Bonjour à tous,
Je reviens d'un séjour de 9 jours en Russie et en Ukraine, à Novozybkov, Tchernobyl et Kiev.
J'y ai vu les conséquences de la catastrophe de Tchernobyl... Il y a 25 ans.
Les russes et les ukrainiens ne disent pas catastrophe, ils parlent de cataclysme.
8 millions de personnes vivent en zone contaminée; à Novozybkov, Russie, 45 000 personnes survivent: plus d'industrie parce que la région n'attire plus les personnels qualifiés, plus d'agriculture pour cause de contamination des sols, pas de nourriture "propre" pour les plus pauvres qui ne peuvent pas l'acheter et qui se nourrissent "local", s'irradiant et perpétuant le cercle de la contamination par le césium 137. Des enfants dont le système immunitaire est affaibli, avec des problèmes de thyroïde, des familles qui vivent pour partie dans des bidonvilles là où la terre est la plus contaminée; 800 000 becquerel au m2 de césium 137 dans une cour d'école, et rien n'est fait, pas d'argent. Des solutions pourraient être mises en œuvre, mais l'UE préfère financer un sarcophage construit par le consortium français Bouygues/Vinci pour des millions d'euros.
Et les autorités qui expliquent que ces gens sont pauvres et malades parce qu'ils boivent. Ces notables, ex communistes, ultra libéraux aujourd'hui, auxquels il faut graisser la patte sans arrêt, qui font la pluie et le beau temps, ont oublié ce qu'est la misère, ce que sont les appartements collectifs (plusieurs familles, chacune dispose d'une ou de deux pièce, cuisine et sanitaires en communs, des cages d'escalier sordides, des bâtiments délabrés, et partout à l'extérieur des ordures, de la boue...).
La forêt nourricière empoisonne les gens avec ses baies et ses animaux contaminés, la double peine pour les plus pauvres.
Un hôpital dans un état de délabrement horrifiant, dont les appareils modernes et les matériaux de construction pour la rénovation sont financés par des associations françaises, italiennes, japonaises, allemandes, irlandaises... Les travaux de rénovations sont effectués par le personnel de l'hôpital pendant le temps libre... Les malades irradiés de catégorie trois -une jeune fille par exemple qualifiée par les médecins de "mini centrale nucléaire" simplement après avoir mangé du sanglier braconné dans la forêt!- doivent se rendre à Briansk, 200 km, 4h de train, pour le suivi médical... Personne n'y va, un fatalisme, un sentiment d'abandon, une tristesse comme je l'ai rarement ressenti en Europe.
A Tchernobyl et dans la ville évacuée de Pripiat, un tourisme indécent et dangereux, nous avons mesuré plus de un million de becquerels au m2 de C137 au pied de la grande roue de Pripiat. Notre guide ukrainien notait les résultats de nos mesures, pour pouvoir emmener à l'avenir les touristes sur ces endroits là et leur faire entendre le crépitement du compteur Geiger...
A Kiev, des évacués de la zone interdite qui ont tout perdu, déracinés, sans emploi, malades. Partout, des "liquidateurs" qu'on a envoyé en "héros" il y 25 ans dans la zone interdite pour tenter de limiter les dégâts... Abandonnés aujourd'hui, malades, avec des pensions de misère.
J'étais là bas pour un reportage pour France 3, accompagnant l'association alsacienne "les enfants de Tchernobyl", qui organise l'accueil d'enfants des zones contaminées dans des familles de l'est de la France. L'association n'accueille que des enfants issus de milieux très défavorisés, et j'ai pu visiter les familles russes dont un enfant viendra pour la première fois chez nous cet été. Partout, j'ai vu des enfants qui savaient que ce séjour est une chance pour eux, des parents qui étaient resté sobres le jour de notre visite pour signifier à quel point ils souhaitaient que leur enfant vienne en France pendant les vacances. Pour ces gens, faire un passeport représente une démarche inouïe, il faut aller en ville, remplir d'innombrables papiers, se séparer de leur enfant avec la peur qu'il ne préfère "sa" famille française...
Mais pendant le séjour en France, la charge corporelle en C137 des enfants diminue de 1% par jour, et c'est essentiel pour leur santé - et cela, les parents le savent.
Un dernier mot: l'Ukraine et le Belarus, ainsi que l'oblast de Briansk dans lequel est situé Novozybkov, souhaitent "tourner la page" et demandent le déclassement des zones contaminées qui seraient alors déclarées "propres. Il s'agit de rendre ces zones de nouveau attractives pour les investisseurs, puisqu'elles ne seraient plus dangereuses officiellement, il s'agit aussi de pouvoir cultiver de nouveaux les terres agricoles... et d'exporter cette production... qui serait officiellement exempte de contamination.
Des solutions pour rendre ces régions moins dangereuses et du coup économiquement viables existent, travailler la terre, décontaminer les cours d'école, reloger les habitants dans des maisons salubres, interdire efficacement la cueillette de baies et la chasse dans les forêts, procurer de la nourriture propre aux habitants les plus pauvres etc. Pour des investissements minimes... Mais le monde a les yeux braqués sur le sarcophage de Tchernobyl, que beaucoup de spécialistes critiquent. J`étais à la centrale, là bas, on entend parler français partout: l'INRS est là pour des études sur la santé (les humains sont traités en cobayes, s'indignent les médecins locaux!), Vinci et Bouygues, Alsthom, Areva... A terme, plus d'un milliard d'euros qui peut retomber dans la poche de ces entreprises, de la France, VRP du nucléaire.
C'était il y a 25 ans, et ce n'est pas fini. La contamination des enfants là bas n'a cessé d'augmenter, dans toutes les zones contaminées. Quel est leur avenir?
Au Japon, ce n'est qu'un début.
Même désinformation qu'il y a 25 ans, même désarroi des autorités... et en France, il est "indécent" de débattre du nucléaire?
La France, une démocratie qui n'a jamais vu de débat sur la politique du nucléaire civil à l'Assemblée Nationale... Que font nos représentants?
Le risque est-il calculable? Est-il gérable? Peut-on froidement condamner la population vivant à proximité d'une centrale, et des millions d'autres contaminés plus légèrement, en cas d'accident?
J'ai pu le voir en Russie et en Ukraine, l'accident nucléaire a des conséquences qui vont bien au delà du problème technique. Il génère un traumatisme social collectif, il a des conséquences durables sur la santé, l'économie, la vie politique.
Voici donc ma contribution au débat lancé sur le groupe.
Yvonne Roehrig
Journaliste France 3 Alsace
http://crefrance.ning.com/profiles/blogs/temoignage-edifiant