PRINCIPAUX CARACTÈRES DE L EXÉGÈSE RABRINIQUE. Le
Judaïsme est la Religion de la
Tora, comportant pour la
Loi divine un culte
savant et pieux : de cette propriété fonda-
mentale dérivent tous les caractères de l'exégèse
juive.
Cependant la
Tora est double :
la Tora écrite et la Tora orale.
En principe ces « deux tranchants de l'unique
glaive divin »
auraient droit à la même autor
ité, en fait une incontestable
primauté est reconnue à la Loi écrite, tout entière Parole de
Dieu, renfermant à elle seule le dépôt complet delà
Révélation ;
aux sentences de la dictée diviue doivent pouvoir se ramener
les stipulations de la Loi orale, promulguée dans le temps
par les Rabbins.
De là les deux directions que suit l'
exégèse juive : suivant
une de ces voies, probablement la plus primitive, elle se livre
à l'étude directe et désintéressée du texte sacré afin d'en
dégager la signification ; dans l'autre voie elle s'applique à
justifier la Loi orale en la déduisant de la
Bible ou en l'y
rattachant par des procédés dialectiques. Inévitables étaient le
mélange et la confusion des deux genres ;
l'exploitation juri-
dique s'introduit dans l'interprétation pratiquée pour elle-
même et ceUe-ci se laisse souvent influencer par les traditions
halakhiques ou haggadiques courantes.
On peut dire également en gros que c'est de cette double
fin, de cette double visée, interprétation désintéressée et
exploitation juridique, que découlent les qualités et les défauts
de l'exégèse rabbinique, les qualités se rattachant plutôt à
la fin désintéressée, à l'exégèse pure, les défauts provenant
en grande partie de la fin intéressée, de l'exégèse tendant à
justifier la Loi. Ne convient-il pas de rappeler ici
EXÉGÈSE RABBINIQUE.
raisonnements, à la fois trop littéraux et trop subtils, pour
lui rappeler que l'Ecriture parle le langage des hommes^ . Néanmoins nombre de rabbins
tannaïtes n'ont pas résisté
à la tentation « de sortir du sens simple » : les méthodes phi-
lologiqiies çpii devaient enchaîner à la rigueur de la lettre,
les méthodes dialectiques qui prétendaient à une logique
rigide servaient pareillement à tourner la signification natu-
relle des textes, à en tirer toutes les traditions et inventions
juridiques, toutes les imaginations haggadiques. Et il le
fallait bien puisque les enseignements, de quelque nature
qu'ils soient, sont contenus dans la Tora et dans elle seule ;
aucune doctrine ne vaut tant qu'elle n'est pas déduite de
l'unique source de vérité : nous connaissons déjà la sentence
de Hillel sur la Tora et tout ce qu'elle renferme.
Il semble, en outre, que certains rabbins aient admis la
multiplicité des sens dans la Bible : l'école d'Ismaël entendait
ainsi le mot de Jérémie
(23, 29) sur la parole de Dieu, qui
est « comme un marteau qui brise le roc » : ce de même que
le marteau fait jaillir une multitude d'étiacelles, de même
chaque (une) écriture se divise en une multitude de sens^. »
1. Siphré Num. 15, 31, § 112, p. 121 : Aqiba déduisait du redouble-
ment du verbe {hikkârét tikkârét) que le coupable sera anéanti en ce
siècle et dans le siècle qui vient ; Ismaël objecte qu'on pourrait déduire
de « sera anéantie » (de 30) ti'ois anéantissements en trois siècles ; et
il ajoute le principe : « l'Ecriture parle la langue des hommes », les
mots n'y ont pas un autre sens que dans la conversation ordinaire.
Sur cette opposition de Tarphon à Aqiba et sur ce principe, voir
Bâcher, Die Àgada de?' Tannaiten, I, p. 236, sq.; le même Tarphon
professai* aussi le principe : la loi parle suivant l'usage humain
{dèrèk 'érès) : ibid., p. 238. H. Weiss, dans son ouvrage sur la tradition
juive {Dor dor wedoriaw), II, p. 105, rassemble les critiques que ses
contemporains faisaient à Aqiba, touchant sa halakha trop subtile et
sa haggada audacieuse.
Noter aussi le reproche que R. José de Damas fait à R. Juda qui
tire de Eadrak (de Zach. 9, 1) des exégèses curieuses sur le nom et
la mission du Messie : « Pourquoi nous pervertis-tu {m'awwét) les
Ecritures ! J'en atteste le ciel et la terre que je suis de Damas et qu'il
y a là un lieu nommé Hadrak. » Cf. Strack-Billerbeck, Zommen^ar zum
N. T., III, p. 136, sqq'.
2. Sanhédrin 34 a; quelques lignes plus haut R. Abbaie tire la même
déduction dePs. 62, 12 : « Dieu a dit une chose et ces deux j'ai enten-
dues... ». Dans le texte parallèle de Sabbat 88 b, il est dit que la parole
de Dieu se divise en 70 langues.
EXÉGÈSE PAXJLINIENNE. Il est naturel de trouver des applications de ce genre dans
l'épltre aux
Hébreux, si riche en développements homiléti-
ques. Nous laissons, pour y revenir, la longue homélie de 3,
7-4., 11. Dans la transition qui conduit au chapitre sur la
foi, l'auteur exhorte ses lecteurs à une patiente et courageuse
persévérance (10, 37-39). Pour cela il prend, dans le texte
d'Habacuc^, devenu un des Keux classiques de la doctrine
chrétienne sur la foi {Rom. 1, 17; Gai. 3, 11), trois vers,
mais tournés et adaptés à la fin recherchée. Les paroles
prophé-
tiques ne sont pas introduites par une formule de citation,
mais par quelques mots, une locution adverbiale, prise dans
Isaïe (26, 20) et destinée à corser l'effet à produire : la proxi-
mité de l'avènement du Seigneur. Une conjonction, yocp, peut
suggérer que les termes suivants sont décisifs, sont un oracle
divin. Le premier vers d'Habacuc(2, 3, 4), suivant la mau-
vaise traduction des LXX, laisse entendre que tout proche est
l'avènement, non de la vision attendue, mais du Christ, le
èp)joîj,£voç. Aussitôt après, par une interversion hardie, est
transcrit le dernier vers sur la foi, source de vie
Les rabbins, et encore aujourd'hui les prédicateurs ecclé-
siastiques, aiment à renforcer leurs exhortations d'une
sentence biblique, qui exprime leur sentiment, même si
originairement elle avait un autre destinataire et se rappor-
tait à d'autres circonstances. Pour les chrétiens ces applica-
tions, plus otÎ moins accommodatices, trouvent, en outre,
cette excuse et cette justification que presque tous les per-
sonnages de l'Ancien Testament peuvent être considérés
comme des figures du Christ et de ses fidèles.
Pour engager ses Corinthiens à ne pas laisser stériles les
grâces divines,
S. Paul reprend une promesse de secours faite
au Serviteur de Yahwé {h. 49,
et il assure qu'elle s'ap-
plique parfaitement à ses lecteurs, en raison du parallé-
lisme exact des circonstances : « temps propice », « jour du
salut » {^ Cor. 6, 2).
Un peu plus loin, dans son sermon de charité, il les invite
à ne pas craindre que leur générosité épuise leurs ressources ;
il évoque l'exemple du juste idéal qui donne largement aux
pauvres et qui, pourtant, demeure toujours
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