Anti Nouvel Ordre Mondial

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DesEspoirs2
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:28

    Marion Sigaut - les lumières: un antihumanisme (Marseille)




    Ou comment détourner un projet saint pour en faire un projet de soumission.

    Edit :

    Cette vidéo et en faite un résumé des articles ci-dessous, qui sont déjà eux même des résumés de ses livres.

    Donc si vous souhaitez avoir plus de détails, vous savez ce qu'il vous reste à faire.


    Dernière édition par DesEspoirs2 le 26/6/2012, 18:50, édité 1 fois
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:32

    Je profite de la création de cette page pour partager les nombreux articles qu'a écrit Marion Sigaut sur ER.


    I. L’achèvement de la centralisation

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants

    C’est l’année de la signature de l’Édit de Nantes, en 1598, que commença le Grand siècle, qui fut celui de la dynastie des Bourbons : Henri IV, mort assassiné en 1610, son fils Louis XIII, régna de 1610 à 1643, auquel succéda Louis XIV. Ce dernier avait cinq ans quand mourut son père. Sa mère, Anne d’Autriche, assura la régence pendant sa minorité avec l’aide du cardinal Mazarin. A la mort de ce dernier, en mars 1661, le jeune Louis XIV, alors âgé de 22 ans, prit en main les rênes du pouvoir et porta au plus haut degré ce qu’on appelait la monarchie absolue. Il fut roi pendant soixante-douze ans, et régna sans partage pendant cinquante-quatre.

    Louis XIV, c’était l’absolutisme triomphant, le pouvoir d’un seul homme poussé à son plus haut point de réussite et d’éclat, la gloire du monarque et la ruine de ses opposants.

    Certainement le roi de France n’avait pas tous les droits. Il ne pouvait, par exemple, ni morceler son royaume, ni attenter à la propriété, ni léguer sa couronne à sa fille ou au fils de sa maîtresse ou enfin ne plus être catholique. Sous cette réserve, et depuis la fin de la monarchie féodale, en 1484, aucune liberté privée ou publique ne lui était plus opposable : au-dessus de lui, il n’y avait que Dieu. Le roi ne rendait de comptes à personne pour déclarer la guerre ou conclure la paix. Lui seul pouvait légiférer. Toute décision de justice relevait de lui, et quand il jugeait lui-même, ses décisions étaient sans appel. Enfin il levait des impôts à son gré : il avait bien tous les pouvoirs.

    Depuis la fin du moyen âge, aucun nobliau de province, aucun seigneur, aucun grand féodal ne pouvait plus opposer de résistance au roi : la monarchie féodale était un souvenir. Dans le royaume il n’y avait plus que des vassaux, chaque seigneur ne tenait plus que du souverain. Et quand l’un d’eux voulait purger un différend avec un voisin, il devait faire appel à la justice royale.

    Pour réussir cette unification du royaume, les rois s’étaient appuyés sur une classe en pleine expansion, les légistes du Tiers-État issus de la bourgeoisie. A Paris et dans les provinces les plus récemment rattachées, des parlements, composés de fonctionnaires qu’on appelait des officiers, enregistraient les lois et rendaient la justice au nom du roi en lieu et place des anciens féodaux. La roture prenait la place de la noblesse d’épée.

    L’affirmation de l’absolutisme à la française passa par la création, année après année, d’offices de plus en plus nombreux : toute fonction était un office, et tout office était un don du roi. Comme la justice était payante, posséder un office était une excellente affaire et les candidats soudoyaient des courtisans pour tenter d’en obtenir. Plutôt que de s’en offusquer, au XVIe siècle, Louis XII et François 1er avaient pris l’initiative de vendre les offices de fonctions publiques. Qui en avait les moyens pouvait ainsi devenir juge, grâce à un contrat en bonne et due forme passé avec la royauté. Désireux d’arranger les finances royales et de se ménager la même classe montante, Henri IV rendit les offices héréditaires par l’instauration de la Paulette, une sorte de « prime d’assurance sur la vie », qui garantissait la charge à la famille si l’officier avait un fils en âge d’exercer. La Paulette renforçait et augmentait la valeur des offices, mais elle rendait les officiers dépendants, en permettant au roi d’agiter le spectre du refus de renouvellement. La vente d’offices fit rentrer des fonds bienvenus, et les offices se multiplièrent. Il y en avait environ 5 000 au début du XVe siècle, et près de 46 000 cent-cinquante ans plus tard. A l’échelle de notre découpage actuel, cela fait près de 500 par département.

    Tandis que les gentilshommes, appauvris par leur faste, vendaient leurs biens aux robins (la « Robe » était la magistrature, les robins étaient les juges), par décision royale, ces « vils bourgeois » devenaient comtes ou marquis, s’agrégeaient à la noblesse et prenaient de l’importance. Alors qu’Henri III n’avait que des gentilshommes en son Conseil, Henri IV fit entrer de plus en plus de robins. En quelques générations, ceux-ci devinrent nobles à part entière et se mirent à faire des dynasties.

    Inamovibles, propriétaires de leur office, devenus nobles, ils formèrent petit à petit une classe nouvelle, ils devinrent un corps avec un intérêt commun à défendre, une sorte de quatrième Etat de plus en plus indépendant. Et une nouvelle menace pour la royauté.

    Le Parlement de Paris avait comme prérogative d’inscrire dans ses registres l’intégralité des décisions royales. Cette faveur, purement administrative, l’amena au fil des ans à prétendre soumettre les lois à des remontrances préalables à l’enregistrement, afin de s’assurer qu’elles ne violaient pas les lois fondamentales. Quand les juges parisiens résistèrent à l’enregistrement de l’Edit de Nantes, Henri IV les remit à leur place : « Vous faites les entendus en matière d’Etat et n’y entendez non plus que moi à rapporter des procès » leur dit-il. Les robins prétendaient désormais se mêler du fonds des textes qu’ils devaient enregistrer. Henri IV ne les laissa pas faire

    Pour faire pièce au pouvoir grandissant des officiers, les rois avaient, dès 1550, commencé à envoyer en province des agents révocables à volonté et en mission temporaire, les intendants. Ceux-ci, chargés d’une commission c’est-à-dire commissaires, en vinrent marcher sur les brisées des premiers. La charge des commissaires n’était pas vénale, le roi les choisissait pour leurs mœurs et leur personne. La montée de leur influence eut pour les officiers une conséquence sonnante et trébuchante : l’arrêt de la valorisation du prix de leurs offices. Les magistrats perdaient non seulement du pouvoir mais également de l’argent. Leur humiliation fut profonde. Après avoir été les instruments de la centralisation monarchique contre les féodalités, les robins en devenaient à leur tour les victimes.

    Totalement dépendants de l’Etat monarchique sur le plan économique, ils s’éloignèrent politiquement et idéologiquement d’une royauté qu’ils ne pouvaient ni ne voulaient remettre en cause en tant que telle.

    L’idéologie, en ce temps-là, c’était la religion. Les robins furent au cœur de toutes les querelles religieuses de leur temps.

    (à suivre)

    Sources :

    Roland Mousnier, Les XVIe et XVIIe siècles. Les nouvelles structures de l’Etat. Histoire générale des civilisations. PUF 1967.
    Dictionnaire encyclopédique d’Histoire, Mourre. Éditions Bordas

    http://www.egaliteetreconciliation.fr/I-L-achevement-de-la-centralisation-8437.html


    Dernière édition par DesEspoirs2 le 26/6/2012, 18:34, édité 1 fois
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:34


    II L’humanisme

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants

    Alors qu’il était venu avec enthousiasme porter la bonne parole évangélique aux malheureux peuples du Nouveau monde ignorants de Jésus-Christ, ce dimanche 21 décembre 1511, le prêtre dominicain Antonio de Montesinos monta en chaire, et s’adressa aux colons venus entendre la messe :
    « Au nom de quelle autorité avez-vous engagé de telles détestables guerres contre ces peuples qui vivaient dans leurs terres d’une manière douce et pacifique, où un nombre considérable d’entre eux ont été détruits par vous et sont morts d’une manière encore jamais vue tant elle est atroce ? … Ne sont-ils pas des hommes ? Ne sont-ils pas des êtres humains ? »
    Aussi inattendu que virulent, le sermon de Montesinos déclencha l’ire des autorités espagnoles, et la vocation d’un colon qui y découvrit la grâce : Bartolomeo de Las Casas. Ce dernier revint en Europe dénoncer avec fureur l’inhumanité de la colonisation. Il combattit toute sa vie contre la politique coloniale [1].
    Il se faisait jour, pour ces anciens conquérants surtout conquis par l’humanité des peuples soumis, que l’humanité était une et indivisible et qu’il existait une communauté mondiale naturelle dont les membres sont à la fois les Etats et les personnes. Leurs options, développées en Espagne par les théologiens de l’école de Salamanque, allaient heurter de front les intérêts des coloniaux et ceux des capitalistes européens en pleine expansion. Leurs protestations se perdirent dans le tumulte des conquêtes et le cliquetis de l’or qui déferla sur l’ancien monde.

    L’humanisme qui se répandit dans ce siècle de bouleversement planétaire, avait hérité de l’influence de la Scolastique, développée et enseignée dans les universités du Moyen Âge, qui visait à réconcilier la philosophie antique avec la théologie chrétienne. Les humanistes en avaient tiré une morale très critique à l’égard du pouvoir de l’argent. Les biens n’étaient que des moyens de s’épanouir en vue de gagner la vie éternelle. La propriété était un mal nécessaire. Travailler pour accroître ses richesses était un péché, on ne devait travailler que pour satisfaire ses besoins vitaux. La finance était immorale et infâme et le commerce très mal vu : transformer pour revendre, c’était bien, mais acheter pour revendre, c’était mal, la transaction idéale consistant à vendre au juste prix, et à prêter gratuitement. Deux conciles, à Latran en 1315 et à Paris en 1532, avaient condamné le prêt à intérêt. Cette Eglise-là dérangeait les colons, les marchands, la bourgeoisie montante.

    Les deux figures les plus connues de l’humanisme sont l’Anglais Thomas More et le hollandais Erasme, qui partagèrent, l’un marié et l’autre moine, le même amour de la vie et du savoir, du bonheur et des humains. Conscients des dérives de l’Eglise, ils furent de ceux qui voulurent la réformer, jamais ils n’envisagèrent de se séparer de Rome.
    Il y eut un conflit de fond entre l’humanisme évangélique et la Réforme, et la rupture entre Erasme et Luther fut violente. Pour Erasme, l’âme humaine avait une puissance de juger et une puissance de choisir. Même sans la grâce divine, l’homme était libre. La nature était bonne, la vie était belle, il fallait être heureux. Pour Luther la nature était inévitablement mauvaise et viciée : nous ne sommes pas maîtres de nos actes, mais serfs du commencement à la fin. Il y avait impuissance totale et sans remède de la volonté humaine face à la toute-puissance de la grâce divine. Les œuvres des hommes étaient sans importance pour leur salut. C’est Dieu qui choisissait en donnant sa grâce à qui il voulait. Seule la foi peut sauver.
    Luther traita Erasme de pourceau, son « De servio arbitro » de boue et d’ordure. La rupture qui s’ensuivit fut celle de deux conceptions de la liberté humaine : elle entraîna l’Europe dans un siècle de guerres fratricides.

    Réuni à Trente en Italie entre 1545 et 1563, un concile consacra le christianisme humaniste contre le protestantisme, et trancha dans le débat de fond qui avait trait à la liberté humaine. Alors que, pour les protestants, c’est Dieu qui faisait des hommes des élus ou des réprouvés, pour l’Eglise catholique, chacun était libre de faire son salut.
    Le concile de Trente [2] fut au catholicisme ce que l’absolutisme fut à la royauté : le renforcement de la centralisation. Une fois le dogme établi, il ne revenait pas à chacun d’y apporter des retouches. La liberté humaine, c’était celle d’agir pour faire le bien ou le mal, pas de dire ce qu’était le bien ou le mal. Le protestantisme affirmait exactement le contraire.

    La Compagnie de Jésus, fondée en 1534, fut le fer de lance de la propagation des actes du concile.
    Membre de l’école de Salamanque, le jésuite espagnol Luis Molina mit l’accent sur la nécessité de compléter la grâce par le mérite individuel. C’est de son nom qu’on retira le nom de moliniste, qualifiant d’une façon générale les jésuites et leurs partisans. Pour Molina, la grâce divine donnait à l’homme la possibilité de faire le bien. Chacun était libre d’accepter ou de refuser, et les actions des païens n’étaient pas forcément des péchés. Vision des choses qui vise au bien-être commun et au bonheur des hommes : « Le molinisme est, historiquement, la plus franche expression de l’esprit humaniste » écrit Henri Gouhier.

    En même temps qu’ils se répandaient dans le monde nouvellement ouvert par les grandes découvertes, les jésuites consacrèrent une part importante de leur mission à ouvrir des collèges en Europe.
    « L’enseignement, déclaraient les pères, est une forme de charité, et il ne faut pas en exclure les pauvres. » Ils entrèrent en concurrence avec l’enseignement payant dispensé par l’Université : sauf pour les pensionnaires, leurs cours étaient gratuits, on se précipita pour les suivre. Au xviie siècle, un tiers seulement de leurs élèves venait de la noblesse. Le reste se partageait en proportions variables de fils d’artisans, de marchands et de laboureurs. Dans leur premier collège de Billom, en Auvergne, un quart des élèves venait des milieux paysans.
    Cette promotion sociale qui ouvrait, grâce au latin, les professions de la petite bourgeoisie aux fils de laboureurs, ne fut pas du goût de tout le monde. La Sorbonne leur fit un procès qu’elle gagna, et réussit à leur interdire, puisqu’enseigner ils voulaient, de se mêler de théologie. Ils se rabattirent donc sur les humanités, les arts et les sciences profanes : ils formèrent tous les plus grands esprits de leur siècle.

    Centralisme, soumission au pape, morale indulgente et enseignement gratuit : les jésuites suscitèrent l’hostilité déclarée des parlements et de toute la classe robine qui ne relâcha sa pression sur eux qu’à leur destruction totale, en 1764 pour la France.

    (A suivre)

    Sources :
    - Jean Delumeau, Le catholicisme entre Luther et Voltaire, Nouvelle Clio, l’Histoire et ses problèmes. puf, 1992.
    - Roland Mousnier, Les XVIe et XVIIe siècles. Les nouvelles structures de l’Etat. Histoire générale des civilisations. PUF 1967.
    - Henri Gouhier, L’anti-humanisme au XVIIe siècle, Paris, librairie philosophique J. Vrin. 198
    - Alain Guillermou, Les Jésuites, PUF, Que sais-je ?
    - Lacouture Jean, Jésuites ! Les Conquérants, Editions du Seuil, 1991.
    - Florence Gauthier, « De Juan de Mariana à la Marianne de la République française ou le scandale du droit de résister à l’oppression », Révolutionrfrançaise.net, les Lumières et la Révolution.
    - « Centralisme ’’jacobin’’, vraiment ? – Notions ». Idem.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:35


    III - L’anti-humanisme

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants


    Les guerres de religion, qui ensanglantèrent la France dans la seconde partie du XVIe siècle, avaient opposé la Ligue catholique et les protestants, qui avaient en commun de vouloir limiter les prérogatives royales. Les premiers prônaient le rétablissement des pouvoirs des seigneurs et le morcellement féodal, et les seconds voulaient limiter les pouvoirs du roi par des assemblées élues.
    Par l’édit de Nantes, Henri IV assit son autorité et mit fin à la fois à la guerre et aux prétentions de la Ligue. Et, en prenant pour confesseur un jésuite, il permit que se répandent en France les conceptions de l’école de Salamanque [1].
    Parmi ces idées nouvelles, il y avait celles du père Juan de Mariana, qui avait théorisé que toute souveraineté résidait dans le peuple. Pour le jésuite, le roi n’était que le dépositaire du pouvoir que le peuple souverain lui avait confié [2], et il avait le devoir de lui garantir en échange le bonheur et la prospérité.
    Le corollaire de ce principe était que si le roi trahissait la confiance du peuple, ce dernier pouvait lui reprendre l’exercice des pouvoirs publics. La théorisation de la souveraineté populaire impliquait le droit de résistance à l’oppression, et même le droit au régicide.
    Dès l’assassinat d’Henri IV, les jésuites furent montrés du doigt comme ayant armé le bras de Ravaillac. L’accusation de régicide à leur encontre persistera jusqu’à leur interdiction.

    Un si dangereux égalitarisme provoqua la naissance d’un anti-humanisme qui s’affirma dans toute sa gloire au Grand Siècle.
    Héritier de la Ligue, un parti dévot avait émergé et pris de l’importance au sommet de l’Etat. Bérulle, comme nombre de penseurs de son temps, avait eu le sentiment des dangers que le triomphe de l’humanisme faisait courir à un certain ordre social. Mais comme on n’attrape pas les mouches avec du vinaigre, il avait revêtu cette réaction des oripeaux de l’humanisme et inventé le concept paradoxal d’humanisme dévot.
    « L’humanisme dévot nous invite à nous oublier nous-mêmes, à nous perdre dans les objets qui nous entourent, dans le spectacle du présent monde, notre royaume, dans la méditation des dons célestes ; à nous oublier davantage encore en montant à la cime de notre être, au plus haut de cet intérieur, où ni les sens ni la dévotion sensible ne nous pénètrent. De toute sa pente logique, de tout son élan, l’humanisme dévot veut le pur amour. »
    Autant dire que, contradictoire dans les termes, l’humanisme dévot, qui voulait que l’homme s’oublie et se perde, fut un anti-humanisme.
    Il eut pour pendant le libertinage qu’affichèrent sans complexe les grands seigneurs qu’étaient Condé ou Gaston d’Orléans. Peu soucieux de passer pour dévots, ces farouches opposants au roi étaient flattés dans leurs mœurs barbares par des écrivains baroques qui purent écrire :
    Tous les crimes sont beaux, dont le trône est le prix. (Jean de Rotrou)
    Ou bien :
    A tout prix un grand cœur achète un grand crédit
    Et tout crime est permis quand il nous agrandit. (Idem)

    Les libertins ne prônaient pas seulement la jouissance immédiate et l’absence de contraintes, ils professaient également un profond mépris du peuple, ignorant et vulgaire. Ce sera une constante chez tous les opposants à l’absolutisme royal.

    On vit l’anti-humanisme à l’œuvre avec la Compagnie du Saint-Sacrement. Le 27 mai 1631, quelques dévots, emmenés par le duc de Ventadour, obtenaient de Louis XIII l’approbation d’une compagnie qui se proposait de réunir des personnes de condition laïque pour travailler aux bonnes œuvres, dans le plus grand secret. « Ce fut avec beaucoup de raison qu’une assemblée si secrète et si cachée, voulut se revêtir des livrées d’un Dieu véritablement caché », précise le rédacteur. Dans un courrier simple (une lettre-patente en aurait trahi le secret) adressé à l’archevêque de Paris, Jean-François de Gondi, le roi demandait à ce dernier de bénir l’entreprise [3].
    Mais l’archevêque refusa de donner sa bénédiction, et la Compagnie du Saint-Sacrement dut œuvrer, jusqu’à sa disparition – au moins officielle - en 1660, sans l’approbation des autorités ecclésiastiques.
    Les noms les plus en vue du siècle seront liés à la Compagnie, parmi lesquels on retiendra Bérulle, Jean Eudes et Bossuet, mais aussi les grands robins que furent Nicolas Fouquet, le Premier président Bellièvre, le chancelier Séguier, les d’Argenson, les Lamoignon.

    Les bonnes œuvres dans lesquelles la Compagnie du Saint-Sacrement s’est distinguée, pendant les quelque trente ans de son activité officielle, consistèrent surtout en une tyrannie exercée sur les consciences et la vie des particuliers. Si les confrères voulurent le soulagement des pauvres, des galériens et des prisonniers, ils firent surtout activement la chasse aux hérétiques, aux juifs, (ils proposèrent, le 14 mai 1649, de les bannir entièrement du royaume. Ils ne furent pas entendus), aux artistes (Molière en fit les frais, voir Tartuffe) et aux protestants, notamment. Ils réussirent par exemple en 1632, grâce à des pressions discrètes exercées sur six conseillers au Parlement, à s’opposer à la réception comme procureurs de vingt-quatre réformés. En 1633 ils se dressaient contre les « débauches » populaires du carnaval, et surtout ils s’opposèrent aux désordres touchant aux mendiants : ceux-ci ne recevaient-ils pas les secours matériels sans avoir fait leurs dévotions ? Ils exhortèrent les curés à ne leur donner l’aumône qu’après leur avoir dit le catéchisme, et voulurent de la même manière que les médecins n’accordent pas de soins aux malades qui n’auraient reçu la confession. Ils échouèrent finalement dans leur saint projet de faire inclure par les écoles de médecine cette clause dans le serment.
    Avant de réussir à faire enfermer les filles de mauvaise vie, ils les firent fouetter publiquement, et cherchèrent surtout les moyens de faire cesser les « abominations » qui avaient lieu dans les cours des miracles du faubourg Saint-Marceau.

    Ils sont ceux qui inventèrent et réussirent à imposer l’épouvantable système de l’Hôpital général [4] destiné à réprimer le délit de pauvreté par le fouet, le carcan et le travail forcé.

    La Compagnie du Saint-Sacrement s’était fait des ennemis partout, dans l’Eglise mais aussi dans l’opinion. Mazarin n’avait pas tardé pas, à son tour, à s’inquiéter de ce réseau occulte dont la puissance allait croissant. Le 20 septembre 1660, la Compagnie se saborda et entra dans la clandestinité.
    Une autre société secrète, tout aussi robine et encore plus bigote, reprit le flambeau de leurs principes et leurs façons de faire. Elle tint la dragée haute à la royauté jusqu’à la Révolution.

    (A suivre)

    Sources :
    - Roland Mousnier, Le XVIe siècle, Les nouvelles structures de l’Etat, Histoire générale des civilisations, PUF 1967.
    - Henri Gouhier, L’anti-humanisme au XVIIe siècle, Paris, librairie philosophique J. Vrin. 1987.
    - Florence Gauthier, De Juan de Mariana à la Marianne de la République française ou le scandale du droit de résister à l’oppression.
    - Raoul Allier, La Cabale des dévots, 1627-1666, Librairie Armand Colin, Paris 1902.
    - Marion Sigaut, La Marche rouge, les enfants perdus de l’Hôpital général. Jacqueline Chambon, 2008.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:36


    IV - Le jansénisme au Grand siècle

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise L’absolutisme royal et ses opposants


    Avec l’apparition du protestantisme, le seizième siècle avait vu la chrétienté se scinder en deux camps ennemis, qui allaient, pour longtemps, mettre l’Europe à feu et à sang.
    L’irruption du jansénisme, au siècle suivant, fit craindre qu’une nouvelle querelle tout aussi irréconciliable ait les mêmes conséquences. Car si cette nouvelle dissidence ne prônait pas la rupture avec Rome, on ne peut s’empêcher de mettre en parallèle sa doctrine avec celle qui avait mené Luther à la séparation. Mazarin, en tout cas, qualifia le mouvement de « calvinisme rebouilli ».

    Après avoir fait alliance avec les dévots pour arriver au pouvoir, Richelieu s’était allié aux princes protestants allemands pour sauver le royaume, dont la plus grave menace extérieure était catholique. Comme l’avait voulu Henri IV, il avait laïcisé la politique.
    Dans un ouvrage écrit contre ce choix, Mars gallicus, l’évêque d’Ypres, Cornelius Jansen, avait défendu la thèse qu’au contraire, un prince chrétien ne devait faire la guerre que pour des raisons religieuses, et ne traiter de religion que par raison d’Etat. Le jansénisme, qui allait naître de ses théories, prospéra dans la Robe et la bourgeoisie marchande dont celle-ci était majoritairement issue.

    Le philosophe Lucien Goldmann explique que c’est en 1637 que le janséniste Antoine Le Maître fit savoir qu’il renonçait au « monde » en opérant une retraite à Port-Royal. Très médiatique retraite, puisqu’il la fit connaître de tout le milieu parlementaire où circula sa déclaration. Or la date correspond précisément à la généralisation des commissaires, dont nous avons vu combien ils dérangeaient les magistrats détenteurs d’offices [1]. Chacun put voir dans ce retrait, point de départ du mouvement janséniste, la réaction d’une classe sacrifiée à la centralisation monarchique.
    Avant leur conversion, de nombreux jansénistes s’étaient heurtés à la difficulté de faire carrière dans la bureaucratie du pouvoir central : de là leur affirmation que le monde est mauvais et qu’aucune action humaine ne saurait le transformer avant le jugement dernier.
    « On aurait remédié à bien des malheurs et des désordres si l’on avait fait emprisonner Luther et Calvin dès qu’ils commencèrent à dogmatiser » grinça Richelieu en faisant incarcérer Saint-Cyran [2] comme ennemi de l’Etat. Le procureur général Mathieu Molé intervint personnellement en sa faveur.

    Aux sources du jansénisme, il y avait la pensée de Saint Augustin, revisitée au Grand siècle. Citons ici le père de l’Eglise :
    « La grâce n’est pas donnée à tous les hommes et ceux à qui elle est donnée ne l’obtiennent pas d’après le mérite de leurs œuvres, ni d’après celui de leur volonté. C’est par la miséricorde gratuite de Dieu que la grâce est donnée à ceux à qui le seigneur la donne. C’est par un juste jugement de Dieu qu’elle n’est pas donnée à ceux à qui Dieu la refuse. »

    Pour faire court, il y avait d’un côté les élus, et de l’autre les réprouvés, tous les autres.

    Sous des dehors apparemment futiles, comme de débattre sur le fait de savoir si la crainte des peines de l’enfer est suffisante pour être pardonné, ou si le pur amour de Dieu est la seule condition, c’est l’appréhension du monde qui était en jeu. Les jansénistes prêchaient non seulement l’élitisme (Jésus n’était pas mort pour l’humanité, mais seulement pour les élus ), mais un perpétuel renoncement : toute tentative d’améliorer les choses était vaine. Le jansénisme est né et a éclos dans un environnement de renonciation au monde et de tristesse qui en fait un mouvement rigoureusement anti-social.

    A sa sortie de prison en 1643, Saint-Cyran fit une entrée triomphale à Port-Royal, communauté libre, égalitaire, constituée majoritairement de gens de robe et de bourgeoisie de négoce, noyau dur du jansénisme et de l’opposition à l’absolutisme royal.
    « On plaît à Dieu par la pensée, par la parole, par l’action et par la souffrance... » y professait-il.
    « J’aime, par l’esprit de Jésus-Christ, tout ce qui est laid. » soupirait Mère Angélique.
    C’est peut-être l’attraction de cette sainte laideur qui poussa les membres de la secte à procéder à la dissection du saint cadavre de Saint-Cyran pour en faire de saintes reliques.
    Dieu aimait le laid, la souffrance, le morbide, le renoncement à tout. La prière était un gémissement. Dieu haïssait la vie, Dieu n’aimait pas les hommes, décidément.

    Le ministère de Nicolas Pavillon, qui fut pendant quarante ans évêque à Alet, au pied des Pyrénées, est une illustration de ce que pouvait être le jansénisme appliqué.
    Quand il arriva dans son diocèse, en 1637, il commença par en bannir toutes les violences faites aux femmes, aux filles et aux enfants des habitants, en butte à la brutalité des seigneurs locaux. Puis, après avoir éradiqué le viol et l’inceste, il imposa sa morale sur un autre registre, et fit donner le fouet à un jeune homme de 16 ans qui avait embrassé une fille à l’issue d’une danse. Peu à peu, il en vint à proscrire les fêtes, les bals et les réjouissances qui rythmaient l’année. Les habitants se virent inexorablement interdire de jouir de la vie.
    Pour avoir un état des âmes de ses ouailles, Pavillon fit circuler des interrogatoires regardant non seulement les habitants mais également leurs voisins. Puis il prit des dispositions pour que certains pénitents ne puissent se confesser ailleurs que là où le curé avait reçu des instructions de dureté. Ils devaient en recevoir ensuite un billet de confession, sans lequel ils ne pouvaient communier, et leurs péchés ne pouvaient être pardonnés qu’à la condition de pénitences publiques humiliantes. Cette tyrannie dura jusqu’à la mort de l’évêque, en 1677.

    Persuadés de l’importance de l’éducation des enfants, les jansénistes participèrent au mouvement des petites écoles, et développèrent partout en France des établissements où ils purent appliquer leur doctrine. Ils y furent en concurrence directe avec celles des jésuites auxquels ils reprochaient de professer une morale indulgente. Ces derniers ne permettaient-ils pas à leurs pénitents d’aller danser le jour même où ils avaient communié ? En d’autres termes, de s’amuser le dimanche…

    Le mathématicien Blaise Pascal, qu’on dit être un des génies du siècle pour ses Provinciales dirigées contre la compagnie de Jésus, fut le champion de l’anti-humanisme janséniste. Sa sœur, Gilberte Périer, disait de lui : « Il ne pouvait souffrir aussi les caresses que je recevais de mes enfants, il me disait qu’il fallait les en désaccoutumer, et que cela ne pouvait que leur nuire. »
    A l’article de la mort, le grand génie dit à sa sœur : « Je connais le danger de la santé et les avantages de la maladie… ne me plaignez point, la maladie est l’état naturel des chrétiens, parce qu’on est par là comme on devrait être toujours… dans la privation de tous les biens et les plaisirs des sens, exempt de toutes les passions… et n’est-ce pas un grand bonheur quand on est par nécessité dans un état où on est obligé d’être ? »
    Le bonheur dans la souffrance, la maladie, la privation des biens et de tous les plaisirs…

    Le règne de Louis XIV fut celui de la reprise en main du pouvoir sur les officiers par les commissaires. A l’instar de Richelieu et traumatisé dans son enfance par la Fronde, - soubresaut sanglant des prétentions à l’autonomie des noblesses de robe et d’épée -, Louis XIV combattit avec la dernière rigueur les jansénistes qu’il voyait comme une secte mortifère défiant son pouvoir. Il les considéra, jusqu’à sa mort, comme les ennemis de l’Etat. Il fit intervenir le pape sur la doctrine, fit raser Port-Royal et mit les récalcitrants en prison. En 1713 c’en était fini.
    Deux ans plus tard, c’est lui qui disparaissait.

    (A suivre…)

    Sources :
    - René Taveneaux, La vie quotidienne des jansénistes aux XVIIe et XVIIIe siècles, Hachette littérature, 1973
    - Jean Delumeau. Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, Nouvelle Clio 1992.
    - Goldmann Lucien, Le Dieu caché, Nrf. Gallimard, 1975.
    - Françoise Hildesheimer Le Jansénisme, Editions Publisud, 1992.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:37


    V - La chasse aux sorcières

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    A la charnière entre le XVIe et XVIIe siècle, tout le monde affirmait croire au diable, il n’est de grand esprit qui ne s’y référa. Et si c’est le pape qui avait amorcé le mouvement en 1326 en assimilant sorcellerie et hérésie, l’Église abandonna vite les poursuites qui devinrent, à l’échelle de l’Europe, l’affaire des juges : Rome ignora elle-même cette inquisition, la chasse aux sorcières fut une procédure d’autorité locale non soumise à autorité supérieure, qu’elle soit religieuse ou royale.

    En pays protestant - où le pape n’était plus reconnu -, les autorités locales brûlèrent à qui mieux mieux, suivant ainsi la conviction de Luther qui affirmait : « Il ne faut pas faire grâce aux sorcières et aux magiciennes (...) je voudrais moi-même mettre le feu à leur bûcher, de même qu’on voit dans l’ancienne loi les prêtres lapider les malfaiteurs. »

    A l’origine de bien des procès, une dénonciation populaire. Telle femme, considérée jusqu’alors comme dotée des pouvoirs bénéfiques de soigner et guérir, devenait, face aux malheurs qui accablaient une communauté, responsable du mal comme elle l’avait été du bien. La source de cette croyance peut bien n’avoir été que l’expression d’une religiosité paysanne (c’est-à-dire païenne au sens étymologique du terme) que le christianisme n’avait atteinte que superficiellement. La grande majorité du peuple français pratiquait une religion animiste que les lettrés catholiques des cours citadines assimilèrent à de la sorcellerie.

    Les procès ravagèrent les campagnes. Depuis 1570 environ (paroxysme des guerres de religion) et pour un siècle, ce sont des dizaines de milliers de pauvres gens, majoritairement des femmes, qui périrent publiquement dans d’atroces souffrances à l’issue de procès iniques. Des tortures insoutenables faisaient avouer ce qu’on voulait. Tant que les juges n’avaient pas obtenu d’aveux, ils persistaient à torturer, et une résistance acharnée à la pression était elle-même la preuve que le diable soutenait l’accusée, incapable sans secours diabolique de résister à l’épreuve.
    Un accusé tentait-il d’incriminer un de ses bourreaux pour tenter d’en réchapper en le discréditant ? Peine perdue. Les juges étaient, par nature, indemnes de toute attaque satanique, leur mission était placée sous la protection de Dieu le père. En personne.
    Tout malheureux tombé dans les filets des juges sur simple soupçon était voué à la mort, sans distinction de sexe ou d’âge. Sans aucune chance d’en réchapper. Aucune.

    On aurait tort de voir dans ces magistrats sadiques des rustauds abrutis par l’ignorance. Des juges subalternes aux plus hauts magistrats, tous avaient étudié. Le plus illustre d’entre eux, Pierre de Lancre, qui se vanta d’avoir fait flamber plus de 500 malheureuses, était un érudit, un lettré appartenant à l’élite intellectuelle de Bordeaux.
    Et quand un médecin, Jean Wier, écrivit qu’il suffisait d’un peu de médecine pour expliquer bien des possessions, il attira sur lui les foudres de Jean Bodin. Jean Bodin (1529-1596), avocat au Parlement de Paris, l’auteur des Six Livres de la République, la référence pour des générations en matière d’analyse de l’origine de l’autorité, Jean Bodin que le xxe siècle a honoré comme humaniste en donnant son nom à un lycée de sa ville natale, accueillit l’intervention de Jean Wier en tonnant que c’était le diable qui l’inspirait et lança un appel véhément à une répression impitoyable.
    Bérulle lui-même, sous couvert du prétendu humanisme dévot, attaqua ad hominem le médecin Marescot qui avait commis l’outrage suivant : « S’il ne faut donc point d’autres signes de possession du diable que ceux qui sont décrits par les évangélistes, tout épileptique, mélancolique, phrénétique aura le diable au corps. Il et y aura au monde plus de démoniaques que de fols. »

    Ce n’était pas l’Eglise qui poussait au crime, et c’est un jésuite, Friederich Spee, qui dénonça le mieux la procédure française en 1632. En 1657, un décret pontifical reconnut la maladie mentale et s’éleva contre le fait d’arrêter et d’incarcérer des femmes contre lesquelles n’existait aucune charge. Mais en France ce décret ne toucha personne, car les juges d’Inquisition ne sévissaient pas, et une décision pontificale n’avait aucun pouvoir de contrainte contre les juges séculiers.
    Ces derniers s’arrogeaient un mirobolant pouvoir religieux, mais l’Eglise n’avait sur eux aucune prise.

    Le reflux des procès en sorcellerie a peu à voir avec une prise de conscience des magistrats en faveur de leurs victimes. Jusqu’au bout ils rejetèrent les appels à la raison d’où qu’ils viennent. Mais un glissement des affaires de sorcellerie des campagnes vers les villes, vint semer le trouble dans leur monde à eux. Les grands scandales de l’époque que sont l’affaire des possédées de Loudun ou de Louviers, mirent en cause des prêtres et des notables. On n’avait plus là affaire à des femmes du peuple, soupçonnées de pratiques sataniques, mais à des femmes du beau monde qui se plaignaient de possessions dont il fallait les délivrer. Elles n’étaient plus les coupables, mais les victimes d’un mal dont elles accusaient des personnalités au-dessus de tout soupçon. Dans ces affaires qui ont défrayé la chronique, ce sont des femmes qui accusèrent et semèrent la terreur.
    Le scandale était d’autant plus grand qu’il mettait à jour de lourds secrets touchant à une bien trouble sexualité pratiquée dans les couvents. En 1610 à Aix-en-Provence, Madeleine Demandols lança au cours de crises violentes et spectaculaires, à son confesseur Louis Gaufridy : « Vous savez bien que vous avez fait de moi tout ce que vous avez voulu, tant devant que derrière ! » Comment une jeune fille, enfermée dans un couvent, pouvait-elle évoquer la sodomie si elle ne l’avait subie ! Son suborneur fut exécuté après un procès expéditif, et il y a fort à penser que la présence, ou non, du diable dans ses séductions, eut peu à voir avec la rapidité de la procédure.
    Les grandes exhibitions des possédées furent éhontément lubriques. Hystérie des participantes, certes, mais aussi lubricité des spectateurs qui venaient se délecter à la perspective de voir des nonnes se dénuder en poussant des hurlements de bêtes. Et en faisant tomber sur des notables des soupçons inavouables : orgies avec sacrifices d’enfants, crucifixions, anthropophagie… Une fois lancée, la procédure ne pouvait plus être arrêtée, et il était temps pour la force publique d’y mettre bon ordre. Les Parlements s’y employèrent, et à leur tête celui de Paris, qui imposa une procédure d’appel automatique en cas de condamnation à mort. Ainsi fut arrêtée la folie des procédures en sorcellerie.

    Mais les cours de province et les juridictions subalternes ne se laissèrent pas ainsi déposséder de leur pouvoir, et bien en avant dans le siècle, quand déjà s’était fait jour la théorie que tout cela n’était que balivernes imputables à la crédulité populaire [1] – c’est le comble ! – les petits juges continuèrent de dénoncer, torturer, briser, brûler.

    On a là une illustration de ce que pouvait un pouvoir local illimité : sans défense ni recours, les petites gens étaient à la merci de notables sadiques et cupides. Il fallut que les tortionnaires commencent à s’attaquer à des nantis pour que les autorités supérieures réagissent, et décident d’y mettre un terme. Et elles eurent contre elles tout le pouvoir de la Compagnie du Saint-Sacrement qui, jusqu’au bout, soutint les dénonciations de sorciers [2].

    En 1670, l’abolition des procédures en sorcellerie n’était pas encore à l’ordre du jour, le pouvoir central se contentant d’imposer l’appel à Paris partout où c’était possible, ce qui était une manière d’imposer la relaxe. Le Parlement de Rouen, qui s’était distingué par sa turbulence sous la Fronde, envoya au roi une lettre suppliant que sa majesté l’autorise à continuer de poursuivre. La lettre des magistrats normands est un modèle d’obscurantisme : « Ce sont, Sire, des vérités tellement jointes aux principes de la religion que, quoi que les effets en soient extraordinaires, personne jusqu’ici n’a osé les remettre en question. »
    La réponse de Louis XIV marque clairement de quel côté étaient les lumières de ce siècle-là. Par une réponse juridique circonstanciée, le roi mettait un terme définitif à ces monstruosités, exigeant qu’on empêchât dorénavant que « l’innocence soit plus longtemps exposée à la calomnie et à l’avarice. » C’était le 25 avril 1672. Dix ans plus tard, en 1682, un édit définissait définitivement la sorcellerie comme un délit d’exploitation de l’ignorance. Un sorcier était un illusionniste et la sorcellerie était de la prétendue magie.
    Vive le roi !

    (A suivre…)

    Sources
    - Robert Mandrou, Magistrats et sorciers en France au XVIIe siècle. Une analyse de psychologie historique. Plon 1968. p. 112
    - Voltaire, Dictionnaire philosophique, article « Bouc ».
    - Friedrich Spee von Langenfeld, : Advis aux criminalistes sur les abus qui se glissent dans les procès de sorcelerie…
    - Jean Delumeau. Le Catholicisme entre Luther et Voltaire, Nouvelle Clio 1992
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:38


    VI - La justice du roi : les Grands jours d’Auvergne

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    Quand le jeune Louis XIV prit le pouvoir en 1661, la vénalité des charges de fonction publique fonctionnait depuis un siècle et avait permis de recruter n’importe qui pourvu qu’il ait de quoi payer. L’édit de la Paulette, qui rendait ces charges héréditaires, avait eu pour conséquence que la plus grande partie de la fonction publique échappait totalement au choix et même au contrôle du gouvernement pour l’avancement ou la révocation des juges. C’est la raison pour laquelle Richelieu avait mis en selle les commissaires royaux que furent les intendants [1]. Ce sont eux qui alertèrent Colbert de ce qui se passait en Auvergne.

    Laissés la bride sur le cou après la Fronde, les notables auvergnats faisaient régner sur la population une tyrannie atroce dont les victimes ne pouvaient se plaindre qu’aux coupables eux-mêmes. A Moulins par exemple, le présidial (tribunal dont la cour d’appel était le Parlement), était entièrement tenu par deux familles qui gonflaient éhontément tous les tarifs des actes de procédure et prenaient les gens à la gorge. A Saint-Flour, les juges exerçaient de « grandes concussions » sur ceux qu’ils étaient censés protéger : droits seigneuriaux indus, corvées impitoyables et servitudes multiples, ils faisaient payer sur tout et n’importe quoi, et usaient de l’assassinat pur et simple comme d’une solution normale à leurs problèmes.
    Si un paysan rechignait à la corvée ou au paiement du cens, on lui saisissait ses moutons, ses bœufs, son grain. En cas de nécessité, le paysan empruntait au seigneur lui-même qui lui appliquait des taux hallucinants (jusqu’à 25%), augmentait indûment le capital dû, ajoutait des droits imaginaires (comme des « frais et droits » au moment même où il s’acquittait enfin de sa dette) etc. Il était ensuite saisi, arrêté et enfermé dans les culs de basse fosse où on le maltraitait.
    A La Tour en Auvergne, une femme se plaignit un jour d’avoir été battue par un laboureur, Antoine Trogne. Les frères Jean et Michel Allègre, qui siégeaient au présidial, lui firent saisir sa paire de bœufs sans lesquels il fut réduit au chômage. Quand il demanda aux juges de Clermont la main-levée de la saisie, on exigea de lui encore une consignation de 30 livres. Même après qu’il eut payée, le greffier refusa de rendre les bêtes et lui réclama encore de l’argent qu’il n’avait pas. Antoine Trogne ne revit jamais ses bœufs et fut réduit à la mendicité.
    Cette réduction à la mendicité par la saisie de l’outil de travail du laboureur, était courante : les paysans étaient ruinés pour avoir demandé justice.

    Certains, comme la famille Canillac, se distinguèrent même par leur sadisme : échappant à toute justice, ils étaient insaisissables, comme sera la bête du Gévaudan au siècle suivant : ils maltraitaient les paysans les rançonnaient, les tuaient, les violaient, les torturaient.
    La liste des exactions de ces notables pourris est interminable : sur toute la région, tout était entre leurs mains, ils se répartissaient même l’aumône des pauvres au détriment des « véritables pauvres réduits à la mendicité ». Couverte par les officiers de justice, la noblesse locale faisait ce qu’elle voulait en toute impunité.

    A la fin de l’année 1664, le procès Fouquet achevé, le temps était venu pour le jeune roi d’aller établir son autorité en province. Dès le mois de janvier la riposte était prête, il fallut quelques mois encore pour qu’elle s’engage. Et c’est le 31 août 1665, que les autorités et les habitants de Clermont reçurent du roi le courrier suivant :
    « La licence qu’une longue guerre a introduite dans nos provinces, et l’oppression que les pauvres en souffrent, nous ayant fait résoudre d’établir en notre ville de Clermont en Auvergne une Cour vulgairement appelée les Grands-Jours, composée des gens de haute probité et d’une expérience consommée, pour, en l’étendue du ressort que nous lui avons prescrit, connaître et juger de tous les crimes, punir ceux qui en seront coupables, et faire puissamment régner la justice… »
    Le roi étendait sur la province son aile secourable et envoyait au centre de la France un tribunal extraordinaire constitué de commissaires extraits du Parlement de Paris, chargés d’aller réhabiliter la justice aux yeux des justiciables.

    Sur le chemin de Paris à Clermont, Nicolas Potier de Novion, président de la cour, commença par faire libérer quantité de malheureux emprisonnés dans des conditions atroces pour des dettes de moins de 50 livres. Les juges qui l’accompagnaient étaient tous de familles émanant du Tiers et parvenues depuis deux générations grâce à la vénalité des charges et à sa transmission héréditaire : mais ils avaient été choisis pour leurs qualités personnelles et la confiance qu’ils inspiraient au roi et à Colbert. Leur équipage, constitué de seize conseillers accompagnés de leurs épouses, entra le 25 septembre 1665 dans Clermont. Il allait y rester cinq mois et y établir une justice totalement gratuite, une première !

    Il fallut aux commissaires beaucoup de patience, de persuasion et de fermeté pour qu’enfin les victimes des abus viennent réclamer justice, la population redoutant les représailles quand la cour serait repartie.
    Celle-ci frappa vite, et fort. A son arrivée à Clermont, la cour mit garnison chez le marquis de Canillac, le plus cynique, le plus sadique des maîtres de la région. Le père, absent, fut condamné par contumace, mais le fils fut arrêté le 19 octobre, alors qu’il était apparenté à Novion : il était le beau-frère de son gendre. Foin de passe-droit, il fallait que justice se fasse.
    Les juges des Grands Jours instruisirent à charge et à décharge, selon la procédure inquisitoriale (c’est-à-dire « d’enquête »), et poursuivirent sans état d’âmes les coupables.

    Le 10 décembre 1665, un arrêt dénonça les abus commis par les officiers, rappela les tarifs des frais, imposa la réforme des prisons et la tenue des greffes et des registres [2], l’appel obligatoire en cas de condamnation aux galères, la protection des amendes affectées au roi (et détournées en aumônes), les expertises à faire en cas d’infanticide… On voit que rien de tout cela n’était respecté.

    Le 19 janvier 1666, les indélicats furent bannis, déclarés incapables et soumis à de fortes amendes. A la suite de l’arrêt, la cour leur rappela qu’ils avaient défense de mettre des scellés sur les biens des défunts sans requête des parties, défense d’obliger les filles mineures à prendre leur autorité pour leur mariage, défense de laisser vaguer les criminels, accusés ou déjà condamnés, et surtout de faire procéder à des exécutions par enlèvements de bestiaux et meubles en guise de salaires et vacations.
    A l’audience du 22 janvier, vingt et un contumaces furent condamnés et trente le furent à celle du 30. Ce même jour, le jeune Charles de Canillac fut reconnu coupable de meurtre, condamné à mort et exécuté.

    En quelques mois, les Grands Jours mirent de l’ordre dans tous ces abus, firent rendre gorge aux voleurs, raser les châteaux des assassins, rembourser les sommes indûment payées, réformer les prisons et libérer les malheureux qui y croupissaient, instaurer l’appel obligatoire en cas de condamnations graves, interdire la saisie des bêtes et meubles, et couper quelques têtes.

    En imposant la loi commune contre la loi locale, le roi Louis XIV instaurait un système de protection du faible et de punition du fort qui abuse de sa force. Le retentissement des Grands Jours fut immense et montra au peuple ce que valait l’absolutisme royal contre les particularités locales.

    Cette fois encore, Vive le roi !

    Sources :
    - Mémoires d’Esprit Fléchier sur les grands-jours d’Auvergne en 1665, annotés et augmentés d’un appendice par M. Chéruel, et précédés d’une notice, par M. Sainte-Beuve de l’Académie française. Hachette 1856.
    - Arlette Lebigre, Les Grands jours d’Auvergne, Désordres et répression au XVIIe siècle Hachette 1976.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:39


    VII – Malheur aux pauvres ! La création de l’Hôpital général.

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    Avant de rejoindre Paris, une fois leur travail accompli, les magistrats des Grands Jours [1] rédigèrent avec les autorités de Clermont le règlement pour la réformation de l’Hôpital-général, l’établissement destiné à recevoir les pauvres de la ville. C’est l’homologation de ce règlement qui mit fin à leur mission.

    Depuis des décennies se posait régulièrement le problème de l’afflux, vers les villes, des gueux incontrôlables dont, au milieu du XVIIe siècle, la Fronde avait multiplié le nombre.
    Si le Moyen-Âge fut bon aux miséreux, à l’époque moderne l’intolérance gagna et petit à petit la condition du mendiant en vint à être considérée comme un délit.
    « Il n’y a donc moyen de nettoyer la République d’une telle ordure que de les envoyer en guerre ! » avait tonné Jean Bodin au siècle précédent.
    En 1522 avait été créé à Paris le Grand bureau des pauvres, dont la tâche consistait à tenter d’éviter la mendicité agressive dont les cours des miracles donnaient une illustration. Mais le problème n’était pas réglé, et de nombreux projets furent tentés pour trouver une solution durable à ce que les nantis considéraient comme une agression insupportable.

    La solution finalement retenue par le roi fut celle que préconisaient les dirigeants la Compagnie du Saint-Sacrement [2]. Celle-ci avait clairement exprimé que l’un de ses principaux objectifs était de procurer soulagement spirituel et temporel aux mendiants de Paris. L’aspect spirituel primait car, disaient-ils, « Ce fut la désolation des âmes de ces mendiants qui émut sa compassion et que le secours qu’elle désira de leur procurer regarda bien plus le salut éternel de ces pauvres que leur soulagement temporel, qui d’ailleurs ne leur manquait pas. »

    S’il nous paraît aujourd’hui évident que la mendicité était la conséquence de la guerre et de la pression sur la paysannerie (qui pouvait avoir pour cause la saisie de l’outil de travail par des magistrats corrompus…), si on est en droit de voir la mendicité comme le choix de l’honnête homme qui refuse de voler, il en allait autrement chez ces donneurs de leçons : le mendiant refusait de travailler, c’est tout ce qu’il y avait à voir. Seuls les infirmes et les vieillards trouvaient grâce à leurs yeux, les autres n’avaient qu’à retrousser leurs manches. « La nécessité du menu peuple... ne procède à l’ordinaire que de l’oisiveté et la débauche » disait le confrère Charles Démia. Jamais de l’injustice ou de l’oppression. Salauds de pauvres !

    Trop content de se défausser du problème sur une organisation qui ne demandait qu’à le prendre en charge, Louis XIV signa en avril 1656 les lettres-patentes d’établissement de l’Hôpital-général. Financé par charte privée, il fut confié à d’éminents magistrats du parlement de Paris qui se cooptèrent, et l’Etat put s’en laver les mains.
    A Paris, on accorda aux directeurs poteaux, carcans, prisons et basses-fosses pour y appliquer leur justice sans aucune possibilité d’appel. Interdiction fut même faite d’écrire quoi que ce soit sur l’établissement sans autorisation expresse de ces messieurs.
    En province, les bureaux étaient constitués des juges de la compétence des juridictions ordinaires : les mêmes qui continuaient encore si allègrement de brûler les sorcières se voyaient confier droit de vie et de mort sur les miséreux.

    La nouvelle institution absorba d’un seul coup tous les précédents établissements s’occupant d’assistance, et entreprit de combattre la mendicité par seul motif de charité, mais « à peine du fouet, des galères et bannissement… » La nuit noire s’abattait sur les pauvres du royaume. C’était l’invention d’un délit de pauvreté, une mise des nécessiteux sous la tutelle des notables. Toute la haine de l’homme et de la vie, qu’on a vu éclore dans la mouvance bigote et masochiste du mouvement anti-humaniste, put sans entrave s’exprimer dans ces horribles lieux de concentration de toute la souffrance du monde.

    Voulu, conçu, mené à bien par la Compagnie du Saint-Sacrement, le projet avait été élaboré par les meilleurs juristes du Parlement de Paris. La magistrature parisienne investit totalement tous les postes de direction qu’elle garda jusqu’à la Révolution.
    Les pouvoirs de la nouvelle administration étaient proportionnés aux interdits qui tombaient sur la population, celle des indigents et les autres.
    Interdiction était faite de mendier sous quelque prétexte que ce soit, mais également de donner l’aumône sous peine d’amende. Interdiction était faite de loger les mendiants, c’est-à-dire de donner refuge à un miséreux sans abri. Toute personne tombée dans la misère avait obligation de se laisser enfermer, et tout acte de commisération était devenu un délit.
    Le nouvel établissement prenait possession de tout ce que les institutions séculières et régulières (c’est-à-dire religieuses) collectaient d’aumônes en argent et en nature : l’Hôpital général devenait la seule destination possible de toute générosité publique ou privée. L’Eglise était d’un seul coup dépossédée de sa vocation à l’assistance.

    L’esprit qui présidait à de tels articles voulait que l’hôpital soit le seul lieu, la seule destination, le seul organisme susceptible de s’occuper des pauvres. Tout soin, toute aide, tout secours émanant des particuliers ou de qui que ce soit, étaient devenus hors la loi.
    C’est une dictature qui s’abattait sur la ville, le désespoir sur les pauvres du royaume.

    L’idée étant de mettre les fainéants au travail, on ouvrit des manufactures dont les produits furent vendus au profit de l’établissement et les métiers protestèrent contre cette concurrence déloyale. Vaines alarmes des corporations : jamais ces manufactures ne furent rentables, tant la mauvaise volonté des enfermés y opposa de résistance. On sauvait leurs âmes en les réduisant en esclavage : en réponse, les enfermés salopaient le travail.

    De la base au sommet du royaume, la population résista, immédiatement et jusqu’à la fin, à ces mesures iniques et inhumaines.
    Pour commencer, les pauvres se dispensèrent de se présenter pour se faire enfermer, comme bien l’avait compris monsieur Vincent, qui refusa de donner ses prêtres à l’institution pour ne pas « assez connaître si le bon Dieu le veut [3]. » Mais surtout, le peuple français n’aime pas qu’on moleste ses pauvres : l’histoire des arrestations de mendiants est également celle de la résistance qu’y opposèrent les braves gens qui en étaient les témoins. Insultes et invectives, coups de poings ou de crocs, envoi de moellons ou des poignées de chaux vive depuis les échafaudages, la masse désarmée avait ses poings et savait manier le bâton, des fenêtres pleuvaient des pots de chambres et ce qu’ils contenaient. Les rébellions contre les arrestations furent telles que leur connaissance sera, après sept déclarations, ordonnances royaux et arrêts du Parlement, attribuée en 1724 au Lieutenant général de police, et qu’elles continueront ensuite.

    L’intérêt que trouva le roi, puis son dévoué Colbert, à voir mettre au travail tous les désœuvrés du royaume est criant. En 1666, ce dernier demanda un accroissement de la répression contre les mendiants, et le développement de manufactures de femmes.
    A Lyon, il est patent que l’hôpital général permettait de loger les ouvriers en soie en dehors de la saison d’activité, évitant ainsi l’exode saisonnier. Le renfermement était une aubaine pour un pouvoir fort peu soucieux du bien-être de ses marginaux, mais très préoccupé de l’enrichissement de ses manufactures.

    Or, et c’est là le point le plus surprenant, personne n’avait le droit de savoir de combien disposait l’hôpital ni à quoi lui servait son argent : les directeurs étaient seuls à décider du recrutement d’un receveur qui prêtait serment au Parlement mais n’était comptable qu’au bureau. Ainsi en avait voulu le roi en avril 1657 : « Faisant défense à toutes autres personnes qu’aux directeurs, de prendre connaissance des revenus, comptes et biens, présents et à venir et que quelque qualité qu’ils soient. »

    Comment cela s’accordait-il avec l’absolutisme royal ?

    On pouvait faire travailler les indigents dans des manufactures sans laisser à des bigots incontrôlables et à des magistrats prompts à la rébellion, droit de vie et de mort sur la part la plus fragile du pays. Et surtout sans les laisser ainsi gérer des fonds considérables hors de tout contrôle.

    Quand Louis XIV arriva au pouvoir, la défaite des parlements était consommée. Entre la fin de la Fronde (1652) et l’inauguration de l’hôpital général (1656), quatre ans seulement s’étaient écoulés. Il n’y eut même pas de délai entre la soumission des notables auvergnats et l’homologation de l’Hôpital-général local : les deux furent concomitants.
    Sans l’ombre d’une autorité de contrôle extérieur, le roi laissait les robins et leurs cliques, évincés du pouvoir par le renforcement de la centralisation, instaurer ordre moral, dévotions obligatoires et travail forcé sur la partie la plus vulnérable du royaume.
    Seule la grande jeunesse de Louis XIV, qui n’avait pas encore commencé son règne personnel en 1656, peut expliquer qu’il ait pu signer un texte aussi contraire à tout ce qui ferait sa politique à venir.
    Car il est inconcevable qu’une monarchie, qui se voulait absolue, ait abdiqué ainsi tant de pouvoir au bénéfice d’une caste réputée rebelle.

    Il est permis de se demander si une telle délégation de pouvoir, hors de tout contrôle, n’est pas l’os à ronger que Louis XIV aurait donné aux magistrats, enfin mâtés, à titre de compensation.
    Pour avoir la paix.

    Louis XV, lui, allait avoir la guerre. Et la royauté allait la perdre.

    (A suivre…)

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    Sources
    - Marion Sigaut, La Marche rouge, les enfants perdus de l’Hôpital général, Chambon, Paris, 2008.
    - Code de l’Hôpital général de Paris, ou recueil des principaux édits, arrêts, déclarations et règlements qui le concernent, ainsi que les maisons et hôpitaux réunis à son administration. Paris, imprimerie de la Veuve Thivoust, imprimeur du Roi, 1786.
    - Jean Imbert, Histoire des hôpitaux en France, Privat 1982, p. 178 Christian Paultre, De la répression de la mendicité et du vagabondage en France dans l’Ancien régime. Slatkine 1975
    - Jean Nicolas, La Rébellion française, Mouvements populaires et conscience sociale 1661-1789, UH/Seuil.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:39


    VIII - Le satanisme au cœur de l’Etat : l’affaire des poisons.

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    La très jolie Marie-Madeleine était la fille aînée d’un haut magistrat parisien, le lieutenant civil du Châtelet Dreux d’Aubray.
    Monsieur Dreux d’Aubray aimait beaucoup sa fille. Et tant même qu’un jour de 1663, alors que celle-ci était mariée et âgée de 33 ans, il profita de son pouvoir pour faire arrêter et embastiller son amant en pleine rue. La belle Marie-Madeleine était rancunière sans doute, puisque trois ans plus tard elle empoisonnait l’auteur de ses jours.
    Marie-Madeleine de Brinvilliers ne s’arrêta pas là. Elle empoisonna également ses deux frères et s’apprêtait à réserver le même sort à ses belles-sœurs quand elle fut inquiétée. Réfugiée en Angleterre puis en Hollande, elle fut finalement arrêtée et, le 16 juillet 1676 elle était décapitée en place de Grève.
    Au moment de son arrestation en Picardie, on avait saisi sur elle une confession dans laquelle elle racontait par le menu ce qu’avaient été ses crimes, mais aussi sa vie, sa jeunesse, son enfance. Et de bien sordides révélations y étaient consignées, touchant notamment au très vénérable lieutenant civil du Châtelet, feu son père
    « Nous n’avons pu retrouver le texte original de cette confession, qui n’avait pas moins de 16 pages. L’extrait fait par M. de Lamoignon a été imprimé tant de fois, que nous avons jugé inutile de le reproduire » écrit, dans les Archives de la Bastille, l’archiviste François Ravaisson, qui en profite pour ne pas nous dire ce qu’elle contenait.
    Ce qu’on sait, c’est que lors du procès, Messieurs du Parlement firent des difficultés à divulguer ce qu’ils considéraient comme relevant du secret inviolable de la confession. Comme si des aveux écrits trouvés sur une criminelle en fuite pouvaient susciter de si pieux scrupules à des juges laïques ! Ce que le public ne devait pas connaître, c’est de quoi était faite la tendre affection de Dreux d’Aubray pour sa fille : « On a agité la question de savoir si on pouvait l’interroger sur ces crimes particuliers comme sodomie et inceste qui, n’étant dans cette occasion que matière de confession, il semblait qu’on devait tenir en grand secret. »
    Peut-on faire pire dans l’hypocrisie ? Peut-on plus clairement montrer que le Parlement ne voulait pas avoir à traiter de l’inceste dont le tendre papa, l’intouchable haut magistrat, le vénérable et vénéré Dreux d’Aubray se serait rendu coupable sur sa petite Marie-Madeleine ! Celle-ci mit trente ans à ne pas s’en remettre et à commettre l’irréparable.
    L’affaire des Poisons était à peine commencée que les juges en donnaient le ton : en révéler le moins possible.

    Les connivences de la marquise de Brinvilliers avec les juges sont multiples. Tout d’abord, il fut dit qu’elle avait mis au point ses bouillons d’onze heures à l’hôpital général, où elle put mitonner des fricassées à l’arsenic qu’elle testa sur des malheureux dont elle consigna les symptômes. D’une horrible criminelle, certes. Mais qui a bien pu l’autoriser à pénétrer ce lieu maudit et à user ainsi des enfermés ? Qui d’autre que les magistrats, qui tenaient ferme les rênes de l’établissement et empêchaient quiconque d’y mettre son nez ? Ces mêmes magistrats qui, en la prévenant que son arrestation était imminente, lui permirent d’atteindre l’Angleterre...

    En janvier 1677 était arrêté l’empoisonneur Louis de Vanens, qui déclara haut et fort que ni Dieu ne le roi ne l’arrêteraient car il connaissait trop de monde dans les cercles judiciaires. En effet : s’il fut bien condamné aux galères en 1682, jamais on ne le retrouva enchaîné à un banc de rame.
    En attendant, au moment de son arrestation, c’est le Parlement de Paris qui instruisit son cas et ceux qui apparurent : tout un monde interlope de brigands des bas-fonds frayant avec le meilleur monde à qui il fournissait poudres d’héritages et de veuvage. Alors que le roi venait de mettre un terme définitif aux procès en sorcellerie, on saisissait chez les inculpés tout un arsenal maléfique et obscène, rappelant curieusement les pratiques dont le roi venait d’interdire la poursuite !
    En mai 1679 la Vigoureux (ainsi nomma-t-on toutes ces sorcières, de leur patronyme précédé de « la ») mourut sous la torture, après avoir donné une liste de complices et clients qui inquiéta bien des juges : citons, parmi d’autres, l’épouse d’un magistrat qui, justement, siégeait pour juger la Bosse, sa complice.

    Le roi comprit vite que, s’il voulait éradiquer le mal, il lui fallait retirer au Parlement la connaissance de ces affaires. Celui-ci protesta vigoureusement de sa probité mais n’impressionna pas Louis XIV qui refit ce qu’il avait fait en Auvergne [1]. Il confia à l’excellent Nicolas La Reynie, son Lieutenant général de police, le soin de constituer un tribunal spécial de douze juges, dont il serait le principal, qu’on appela la Chambre ardente et qui siégea à l’Arsenal. Le Parlement de Paris était dessaisi sans autre forme de procès.

    Le secret le plus absolu fut demandé aux juges. Bien sûr il s’agissait de protéger quelques personnalités très haut placées, mais surtout de ne pas divulguer au public trop d’informations touchant à des pratiques aussi dangereuses. Jamais la torture ne fut pratiquée autrement qu’après condamnation, et ne servit à faire avouer autre chose que des complicités.
    Quand les aveux commencèrent à mettre en cause des personnes de l’entourage immédiat de la favorite, la flamboyante, l’étincelante marquise de Montespan, la Reynie envoya automatiquement au roi ses rapports d’interrogatoire.

    Louis XIV fit preuve d’une grande fermeté. Il convoqua à Versailles les magistrats de la Chambre ardente et leur fit savoir qu’il voulait la justice sans passe-droit ni protection : il fallait aller au bout.

    La qualité des personnes inculpées pour empoisonnement avait de quoi donner le tournis. Outre des avorteurs, faussaires, sorciers divers et astrologues, la police arrêtait aussi des altesses et duchesses, des marquis et princesses, qui vinrent déposer sur la sellette au même titre que de nombreuses bourgeoises. Le roi autorisa tout de même la fuite de la Comtesse de Soissons née Mancini, la propre nièce de feu son parrain Mazarin !

    Fort de sa probité et de la confiance que le roi lui témoignait, La Reynie, pourtant, fut peu à peu saisi par le trouble. Il apprit un jour qu’un interrogatoire secret (il avait pris des mesures particulièrement drastiques) avait été repris, verbatim, par Mme de Sévigné : il y avait donc des fuites parmi les juges qu’il avait lui-même triés sur le volet !
    En février 1680 la Voisin, dont l’arrestation avait orienté l’enquête en direction de Mme de Montespan, fut soumise à la question juste avant son exécution : elle nia tout en bloc et mourut sur le bûcher. Or La Reynie est formel : on ne lui appliqua pas la question, on fit semblant.
    Qui avait pu donner cet ordre contraire au sien ?
    Enfin l’épouvante saisit le magistrat quand il comprit, en recoupant les aveux des uns et des autres, que des enfants avaient été égorgés, éviscérés et brûlés, leur sang et leurs viscères récupérés pour des philtres. Le ventre nu de la Montespan avait servi d’autel à une de ces messes du diable.

    Ce que cherchait la favorite ? A rentrer en grâce, après qu’elle eut compris que son étoile pâlissait. Ainsi font les adeptes des diableries et des sectes : ce que Dieu ne faisait pas, le diable pouvait le faire. Et plus le prix était élevé en matière de damnation éternelle, plus la requête avait de chance d’être exaucée. La Grande Mademoiselle elle-même, cousine germaine du roi, aurait procédé, en 1657, à un tel crime sur un enfant de trois ans pour faire aboutir un mariage.

    Qui a dit que le diable ne pouvait être que cornu et fourchu ? Qu’il ne peut être aussi le nom donné à la folie meurtrière touchant des groupes renfermés sur eux-mêmes et décidés à jouir du pouvoir que donne la transgression suprême ? Comment ne pas se remémorer les imputations d’infanticide qui avaient accompagné les scandales touchant les monastères dans les affaires de sorcellerie [2] ? A Toulouse, Loudun, Louviers on avait parlé de meurtres d’enfants et même d’anthropophagie ! A Paris, la Joly témoigna qu’un jour elle avait vu, de ses yeux vu, une bassine contenant les morceaux de deux enfants de sept mois…
    Horrifié autant que déterminé, la Reynie recoupa les aveux d’inculpés séparés et comprit qu’ils correspondaient, et corroboraient une rumeur populaire persistante faisant état d’enlèvements d’enfants dans les rues au profit de personnes de grande considération [3].

    A la lumière de ces effroyables révélations de messes noires et de sacrifices humains, La Reynie prit conscience qu’il existait, au cœur même de l’Etat, des gens très haut placés qui pratiquaient, sur des enfants enlevés au peuple, des sacrifices sanglants et orgiaques.
    La propre mère des six enfants légitimités du roi était de ces pratiques. Seul le silence pouvait répondre à une telle abomination. Louis XIV, révulsé, ordonna qu’il retombe sur l’affaire.

    Ainsi le Grand Roi, après avoir vaincu les particularismes locaux, réduit les dévots et les jansénistes, domestiqué la noblesse, soumis les parlements à qui il retira le droit de remontrances, acceptait de laisser en l’état d’obscures forces sataniques, dont les crimes étaient tellement atroces, qu’il avait cru devoir ne pas les poursuivre plutôt que de seulement les révéler.

    Jamais Louis XIV ne se remit de ces révélations épouvantables. Il troqua les perles et les dentelles de ses flamboyantes maîtresses contre les noirs habits d’une épouse dévote.
    Quand en 1709 mourut Nicolas de la Reynie, Louis XIV, alors âgé de 71 ans, décida d’effacer les ultimes traces du plus abominable drame de son règne. Le 13 juillet, il fit allumer un grand feu dans la salle du Conseil. Puis il donna l’ordre au chancelier Pontchartrain d’y déposer une à une toutes les pièces que contenait une grosse cassette de cuir noir. Tous les noms, les faits, les preuves, les dépositions et les comptes rendus de séances de la Chambre ardente furent ainsi définitivement détruits, afin que nul ne sache. Jamais. Le roi put respirer enfin, après plus de vingt ans de cauchemar.

    Jamais il ne sut que son fidèle La Reynie avait gardé l’intégralité des notes qu’il avait prises au cours des interrogatoires, des séances de la Chambre ardente, et des réflexions qu’il se faisait à lui-même dans le silence de son bureau personnel.
    Ces notes sont à la bibliothèque nationale au département des manuscrits occidentaux [4]. C’est par elles qu’on peut savoir comment le roi-soleil dut plier face aux forces de l’ombre.

    (A suivre…)

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    Sources :
    - Frances Mossiker. The Affair of the Poisons. Louis XIV, Mme de Montespan, and one of History’s Great Unsolved Histories. Londres 1970.
    - Jean Nicolas, La Rébellion française.
    - Arlette Lebigre, L’Affaire des Poisons, Bruxelles 1989.
    - Franck Funck-Brentano, Le Drame des Poisons, Paris 1899.
    - François Ravaisson, Archives de la Bastille, règne de Louis XIV. Volume 4. 1663-1675.
    - Marion Sigaut, La Marche rouge, les enfants perdus de l’Hôpital général.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:40


    IX - Le tournant de la régence

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    « Voici le temps de l’aimable Régence, Temps fortuné, marqué par la licence, … Où l’on fait tout, excepté pénitence » chanta Voltaire.

    La fin du règne de Louis XIV avait été tout sauf aimable. Le roi, devenu dévot sur le tard, avait vu successivement mourir tous ses enfants et petits-enfants légitimes. De graves revers militaires suivis d’années climatiques noires, un délabrement physique éprouvant, avaient fait de sa fin une période lugubre et oppressante. Ses opposants avaient été combattus, pourchassés, emprisonnés… Sa mort, le 1er septembre 1715, fut pour beaucoup un soulagement : elle lâcha la bonde à bien des rancœurs et frustrations, et ouvrit la voie à bien des revanches.

    Son arrière-petit-fils et unique survivant de sa lignée légitime, Louis XV, avait cinq ans. C’est le neveu du défunt roi, Philippe d’Orléans, qui assura la régence.

    Un gentilhomme de Périgord victime de vexations, vint un jour lui présenter un mémoire. L’homme, intimidé, plongea à genoux devant le prince et bredouilla sa requête en tremblant.

    « Levez-vous monsieur, lui dit Philippe avec bonté. Je ne parle à personne en cet état. Remettez-vous quelques moments, puis vous parlerez. »

    Incontestablement, le ton avait changé. Et pas seulement le ton.

    Louis le Grand avait voulu que les fils qu’il avait eus avec Mme de Montespan, puissent accéder au trône. C’était contraire à toutes les règles que de permettre ainsi à des bâtards de prétendre à la succession. Le Régent, croyant bien faire, décida de casser le testament de son oncle.

    Il fit pour cela appel au Parlement de Paris à qui, en échange, il rendit le droit de remontrance. Il fit également sortir de prison tous les opposants à Louis XIV, un souffle de liberté passa sur la France.

    Bienveillant, libéral, tolérant, intelligent, Philippe résolut de s’attaquer d’abord aux problèmes financiers : en 1715, les revenus des deux années à venir étaient déjà consommés par anticipation.

    Il décida, comme l’opinion le réclamait, de faire rendre gorge aux financiers, traitants et fermiers généraux, dont les fortunes étaient une insulte à la misère publique.

    Il installa aux Grands-Augustins, à Paris, un tribunal spécial qu’il chargea d’examiner les comptes de tous ceux qui avaient participé aux fournitures des armées depuis 1689. On donna huit jours aux gens d’affaire pour faire, devant notaire, une déclaration de tout leur patrimoine, incluant celui de leurs épouses, avec l’état détaillé des biens acquis depuis leur entrée en affaires.

    Cela donna lieu à quelques jolis scandales.

    On arrêta un certain Bourvalais qui aurait pu, à lui seul, occuper la chambre de justice pour quatre ans. On trouva sous son cabinet une cache maçonnée contenant six cents mille écus, et on saisit son hôtel particulier place Vendôme, qu’on peut aujourd’hui admirer puisqu’il est devenu le ministère de la justice.

    Au bout d’un mois, six mille déclarations volontaires avaient déjà révélé pour 1 200 millions de biens.

    La chambre de justice faisait son travail sans états d’âme : un président de la chambre des comptes fut arrêté en pleine rue place des Victoires où il dut, devant tout le monde, descendre de sa chaise à porteur pour monter dans un fiacre qui le conduisit directement en prison.

    Pour forcer des privilégiés à payer leur capitation, on envoya des soldats en garnison chez les mauvais payeurs. Un maître des Requêtes vit un jour un Suisse entrer chez lui, s’asseoir auprès du feu entre lui et sa femme, bourrer sa pipe, fumer, cracher par terre. Le lendemain, le monsieur paya ce qu’il devait.

    Les noms de tous les condamnés étaient rendus publics, et leur mise au pilori était l’occasion de réjouissances populaires. Un jour qu’un homme y était emmené au cul d’une charrette, les femmes du marché arrêtèrent l’écoulement des eaux de ruisseau pour le forcer à marcher nu-pieds dans la fange.

    Voir les malfrats exploiteurs du pauvre monde mettre les pieds dans la merde donnait quelque satisfaction à ceux qui peinent, mais en choquait d’autres. Un jeune poète de 23 ans dénonça ces façons de faire :

    Je vais, dans l’ardeur qui m’enflamme,
    Flétrir le tribunal infâme
    Qui met le comble à nos malheurs.

    (…)

    O désespoir ! Notre patrie
    N’est plus qu’une mère en furie
    Qui met en pièces ses enfants

    gémit le jeune Arouet, qu’on connaîtra plus tard sous le nom de Voltaire.

    Les résultats de la chambre de justice furent spectaculaires, mais insuffisants. Un Ecossais nommé John Law convainquit Philippe d’Orléans que tout le mal provenait de la sujétion de l’économie aux métaux précieux, lourds, incommodes et rares. Il proposa de faire circuler à leur place du papier-monnaie, qu’on gagerait sur la richesse engendrée par les nouveaux échanges. Philippe décida de faire l’expérience.

    On créa une banque qui émit pour trois milliards de billets convertibles en espèces avec une encaisse de 500 millions de métaux seulement. Ces billets circulèrent comme une véritable monnaie avec laquelle on pouvait payer ses impôts : la confiance s’instaura.

    Pour pouvoir verser des dividendes aux actionnaires, on créa la compagnie du Mississipi qui devait développer la Louisiane. La compagnie avait un capital de 200 000 actions de 500 £ chacune, elles furent allouées aux créanciers de l’Etat, qui épongea ainsi sa dette.

    Le public se rua rue Quincampoix, où se négociaient les titres, pour acheter des actions dont le prix augmentait de jour en jour. La spéculation s’empara de Paris et, sur la promesse de bénéfices fabuleux à venir, on se mit à vendre du concret pour acheter du vent.

    Cela mit la société sens dessus-dessous. Des fortunes inouïes se constituèrent, et les plus malins, après avoir vendu des biens pour acheter du papier, surent vendre le papier pour acheter autre chose. De simple commis purent acquérir des domaines où ils donnèrent des fêtes somptueuses, des domestiques se couvrirent de diamants… Paris faisait l’expérience d’une nouveauté : l’argent facile.

    L’une des conditions du succès durable du système, était le développement, donc le peuplement de la Louisiane. La compagnie voulait sa main-d’œuvre, elle paya pour cela des archers appelés « Bandouliers du Mississipi » qu’on envoya arrêter les gens de rien que le mirage du système avait attirés dans la capitale.

    En moins de huit jours les bandouliers, payés à la pièce, raflèrent plus de 5 000 personnes : vagabonds et gens sans aveu peut-être, mais également artisans, manœuvres, apprentis, ou domestiques.

    La panique s’empara des familles. Dans les villages autour de Paris, des archers vinrent enlever des jeunes filles, puis bientôt des enfants de neuf ou dix ans qu’ils arrachaient des bras de leurs mères.

    La révolte des parents fut sanglante [1]. Un enlèvement de trop fut le signal d’une véritable chasse au flic qui fut lancée à travers les rues de Paris. Entre avril et mai 1720, plusieurs dizaines d’archers, dont certains, terrorisés, usèrent de leurs pistolets, furent bastonnés, défenestrés, lapidés et massacrés par une foule armée de ses poings ou des bâtons ou cailloux qu’elle ramassait dans sa course.

    La cupidité, l’amour de l’argent, la recherche par tous les moyens de la grosse galette semblaient avoir submergé le royaume. A Marseille, un navire en provenance du Levant vint un jour décharger une précieuse cargaison d’étoffes de prix. Pour vendre au mieux, et au meilleur moment, les marchands marseillais firent le choix de passer outre à des mesures strictes de quarantaine, alors qu’il existait un soupçon de présence de peste à bord.

    Las ! Les étoffes circulèrent, des puces infectées s’en échappèrent, la peste s’abattit sur la ville ! En quelques mois Marseille perdit un tiers de ses habitants, et le fléau d’un autre âge gagna villes et villages du midi. On raconta que l’infection était telle qu’elle tuait les oiseaux en vol. Bientôt la disette fit autant de morts que la peste elle-même. Comment approvisionne-t-on une ville inapprochable ?

    On tenta de faire venir du blé du Levant mais, par malheur, un navire arrivant de Turquie refusa de décharger le sien en échange de billets…

    Car, inexorablement, la confiance s’effritait. Après avoir fait fureur, le papier devenait suspect.

    Et d’autant plus qu’un jour de mars 1720, deux princes de sang, le duc de Bourbon et le prince de Conti avaient littéralement pillé la banque en venant échanger leurs billets contre de pleins carrosses d’or.

    Quelques jours plus tard, on vit à la halle une harengère foulant au pied un billet de dix livres donné en règlement de la marée…

    L’inévitable débâcle se produisit. On se rua à la banque pour se faire rembourser, et en juillet on retira quinze personnes étouffées par la presse, qu’une foule haineuse et accablée alla porter au Palais-royal où résidait le régent.

    Le système s’effondra.

    Tandis que les princes de sang jouissaient éhontément de leur bonne fortune, à l’automne, le bois n’entrait même plus dans Paris, faute de liquidités pour le payer. Ceux qui s’étaient enrichis payaient leur ordinaire en bradant leur surplus, ceux qui n’avaient que leur salaire tombèrent dans la misère.

    Le régent avait encore d’autres soucis. Il dut venir à bout d’une conspiration menée par sa propre famille qui tenta, de façon grotesque et dilettante, de le renverser au profit de l’Espagne. Quelques seigneurs bretons s’étant malheureusement joints à ces bouffons, il fallut sévir contre eux.

    Mais il y avait plus grave. L’honnête régent pouvait faire front face à une banqueroute, un complot ridicule et même une épidémie de peste. Ce qu’il n’avait pas prévu, et qui joua singulièrement sur ses nerfs pourtant solides, ce sont les conséquences du royal cadeau qu’il avait fait aux très jansénistes juges parisiens en leur rendant le droit de remontrances [2].

    Le régent était indifférent aux questions religieuses. Jouisseur, noceur, goinfre et buveur jusqu’à l’ivrognerie, Philippe d’Orléans n’était partisan ni des uns ni des autres. Et s’il n’avait que faire de la pudibonderie des jansénistes, il n’avait vu aucun inconvénient, après avoir libéré les prisonniers (qui firent un triomphe), à faire entrer au gouvernement le jansénisant cardinal de Noailles.

    Or, sollicité par Louis XIV de trancher dans la querelle, le pape avait rendu sa réponse en 1713 sous la forme d’une bulle, connue sous le nom de « constitution Unigenitus » qui condamnait sans appel le jansénisme.

    En janvier 1716, dix-huit évêques, soutenus par la magistrature, avaient pressé le régent de les soutenir auprès du pape auquel ils désiraient demander des explications au sujet de la bulle et, en cas de refus de sa part, que soit convoqué un concile national de l’Eglise de France pour examiner la matière à fond.

    Le régent voulait que la querelle s’apaise, que la bulle soit acceptée partout et qu’on n’en parle plus : il était hors de question d’allumer une guerre par un concile. Il imposa le silence.

    Un jour que ces Messieurs s’opposaient à l’enregistrement d’une de ces décisions, Philippe prit le taureau par les cornes et exila tout le monde à Pontoise. Il y envoya les lettres patentes [3] qui déclaraient nuls les appels au concile, et ordonna l’enregistrement de la constitution Unigenitus qui serait reçue dans tout le royaume.

    Forts de leur droit de remontrance retrouvé, Messieurs ergotèrent, pinaillèrent, discutèrent, bref, refusèrent.

    Il restait à Philippe à faire enregistrer l’accommodement par le Grand Conseil, cour de circonstance où siégeaient avec lui les princes de sang et plusieurs ducs et pairs. Il y procéda le 23 septembre 1720, mais le nonce du pape vint lui faire savoir que le Saint-Père ne voulait pas s’en contenter : c’est l’enregistrement au Parlement qui était valable.

    « Que votre pape y vienne, pour voir s’il pourra mettre à raison tous ces bougres-là. Pour moi je ne peux faire mieux » répondit-il, exaspéré.

    Un jour qu’il recevait des marchands venus se plaindre d’une prétendue atteinte à leur probité, il les traita de voleurs, de fripons, de bougres de gueux et leur dit d’aller se faire foutre.

    « Allons Messieurs, vous aurez mal entendu » leur répondit, suave, le maréchal de Villeroi auquel les marchands avaient demandé comment ils pourraient rédiger le résultat de leur délégation dans leurs registres…

    Un jour que le Premier président de Mesmes n’entrait pas dans ses vues, Philippe explosa et le traita de gros cochon et de vieux bougre. Outragé, le haut magistrat garda son calme : « Monsieur, quand le feu roi Louis XIV me faisait l’honneur de me mander à Versailles, il avait toujours la bonté de m’écouter avec sa modération ordinaire. Je suis gentilhomme et Premier président du Parlement ; ces deux titres demandent de vous quelques égards ».

    « Le feu roi faisait comme il voulait, et moi je fais comme il me plaît : allez vous faire foutre, je vous saurai bien envoyer avec le Parlement hors de Paris ! » répliqua le prince, excédé.
    - Monsieur, vous ferez ce que vous voudrez, mais je puis vous assurer que nul officier du Parlement ne bougera de cette ville » lui répondit de Mesmes.

    Quand, épuisé par ses excès de mangeaille, d’alcool et du reste, le régent mourut en décembre 1723, âgé de seulement 49 ans, il laissait les finances publiques assainies. Mais l’autorité royale était désormais assiégée par une magistrature devenue toute-puissante, et dirigée par une secte dont les visées étaient passées de théologiques à politiques.

    (A suivre…)

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    Sources :
    - La Régence, ( 1715-1723), par Jean Buvat, écrivain de la bibliothèque du roi, Plon, 1865.
    - Jean-François Solnon, La crise financière et l’expérience de Law, Université de Franche-Comté.
    - Voltaire, Œuvres complètes, La Pucelle, Ode 5 : La chambre de justice.
    - Duc de Saint-Simon. Mémoires sur la Régence.
    - Barbier Edmond, Chronique de la régence et du règne de Louis XV,
    - Marion Sigaut, La Marche rouge.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:41


    X - Le nouveau jansénisme

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    Trois ans après la mort du régent, Louis XV appela son ancien précepteur, le vieil évêque Hercule de Fleury (73 ans), pour en faire son ministre d’Etat, autant dire son Premier ministre.
    Totalement désintéressé, passionné de service public, bon, affable, habile, devenu cardinal à la demande du roi, Fleury fut certainement l’un des meilleurs ministres qu’ait connu l’ancien régime : il s’employa à l’apaisement de toutes les querelles et prit à bras le corps l’affaire du jansénisme.

    Le parti janséniste était dirigé en sous-main par une soixantaine de jeunes théologiens attachés à la mémoire de Port-Royal, et tous issus du séminaire oratorien de Saint-Magloire, résolus à obtenir l’appel au concile (d’où leur nom « d’appelants ») et à empêcher tout accommodement.
    A leur tête, Jean-Baptiste d’Etemare, à qui Jésus-Christ - en personne - s’était adressé alors qu’il disait la messe en 1712, et qui eut la bonté de répondre directement à la question suivante : pourquoi Dieu a-t-il permis la victoire de ses ennemis, la destruction de Port-Royal ? Bon prince, Jésus répondit qu’il avait voulu jeter un nuage sur les vérités pour éprouver ses serviteurs.
    Fort de cette réponse subtile, d’Etemare créa une théorie alambiquée permettant de tout expliquer, le figurisme, qui postulait que les épreuves vécues par le peuple de la bible étaient les « figures » de ce qui allait se passer dans ce siècle. La bulle honnie [1] n’était qu’une de ces épreuves, elle annonçait bien des succès et merveilles, notamment l’imminente conversion des juifs ! Un certain Vaillant s’était tellement torturé de privations diverses, qu’il devint fou et finit par se prendre pour le prophète Elie en personne. Il se rendit à Metz pour s’y présenter comme tel aux juifs qui le mirent à la porte avec leur pied au cul !
    On voit sur quels délires se fondait cette opposition organisée, fervente, riche et même très riche (la « boîte à Perrette » se chargeait de cumuler dons et legs et constituait un trésor de guerre pharamineux), qui eut bientôt son journal clandestin : les Nouvelles ecclésiastiques.

    Outre la conviction que l’homme était irrémédiablement attiré vers le mal à part quelques élus touchés par la grâce divine - eux-mêmes -, les jansénistes avaient celle que les gens de robe étaient habilités à juger des affaires d’Eglise. Etre juge ou avocat donnait le droit de se mêler de sacrements ou de vérités ecclésiastiques, de juger d’un bref du pape ou du mandement d’un évêque, de dire le bien ou le mal mieux que le Vatican. Le jansénisme revendiquait l’ingérence des laïcs dans les affaires religieuses.

    Les autorités n’entendaient pas les laisser faire, il fallait que la bulle soit respectée. Le 24 mars 1730, Fleury ordonna que tous les ecclésiastiques, curés, bénéficiaires ou autres recevraient la constitution Unigenitus telle quelle, faute de quoi ils perdraient tous leurs bénéfices qui seraient déclarés vacants. Là était bien la prérogative royale, mais le Parlement, sans surprise, refusa l’enregistrement.
    Il existait un moyen pour le roi, de forcer l’enregistrement quand les magistrats rechignaient. Ceux-ci ne tenaient leur pouvoir que de la délégation que le roi leur en avait faite. Cette délégation était annulée quand Sa Majesté, en personne, venait au Parlement, au cours de ce qu’on appelait un Lit de Justice, que le roi vint tenir le 3 avril 1730 : la bulle Unigenitus était désormais, non seulement loi de l’Eglise, mais également loi de l’Etat.
    Restait aux jansénistes à démontrer que Dieu était de leur côté. Il fallait pour cela un miracle.

    Fils d’un conseiller au Parlement de Paris, le diacre Pâris était un ascète qui vivait dans le quartier du Val de Grâce. Sans cesse en représentation, « les yeux baissés, la tête penchée, il entrait dans l’église mais sans s’avancer au-delà de la place du publicain qu’il savait avoir été longtemps celle des pénitents publics. »
    Horrifié par le scandale que représentait la bulle (le pape, opposé à La Vérité !) il s’imposa, pour apaiser la colère divine, une vie de privations, macérations et souffrances dont il finit par mourir, âgé de 37 ans, le 1er mai 1727. Or, au mois de novembre de la même année, une femme s’affirma guérie d’une paralysie générale après s’être rendue sur sa tombe au cimetière de Saint-Médard. La guérison était tellement prodigieuse que le parti prit sur lui d’en publier le récit, assorti de tous les certificats médicaux et témoignages nécessaires.
    Furieux, le nouvel archevêque, Monseigneur de Vintimille, après en avoir appelé à la médecine qui avait conclu à l’hystérie de la dame, publia un mandement par lequel il désavouait le miracle et interdisait le culte du diacre.

    Ce fut peine perdue, car l’affaire fut prise en main par les avocats jansénistes qui poussèrent la miraculée à faire une requête d’appel comme d’abus [2] . Le Parlement la reçut, et la reconnaissance du miracle devint l’affaire des juges laïcs : c’était un camouflet pour l’Eglise.
    Le premier miracle fut bientôt suivi par d’autres, dont on pouvait voir la réalité sous la forme de convulsions qui secouaient les adeptes venus se recueillir sur la tombe du diacre. Il ne fit bientôt pas bon avoir deux sous de raison dans le quartier de Saint-Médard. Pour avoir ironisé sur ce qui apparaissait comme des simagrées, deux ecclésiastiques durent prendre la fuite de peur d’être écharpés par la foule.
    Un abbé janséniste, nommé Bécheran, avait une jambe plus courte que l’autre, et venait deux fois par jour implorer la miséricorde divine au tombeau. On ôtait son rabat, ses boutons de manche et ses jarretières, on le couchait sur le dos le long de la tombe et on lui lisait des psaumes dans le silence recueilli de la foule. Quand les convulsions venaient, il devenait tout blanc, écumait et se mettait à se tordre dans tous les sens, jusqu’à faire des bonds.
    Miracle ! Miracle ! disaient les témoins, qui ne voyaient pas grand-chose, à part un hurluberlu en proie à des spasmes violents et entouré d’une foule en dévotion. De mémoire de chrétien, on n’avait pas connaissance de miracle aussi bruyant ni aussi long à se réaliser : les jambes de Bécheran avaient désespérément la même longueur.
    Mais n’était-ce pas là, justement, la preuve que Dieu voulait encore éprouver ses enfants ? Ne sait-on pas, de longue main, que les voies du Seigneur sont impénétrables ?
    Bientôt d’autres « miracles » se produisirent, des femmes furent à leur tour prises de convulsions, on s’y pressa comme au spectacle.
    Au milieu de toutes ces cabrioles douteuses et affriolantes (combien de seins ou de cuisses furent dénudés par ces secousses [3] !) eut lieu un jour un véritable prodige : une veuve d’une soixantaine d’années, Gabrielle Gauthier, décida de se jouer des crédules en contrefaisant l’estropiée. Elle arriva en boitant bas, réclama qu’on lui fasse place et se coucha sur le tombeau en attendant que Dieu se manifeste. Or, au bout de quelques minutes, elle commença à geindre, à tordre la bouche, à pleurer et bientôt à crier et à demander miséricorde. La pauvre avoua à la foule qu’elle était venue pour se moquer, mais que Dieu la punissait en lui donnant l’infirmité qu’elle avait feinte. Quatre mille personnes scandant « Miracle ! Miracle » la convoyèrent jusqu’à l’hôtel-Dieu où la malheureuse demanda après son confesseur, un nommé Chaulin, réputé moliniste [4]. La veuve le supplia d’intercéder auprès de Notre-seigneur pour sa guérison. Le prêtre voulut que ce remord d’impiété soit déclaré publiquement : on fit quérir un notaire et, en présence de vingt-six témoins qui signèrent, elle déclara qu’avant cela elle se portait comme un charme, qu’elle s’était rendue au cimetière par dérision, et qu’elle demandait pardon à Dieu, humblement.
    Cette histoire était bien embarrassante. Car enfin, faire semblant d’être malade pour ensuite faire croire qu’on est guéri, les cours des miracles qui avaient fleuri au siècle précédent connaissaient l’astuce. Mais l’inverse était troublant. Les jansénistes jubilaient.
    Jusqu’à ce qu’on apprenne que le fameux curé et tous les témoins appelés au chevet étaient de la secte, que l’épisode de la tombe avait été rapporté sans que nul ne puisse en attester personnellement, et que personne, enfin, ne pouvait dire si la dame n’était pas estropiée avec la bouche de travers depuis de nombreuses années…
    La secte ne s’embarrassait guère de scrupules pour abuser le public. En attendant, les convulsions attiraient de plus en plus de monde, on raconta même dans le quartier que des adolescents étaient payés pour s’entraîner à convulsionner.
    Les rapports de la police, eux, sont formels : tout cela n’était que simulacres, les patients arrêtaient leurs convulsions quand ils voulaient.

    Le détail de toutes ces singeries était rapporté, religieusement, par les Nouvelles ecclésiastiques. Ce journal militant était, comme toute publication, soumis à une autorisation d’imprimer dont tous ces éminents juristes se passaient bien. De plus, l’archevêque avait publié un mandement le condamnant comme séditieux et diffamatoire. Mais ni le roi ni l’Eglise n’avaient les moyens d’arrêter cette publication, imprimée au nez et à la barbe des autorités, dans au moins une trentaine d’imprimeries clandestines [5].
    La corporation des imprimeurs se fit complice de ces manquements à la loi couverts par ceux qui étaient censés les poursuivre. Le premier ouvrier imprimeur qui aurait dénoncé le système n’aurait pu retrouver du travail ou que ce soit en France.
    Le rédacteur de la feuille, l’avocat Louis-Adrien Le Paige, mettait en scène un public fictif qu’il prenait à témoin, (« Tout Paris est surpris et indigné », lisait-on, ou « la capitale retentit d’un cri universel d’allégresse »), et faisait le récit circonstancié de toutes les merveilles que Dieu permettait pour le triomphe de la Vérité.

    Or, les merveilles tournaient mal. Pour aider les convulsionnaires, on leur donnait des tapes, puis des gifles, puis des coups (on appelait ça des « secours »), jusqu’à en venir à les torturer. Les convulsions étaient devenues un spectacle auquel se pressait un public amateur de cruautés, comme on va voir aujourd’hui un film d’horreur.
    Quand le cardinal de Fleury fit fermer le cimetière et disperser les adeptes, il ne fit malheureusement que déplacer le problème. Les convulsions et les « secours » continuèrent, des années durant, dans des domiciles privés au cours de séances où l’atroce le disputa bientôt à l’abominable, que le pointilleux Le Paige relatait dans les détails : une mademoiselle Prud’homme mangea des charbons allumés pour prouver que l’Eglise serait enflammée par un feu étranger. Une jeune convulsionnaire but des breuvages composés d’excréments d’homme, de cheval et de vache, d’urine, de fiel, de jus de fumier, de suie de cheminée, de cheveux, de crachats, de rognures d’ongles, d’ordures d’oreilles… Au milieu de ces horreurs se trouve l’histoire de Françoise Robillard. Attention, atroce !
    « Le corps de la sœur Françoise est ‘’ travaillé ‘’, au sens propre du terme, par les « ouvriers » de l’œuvre : il est labouré à coups de bêche de jardinier, il est frappé à coups de chaîne en fer et de marteaux d’artisans, il est griffé avec des cardes de perruquiers, il est balayé comme des ordures. On la promène dans un tonneau garni intérieurement de lames, de couteaux et de grands clous acérés. On lui tire la langue avec des tenailles afin de la lui marteler. On lui lance des flèches dans les côtes. Armés d’épées, plusieurs secouristes se jettent sur elle pour ferrailler ensemble : elle est le terrain de la bataille. Le 23 octobre 1759 [6], on lui fait faire un voyage au calvaire du mont Valérien pendant lequel elle est lapidée, au grand émoi des passants, puis elle est enterrée vive au retour, elle est crucifiée. »

    Tous les meneurs de l’ordre des avocats participèrent à « l’œuvre des convulsions. » Ils étaient environ vingt-cinq et connus pour leur éloquence et leurs prétentions en matière théologique. Le Paige, les comparait aux « Israélites en marche », et c’est par eux que fut peu à peu élaborée la théorie de la légitimité du Parlement comme représentant de la Nation.

    La police ayant procédé à des arrestations, les avocats prirent fait et cause pour les convulsionnaires, ces nouveaux saints, et un jour, une arrestation de trop déclencha une grève des magistrats.
    C’en était trop. Excédé, le jeune Louis XV promulgua une déclaration de discipline prohibant les cessations de service et décida de limiter l’usage des remontrances.
    Malheureusement, pour que cette limitation soit effective il fallait qu’elle soit enregistrée, et elle devait l’être par les magistrats eux-mêmes. Restait le Lit de Justice. Louis XV en personne (il avait alors vingt-deux ans) vint au mois de septembre 1732 inscrire dans les registres la déclaration de discipline qui prohibait les cessations de service et limitait les remontrances. Comme un seul homme, le Parlement se mit en grève, et le roi, hors de lui, l’exila à Pontoise : il n’y avait plus de justice sur le ressort de Paris.

    Il était impossible de gouverner. D’une part parce que le roi devait la justice au peuple. Mais également parce que seul l’enregistrement rendait une décision royale exécutoire.
    Voulant faire œuvre d’apaisement, Fleury fit revenir ces Messieurs en acceptant de revenir sur la limitation du droit de remontrance. Ils avaient gagné.

    L’autorité royale était empêchée par cette classe, hier bourgeoise mais désormais ancrée dans la noblesse à part entière, et qui avait laissé une secte mortifère dirigée par des détraqués tenir le haut du pavé.

    Les choses semblèrent s’apaiser. Les magistrats prirent officiellement des distances avec les convulsionnaires, dont les procès commencèrent. Ceux qui reconnaissaient avoir trompé le public étaient relaxés. Les autres étaient enfermés à l’Hôpital général et le calme revint.
    En apparence au moins.
    Et pas pour longtemps. Le pire était à venir.

    (A suivre…)

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    Sources :
    - Catherine Maire, De la cause de Dieu à la cause de la Nation, Le Jansénisme au XVIIIe siècle.
    - Edmond Barbier, Journal de la régence et du règne de Louis XV.
    - René Taveneaux : La vie quotidienne des jansénistes aux XVIIe et XVIIIe siècles
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:42


    XI - La guerre des juges contre l’Eglise

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    Quiconque s’imagine encore que le roi absolu était un tyran et que l’Eglise fut une institution toute-puissante, doit savoir ce que fut la guerre que le Parlement de Paris mena contre le trône et l’autel dans le mitan du siècle [1].
    On a vu que les jansénistes, organisés secrètement comme une secte élitiste et morbide, étaient les maîtres de l’opposition parlementaire. Ils l’étaient également de l’Hôpital général, l’énorme institution de secours aux pauvres qu’ils dirigeaient sans l’ombre d’un contrôle extérieur [2].
    Quand le roi demanda à l’archevêque de Paris, Christophe de Beaumont, d’y mettre de l’ordre, cela impliquait d’en extirper le jansénisme.
    L’archevêque disposait pour cela d’une arme que la secte avait elle-même mise en place : les billets de confession. Quand l’imprudent Régent avait nommé le jansénisant cardinal de Noailles, celui-ci avait interdit aux jésuites de confesser. Pour s’assurer que son interdit serait suivi d’effet, il avait autorisé les prêtres à demander à un mourant de lui fournir un billet prouvant l’identité de celui qui lui avait donné l’absolution, faute duquel l’extrême-onction ne pouvait être administrée.
    Christophe de Beaumont se servit de cet usage pour connaître l’identité des adeptes de la secte : celle-ci hurla contre cette tyrannie qu’elle avait elle-même mise en place, mais qui se retournait contre elle.

    La guerre que les juges menèrent contre le roi pour conserver la mainmise sur l’Hôpital général et en chasser l’archevêque fut homérique. Ils lancèrent des campagnes de diffamation, exercèrent des pressions pour faire cesser les dons, menacèrent ceux qui se rallieraient à la nouvelle administration et démissionnèrent en bloc. Si on résume les raisons de cette Fronde, elles tiennent en une formule : empêcher que l’Eglise vienne voir ce qui se passait dans l’établissement. Et rien d’autre.
    Dans le courant de la querelle, les jansénistes firent circuler l’information qu’un des leurs, ayant refusé de nommer son confesseur à un ecclésiastique entêté, était mort sans les derniers sacrements. Ils organisèrent des funérailles grandioses et fulminèrent contre le fanatisme d’un prélat qui préférait priver des secours de la religion un honnête homme que de renoncer à son dogmatisme. Les avocats jansénistes, fervents adeptes par ailleurs de « l’œuvre des convulsions » dont nous avons vu la teneur, firent distribuer en ville deux consultations affirmant que le Parlement était bien dans son rôle de protecteur et conservateur des droits des citoyens.
    Voltaire se mit de la partie pour railler le prélat, et le public, mal informé, crut qu’il faudrait désormais montrer patte blanche pour approcher les sacrements : c’eût été une atteinte inadmissible à la liberté de conscience à laquelle tout un chacun était attaché.
    Or l’archevêque affirmera que l’homme avait été administré, et que tout cela n’était que manipulation.
    En attendant, le neveu du mort déposa une plainte contre l’archevêque pour refus de sacrement, et le Parlement engagea les poursuites.
    Alerté par les autorités ecclésiastiques, le roi s’empressa d’exiger des juges qu’ils se mêlent de leurs affaires et laissent l’Eglise s’occuper des siennes.

    Quand, quelques mois plus tard, c’est le neveu lui-même qui tomba malade, le cirque recommença et les Nouvelles ecclésiastiques prirent fait et cause pour un saint homme qui se mourait de la poitrine, cachant bien que c’était un noceur attaqué par la vérole.
    Les juges reconvoquèrent le curé fautif et l’archevêque en personne, le roi dut une nouvelle fois se fâcher tout rouge et exiger que les juges laïques veuillent bien une fois pour toutes, se mêler de leurs oignons. Puis il publia le nouveau règlement qu’il voulait voir appliquer à l’Hôpital général, entendant faire cesser les abus et malversations les plus criants dont les dénonciations s’accumulaient. Ce fut un tollé général, la totalité du Parlement refusa d’enregistrer une décision aussi contraire à l’intérêt général des pauvres du royaume, et se mit en grève. Au mois de février 1752, après un nouveau Lit de justice, le roi reprit la main. Par lettres-patentes il fixa la nouvelle administration de l’hôpital dont il excluait totalement Messieurs du Parlement. Ainsi, après avoir mis le feu aux poudres pour conserver l’exclusivité du contrôle de l’institution, le Parlement s’en trouvait totalement dépossédé.

    N’ayant pu avoir le dernier mot, ils lancèrent une campagne tous azimuts contre l’Eglise.
    Cela commença par de nouvelles dénonciations contre de prétendus refus de sacrements qu’ils décidèrent de poursuivre impitoyablement. Alors que le roi les sommait de n’en rien faire (ils faisaient mine de croire que sa majesté ne le leur avait pas dit dans les formes), ils jugèrent et condamnèrent en série de malheureux ecclésiastiques qui n’avaient fait qu’obéir à leur hiérarchie naturelle. Les curés étaient pris entre le marteau et l’enclume. Un prêtre décrété de prise de corps ou simplement d’ajournement personnel perdait son gagne-pain. Sans ses fonctions quotidiennes, ces malheureux se retrouvaient comme au chômage sans indemnité, et ils suppliaient les mourants récalcitrants de dire qu’ils acceptaient la bulle.
    Les condamnations au bannissement ou aux galères pleuvaient, poussant les prêtres à l’exil. Puis Messieurs se mêlèrent du contenu de certains sermons : un jésuite d’Aix-en-Provence fut ainsi interdit d’enseigner pour avoir prêché contre les appels comme d’abus [3]. L’évêque de Marseille, Monseigneur de Belsunce, qui s’était distingué par son dévouement héroïque lors de la peste qui avait ravagé sa ville, écrivit au chancelier pour protester contre les prétentions des juges en matière de religion : sa lettre fut lacérée puis brûlée par la main du bourreau.
    Décrets de prise de corps et d’ajournement personnel étaient envoyés à qui mieux mieux à travers tout le royaume pour arrêter prêtres et prélats dans des conditions de plus en plus dramatiques. A Orléans ils condamnèrent l’évêque à 6 000 £ d’amende pour un refus de sacrement qu’ils lui ordonnaient de faire cesser immédiatement, sous peine de sanction plus sévère encore. Or, ils ne l’ignoraient pas, l’évêque était totalement gâteux et retombé en enfance, incapable de comprendre de quoi on parlait. A Troyes, l’évêque fut sommé d’administrer les sacrements sur le champ à une mourante, sous peine de trois mille livres d’amende. Le même jour des huissiers vinrent assurer la garde à son domicile durant toute la nuit, pour empêcher qu’il n’en fasse sortir ses meubles. Dès le lendemain, le prélat n’ayant pas administré, ils en opérèrent la saisie et la vente immédiate et sur place. Monseigneur Poncet de la Rivière n’avait plus rien : un public médusé avait vu l’ensemble de ses biens partir à l’encan, devant sa porte, pour 12 000 £ qui servirent à payer et l’amende et les frais.
    A Nantes, l’évêque fut condamné à des amendes inouïes à l’issue d’un prétendu refus de sacrement, qui consistait, là comme ailleurs, en un refus du mourant de nommer son confesseur, ce qui, la plupart du temps, aurait réglé le problème : il y avait si peu de prêtres jansénistes que la plupart des confesseurs étaient habituellement approuvés. L’évêque de Nantes envoya à Versailles son grand vicaire pour supplier le roi d’intervenir, mais avant qu’il ait pu le faire, ses prêtres furent poursuivis avec chaînes et menottes et ses biens saisis. L’argent fut distribué aux pauvres qui vinrent, les larmes aux yeux, rendre à leur prélat son bien. Il les remercia et les refusa.
    Les évêques ne pouvaient même pas publier librement leurs réactions à ces attaques car leurs mandements ne trouvaient pas d’imprimeur et quand ils en avaient trouvés, ils étaient lacérés et brûlés de la main du bourreau car imprimés sans permission. Les Nouvelles ecclésiastiques, non plus n’avaient pas de permission d’imprimer. C’était la terreur.

    On ne pourra même pas résumer ici la liste de toutes ces attaques contre l’autorité ecclésiastique menée, pendant cinq années, par les juges. Ce fut, sans discontinuer et sur tout le territoire.
    Le roi cassait une à une toutes ces décisions qui, tout de suite après ou parfois même en même temps, reprenaient de plus belle. Il dut, à plusieurs reprises, envoyer l’archevêque de Paris et l’évêque de Troyes en exil, officiellement pour les punir de s’entêter (que ne cédaient-ils une bonne fois !), bien plus sûrement pour les mettre à l’abri de chats-fourrés prêts à leur mettre les fers aux pieds.

    Tous unis derrière l’archevêque de Paris, objet premier de ce déchaînement de haine, l’épiscopat français se montra héroïque et refusa, jusqu’à la dernière extrémité, de céder sur ce qui, à ses yeux, était l’essentiel : le jansénisme, qui prétendait qu’il y avait les élus et les autres, était une hérésie. Et le Parlement devait être déclaré incompétent en matière de sacrements. Ils demandèrent qu’un concile national soit assemblé pour décider des affaires présentes.

    La patience du roi laisse rêveur. Louis XIV aurait fait donner la troupe et sauter quelques têtes, Louis XV se contenta, à chaque dénonciation, de la casser et de donner des ordres jamais obéis.
    A chaque fois qu’ils se rendaient à Versailles, que ce soit sur convocation du roi ou pour lui porter des remontrances à ses récentes décisions, Messieurs s’abîmaient dans la douleur d’avoir pu déplaire : « Nous avons écouté vos ordres avec attention… soumission qui leur est due… Ne pouvons dissimuler l’excès de notre douleur… Est-il possible que votre majesté désapprouve… que deviennent ces lois si sages et si utiles… Vos droits… votre indépendance absolue, votre souveraine autorité… » s’aplatissaient-ils, obséquieux, devant celui qu’ils roulaient dans la farine au vu et au su de tout le royaume.

    En fait, le roi cherchait une solution durable et consultait une commission qu’il avait nommée à cet effet. Quand il comprit qu’aucune discussion n’était possible et à l’issue d’un nouveau Lit de justice suivi d’une nouvelle grève des magistrats (qui, quand ils étaient en grève, continuaient quand même de poursuivre des ecclésiastiques), il prit le taureau par les cornes, exila le Parlement et fit arrêter les meneurs.
    Il était trois heures du matin, mercredi 9 mai 1753, quand la maisonnée du conseiller Bèze de Lys fut réveillée en sursaut par trois mousquetaires tambourinant à la porte. Ils présentèrent au maître du lieu une lettre de cachet lui donnant un quart d’heure, - quinze minutes - pour se préparer à rejoindre la prison de Pierre-Encize, près de Lyon.
    Le conseiller embrassa sa femme et suivit les mousquetaires après avoir congédié tous ses gens.
    Parmi les domestiques qui se retrouvèrent, quelques heures plus tard, sur le pavé avec leur balluchon à l’épaule, un valet nommé Robert-François Damiens.

    Le nouvel exil du Parlement, qui dura quinze mois, fut catastrophique pour la population parisienne. Les femmes étaient parties rejoindre leurs maris, et quantité de domestiques se retrouvèrent sur le carreau tandis que les procureurs renvoyaient leurs clercs. Le chômage s’abattit sur une population qui ne le connaissait pas, non seulement les domestiques mais également, par un effet de domino, les gens de métier.
    Quand le roi, bien obligé de donner une justice au peuple, fit revenir ces Messieurs et leur pardonna, ce fut à des conditions catastrophiques. Voulant tenir la mesure égale, il imposa le silence à tout le monde sur les sujets qui fâchent.

    Et immédiatement, Messieurs recommencèrent, et se mirent à poursuivre quiconque évoquait la grâce. A Auch, l’archevêque, Mgr Montillet, avait écrit au pape pour lui demander ses lumières. Le Parlement condamna sa lettre à être brûlée de la main du bourreau comme contraire au silence prescrit par le roi : un évêque ne pouvait plus écrire au pape. Puis ce fut la Sorbonne qui fut interdite d’évoquer le sujet central de toutes les thèses théologiques qu’elle publiait chaque année.
    Poussant leur avantage face à une autorité décidément bien piteuse, le Parlement en vint même à ne pas enregistrer les décisions royales qui ne lui convenaient pas. C’est ainsi qu’un jour ils décidèrent d’annuler la bulle Unigenitus, purement et simplement, ce qui fut immédiatement inscrit dans leurs registres. Évidemment le roi annula cette décision indue, mais la décision du roi, elle, ne fut pas enregistrée. Qui se souviendrait, dans vingt ans, d’une ordonnance royale inscrite nulle part, et qui pourrait nier la pertinence d’une décision dûment enregistrée ?

    L’absolutisme royal, trente-quatre ans avant la Révolution, avait bien triste mine.

    Le roi avait un urgent besoin des fonds votés par le Parlement. Une guerre s’annonçait, difficile.
    Il en avait appelé au pape qui, finalement, envoya son avis fait de modération et de douceur, dont le roi dut, une nouvelle fois, forcer l’enregistrement par Lit de justice.
    Le choc y fut rude : il supprimait deux des cinq chambres les plus turbulentes et dressait, pour les autres, la liste de tout ce qui serait désormais interdit. « Vous avez entendu mes volontés, je veux qu’elles soient exécutées, et je les soutiendrai de tout mon pouvoir. »
    Le roi quitta le palais de justice, apparemment détendu, laissant un public médusé et comme prostré.

    Les magistrats mis en cause allèrent porter au Premier président leur lettre de démission, dans laquelle ils disaient leur douleur d’une disgrâce qu’ils ne pouvaient avoir encourue qu’en travaillant à assurer l’autorité du roi et le repos de l’Eglise. Le lendemain, dix-neuf autres conseillers portèrent au greffe leur démission. Entendant ce qui se passait, des avocats décidèrent de repartir, suivis par les procureurs. Une fois encore la justice était interrompue. Un avocat nommé Prévost, un étourdi ou un lève-tard, arriva en robe et entra dans la Grand’chambre disposé, en toute candeur, à venir plaider sa cause. Il y fut accueilli par des huées, et fut même reconduit jusqu’à l’escalier de la Sainte-Chapelle à coups de pieds au cul.
    La défection des avocats interrompit toutes les juridictions qui n’étaient pas démissionnaires : la Cour des Aides, le Grand-Conseil, le Châtelet et autres. Or le roi n’avait interdit ni exilé personne.
    Il s’agissait, et uniquement, de savoir qui, dans le royaume, avait le pouvoir. Le roi fit savoir qu’il prenait ces Messieurs au mot : leurs charges étaient désormais vacantes.

    Quelques jours plus tard à Versailles, comme le roi s’apprêtait à monter dans son carrosse, un inconnu fendit la haie des gardes, s’approcha de lui et lui planta la petite lame d’un couteau dans le dos. Ceux qui l’aimaient l’appelaient François. Il allait entrer dans l’Histoire sous le nom de Robert-François Damiens.

    (A suivre…)

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    Sources :
    - Marquis René-Louis de Voyer D’Argenson, Mémoires et journal inédit du marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères sous louis XV
    - Barbier Edmond, Chronique de la régence et du règne de Louis XV, Luynes, Charles-Philippe d’Albert duc de, Mémoires du duc de Luynes sur la Cour de Louis XV (1735-1758)
    - Les Nouvelles ecclésiastiques, ou Mémoires pour servir à l’histoire de la constitution Unigenitus.
    - Voltaire. Histoire du Parlement de Paris par M. l’abbé Big ; Régnault, Émile (Le Père) Christophe de Beaumont, archevêque de Paris (1703-1781),
    - Sigaut Marion, La Marche rouge, les enfants perdus de l’Hôpital général.
    - Solnon Jean-François, La France au XVIIIe siècle, Université de Franche-Comté.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:42


    XII – Le supplice de Damiens, ou le triomphe des barbares

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    C’est le mercredi 5 janvier 1757 au soir, par un froid polaire, qu’un valet du nom de Robert-François Damiens [1] entra dans l’Histoire en plantant dans le dos du roi Louis XV la petite lame d’un canif. [2]
    La stupeur s’abattit sur le royaume. Partout où la nouvelle arriva, à la vitesse d’un cheval au galop, la population en larmes se rassembla dans les églises. A Paris, alertés par leurs valets, Messieurs du Parlement, les démissionnaires comme les autres, se rassemblèrent au palais au milieu de la nuit, abasourdis. Alors qu’on savait que le roi n’avait rien, Messieurs furent pris de panique : ils connaissaient tous Damiens.

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    Trouvé dans les archives du prince de Croÿ.
    « Couteau pareil à celui avec lequel Damiens a blessé le Roy et pris dans la même boutique et le même paquet. »

    Tous l’avaient croisé au temps où ce valet modèle promenait entre la rue des Maçons [3] et le palais de Justice sa belle taille et son insatiable curiosité des choses du temps. Après avoir servi plusieurs conseillers au Parlement de Paris, François Damiens avait été, pendant la guerre contre l’archevêque [4], le valet d’un chef de l’opposition janséniste dont il connaissait tous les partisans.
    Messieurs se ressaisirent, et mirent au point une stratégie en plusieurs actes. Il était trois heures du matin quand fut enfin prête la missive qu’ils chargèrent le Premier président de porter au roi. Ils y suppliaient sa majesté de leur accorder de juger le coupable (l’attentat ayant eu lieu à Versailles, le jugement n’était pas de leur ressort) et de rendre leurs démissions.
    Le roi se fit un peu prier, refusa de pardonner aux démissionnaires, mais finalement accepta que ceux qui ne l’étaient pas puissent juger Damiens. Fin du premier acte.

    Ramené à Paris, le prisonnier fut mis au secret le plus total : même ses gardiens se virent interdire de quitter la tour Montgomery jusqu’à la fin du procès. Puis on fit arrêter et mettre au secret sa femme, sa fille, son père, ses frères et sœur, leurs conjoints et jusqu’à leurs enfants, ses amis enfin : tout le monde fut bouclé avec des précautions particulières pour que personne ne puisse les entendre. Fin du deuxième acte.

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    Le couteau

    Puis on fit lancer, par l’inévitable Le Paige [5] et quelques autres, une violente campagne diffamatoire contre les jésuites. Rien ne leur fut épargné : après l’imputation habituelle d’avoir prôné le régicide [6], le reproche des relations particulières qu’ils avaient eues avec Damiens (c’est chez eux que François débuta dans le métier, avant d’entrer dans le monde parlementaire), ils furent bientôt mis en cause par un raisonnement imparable : les jésuites étaient tellement vicieux, que moins on trouverait trace de leur implication dans l’attentat, plus ce serait la preuve de leur culpabilité. Qui, à part eux, était à ce point capable de brouiller les pistes ? Application nouvelle de la paranoïa des procès en sorcellerie [7], qui fut efficace : des parents affolés retirèrent leurs garçons du collège Louis-le-Grand. Fin de l’acte trois.

    Les pires horreurs circulèrent sur Damiens. Pour commencer, tout le monde le dit fou, et Voltaire le premier. Du fond de son domaine de Ferney [8], le poète se répandit en calomnies contre le malheureux qui fut, bien évidemment, accusé de fanatisme religieux. Tout le monde s’y mit, et chacun y alla de son couplet pour trouver à l’attentat une motivation politico-religieuse et les marques d’un complot ourdi par le camp d’en face, molinistes contre jansénistes, partisans de l’archevêque contre défenseurs du Parlement.
    Absolument personne n’accepta d’envisager l’hypothèse que Damiens, dont tous ceux qui l’approchèrent purent voir qu’il était sain d’esprit, ait pu agir pour des raisons personnelles.

    Enfin, le samedi 26 mars, ce qui restait du Parlement, augmenté des princes et pairs, se réunit à la Grand’chambre pour le jugement : acte quatre.

    Ce que ces barbares en toge décidèrent ce jour-là dépasse l’entendement. Après que Damiens, digne et encore beau malgré deux mois de geôle, leur faisant face et les reconnaissant, eut répondu sans se démonter au feu roulant des questions interronégatives qu’on lui assénait et lui interdisait la moindre spontanéité, Messieurs et la fine fleur de la noblesse et de la franc-maçonnerie à la mode [9] votèrent les détails de son supplice. Pas une voix ne s’éleva pour protester, et c’est à l’unanimité qu’il fut décidé qu’un père de famille de quarante-deux ans, après avoir été soumis à une impitoyable torture destinée à lui faire avouer des complices qu’on savait ne pas exister, serait tenaillé, brûlé à petit feu, et démembré le plus lentement possible.
    Le roi tenta vainement d’obtenir qu’on l’étranglât pour lui épargner un calvaire dont l’Histoire de France n’avait pas conservé le souvenir, puisqu’on crut devoir en rajouter sur ce qu’on fit subir à Ravaillac. Louis XV n’avait pas le pouvoir de lui épargner ça.

    Au cours de la torture, qui lui fut appliquée le matin de son supplice, des précautions particulières furent prises pour éviter qu’un engourdissement ne vienne alléger une souffrance qu’on voulait à son comble. Puis il fut conduit en Grève.
    La place était noire de monde, mais qu’on ne s’imagine pas que le peuple était là pour le plaisir : à part les amateurs qui avaient chèrement payé leur place aux fenêtres ou sur les toits, personne n’était censé rien y voir et la troupe tenait la foule à distance. Il fallut même l’intervention de la force publique pour que les commis du bourreau réussissent à se faire délivrer le souffre et le plomb dont ils avaient besoin pour procéder : soutenus par la foule, les épiciers du quartier refusaient de leur vendre la marchandise.
    Incapable de procéder à une telle ignominie, le bourreau se fit porter pâle, et celui qu’il avait soudoyé pour le faire à sa place fut retrouvé ivre-mort sous l’échafaud.
    On paya grassement quelques misérables qui acceptèrent, et Messieurs, assis au pied de l’hôtel de ville, soutinrent sans broncher le spectacle. Alors que les princes et pairs n’avaient pas eu le cœur de voir ce que leur lâcheté avait permis, les magistrats instructeurs n’en perdirent pas une miette, et refusèrent même, alors que François hurlait depuis plus de deux heures et que la foule grondait, qu’on en finisse et qu’on l’achève.

    On connaît quelques-uns des sauvages qui trouvèrent à leur goût de suivre, comme au spectacle, le dépeçage vivant d’un bel homme nu. Il y eut Casanova, qui se vanta d’avoir profité de la presse pour sodomiser une dame, il y eut l’encyclopédiste La Condamine qui réussit à se frayer un chemin jusqu’au bas de l’échafaud, le poète Robbé de Beauveset qui paya pour être au premier rang…

    Le supplice de Damiens, que les pervers amateurs d’atroce se passent et se repassent comme le sommet du genre, fut l’œuvre exclusive de Messieurs du Parlement. Quand on vint lui faire le compte-rendu de la journée, le roi se trouva mal, et éconduisit une garce venue en minaudant se vanter d’avoir tout vu jusqu’à la fin.
    Le supplice de Damiens fut le triomphe des barbares. Ils réussirent non seulement à s’offrir un spectacle que le roi en personne ne put empêcher, mais obtinrent que, pour ses contemporains et la postérité, Damiens soit considéré comme fou et irresponsable, et son nom associé à supplice.
    Leur victoire fut surtout de réussir à cacher que le roi Louis XV était pédophile, et que le fils du peuple Damiens avait une fille.

    Cinq années de recherches acharnées dans les archives m’ont permis de mettre à jour la personnalité et les motivations d’un homme de cœur et de courage qui donna, un soir d’hiver, une leçon d’honneur à un roi dépravé.
    François Damiens ne fut pas le « misérable de la lie du peuple » que dénonça le fielleux Voltaire. Fils d’honnêtes paysans artésiens, François fut certainement un être angoissé, un peu menteur, un peu manipulateur. Mais il fut surtout l’époux amoureux d’une douce Elizabeth et le papa d’une jolie Marie dont il était fou. Bon camarade, généreux, irrésistible, il était le premier à rendre service, il respectait et aimait son vieux père, gâtait quand il le pouvait ses neveux et nièces. Ses maîtres, auxquels il voua jusqu’à la mort une loyauté sans faille, furent tous satisfaits de son service précis et sérieux. Personne n’a à rougir de porter ce nom.

    Il fut certainement l’être le plus calomnié de son temps, et une chape de plomb générale s’abattit sur son histoire, afin de masquer les sombres manœuvres de magistrats sadiques tenant d’une main ferme un réservoir sans fond d’enfants perdus sans parents pour les défendre, et de l’autre un roi tenu à leur merci par un perpétuel chantage à la révélation de ses mœurs inavouables.

    (A suivre)

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    Sources :
    tout citer ici est impossible.
    Une bibliographie complète se trouve à la fin de : Marion Sigaut, Mourir à l’ombre des Lumières, l’énigme Damiens.
    Retenons les Pièces originales et procédures du procès fait à Robert-François Damiens tant à la prévôté de l’hôtel qu’en la Cour de Parlement, 1757, disponible sur Gallica.
    Mais c’est un tissu de mensonges, de même que :
    - Voltaire, Histoire du Parlement de Paris, 1769 et Le Siècle de Louis XV par M. de Voltaire, 1769.
    Voltaire, ou tout ce qu’il faut lire pour savoir comment un événement ne s’est pas déroulé.
    Seules les archives sont parlantes, mais il faut en comparer les différentes copies successives pour comprendre, en creux, tout ce qu’on en a retiré pour cacher la vérité.
    Et bien sûr, encore La Marche rouge, les enfants perdus de l’Hôpital général.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:43


    XIII – L’humanisme des Lumières revisité : Voltaire

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    C’est un lieu commun de dire que le supplice de Damiens a scandalisé l’Europe des Lumières.
    Pour ce qui regarde la France, on chercherait vainement qui a pu dire quelque chose de décent à propos de cette barbarie [1]. Voltaire a abondamment parlé de Damiens [2], mais on ne trouve pas, dans le récit détaillé qu’il fit de son supplice, la moindre dénonciation. S’il passe pour avoir été le promoteur de ce qui deviendra les droits de l’Homme, c’est qu’il promut avec enthousiasme un opuscule intitulé « Traité des délits et des peines » paru en France en 1766 et signé d’un jeune juriste italien nommé Cesare Beccaria.
    « Si donc je démontre que, dans l’état ordinaire de la société, la mort d’un citoyen n’est ni utile ni nécessaire, j’aurai gagné la cause de l’humanité. » affirme le jeune homme. Les contempteurs de la barbarie judiciaire de l’ancien régime s’enthousiasmeront pour l’invention des travaux forcés à perpétuité, venus remplacer l’inutile et irréversible peine de mort.

    Or il y a un problème. C’est que, dans la version originale du traité de Beccaria, il n’est pas question de travaux forcés à perpétuité, mais de mise en esclavage [3]. Et l’argument retenu pour remplacer l’un par l’autre n’est pas que la seconde est plus humaine que la première, mais qu’elle l’est moins : « Beaucoup d’hommes envisagent la mort d’un œil ferme… Mais le fanatisme et la vanité abandonnent le criminel dans les chaînes, sous les coups, dans une cage de fer : et le désespoir ne terminera pas ses maux, mais les commence. »
    Utilitaire. Là est la base de l’argumentation qui assurera que les Lumières firent progresser la justice.
    « Il est évident que vingt voleurs vigoureux condamnés à travailler aux ouvrages publics toute leur vie, servent l’Etat par leur supplice, et que leur mort ne fait de bien qu’au bourreau (…) Rarement les voleurs sont-ils punis de mort en Angleterre. On les transporte dans les colonies… Forcez les hommes au travail, vous les rendrez honnêtes gens. »
    Et d’ajouter, « Ce n’est pas à la campagne que se commettent les grands crimes, excepté peut-être quand il y a trop de fêtes, qui forcent l’homme à l’oisiveté et le conduisent à la débauche [4]. »
    Interdire au peuple de s’amuser de peur qu’il ne tire au flanc et déporter les voleurs vers les colonies, lumineux programme.

    Au moins Voltaire s’éleva-t-il contre la torture. « Tous les hommes (…) s’élèvent contre les tortures qu’on fait souffrir aux accusés dont on veut arracher l’aveu…Quoi, j’ignore encore si tu es coupable, et il faudra que je te tourmente pour m’éclairer ? Chacun frissonne à cette idée. »
    Or, au plus fort des plus grands procès, - Affaire des Poisons, affaire Damiens -, jamais la torture ne fut appliquée autrement qu’après condamnation et juste avant l’exécution pour que, n’ayant plus rien à perdre, le condamné nomme ses complices.
    « Réservez au moins cette cruauté pour des scélérats avérés qui auront assassiné un père de famille ou le père de la patrie. »
    L’humanisme de Voltaire consiste à justifier les pires supplices dans certains cas, rejeter la peine de mort parce qu’il y a pire et plus utile, inventer le bagne et l’esclavage pour les voleurs, et enfin à demander l’abolition d’une pratique qui n’avait pas cours.

    Voltaire fut en tout cas le chantre de la liberté d’expression. N’a-t-il pas écrit : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. »
    De plus en plus nombreux sont ceux qui savent que jamais, au grand jamais il n’a dit une chose pareille. Et dans la pratique, il fit exactement le contraire puisqu’il s’évertua à réduire au silence tout gêneur qui eut le malheur de lui faire de l’ombre. L’une de ses victimes, Lefranc de Pompignan, fut ainsi obligé de quitter Paris pour échapper au torrent de sarcasmes vipérins dont il le harcela pour le punir d’avoir, lors de sa réception à l’Académie, émis un jugement critique contre les Lumières.
    Voltaire fut impitoyable pour l’honnête critique littéraire Elie Fréron, qui jamais n’eut la bassesse de transiger sur ce qui lui semblait essentiel : rendre compte de la qualité des œuvres dont il rédigeait des analyses. Voltaire ne lui épargna rien : calomnies, libelles injurieux, cabales ordurières, diffamations publiques ou lettres de dénonciation auprès des autorités (auxquelles il communiquait l’adresse de ce monsieur…) Il réussit à faire interdire plusieurs fois « L’année littéraire » et même embastiller son directeur, pourtant chargé de famille et ne vivant que de sa plume.
    Comme il avait usé ses fonds de culotte sur les mêmes bancs que quelques très hauts personnage (le maréchal-duc de Richelieu, les frères d’Argenson, tous deux ministres, avaient été avec lui à Louis-le-Grand), obtenir une lette de cachet pour un importun était pour lui un jeu d’enfant. Il en usa plusieurs fois pour faire embastiller La Beaumelle, qui eut l’outrecuidance de critiquer un de ses livres. Jamais Voltaire ne pardonna à ce valeureux jeune homme, qu’il poursuivit de sa haine jusqu’au tombeau et dont il réussit à faire pilonner un des livres.
    On pourrait croire, pourtant, que les deux hommes partageaient certaines valeurs. En 1762, La Beaumelle s’était levé, à Toulouse, contre la condamnation d’un innocent nommé Jean Calas. Messieurs de Toulouse le bannirent de la ville pour ce courage, dont seuls aujourd’hui les Protestants français gardent le souvenir. La postérité ne se souviendra que de Voltaire, assurément bien meilleur en relations publiques que l’obscur et courageux La Beaumelle.

    S’il fut odieux, vindicatif, vipérin, rapace, Voltaire devrait n’être jugé que sur son œuvre et non sur son caractère. C’est en général ce que répliquent ses admirateurs quand on ose entamer, si peu que ce soit, la réputation de cette idole planétaire.
    La France de Voltaire, le pays de Voltaire, les Lumières de Voltaire, le réseau Voltaire, le Lycée Voltaire, l’avenue Voltaire, le quai Voltaire, Voltaire et la tolérance, Voltaire et les droits de l’Homme…
    Admettons qu’on ne doive juger un écrivain que sur sa production littéraire, penchons-nous sur son best-seller Candide, et sur le passage dans lequel il dénonce l’esclavage.
    « Cependant, lorsque ma mère me vendit dix écus patagons sur la côte de Guinée, elle me disait : "Mon cher enfant, bénis nos fétiches, adore-les toujours, ils te feront vivre heureux ; tu as l’honneur d’être esclave de nos seigneurs les blancs, et tu fais par là la fortune de ton père et de ta mère." Hélas ! je ne sais pas si j’ai fait leur fortune, mais ils n’ont pas fait la mienne. »
    Il n’est pas possible de voir dans ce passage autre chose qu’une dénonciation de l’insondable imbécillité des nègres qui vendent leurs propres enfants à des gens qu’ils pensent supérieurs. S’il avait écrit que l’enfant avait été vendu par ses voisins, il se serait contenté de noter que l’esclavagisme existait en Afrique avant l’arrivée des Européens. Mais charger le père et la mère, c’est dénier à l’Africain l’appartenance à l’humanité, c’est en faire un dégénéré, un inférieur.
    Voltaire donnera à ce sujet le fond de sa pensée quand il affirmera :
    « Les Blancs sont supérieurs à ces Nègres, comme les Nègres le sont aux singes, et comme les singes le sont aux huîtres [5]. » Ou bien : « Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d’hommes des différences prodigieuses… des Nègres et des Négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce [6]. » Et bien d’autres horreurs encore…

    Un peu plus loin dans le roman, toujours en Amérique, Candide constate que les femmes sauvages du pays qu’il traverse couchent avec des singes, et que les enfants qui en naissent sont des quarts d’hommes.
    Est-ce là ce qu’il faut penser des Amérindiens ?
    Les nombreuses références qu’il fait, autour de cet épisode, aux jésuites qu’il haïssait, lui permettent de faire d’une pierre deux coups : d’un côté il déshumanise les Indiens, et de l’autre il vomit sa haine contre les Jésuites qui, à l’époque de la publication de Candide, en 1759, avaient trouvé la mort deux ans plus tôt, les armes à la main, aux côtés des Guaranis massacrés, avec femmes et enfants, par les esclavagistes.
    Il est important de savoir que Voltaire se vanta, quand fut lancée l’expédition contre eux, d’avoir misé de l’argent sur l’affaire : « Le roi d’Espagne envoie quatre vaisseaux de guerre contre le père Nicolas à Buenos Aires, avec des vaisseaux de transport chargés de troupes. J’ai l’honneur d’être intéressé dans le vaisseau le Pascal qui va combattre la morale relâchée au Paraguay. Je nourris les soldats. Je fais la guerre aux Jésuites, Dieu me bénira [7] ».

    Malveillant, imbu de lui-même et raciste, au moins Voltaire fut-il un témoin de son temps.
    Pas même. Il est impossible de savoir comment s’est déroulé un événement dont il rend compte : il ment.
    A propos de Damiens, qu’il qualifie de « misérable de la lie du peuple », il dit que son père avait été un fermier qui avait fait banqueroute. C’est une invention. Qu’il avait été soldat. C’est faux.
    « Il persista constamment à dire que c’était l’archevêque de Paris, les refus de sacrement, les disgrâces du Parlement qui l’avaient porté à ce parricide ; il le déclara encore à ses confesseurs ». Comment Voltaire peut-il prétendre savoir ce que Damiens a dit en confession ?
    A propos du procès : « Jamais en effet la vérité n’a paru dans un jour plus clair. »
    Pour oser prétendre que le procès de Damiens fut authentique et que la vérité y éclata, il faut simplement ne pas l’avoir lu.
    Voltaire ne se trompe pas, il nous trompe. Tout ce qu’il rapporte de l’affaire de l’Hôpital général est un tissu de contre-vérités enfilées comme des perles au fil des pages, j’en ai trouvé jusqu’à sept dans un même paragraphe.
    Mentir fut son système : « Il faut mentir comme un diable, non pas timidement, non pas pour un temps, mais hardiment et toujours. Mentez, mes amis, mentez, je vous le rendrai un jour [8]. »
    Et quand il ne ment pas, il passe tout de même à côté de la vérité. Il était à Paris et résidait à un jet de pierre des émeutes lors du soulèvement des Parisiens contre les enlèvements d’enfants [9]. Plusieurs milliers de personnes lapidant un commissariat et hurlant à la mort sous ses fenêtres n’ont pas su retenir son attention : il n’en a fait mention nulle part. Ce qui émanait du peuple n’existait pas.

    En 1766, les barbares du Parlement de Paris commirent leur dernier grand crime public en condamnant, en appel, un malheureux jeune homme victime de la jalousie d’un petit juge local. Le prétexte invoqué étant un sacrilège prétendument commis contre un crucifix, les juges se posèrent, une fois encore, comme seuls habilités en la matière [10]. Et, après l’avoir fait torturer comme ils savaient faire, ils le firent exécuter. Il n’avait que dix-neuf ans, il s’appelait de la Barre.
    Comme on avait trouvé chez lui un exemplaire d’un de ses livres Voltaire fut mis en cause et réagit. Voici ce qu’il écrit :
    « Si on donne la question… à des Damiens, personne ne murmurera ; il s’agit de la vie d’un roi et du salut de tout l’État. Mais que des juges d’Abbeville condamnent à la torture un jeune officier pour savoir quels sont les enfants qui ont chanté avec lui une vieille chanson, qui ont passé devant une procession de capucins sans ôter leur chapeau, j’ose presque dire que cette horreur…est pire que les massacres de la Saint-Barthélemy. »
    Ailleurs : « Les juges de Calas ne firent d’autre faute que celle de se tromper, et le crime des juges d’Abbeville fut d’être barbares en ne se trompant pas. Ils condamnèrent deux enfants innocents à une mort aussi cruelle que celle de Ravaillac et de Damiens [11], pour une légèreté qui ne méritait pas huit jours de prison. L’on peut dire que depuis la Saint-Barthélemy il ne s’était rien passé de plus affreux. »
    Si les mots ont un sens, cela signifie que quand on dépèce Damiens, tout va bien. Que si Calas avait véritablement tué son fils, il eût été légitime de lui briser les membres un à un et de le laisser mourir lentement sur une roue. Et que, entre la Saint-Barthélémy et la mise à mort de la Barre, rien.
    Les horreurs de la Fronde qui ravagea le pays pendant quatre ans au siècle précédent, ne méritent pas qu’on s’y attarde. Les épouvantables tourments qu’on fit subir à un fils du peuple n’intéressent pas les Lumières en marche. Il n’est d’horreur que celle commise au nom de Dieu et de la religion, même et y compris si ceux qui la commettent n’ont d’autre autorité à parler au nom d’icelle que celle qu’ils se sont arrogée par la terreur.

    Seul compta, pour Voltaire, le combat contre la religion : « Une fois que nous aurons détruit les jésuites, nous aurons beau jeu contre l’Infâme. » écrivit-il, deux ans avant la suppression de ceux qui lui avaient tout appris. L’infâme, c’était la religion.
    « L’irréligion, précisa-t-il, est un article de luxe à ne pas mettre à la portée du peuple ni des enfants. » Ou encore « Il ne s’agit pas d’empêcher nos laquais d’aller à la messe ou au prêche... ».
    Au siècle de Voltaire, religion était synonyme de morale, dont les gens comme lui étaient dispensés.

    Il est impossible de concentrer, en quelques pages, la totalité des affronts à la morale commune et à l’humanité dont « monsieur de Voltaire » s’est amusé pendant sa longue et plaisante existence.

    (A suivre…)

    Sources :
    Voltaire intégral est en ligne. On peut tout trouver quand on sait utiliser un moteur de recherche et ouvrir des guillemets.
    A part cela :

    François Cornou, Chanoine honoraire de Quimper, Trente années de luttes contre Voltaire et les philosophes du XVIIIe siècle, Elie Fréron, (1718-1776), Couronné par l’Académie française.
    Beccaria, Cesare, Des délits et des peines. Il faut comparer les deux versions de cet ouvrage :
    L’édition originale, disponible sur Gallica, sous le titre Traité des délits et des peines, troisième édition revue, corrigée et augmentée par l’auteur, parue à Philadelphie en 1766. Traduction par l’abbé Morellet.
    Suivi de
    Des délits et des peines, traduction de Maurice Chevalier, préface de Robert Badinter, Garnier Flammarion 1991.
    Pierre Rétat, L’Attentat de Damiens, discours sur l’événement au XVIIIe siècle, Presses Universitaires de Lyon, Ed. du CNRS, 1979.
    D’Argenson, René-Louis de Voyer, (1694-1757, marquis d’ ), Mémoires et journal inédit du marquis d’Argenson, ministre des affaires étrangères sous louis XV, 1865.
    Marion Sigaut, La Marche rouge, les enfants perdus de l’Hôpital général.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:44


    XIV – L’humanisme des Lumières revisité : l’Encyclopédie

    De la centralisation monarchique à la Révolution bourgeoise, l’absolutisme royal et ses opposants


    Ce serait un contresens que de faire de Voltaire le moteur du vaste mouvement intellectuel qui traversa le siècle et qu’on appela les Lumières. Le poète ne s’occupait encore que de mondanités, qu’un aimable journaliste nommé Diderot était sollicité pour s’occuper d’un projet de grande envergure qui allait faire sa gloire.
    « Tous les grands-maîtres… par toute l’Europe, exhortent tous les savants et tous les artistes de la confraternité à s’unir pour fournir les matériaux d’un dictionnaire universel de tous les arts libéraux et de toutes les sciences utiles » avait, en 1737, déclaré le chevalier de Ramsay. Le philosophe, d’origine écossaise, s’évertuait alors, avec succès, à propager en France la franc-maçonnerie. Un libraire membre de la confrérie nommé Le Breton recruta Diderot, Condillac et d’Alembert, obtint les autorisations nécessaires, lança une souscription : en 1745, la grande aventure commença.
    « Il n’est rien de plus fécond, de mieux analysé, de mieux lié, en un mot de plus parfait et de plus beau que ce dictionnaire » s’enthousiasmèrent, en mai 1745, les jésuites rédacteurs du « Journal de Trévoux [1] ». Déjà au XVIe siècle, l’humanisme des jésuites avait promu la publication des « merveilles de la nature » [2] : la création était belle et la connaître glorifiait Dieu.
    Mais la concorde ne dura pas entre ceux qu’on appellera « les philosophes » et la hiérarchie catholique. Après avoir de toute sa force combattu le jansénisme, l’archevêque de Paris Mgr de Beaumont condamna l’ouvrage à la mode qu’il voyait comme anti-chrétien et la guerre éclata entre « les Lumières » et l’Eglise qui obtint, par deux fois, l’interdiction de la publication. Comment pouvait-on s’opposer à la diffusion d’un Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers ! Il suffit d’ouvrir le dictionnaire pour comprendre.

    Prenons l’article Dimanche : il y est suggéré de lever l’interdit touchant au travail ce jour-là. L’idée, généreuse, consiste à dire que si les pauvres, une fois accomplies leurs dévotions le matin, avaient l’autorisation de travailler l’après-midi, « ce serait une œuvre de charité bien favorable à tant de pauvres familles ; le gain que feraient les sujets par cette simple permission, se monte à plus de vingt millions par an. »
    En interdisant aux pauvres de travailler plus pour gagner plus, l’Eglise ne faisait-elle pas montre d’inhumanité ?
    La sollicitude de l’Encyclopédie pour ceux qui n’ont que leurs bras pour vivre ne s’arrêtait pas aux plus pauvres, puisqu’elle suggéra d’autoriser le dimanche aux autres qui, ainsi, « … n’iraient pas au cabaret dépenser, au grand préjudice de leurs familles, une partie de ce qu’ils ont gagné dans la semaine ; ils ne s’enivreraient pas, ils ne se querelleraient pas, & ils éviteraient ainsi les maux que causent l’oisiveté & la cessation d’un travail innocent, utile pour eux & pour l’état. »
    Et ne serait-ce pas faire œuvre d’une grande utilité, - ce sera le maître-mot des idées nouvelles – que « d’employer quelques heures de ce saint jour pour procurer à tous les villages & hameaux certaines commodités qui leur manquent : un puits… une fontaine, un abreuvoir, une laverie, etc. surtout pour rendre les chemins beaucoup plus aisés qu’on ne les trouve d’ordinaire dans les campagnes éloignées. »
    Faire travailler le peuple le dimanche pour lui interdire de s’amuser et compléter gratuitement ce que la corvée, qui lui incombait déjà totalement, ne pouvait encore fournir : l’humanisme des Lumières n’apparut pas de manière évidente à tout le monde.

    Mendiant : « Gueux ou vagabond de profession, qui demande l’aumône par oisiveté & par fainéantise, au lieu de gagner sa vie par le travail… Quant aux vagabonds de profession, on a des travaux utiles dans les colonies, où l’on peut employer leurs bras à bon marché. » N’est-ce pas là, très exactement, la position des bigots de la Compagnie du Saint-Sacrement et des jansénistes fondateurs de l’Hôpital général [3] ?

    Hôpital : le dictionnaire de monsieur Diderot ne dit pas un mot sur l’Hôpital général. Alors que de nombreux articles devraient y renvoyer (enfants abandonnés, mendicité, pauvreté, hôpital ou charité), on trouve tout ce qu’on veut sauf la moindre mention à l’institution dont l’ensemble des règlements faisait l’objet d’un volume de plus de 600 pages [4]. L’article « Hôpital », par contre, renvoie à un auteur chaudement recommandé : Claude Humbert Piarron de Chamousset.
    Ce monsieur, « l’un des meilleurs citoyens et des plus attentifs au bien public » nous en dit Voltaire dans son Dictionnaire philosophique, est aujourd’hui encore qualifié de philanthrope sur le catalogue de la Bibliothèque nationale. On ne saurait ignorer l’humanisme de cet homme des Lumières qui suggéra de revendre – revendre – les nègres des colonies pour les remplacer par des mendiants de la métropole ou des enfants de l’Hôpital.
    Des mendiants, il dit : « La vie douce que mènent des gens si punissables étant d’un pernicieux exemple pour les malheureux qui ont peine à trouver dans leur travail leur subsistance », s’ils persistaient à refuser le travail, l’exportation vers les colonies s’imposait. Là est développée l’idée des travaux forcés.
    Quant aux enfants perdus, il suggéra de les habituer, dès leur plus jeune âge, à ne pas craindre la mort pour en faire des soldats prêts à se faire tuer dans l’allégresse, ou de les faire élever à la campagne où ils pourraient remplacer les enfants de leur famille d’accueil lors de la levée de la milice. Une condition était nécessaire à ce projet : s’assurer que les paysans à qui on les confierait, n’auraient pas la faiblesse de s’attacher à eux. « Il ne doit donc pas être difficile de faire regarder la mort et les dangers avec indifférence à des gens que l’on élèvera dans ces sentiments, et qui n’en seront pas distraits par une tendresse réciproque, ou par des liaisons de parenté. »
    Famille aimante, s’abstenir.
    Ou l’explication, par la philosophie des Lumières, de la nécessité de placer les enfants sans famille chez des Thénardier.

    Les forces conjuguées du parlement pro janséniste et des Lumières anticléricales eurent finalement raison de la compagnie de Jésus.
    Les premiers ne cessèrent de reprocher aux pères leur « morale relâchée », qui fut essentiellement leur indulgence envers les pécheurs [5]. A la cour, on les trouvait plutôt rigoristes en matière de mœurs, et la Pompadour en fit les frais, qui ne réussit jamais – malgré un grand assaut de mines contrites et confites - à obtenir leur soutien à sa liaison avec le roi.
    Les seconds avaient intérêt à voir disparaître les opposants les plus à même de répondre aux idées répandues par l’Encyclopédie.
    Les deux purent compter sur le soutien du nouveau Premier ministre Choiseul dont Voltaire écrivit : « Je crains que monsieur de Choiseul ne se dégoûte et qu’il ne quitte un poste fatiguant, comme un médecin appelé trop tard, abandonne son malade, j’en serai inconsolable »
    Monsieur de Choiseul fit les choses en temps et en heure. Et à la suite de la publication, en 1761, d’un vigoureux « Compte-rendu des constitutions des Jésuites » par le procureur breton La Chalotais, les dénonciations en chaîne tombèrent jusqu’à l’interdiction totale de la compagnie qui dut fermer ses écoles et plier bagage.

    Dans l’article consacré aux plus actifs ennemis de son œuvre, Diderot écrit « Nous ne dirons rien par nous-mêmes. Cet article ne sera qu’un extrait succinct et fidèle des comptes rendus par les procureurs généraux… » endossant ainsi totalement la longue liste des reproches adressés aux pères depuis leur fondation.
    Jésuites : « Au vœu d’obéissance fait au pape… les Jésuites joignirent ceux de pauvreté & de chasteté, qu’ils ont observé jusqu’à ce jour, comme on sait. » Insinuation calomnieuse.
    « En 1610, Ravaillac assassine Henry IV. Les Jésuites restent sous le soupçon d’avoir dirigé sa main ; & comme s’ils en étaient jaloux, & que leur dessein fût de porter la terreur dans le sein des monarques, la même année Mariana publie avec son institution du prince l’apologie du meurtre des rois. » Cette « apologie » fut en fait la théorisation de la souveraineté populaire impliquant le droit de résistance à l’oppression [6].
    « En 1641, ils allument en Europe la querelle absurde du jansénisme, qui a coûté le repos & la fortune à tant d’honnêtes fanatiques. » Eût-on dû admettre que Dieu n’accordait sa grâce qu’aux élus [7] ?
    « En 1709, leur basse jalousie détruit Port-Royal ». C’est retirer à Louis XIV la responsabilité de ses décisions.
    « En 1713, ils appellent de Rome cette bulle Unigenitus, qui leur a servi de prétexte pour causer tant de maux, au nombre desquels on peut compter quatre-vingt mille lettres de cachets… » C’est, de nouveau, imputer aux jésuites des décisions royales et totalement endosser la version janséniste du conflit.
    En 1731, un jésuite toulonnais nommé Jean-Baptiste Girard avait été accusé, et relaxé dans une affaire de mœurs concernant une jeune fille âgée de 18 ans, Catherine Cadière.
    « L’autorité & l’argent dérobent aux flammes le corrupteur & sacrilège Girard » s’offusque Diderot. » Ne regrette-t-il pas ici qu’on ne l’ait pas brûlé ?
    « En 1755, les Jésuites du Paraguay conduisent en bataille rangée les habitants de ce pays contre leurs légitimes souverains. » Eussent-ils dû les laisser réduire en esclavage ?
    « En 1757, un attentat parricide est commis contre Louis XV notre monarque, & c’est par un homme qui a vécu dans les foyers de la société de Jésus, que ces pères ont protégé, qu’ils ont placé en plusieurs maisons… C’est comme ils firent en 1610… mêmes circonstances, même conduite. » _Calomnie [8].
    A propos du rédacteur du Journal de Trévoux : « Il a bêtement irrité contre sa société notre de Voltaire, qui a fait pleuvoir sur elle & sur lui le mépris & le ridicule, le peignant lui comme un imbécile, & ses confrères, tantôt comme des gens dangereux & méchants, tantôt comme des ignorants, donnant l’exemple & le ton à tous nos plaisants subalternes, & nous apprenant qu’on pouvait impunément se moquer d’un jésuite, & aux gens du monde qu’ils en pouvaient rire sans conséquence ». Irriter le bon « de Voltaire », quelle inconséquence ! La suppression de la compagnie n’en est-elle pas le juste châtiment ?

    Régicide : « Les larmes que les Français ont versées sur un attentat plus récent, seront encore longtemps à se sécher ; ils trembleront toujours au souvenir de leurs alarmes, pour les jours précieux d’un monarque, que la bonté de son cœur & l’amour de ses sujets semblaient assurer contre toute entreprise funeste. » Flagornerie : trois mois plus tard plus personne n’en parlait. Plus loin : « Comment se trouve-t-il donc des hommes audacieux & pervers, qui enseignent que l’on peut ôter la vie à des monarques, lorsqu’un faux zèle ou l’intérêt les fait traiter de tyrans ? Ces maximes odieuses, cent fois proscrites par les tribunaux du royaume, & détestés par les bons citoyens, n’ont été adoptées que par des fanatiques ambitieux, qui s’efforcent de saper les fondements du trône, lorsqu’il ne leur est point permis de s’y asseoir à côté du souverain. » Calomniez, calomniez…

    La Chalotais se distingua encore, après la chute de ces ennemis du genre humain, en publiant en mars 1763 un nouvel opuscule : Essai d’éducation nationale et Plan d’études pour la jeunesse qui fut traduit en hollandais, en russe et en allemand. L’œuvre d’une vie, destinée à remplir le vide laissé par l’absence des pères jésuites sur le terrain de l’éducation.
    N’allons pas croire qu’il s’agissait de commettre les même erreurs que ceux qu’on allait remplacer : « N’y a-t-il pas trop d’écrivains, trop d’académies, trop de collèges ? » déplora-t-il. Alors qu’on se plaignait de manquer de bras, « le peuple même veut étudier : des laboureurs, des artisans envoient leurs enfant dans les collèges des petites villes… Le bien de la société demande que les connaissances du peuple ne s’étendent pas plus loin que ses occupations… »
    Voltaire immédiatement applaudit à tant d’intelligence : « Je vous remercie de proscrire l’étude chez les laboureurs. Moi qui cultive la terre je vous présente requête pour avoir des manœuvres et non des clercs tonsurés »
    La Chalotais avait tant et tant passé la brosse à reluire au grand génie (il recommande à différentes reprise l’étude de Voltaire dans son projet), que celui-ci ne pouvait que l’applaudir. Mais le procureur et le poète ne furent pas les seuls à promouvoir l’arrêt de l’instruction publique pour le bas peuple. Rousseau y apporta sa contribution dans la Nouvelle Héloïse : « N’instruisez point l’enfant du villageois, car il ne lui convient pas d’être instruit. »

    La connivence entre les jansénistes bigots et les très anti-religieux philosophes n’est contradictoire qu’en apparence :
    Philosophe : « La raison est à l’égard du philosophe, ce que la grâce est à l’égard du chrétien… Le philosophe forme ses principes sur une infinité d’observations particulières. Le peuple adopte le principe sans penser aux observations qui l’ont produit : il croit que la maxime existe pour ainsi dire par elle-même ; mais le philosophe prend la maxime dès sa source ; il en examine l’origine ; il en connaît la propre valeur, & n’en fait que l’usage qui lui convient. » Le philosophe est donc celui qui détient la lumière, et le peuple est l’imbécile qui vit dans l’ombre.

    Les Lumières furent à l’humanisme ce que le jansénisme fut à la grâce : la théorisation d’une séparation entre l’élite et le peuple, entre les élus et les autres.
    Les Lumières ont bel et bien prétendu renverser les valeurs qui avaient cours dans la France chrétienne. On les verra à l’œuvre au début du règne de Louis XVI quand celui-ci fera venir au gouvernement un des leurs adulé de Voltaire, qui en pleura de joie : Turgot.
    Les jésuites n’étaient plus là pour crier « gare ! »
    La voie était libre.

    (A suivre…)

    Sources :
    - Arthur M. Wilson, Diderot, Sa vie et son œuvre Editions Ramsay, Bouquins.
    - Roland Mousnier, Le XVIe siècle, Les nouvelles structures de l’Etat, Histoire générale des civilisations
    - Chamousset, Claude-Humbert Piarron de (1717-1773), Vues d’un citoyen. Paris, Lambert, 1757.
    - Chalotais, Louis-René de Caradeuc de la, Essai d’éducation nationale, ou Plan d’étude pour la jeunesse. 1763.
    - Voltaire, Œuvres complètes.
    - Mémoires pour l’histoire des sciences & des beaux-arts. 1701-1767, dit « Journal de Trévoux ».
    - Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, dirigée par Diderot & d’Alembert (1751-1772). Disponible sur Wikisource.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:45


    XV – Turgot ou l’avènement du libéralisme : la fin de l’Ancien Régime

    1ère partie, le pain du peuple.


    Il y avait, dans l’entresol de la Pompadour à Versailles, un appartement dans lequel une bande de joyeux drilles refaisait le monde et cherchait la pierre philosophale. On pourrait presque dire qu’ils l’avaient trouvée, puisque le bon docteur Quesnay, médecin personnel de la marquise qui les accueillait, se targuait d’avoir trouvé le moyen d’enrichir tout le monde sans appauvrir personne.
    Autour de lui Diderot, d’Alembert, Duclos, Helvétius, Turgot, Buffon et bien d’autres encore, calculaient le « produit net » et mettaient au point une science nouvelle dont le but n’était rien de moins que la bonne marche du monde et la richesse des Nations : l’Économie. Bientôt allait advenir un monde débarrassé de la superstition (la religion) et dans lequel la Raison, la liberté et la loi naturelle allaient – enfin – faire régner la prospérité.
    Inspirée par un auteur que Diderot considérait comme un génie, Le Mercier de la Rivière, l’idée force des principes de Quesnay était que l’agriculture était la source de toute richesse, et que la liberté pour l’industrie et le commerce devait permettre, par la circulation des produits agricoles, d’assurer la prospérité du royaume.
    Ces intellectuels s’appelaient les Physiocrates, on disait aussi « les économistes », autre néologisme qu’on leur doit et qui fit, lui, une belle carrière. Quesnay présenta au roi un « Tableau économique » sous la forme d’un zig-zag. Louis XV, intéressé, voulut bien essayer. Puis il renonça. Il mourut, et son petit-fils le remplaça.
    Louis XVI n’avait que vingt ans. Il nomma Turgot contrôleur général des finances. Un économiste, autant dire Les Lumières, arrivaient au pouvoir.

    « Il ne pouvait rien arriver de plus heureux à la France et à la raison humaine » écrivit à Voltaire le jeune Condorcet [1].
    - Vous avez rempli mon cœur d’une sainte joie » répondit le vieil exilé, toujours au fait de ce qui se passait dans la capitale. Quand il vit arriver cet homme fait et de très belle allure, dont on lui chantait tant les louanges, le jeune roi [2] fut très impressionné.
    - Ce n’est pas au roi que je me donne, c’est à l’honnête homme », le flatta Turgot après lui avoir exposé son programme.
    - Je vous donne ma parole d’honneur de vous soutenir toujours dans les partis courageux que vous aurez à prendre » lui répondit le roi en lui prenant les mains.

    L’une des premières mesures que prit Turgot fut de lever toutes les entraves au commerce et à la libre-circulation des grains. « Plus le commerce est libre, animé, étendu, plus le peuple est promptement, efficacement et abondamment pourvu » écrivit-il dans le préambule de l’arrêt qui fut signé le 13 septembre 1774. « Les prix sont d’autant plus uniformes, ils s’éloignent d’autant moins du prix moyen et habituel sur lequel les salaires se règlent nécessairement » ajouta-t-il, sans indiquer en quel honneur la « nécessité » a la moindre influence sur les salaires. L’aimable prince de Croÿ nota : « Ce fut, quoique sourdement et sans révolution, le plus grand coup porté à la religion, peut-être, depuis Clovis. »
    Voltaire, lui, exulta : « Je viens de lire le chef-d’œuvre de M. Turgot. Il me semble que voilà de nouveaux cieux et une nouvelle terre » écrivit-il à d’Alembert.
    Sus à l’obscurantisme et écrasons l’infâme !

    Alors que des siècles de protection royale avaient interdit tout enrichissement sur le pain du peuple, le nouveau décret imposait la loi du Marché [3] ce qui, pratiquement, consistait à laisser filer les prix et à permettre aux marchands de se servir avant le peuple.
    Dès les premiers frémissements sur les marchés (ces places des villes et des villages où la population venait s’approvisionner), le peuple alerta les autorités locales qui en référèrent au sommet. « Il n’y a pas lieu de tenir compte des murmures du peuple. Il faut qu’il comprenne, au contraire, que son opposition, ses mouvements et ses violences ne serviront qu’à faire prendre les mesures les plus efficaces pour le contenir » répondit Turgot.
    A Paris, au lendemain du décret, il avait fait vider tous les greniers, privant la capitale, à l’entrée des mauvais jours, du seul moyen de faire face à la disette, et de faire pression à la baisse en cas de hausse des prix.
    Ceux-ci, bêtement, continuèrent de monter. Au printemps, le pain était deux fois plus cher que ce que les trois quarts du peuple pouvaient le payer. Et les greniers étaient vides.
    La faim apparut. Avec elle la colère. Sur les marchés, le peuple prétendait payer son pain le même prix qu’avant. Un prix taxé [4], fixé, honnête. Un prix qui permettait à tout le monde de vivre. On sortit les bâtons dont on menaça les meuniers qui refusaient de céder la marchandise à ce prix-là.

    Turgot avait pensé à tout, et notamment à la possibilité que le peuple ignorant s’oppose à tant de progrès si, par malheur, le blé augmentait plus vite que les salaires. Pour le contenir (le peuple, pas le blé), il inventa un nouveau concept : l’atelier de charité. Non pas de ces cloaques où les miséreux s’entassaient aux frais de la collectivité [5], mais des lieux où les fluctuations du prix du grain se transformeraient miraculeusement en routes, en canaux, en villes nouvelles : les travaux forcés pour les fainéants incapables de se payer leur pitance.

    Les premières violences furent signalées à Dijon le 17 avril 1775. Alors que depuis une semaine ils ne mangeaient pas à leur faim, des centaines d’ouvriers vinrent crier sous les fenêtres du lieutenant général de la province et substitut de l’intendant.
    « Allons messieurs, le pain n’est pas encore à douze livres ! » cria monsieur de la Tour du Pin aux manifestants.
    Ceux-ci, furieux, jetèrent dans la rivière des sacs de farine frelatée qu’on prétendait leur faire manger et, armés de bâtons, ils s’en prirent à un riche meunier qui refusait la taxation. Affolé, le meunier s’enfuit en courant, s’engouffra chez un procureur où la foule l’y poursuivit en dévastant tout sur son passage.
    Alerté, Turgot fulmina contre l’insondable bêtise populaire, et le 20 avril il écrivit : « Je ne suis pas étonné, monsieur, du tumulte arrivé à Dijon. Toutes les fois qu’on partage les terreurs du peuple et surtout ses préjugés, il n’y a point d’excès auxquels il ne se porte. »
    Le roi ajouta de sa main : « Autant je désire que mon peuple soit heureux, autant je suis fâché quand il se porte à des excès où il n’y a nulle trace de raison. » Et, trois jours plus tard, Turgot écrivait aux autorités municipales dijonnaises : « Ce n’est pas le peuple qui doit vous conduire, c’est la loi. »
    Ah ! Mais ! Il exigeait une justice prompte et sommaire sans exception ni indulgence, et la recherche sans pitié des meneurs.
    Le doux Condorcet, le plus proche collaborateur du ministre, était devenu enragé : « Le peuple ne sera tranquille que quand il saura qu’on a puni quelques-uns de ces brigands » fulmina-t-il.

    Les émeutes de la faim prirent comme une traînée de poudre dans tout le pays. A Paris, un observateur nota, interloqué « qu’est-ce que c’est que ce règne ? »
    Les autorités policières, habituées depuis toujours à assurer la protection du public contre les spéculateurs (ils envoyaient des inspecteurs vérifier les prix sur les marchés), n’y comprenaient plus rien. Le Lieutenant général de police Lenoir envoya près de dix lettres à Turgot qui ne répondit à aucune. C’est un de ses collaborateurs, Albert, qui fit savoir au premier policier de France qu’on avait bien reçu ses courriers, et qu’il s’alarmait pour rien.
    A Pontoise, dans la région parisienne, tandis qu’on déchargeait des quantités de blés dont le prix interdisait aux plus petits d’en faire l’acquisition, la foule s’empara des sacs et en organisa la vente au bon prix. Rien ne fut volé ni détruit, et le produit même de la vente fut porté au procureur local.
    Pontoise, Beauvais, Saint-Germain-en-Laye, Saint-Denis, Gonesse, la révolte suivait le long de la Seine et des canaux les péniches chargées de blé plus cher que l’or. Chelles, Gagny, Choisy le Roi, Fontainebleau, Meaux et Corbeil, les routes étaient prises d’assaut et les charrois arrêtés.
    Les édiles étaient complètement affolés. En temps normal, il n’y aurait pas eu de problème : le prix du grain aurait été fixé à un prix raisonnable et respecté par tous. Mais là, comment faire respecter une loi qui disait que « le Marché » fixait le prix ? Certains appelèrent les autorités à l’aide, d’autres prirent sous leur bonnet de pousser les marchands à accepter la taxation. Turgot, furibond, en fit embastiller un pendant sept semaines pour lui apprendre à contrarier le Marché. Il exigea que tout marchand lésé par une taxation serait indemnisé par la communauté villageoise où avait eu lieu la malversation, les innocents payant avec les coupables. Il fit désarmer des villages entiers. La loi c’est la loi.

    La Guerre des Farines, authentique répétition générale de la Révolution, gagnait de ville en village. Personne ne criait contre le roi, on voulait du pain à prix honnête, c’est tout. Là où le blé fut saisi, on laissait sa part au producteur et on n’oubliait pas d’en laisser par terre pour les glaneurs. Économie morale, populaire, solidaire, qui voulait le bien commun et s’opposait à la logique marchande.
    La tradition, et tout un arsenal juridique multiséculaire que Turgot venait d’abolir, voulait que le marché soit le lieu où se vendait le grain, priorité absolue étant donnée aux habitants. Seul le surplus, une fois la population servie, pouvait être « exporté ». Durant ces deux mois incertains, les taxateurs imposèrent cette loi antique et royale en interceptant les convois de grains qu’ils voyaient partir. Rien ne fut volé, tout fut payé, et payé « au bon prix », celui qui permettait aux plus pauvres de se nourrir avec leur salaire, sans voler, sans mendier, sans tendre la main.

    Hors de lui, Turgot fit le choix de l’infamie.

    Comme on lui demandait comment un ouvrier pourrait nourrir ses enfants si son salaire ne lui suffisait plus, il répondit que ces derniers n’avaient qu’à se nourrir eux-mêmes : Turgot fut le promoteur du travail des enfants [6].
    Le même jour, le 1er mai 1775, il mobilisait l’armée pour la protection des convois de grains, et deux jours plus tard il proclamait la loi martiale : quiconque s’opposerait à la liberté des prix était désormais passible de la peine de mort.

    (à suivre)
    Sources :
    - Cohen Déborah, de l’Institut Universitaire de Florence, « Le débat sur le commerce du blé (1768-1775) : formes et porteurs légitimes de la rationalité en question ».
    - Condorcet, Œuvres de Condorcet, Firmin Didot Frères, Paris 1847. Croÿ, Emmanuel duc de, Journal inédit du duc de Croÿ.

    Gauthier Florence,
    « Tribulations ministérielles », Université Paris 7-Denis Diderot, publié dans Utopie Critique, n° 37, mai 2006.
    La Voie paysanne dans la révolution française, l’exemple picard. Maspéro 1977.
    « A l’origine de la théorie physiocratique du capitalisme, la plantation esclavagiste. L’expérience de Le Mercier de la Rivière, intendant de la Martinique ».

    - Gignoux, C.J. Turgot,. Ljublinski Vladimir, La Guerre des farines, Contribution à l’histoire de la lutte des classes en France, à la veille de la Révolution
    - Kaplan, Steven L. La fin des corporations, Fayard, 2001.
    - Manceron Claude, Les Hommes de la liberté, 1774/1797
    - Marmontel Jean-François, Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfants.
    - Necker, Jacques, Sur la législation et le commerce des grains Rivière, Hippolyte Ferréol, Précis historique et critique de la législation française sur le commerce des céréales et des mesures d’administration prises dans les temps de cherté.
    - Say Léon (1826-1896), Turgot.
    - Ségur, Marquis de, Au couchant de la monarchie, Louis XVI et Turgot (1774-1776),
    - Steiner Philippe, Le débat sur la liberté du commerce des grains (1750-1775)

    Turgot, Anne Robert Jacques,
    Mémoire sur les moyens de procurer, par une augmentation de travail, des ressources au peuple de Paris, dans le cas d’une augmentation dans le prix des Denrées, Paris 1er mai 1775.
    Lettres sur les émeutes populaires que cause la cherté des bleds, et sur les précautions du moment, 1768, .
    Œuvres de Turgot, Guillaumin, libraire, 1844.

    - Vardi Liana, “Physiocracy’s Scientific Fallacies”, Conference on French Political Economy.
    - Voltaire, Œuvres complètes, La Diatribe.
    - Wilson Arthur M., Diderot, Sa vie et son œuvre, Editions Ramsay, Bouquins, Paris 1985.
    - La Guerre du blé au XVIIIe siècle, par E.P. Thomson, V. Bertrand, C.A. Bouton, F. Gauthier, D. Hunt, G.R. Ikni, Les éditions de la Passion, 1988.
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    Message  DesEspoirs2 26/6/2012, 18:46


    XVI – Turgot ou l’avènement du libéralisme : la fin de l’Ancien Régime

    2ème partie, la dérégulation


    Mardi 2 mai 1775 au matin, Turgot et Maurepas étaient à Paris où, disait-on, l’agitation gagnait quand le roi, partant pour la chasse, aperçut de loin une foule de gens armés de bâtons qui arrivaient sur la route de Saint-Germain. Privé des conseils de son ministre, il rebroussa chemin et décida de faire face. Il fit fermer les grilles du château, et donna au prince de Beauveau l’ordre de rassembler ses troupes à qui il interdit formellement de tirer.
    « Du pain ! Du pain ! » criait la foule massée devant les grilles, brandissant des quignons de pain moisi qu’on avait prétendu leur vendre.
    Faisant front, Louis XVI parut au balcon et voulut parler, mais les clameurs l’en empêchèrent. Bouleversé, il regagna sa chambre, en larmes.
    Son mouvement naturel le poussait à céder aux désirs de la foule. Mais cela faisait dix mois qu’une garde rapprochée le persuadait que c’était une erreur et que seule la liberté du commerce allait, c’était une question de temps, tout réguler.
    A onze heures du matin il écrivit à Turgot que Versailles était attaqué : « Vous pouvez compter sur ma fermeté ».
    Suivi de sa troupe à laquelle il avait interdit de tirer, le prince de Beauveau apparut enfin et brava la foule hostile. Alors qu’il tentait de parlementer, on le couvrit de farine avariée. Il parvint finalement à prendre la parole :
    - A combien voulez-vous qu’on fixe le prix du pain ?
    - A deux sous ! cria la foule
    - Eh bien ! soit, à deux sous concéda-t-il enfin, rétablissant immédiatement le calme.
    C’était aussi simple que ça : il alla faire savoir au roi que l’émeute se calmait et que les émeutiers étaient partis se faire servir le pain à deux sous.
    - Sotte manœuvre ! gronda sa majesté.
    A quoi le prince répondit, avec sagesse, qu’il ne voyait pas le milieu entre leur faire cette concession et les forcer à coups de baïonnettes. Est-ce ça que voulait sa Majesté ?
    « Il faut prendre les plus grandes précautions pour qu’ils ne reviennent pas faire la loi, écrivit le roi à Turgot dans une seconde missive. Mandez-moi quelles elles pourraient être, car cela est très embarrassant. »

    C’était le moins qu’on puisse dire.

    Mercredi 3 mai l’émeute atteignit Paris où les boulangeries furent mises au pillage. La police réagit mollement, certains policiers aidèrent même les mutins – des ouvriers n’ayant que leur salaire pour vivre - à ouvrir des boutiques et à se servir.
    Cette attitude était la norme, puisque depuis qu’elle existait la police veillait à la bonne distribution des subsistances. De plus, aucune violence ne fut faite contre les personnes ni mêmes les biens, on vola du pain pour le manger.
    A 7 h du soir c’était fini.
    Il ne fallait pas en rester là, Turgot était furieux. De retour à Versailles, il réunit le Conseil en urgence et réprimanda violemment le Lieutenant général de police Lenoir qu’il destitua sur le champ et remplaça par son ami Albert. Il destitua également le commandant du guet à pied et à cheval et le remplaça par le maréchal de Biron qu’il chargea de mettre Paris en état de guerre.
    « Ceux qui continueront de s’attrouper encourront la peine de mort, et seront les contrevenants arrêtés et jugés sur le champ. Tous ceux qui, dorénavant, quitteront leurs paroisses sans être munis d’une attestation de bonne vie et mœurs, signée de leurs curés et du syndic de leur communauté, seront poursuivis et jugés prévôtalement, suivant la rigueur des ordonnances ».
    Au moment de signer cette inimaginable atteinte à la liberté de circuler des personnes pour assurer la libre circulation des grains, Louis XVI, noué d’angoisse, murmura : « Au moins, nous n’avons rien à nous reprocher ? »
    Pauvre jeune roi, qui commençait à comprendre…

    Une justice prévôtale d’exception fut hâtivement mise sur pied pour empêcher le Parlement d’en connaître. A Paris il fut procédé à un millier d’arrestations, et le 11 mai à 15h, on fit comme on avait fait en 1750 : on pendit deux innocents [1]. La troupe faisait une haie infranchissable entre les exécuteurs et la foule, et celle-ci, répondant aux hurlements de Jean Desportes et Jean-Charles Lesguille qui se débattaient désespérément, hurla « Grâce ! Grâce ! »
    Comme avait fait son grand-père lors de l’affaire des enlèvements d’enfants, Louis XVI laissa faire.
    Quelques jours plus tard on trouva, affiché au palais à Versailles, un menaçant placard qui disait : « Si le pain ne diminue pas et si le ministère n’est changé, nous mettrons le feu aux quatre coins du château. » et quelqu’un entendit clairement crier dans les couloirs : « Louis XVI sera sacré le 11 Juin et massacré le 12 ! »

    Incapable de prendre en compte la volonté du peuple, Turgot accusa Necker d’avoir fomenté contre lui un complot. Le diplomate genevois avait en effet commis un livre dans lequel il disait son opposition à la libre circulation des subsistances et, malgré tous les efforts entrepris pour en empêcher la parution (censure, menaces et pressions sur Genève pour faire désavouer son ministre), le livre circula. Turgot ignora bien sûr que la plupart des émeutiers ne lisaient pas, et a fortiori pas du Necker.

    Voltaire se surpassa. Décidé à défendre le libéralisme comme il avait défendu Calas, il commit un prétendu reportage appelé La Diatribe, dans lequel il raconta comme s’il y était (il n’avait pas quitté Ferney) comment des ecclésiastiques véreux agitaient la populace : « Quand nous approchâmes de Pontoise, nous fûmes tous étonnés de voir environ 10 à 15 000 paysans qui couraient comme des fous et qui criaient « les blés, les marchés ! les marchés, les blés ! » Ils s’arrêtaient à chaque moulin, le démolissaient en un clin d’œil et jetaient blé, farine et son à la rivière. Un petit prêtre leur suggérait d’une voix de stentor : - saccageons tout mes amis, Dieu le veut ! »

    Une fois le calme revenu, Turgot accomplit une autre réforme qui lui tenait à cœur : « Affranchir nos sujets de toutes les atteintes portées au droit inaliénable de l’humanité ».
    Ce droit était celui de travailler, mis à mal, disaient les économistes, par l’ensemble des réglementations et obligations qui régissaient les métiers sous la forme des corporations.
    Il abolit jurandes et maîtrises.
    La « liberté du travail » ainsi acquise fit souffler sur le monde ouvrier un vent d’euphorie : du jour au lendemain, chacun put se dire son maître et ne plus rien devoir à son patron.
    Des voix s’élevèrent pour dire que la liberté ainsi acquise verrait inévitablement le triomphe de la grande entreprise aux dépens de la liberté des petites et moyennes, on annonça même l’exode rural et la misère qui toucherait toutes ces populations livrées à la rapacité des nouveaux maîtres.
    Turgot voyait clair à cet égard, puisque l’article 14 de son décret défendait à tous de former aucune association ni assemblée entre eux, sous quelque prétexte que ce soit : la future loi Le Chapelier, qui allait quinze ans plus tard livrer, pieds et poings liés, le monde ouvrier prolétarisé à la bourgeoisie, était déjà rédigée.
    D’autres voix firent valoir que la qualité du travail se ressentirait de cette foire d’empoigne, et que le consommateur en pâtirait. Pour toute réponse à ces arguments frappés au coin du bon sens, Turgot ordonna la suppression de tous les écrits publiés pour la défense des corporations.

    Le jour où la loi fut discutée en Lit de justice, le roi fut frappé de s’entendre dire qu’il s’apprêtait à détruire l’œuvre d’Henri IV et Louis XIV. Dans les courriers qu’il lui adressait, Turgot ne cessait de prétendre tirer un trait sur ce qu’avaient fait ses ancêtres dans des temps d’ignorance et de barbarie.
    Ignorants et barbares, ses aïeux ? Vraiment ?
    Déchaîné, le sage Turgot qui avait tant séduit Sa Majesté par sa calme assurance, parlait à présent de révoquer les intendants et de mettre les agités de Paris à Bicêtre. Il envoya au roi un Mémoire sur les municipalités dans lequel il proposait de créer des assemblées municipales élues par des propriétaires jouissant d’un certain revenu, qui éliraient à leur tour des représentants arrivant jusqu’au roi.
    Beaucoup plus intelligent qu’on ne l’a dit, et viscéralement attaché au bien commun, le roi comprit où Turgot voulait le mener.
    L’opinion se déchaînait contre le ministre qu’on accusait de rouler pour l’Angleterre (était-ce dénué de fondement ?) et contre lequel des pamphlets féroces circulaient : « On le croyait profond, il était creux… Si on lui en laisse le loisir, il renversera la monarchie et restera seul debout au milieu des ruines. »

    Le 12 mai 1776, Turgot fut disgracié et le malheureux Voltaire s’arracha les cheveux : « Un vieillard d’environ 83 ans est près de mourir quand il apprend de telles nouvelles » s’époumona-t-il.
    Au mois d’août suivant, le roi rétablissait la corvée (impôt en nature que Turgot avait remplacée par un impôt en argent), les corporations et bientôt la police des grains.

    L’échec de Turgot fut très relatif, puisque tout son système fut appliqué à la lettre quatorze ans plus tard, et qu’il a fait depuis le tour du monde.
    Il avait mis en pratique les préceptes développés par Quesnay et Le Mercier de la Rivière, tous deux véritablement à l’origine des théories physiocratiques.
    Il importe de savoir que le premier avait autant d’autorité à parler d’économie qu’il en eut à pratiquer la médecine. On sait qu’il soignait la marquise par des tisanes, et la seule expérience « scientifique » qu’il tenta fut de mettre à sécher un morceau de viande et de constater qu’elle avait perdu cinq sixièmes de son poids [2].
    Quant à Le Mercier, il inventa son système en observant la société esclavagiste dont il avait la charge, puisqu’il était intendant de la Martinique [3].
    Un charlatan et un négrier avaient théorisé la manière de renverser l’ordre ancien.
    Un intellectuel dogmatique et coupé des réalités sociales entreprit de la mettre en pratique.
    Un roi trop jeune et mal préparé à régner tenta l’expérience.
    Quand il comprit, le mal était fait et les idées nouvelles, propagées par les encyclopédistes, passaient pour des vérités révélées qu’une Église à genoux ne pouvait plus combattre.

    La suite est l’histoire d’un autre monde. Celui dans lequel nous vivons.

    Fin de la série.
    Sources :
    - Cohen Déborah, de l’Institut Universitaire de Florence, « Le débat sur le commerce du blé (1768-1775) : formes et porteurs légitimes de la rationalité en question ».
    - Condorcet, Œuvres de Condorcet, Firmin Didot Frères, Paris 1847. Croÿ, Emmanuel duc de, Journal inédit du duc de Croÿ.

    Gauthier Florence,
    « Tribulations ministérielles », Université Paris 7-Denis Diderot, publié dans Utopie Critique, n° 37, mai 2006.
    La Voie paysanne dans la révolution française, l’exemple picard. Maspéro 1977.
    « A l’origine de la théorie physiocratique du capitalisme, la plantation esclavagiste. L’expérience de Le Mercier de la Rivière, intendant de la Martinique ».

    - Gignoux, C.J. Turgot,. Ljublinski Vladimir, La Guerre des farines, Contribution à l’histoire de la lutte des classes en France, à la veille de la Révolution
    - Kaplan, Steven L. La fin des corporations, Fayard, 2001.
    - Manceron Claude, Les Hommes de la liberté, 1774/1797
    - Marmontel Jean-François, Mémoires d’un père pour servir à l’instruction de ses enfants.
    - Necker, Jacques, Sur la législation et le commerce des grains Rivière, Hippolyte Ferréol, Précis historique et critique de la législation française sur le commerce des céréales et des mesures d’administration prises dans les temps de cherté.
    - Say Léon (1826-1896), Turgot.
    - Ségur, Marquis de, Au couchant de la monarchie, Louis XVI et Turgot (1774-1776),
    - Steiner Philippe, Le débat sur la liberté du commerce des grains (1750-1775)

    Turgot, Anne Robert Jacques,
    Mémoire sur les moyens de procurer, par une augmentation de travail, des ressources au peuple de Paris, dans le cas d’une augmentation dans le prix des Denrées, Paris 1er mai 1775.
    Lettres sur les émeutes populaires que cause la cherté des bleds, et sur les précautions du moment, 1768, .
    Œuvres de Turgot, Guillaumin, libraire, 1844.

    - Vardi Liana, “Physiocracy’s Scientific Fallacies”, Conference on French Political Economy.
    - Voltaire, Œuvres complètes, La Diatribe.
    - Wilson Arthur M., Diderot, Sa vie et son œuvre, Editions Ramsay, Bouquins, Paris 1985.
    - La Guerre du blé au XVIIIe siècle, par E.P. Thomson, V. Bertrand, C.A. Bouton, F. Gauthier, D. Hunt, G.R. Ikni, Les éditions de la Passion, 1988.
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    Message  nemandi 17/8/2012, 01:20

    L'affaire Damiens



    Une autre conférence de Marion Sigaut, cette fois sur l'affaire Robert François Damiens, assassinant Louis XV. Et dont l'affaire permis de protéger les magistrats pédophiles (et oui déjà) de l'époque, en faisant chanter le Roi et administrant un faux procès à Damiens:





    L’affaire Damiens : une affaire de mœurs ?

    Il y a encore vingt ans, personne ne parlait de pédophilie et peu de gens connaissaient même le sens du mot. Aujourd’hui, chacun sait qu’il existe des pervers qui tirent leur jouissance de l’exploitation sexuelle des enfants.
    La dépravation des mœurs de l’Ancien régime est chose admise, comme est admise la décadence de la noblesse, de l’Eglise et d’un système à bout de souffle remplacé par la victorieuse Révolution française : les Lumières sont passés par là.
    L’apparition de la pédophilie dans le champ de l’étude historique va bouleverser cette perception : que se passait-il sous l’ancien régime ?
    Pourquoi n’a-t-on jamais entendu parler d’affaires de mœurs touchant aux enfants dans ce système tant décrié qu’on a mis à bas ? Qui disait quoi ? Qui faisait quoi ? Que nous a-t-on dit ? Que nous cache-t-on ?
    Qui ment et pourquoi ? Quel rôle ont joué les historiens ? C’est à partir de l’étude du procès, truqué d’un bout à l’autre, d’un fils du peuple ignominieusement mis à mort, que j’ai démonté la mécanique d’un mensonge qu’on nous vend depuis deux siècles : les pervers ne sont pas ceux qu’on croit, ceux qu’on nous fait croire, ceux qu’on nous présente.
    Damiens n’était pas fou.
    Tout est à revoir.

    source

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    Message  nex 23/9/2012, 03:08


    Les Lumières et l'essor du capitalisme






    Marion Sigaut, historienne, nous explique comment le mouvement des
    Lumières a activement promu le capitalisme montant et attaqué
    frontalement les protecteurs du peuple : l'Eglise Catholique et la
    royauté.
    Une occasion également pour faire le lien avec le contexte politique et économique actuel.


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    Message  Comandirej 19/10/2012, 19:51

    Marion Sigaut Conférence sur Louis Dominique Cartouche



    Par ERTV
    On nous raconte des histoires sur l'Histoire !
    L’Histoire sert à tout, surtout à raconter des histoires, dans le sens de « raconter des mensonges ». Dans la série « On vous raconte des histoires sur l’Histoire », le téléfilm en deux parties produit par France 2, Cartouche, le brigand magnifique, tient une bonne place.

    Montrer Cartouche comme un homme de cœur qui hait les aristocrates et défend la veuve et l’orphelin, comme un héros populaire précurseur de la Révolution française, c’est déjà mentir sur la Révolution française.

    « Mentez, mes amis, mentez, je vous le rendrai un jour » disait Voltaire en 1736.

    Cartouche le brigand magnifique a été écrit par des gens qui ont retenu la leçon. Peut importe la vérité, ce qui compte c’est ce qu’on veut faire passer.


    _________________
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    «Les perdants sont ceux qui, au Jour de la Résurrection, auront causé la perte
    de leurs propres âmes et celles de leurs familles».
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    Message  Invité 18/1/2013, 11:52

    Conférence de Marion Sigaut, samedi 19 janvier à Nancy


    Actualités Marion Sigaut Confvoltaire-02ee5

    J’espère qu'il y aura une vidéo de cette conférence rapidement !

    La vidéo de nex au dessus n'existe plus ->

    Les Lumières et l'essor du capitalisme


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    Message  Invité 22/1/2013, 00:56

    A partir de 14 h, le dimanche 3 février 2013 se tiendront deux conférences à Nice :

    Marion Sigaut : « La guerre des juges contre l’Eglise au XVIIIème siècle.

    Johan Livernette : « La déchristianisation de la France depuis 1789. »

    Entrée : 5 €.


    Actualités Marion Sigaut Confc3a9rence-3-fc3a9vrier-c3a0-nice-4167e
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    Message  Invité 22/1/2013, 01:00

    Marion Sigaut - Russes errants sans terre promise


    Marion Sigaut - Russes errants sans terre promise par ERTV
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    Message  Comandirej 15/2/2013, 09:55

    Marion Sigaut "Voltaire, le personnage et l'homme, qui trompe qui ?"



    Partie 1





    Partie 2



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    C'est bien cela la perte évidente. [S.39 - V.15]
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    Message  Comandirej 21/2/2013, 13:45

    Marion Sigaut « La guerre des juges contre l'Eglise au XVIIIème siècle »





    Publiée le 18 févr. 2013

    Le samedi 2 février, se sont tenues 3 conférences dans l'agglomération toulonnaise.

    L'historienne Marion Sigaut a ouvert la séance par un exposé intitulé « La guerre des juges contre l'Eglise au XVIIIème siècle ».

    Le professeur en philosophie Pierre Dortiguier a enchainé avec « La décadence spirituelle de l'Ancien Régime ».

    Suivi par le docteur Salim "Le Libre Penseur" Laïbi qui nous a présenté son livre « La faillite du monde moderne » .

    La section niçoise d'Egalité & Réconciliation était sur les lieux pour vous filmer tout ça!

    Encore un grand merci à Johan Livernette pour l'organisation de l'évènement!



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