lundi 19 octobre 2009 12h10
C'est le dollar qui plonge mais c'est l'Europe qui va trinquer
Depuis le mois de mars, le dollar s'effondre à nouveau. L'euro vaut aujourd'hui près de 1,5 dollar et pourrait continuer à se renforcer dans les mois qui viennent. C'est un casse-tête pour la Chine et une mauvaise nouvelle pour l'Europe. Explications.
Le dollar grimpait au début de la crise, pourquoi baisse-t-il ?
Au début de la crise financière pourtant, la monnaie américaine, qui baissait depuis 2006, était remontée à 1,3 euro. Elle était encore perçue comme une monnaie refuge face à l'avalanche des mauvaises nouvelles économiques et financières.
Mais depuis début 2009, le déficit abyssal du Trésor américain fait aussi peur que les autres. Et l'économie des Etats-Unis ne rassure personne. Les Américains qui n'épargnaient presque rien et s'endettaient pour continuer à consommer malgré des salaires stagnants, se remettent à mettre de l'argent de côté. Ce qui signifie qu'ils ne devraient pas reprendre leur rythme de consommation d'avant la crise.
Or, compte tenu de sa masse, la consommation américaine est un facteur important de la croissance mondiale. Sans elle l'économie planétaire ne retrouvera pas aisément son dynamisme. Et le Trésor américain aura du mal à retrouver des recettes fiscales pour rembourser sa dette et en payer les intérêts.
La monnaie américaine se déprécie donc par rapport à toutes les autres, sauf deux : la livre sterling britannique (parce que les finances britanniques sont en piètre état) et le yuan chinois (parce que les autorités maintiennent volontairement une parité fixe avec le dollar, pour ne pas renchérir leur produits sur le marché américain).
Le dollar peut-il perdre son rôle de monnaie mondiale ?
Rebondissement la semaine dernière : les autorités chinoises, russes,
brésiliennes et arabes des pays du Golfe ont annoncé qu'elles seraient
favorables à ce que l'on crée un panier de monnaie intégrant, en plus
du dollar, d'autres monnaies comme l'euro, et même l'or.
Aujourd'hui, plus de 50% des exportations mondiales sont facturées en dollars. Les réserves des banques centrales sont à plus de 65% en dollars (25% en euros) et le dollar intervient pour 85% dans le marché des changes.
Or, pour les pays pétroliers et les autres pays émergents exportateurs de matières premières comme le Brésil, la baisse du dollar, leur monnaie de facturation sur laquelle sont basées leurs recettes d'exportation, est très pénalisante.
Ils se sont donc réunis avec la Chine et la Russie pour proposer qu'une nouvelle monnaie de facturation soit créée, une monnaie composite, un « panier » de monnaies composé de dollars mais aussi d'euro, d'autres monnaies et même d'or. Leurs recettes d'exportation seraient alors mieux protégées contre la baisse d'une monnaie, et, aujourd'hui, du dollar. Cette seule annonce a suffi à accélérer un peu plus la plongée de la monnaie américaine.
Mais les chances d'aboutir d'un tel projet ne sont pas évidentes. Les monarchies du Golfe ne tiennent pas à fâcher les Etats-Unis ; elles ont besoin de leur « amitié » politique et militaire.
La Chine a-t-elle intérêt à voir le dollar chuter ?
Les Chinois ont « accroché » leur monnaie au dollar. Pourtant, Pékin n'a pas intérêt à ce qu'il baisse trop, car une grande partie de
ses énormes réserves en devises, près de 2 000 milliards, est libellée
en dans cette devise. Quand il baisse, ces réserves fondent donc en valeur relative et elle s'appauvrit.
On assiste donc à un petit jeu de barbichette entre les Etats-Unis et la Chine. C'est elle qui, en plaçant ses réserves sous forme de bons du Trésor américain depuis des années, finance le déficit budgétaire des Etats-Unis. C'est donc elle qui, durant la période d'euphorie financière antérieure à la crise, a alimenté le marché monétaire américain et a permis aux banques américaines de prêter sans compter.
Elle a financé un déficit qui a permis aux américains de vivre à crédit et avec une balance commerciale négative, en particulier du fait… des importations issues de Chine.
Compte tenu de leurs réserves, les Chinois auraient intérêt à ce que le dollar cesse de baisser. Mais ils ne veulent toujours pas provoquer la réévaluation du yuan, pour ne pas freiner des exportations (qui sont en train de ralentir parce que les américains consomment moins). Donc ils font baisser le yuan parallèlement au dollar.
Par ailleurs, comme l'Asie est restée la zone économiquement la plus dynamique, les investisseurs des pays développés se ruent vers elle. Ils apportent des dollars, des euros, des yens japonais contre des monnaies de ces pays asiatiques, ce qui a fait monter le cours de ces monnaies par rapport au dollar, abaissant donc la compétitivité des exportations de ces pays.
Ces derniers temps, leurs banques centrales ont donc acheté des dollars sur le marché des changes pour tenter d'enrayer la baisse de la monnaie américaine. En vain !
L'Europe, grande perdante de ce jeu sino-américain
Pour l'instant, le principal perdant dans ce jeu, c'est évidemment l'euro. Il ne cesse de s'apprécier par rapport au dollar ce qui signifie que les exportations des pays de la zone euro sont entravées. Cela nuit principalement aux Allemands. Mais si la marche de la « locomotive » allemande est freinée, c'est le train européen qui est touché.
Que faire ?
Est-il possible d'inverser le mouvement ? Il faudrait pour cela :
* que l'on voit de vrais signes positifs dans l'économie américaine
* que la banque centrale américaine relève ses taux
* que la banque centrale européenne, à l'inverse, poursuive plus loin la baisse du taux sur l'euro
Aucun de ces trois facteurs n'est acquis. La conjoncture américaine n'est pas encore franchement positive et l'emploi, donc les revenus des ménages, donc la consommation, en sont loin.
Ben Bernanke, le président de la FED, affirme qu'il est partisan, comme le gouvernement américain, d'un dollar fort. En relevant ses taux sur le dollar il attirerait un peu plus les capitaux sur cette monnaie.
Mais il ne le fait pas , car il ne veut pas, par ailleurs, freiner les exportations américaines. Il n'est pas aussi cynique que le secrétaire Connaly au Trésor qui, en 1971, disait aux européens « le dollar, c'est notre monnaie et c'est votre problème ». Mais c'est tout comme…
Enfin, Jean Claude Trichet, président de la banque centrale européenne, aura du mal à baisser encore le taux sur l'euro, par peur du retour de l'inflation lors de la reprise. De plus, la gestion du taux de change de l'euro par rapport aux autres monnaies n'est pas de son ressort, d'après le traité de Maastricht, mais des seize gouvernements de la zone euro. Autant dire de personne !
Toutefois, si l'inflation reste proche de zéro comme en France aujourd'hui, et si les Allemands prennent vraiment peur pour leurs exportations, il pourrait être poussé à baisser son taux. Il faut le souhaiter car, autrement, l'euro sera vraiment la victime du jeu de barbichette sino-américian.
Par Jean Matouk
Source :
http://www.rue89.com/matouk/2009/10/19/cest-le-dollar-qui-plonge-mais-cest-leurope-qui-va-trinquer