards les moines chrétiens. L'idéal qu'ils poursuivent est irréalisable dans les conditions ordinaire de la vie.
Aux laïques est imposée une morale moins austère. On ne leur interdit ni la polyandrie (État d'une femme mariée à plusieurs hommes en même temps), ni aucun péché de la chair sauf l'adultère. Il leur est défendu surtout de tuer un être vivant, de voler, de pécher avec une femme mariée, de mentir et de boire des liqueurs enivrantes. L'aumône aux moines bouddhistes répare toutes les fautes et permet l'espoir de renaître, après la mort, à une vie meilleure
Que conclure de ce bref exposé du Bouddhisme ? - Bouddha ne ressemble pas au Christ. Quelle distance entre l'un et l'autre !
Un véritable envoyé de Dieu confirme sa mission par des miracles et ne propage aucune erreur. Dieu ne peut demander aux hommes de croire à tout prophète se présentant en son nom, sans en fournir des preuves, et il est incapable de se tromper et de tromper.
Mais Bouddha ne fait appel à aucun miracle pour établir la divinité de sa doctrine : cela ne lui paraît point nécessaire. Ses prétendus prodiges sont destinés uniquement à montrer qu'il a acquis la suprême sagesse par ses propres forces. - Mais ces prodiges sont-ils vraiment authentiques ? Le témoignage des historiens de Bouddha ne mérite pas créance, nous l'avons déjà noté. Sur le Bouddhisme, déclare M. Barth (1894), nous n'avons pas même l'histoire au sens le plus modeste du mot. Les miracles faits autour du berceau et de la tombe de Bouddha ressemblent tellement à ceux de la nativité de Jésus et du Calvaire, que nombre d'auteurs placent du IIIe au Ve siècle de notre ère la composition de l'histoire bouddhique et voient en elle une reproduction partielle des évangiles (1). Quant aux miracles, que Çakya-Mouni aurait accomplis lui-même, plusieurs sont d'un ridicule tel qu'on ose les attribuer à Dieu comme cause principale et ils jettent le discrédit sur tous les autres. Ainsi, les historiens de Bouddha le représentent traversant l'espace de l'orient à l'accident en projetant de l'eau par un de ses yeux et du feu par l'autre ! Une autre fois leur héros change tout son corps en flamme dans une lutte qu'il livre au roi des serpents !
1. Wilmers,
De Religione Revelata, Ratisbonne, 1897, p. 432.
Les erreurs manifestes, renfermées dans la doctrine de Bouddha, sont un signe indubitable de la non-transcendance de son œuvre. - Nous en signalerons deux seulement. elles vicient radicalement l'enseignement dogmatique et moral du Bouddhisme.
La première est l'athéisme. La religion a pour but primordial le culte du Créateur : la raison nous l'affirme. Mais Bouddha ne parle jamais de Dieu. « En tuant Dieu on tue la moral », a-t-on dit ; à plus forte raison, par le même moyen, supprime-t-on toute religion. Ainsi la Bouddhisme est en contradiction formelle avec l'évangile dont chaque page dit et redit le nom du Père qui est aux cieux, et décrit l'admirable religion de Jésus envers lui.
La seconde erreur fondamentale de Bouddha fausse toute son éthique. La religion soumet l'homme à Dieu, son premier principe et sa fin dernière. De cette dépendance essentielle à la nature humaine découle pour elle le rigoureux devoir de l'adoration, de l'humilité et de la prière, rendu plus pressant encore par l'expérience constante de notre faiblesse. Mais le Bouddhisme ignore cette obligation. Le fidèle de Bouddha ne recherche point Dieu qui lui est inconnu. Lui-même tient la place de la divinité, il est le centre de sa religion. L'amour de soi et l'égoïsme sont le premier mobile de ses vertus. Il n'aspire qu'à l'obtention du nirvâna, c'est-à-dire de sa propre félicité, acquise avec les seuls moyens dont il dispose. L'orgueil au service du moi, voilà l'essence intime de la morale bouddhique (1).
1. Oldenberg,
op. cit., pp. 290-292 : utilitarisme de cette morale.
Le prédicateur qui enseigne une doctrine condamnée par la simple raison n'est pas député de Dieu, car Dieu ne peut soutenir le mensonge (1). Mais bouddha prêche et l'athéisme et une morale indépendante, « autonome », étrangère à toute métaphysique, semblable à celle de plusieurs philosophes modernes hétérodoxes.
Il contraste singulièrement avec Jésus dont les préceptes moraux sont ordonnés avant tout à la glorification du Père, à l'extension de son royaume et à la sanctification de son nom, soit en cette vie, soit dans l'autre ; la vie future apportera à l'homme juste un bonheur parfait par la possession du Dieu trois fois saint, admiré, aimé et loué éternellement.
Bouddha n'est pas un missionnaire de Dieu ; à
fortiori n'est-il pas Dieu. Dieu sait qu'il existe et il n'est point docteur d'erreur.
Plus tard, les bouddhiste ont divinisé leur maître et, avec lui, quelques-uns de ses disciples les plus renommés. Un absurde polythéisme a de la sorte succédé à l'athéisme initial de Çakya-Mouni. Par conséquent la religion de bouddha n'est pas d'origine divine, elle n'est pas la véritable religion.
Le Christ et son œuvre diffèrent essentiellement de Bouddha et de sa secte, comme un envoyé du ciel se distingue d'un envoyé de l'enfer. Jésus et Bouddha s'opposent l'un à l'autre comme Dieu au démon. On le constate aisément si, au lieu de s'arrêter aux traits superficiels de ces deux fondateurs de religion et des sociétés qui remontent jusqu'à eux, on pénètre jusqu'aux principes qui sont comme l'âme de leur conduite et de leur doctrine théorique et pratique. « Je serais reconnaissant, écrivait M. Müller lui-même, à celui qui pourrait me montrer les canaux à travers lesquels le Bouddhisme aurait pu faire passer son influence sur le Christianisme primitif. Pour ma part, j'ai cherché toute ma vie ces canaux, et jusqu'à présent, je n'ai rien trouvé (1).[/b]
1. Müller,
India what it can teach us ? 1883, p. 279.
FIN