mardi 27 octobre 2009 11h19
L’euro n’est pas «fort», il est «cher» !
Depuis le début de l’année, le billet vert a perdu presque 20 % de sa valeur par rapport à l’euro, sans que la BCE ne s’en émeuve un seul instant.
Non, monsieur Trichet, l’euro n’est pas fort, il est cher !
Et pan sur le moral ! Optimistes, ne lisez pas cette chronique ! Vous tous qui croyez - ou plutôt à qui l’on tente de faire croire que le monde est passé à côté du gouffre -, passez votre chemin ! Cet article, qui ne s’inscrit pas dans le panurgisme des économistes et de certains médias, va sans doute vous donner quelques frissons, bien que son but soit beaucoup plus prosaïque que celui-là.
L’auteur de ces lignes cherche désespérément à comprendre pourquoi Jean-Claude Trichet, le président de la Banque centrale européenne (BCE), qui a déjà détruit des centaines de milliers d’emplois, lorsqu’à la tête de la Banque de France au début des années 1990, il a amené les taux d’intérêt à des niveaux totalement stupides, s’enorgueillit d’un euro fort, qui n’est finalement qu’un euro cher. Il s’en satisfait tellement que depuis le début de l’année, le billet vert a perdu presque 20 % de sa valeur par rapport à l’euro, sans que la BCE ne s’en émeuve un seul instant.
On nous explique que cet effondrement du billet vert est tout à fait logique, puisqu’il accompagne la chute de l’économie américaine. À voir ! On nous dit que le président Obama a injecté tellement de dollars dans l’économie américaine, que celui-ci n’est plus qu’une monnaie de singe ! Cela signifierait donc que cette baisse du dollar serait orchestrée depuis la Maison-Blanche… On nous assure même que la Réserve fédérale, n’ayant plus un bilan très sain, a ressorti, de son grenier, sa machine à imprimer des billets verts qui se transforment jour après jour en assignats des temps modernes. Ce qui agace prodigieusement les Russes, les Émiriens ou les Américains du Sud qui vendent leurs matières premières en dollar.
Bien sûr, ce n’est pas la première fois que l’euro s’envole ainsi face au dollar et que la BCE, hélas, regarde passer les trains. Bien sûr, le G20 de Pittsburgh a tenté de vouloir mettre un peu d’ordre dans ce fatras monétaire, mais la France trop occupée à ses pinaillages de bonus n’y a prêté qu’intérêt secondaire.
Si le dollar baisse ainsi, c’est parce que tel est le désir des Américains. Dans une économie mondialisée où les égoïsmes nationaux subsistent mais où les barrières douanières ont presque disparu, la meilleure protection consiste à jouer sur les parités de change.
Le président Obama n’a qu’un seul objectif pour l’économie américaine : qu’elle recrée très vite des emplois. Avec un dollar faible, voire très faible, les entreprises exportatrices localisées aux États-Unis voient la compétitivité de leurs produits s’accroître de 20 % en un an. Ce qui dope leurs ventes dans le monde et soutient leur activité à un moment où toutes les économies sont touchées par la crise financière.
Mais surtout les Américains ont compris, bien avant l’arrivée d’Obama à la Maison-Blanche, que la mondialisation avait profondément changé le rapport capital-travail. L’arrivée sur le marché mondial de l’emploi de 1,5 milliard de Chinois et d’Indiens payés 2 dollars par jour a bouleversé les équations économiques. En faisant baisser le niveau dollar, non seulement les Américains se donnent de l’oxygène supplémentaire, mais ils diminuent en plus le coût du travail sur leur sol. Dans les mois prochains, beaucoup d’entreprises américaines qui ont délocalisé leurs usines, en Inde, en Chine, au Bangladesh, voire au Mexique, vont ainsi les rapatrier aux États-Unis où le prix de revient des produits (salaires plus transports) sera équivalent à celui qu’ils obtenaient au Sichuan ou à Bangalore.
Enfin, dernier avantage pour un pays très endetté comme les États-Unis, le dollar faible va mécaniquement importer de l’inflation, celle-ci allégeant de fait le fardeau des créances. Tout cela relève d’une très belle construction intellectuelle que Larry Summers, le conseiller économique de Barack Obama, n’a pas démenti la semaine passée dans une lettre au Congrès. Le problème, c’est que l’Europe est totalement impuissante et, pire que cela, divisée : les Allemands qui continuent à exporter dans le monde entier, même avec un euro cher, ne voient pas de raison de s’inquiéter.
Il ne faut pas oublier que dans les années trente, un phénomène comparable s’était passé avec les dévaluations du dollar et de la livre sterling qui ont exporté vers l’Hexagone deux répliques de la crise économique.
Au nom de quelle naïveté faudrait-il jeter un voile pudique sur ce protectionnisme monétaire ? Au nom de quel orgueil mal placé faudrait-il ne pas regarder ce problème en face et arrêter de se féliciter d’un « euro fort » ? Quel est l’intérêt de disposer d’un patron de l’Eurogroupe, d’un traité de Lisbonne et d’un espace de 500 millions de consommateurs si nous laissons les Américains nous ruiner avec leurs billets verts. C’est l’emploi des Français qui est en jeu. Ce sont les 16 millions de chômeurs européens qui sont déjà les premières victimes de cette guerre des monnaies. Pour sauver l’euro, il n’y a qu’une chose à faire : organiser au plus vite sa chute.
Yves de Kerdel
Source :
http://marches.lefigaro.fr/news/societes.html?&ID_NEWS=123340900