La folie des déficits
Dette. Pour revenir dans la zone des 3 % de déficit, il nous faudrait réaliser 60 milliards d'économies !
Josée Pochat, le 12-03-2009La France vit à crédit depuis trente ans. Avec la crise, les dépenses filent, les recettes s’effondrent. Le scénario catastrophe n’est plus impossible.
En 2009, 104 milliards de déficit, soit 5,6 % du PIB, et une dette qui s’envolerait à 74 % du PIB. Les toutes dernières prévisions du gouvernement confirment que la France entre dans une récession sévère avec des répercussions dangereuses sur les comptes publics. La Cour des comptes, plus alarmiste encore, prévoit une hausse continue de l’endettement, qui dépasserait la barre des 80 % du PIB en 2012. François Fillon, qui avait déjà, en 2007, parlé de la France comme un « État en situation de faillite », fait dorénavant figure de garant d’une certaine orthodoxie budgétaire.
Et le premier ministre ne cache plus son pessimisme : « Personne aujourd’hui ne peut savoir quand on sortira de cette crise. [Il faut] continuer la politique conduite en matière de réduction de dépenses publiques, c’est-à-dire réduire toutes les dépenses qui ne sont pas celles du plan de relance. » Vœu pieux ? Dans les faits, les robinets de la dépense semblent à nouveau ouverts : instauration du RSA, qui coûtera chaque année 1,5 milliard d’euros au bas mot, mesures sociales pour aider les populations les plus fragiles à faire face à la crise, annoncées par le chef de l’État à la suite de sa rencontre avec les partenaires sociaux le 18 février (2,6 milliards)… sans compter l’addition de la crise qui secoue l’outre-mer depuis près de deux mois…
« Le problème de la France, analyse un économiste, c’est qu’elle est droguée à la dépense publique et allergique à l’impôt. Ce pays finance ses dépenses par l’emprunt et le niveau de sa dette ne cesse de se creuser. » Mais jusqu’où pourra-t-on aller sans risquer une grave crise des finances publiques.
La combinaison du sous-financement structurel de nos dépenses et d’une crise majeure nous amène à un niveau de déficit qui sera sans doute pire que celui atteint en 1993. Depuis trente ans, notre endettement ne cesse de croître et, à chaque épisode de ralentissement de l’économie, voire de récession, le pays plonge un peu plus bas. Aux alentours de la fin des années 1970, notre dette se situait entre 20 et 25 % du PIB. Les années Mitterrand et celles qui ont suivi l’ont amenée à hauteur de 40 % du PIB. Avec le choc de la récession de 1993, la dette a atteint la zone des 60 % du PIB, dans laquelle nous sommes restés. La crise que nous traversons maintenant nous conduit, comme vient de le prévoir la Cour des comptes, dans une fourchette où notre dette se situera entre 80 et 90 % de notre PIB. C’est cette accumulation continue qui pourrait nous conduire à la catastrophe, prédisent les plus pessimistes.
Très concrètement, la dette française va bientôt atteindre 1 400 milliards d’euros. C’est l’équivalent de la somme de cinq budgets consécutifs. Comme si la France avait déjà dépensé l’intégralité des recettes qu’elle percevra jusqu’en 2013 ! Autre image, tout aussi affolante : 100 milliards d’euros de déficit, rapportés au montant de nos dépenses et non plus au PIB, représentent plus du tiers de nos capacités de financement annuel. Cela signifie qu’à partir de la fin du mois d’août 2009, il n’y aura plus un euro dans les caisses de l’État, qui vivra à crédit pour payer l’intégralité de ses dépenses, les salaires des fonctionnaires, les services publics, les minima sociaux !
Malgré tout, Bercy reste optimiste et nous assure encore que nous serons repassés, en 2012, juste sous la barre des 3 % de déficit autorisés par les règles européennes. Contrairement aux prévisions de la commission des finances du Sénat, qui estime, pour sa part, que nous resterons au niveau de déficit de 2009 jusqu’en 2011, pour ne repasser en dessous de 5 % qu’en 2012. « Une fois de plus, le scénario du ministère des Finances prévoyant le retour de nos finances dans une zone de déficit acceptable en 2012 [2,9, juste en dessous des 3 % autorisés par Maastricht] est bien peu crédible, commente un inspecteur des finances. Pour atteindre cet objectif, il faudrait réussir à faire baisser notre déficit d’un point de PIB chaque année, soit 20 milliards, dès 2010. C’est-à-dire réaliser 60 milliards d’économie en trois ans. Plus que la totalité de l’impôt sur le revenu versé par les contribuables ! Seuls des efforts considérables sur la compression de la dépense publique assortis d’augmentations d’impôt nous permettraient cette performance. »
D’autant que les économistes s’accordent à dire que nous ne sommes qu’au début du processus d’effondrement des recettes de l’État. C’est en 2010 que nous allons réellement prendre la mesure de la répercussion de la crise sur les recettes publiques. L’impôt sur les sociétés est assis sur les bénéfices de l’année précédente. En 2009, l’État va percevoir des recettes en fonction des résultats de 2008, alors que le décrochage économique n’a eu lieu qu’au dernier trimestre. Grâce aux trois premiers trimestres, la moyenne de l’année restera correcte. Cette observation vaut également pour l’impôt sur le revenu, lui aussi décalé d’un an. Les trois cents à cinq cents mille chômeurs supplémentaires prévus sur la période vont également avoir un impact fort sur les comptes publics.
Personne ne le conteste : il est normal que, momentanément, le déficit s’accroisse nettement. « Là où le cas français devient aberrant, c’est dans le double discours tenu de manière permanente – que la période récente ne dément pas – consistant à dire qu’il faut moins d’impôts, moins de charges, moins de taxes, tout en continuant à laisser filer les dépenses », estime un haut fonctionnaire de la Commission européenne.
Quand on sortira de l’onde de choc de la crise, les recettes conjoncturelles repartiront. En revanche, on ne trouvera pas de moyens financiers en face des dépenses nouvelles qui auront été engendrées. Et ce n’est pas le processus de révision générale des politiques publiques (RGPP) qui nous sauvera. Les économies prévues sont susceptibles de nous rapporter 7 milliards dans trois ans… alors que nous devrions regagner 60 milliards… pour arriver à 3 % de déficit, quand nous sommes censés, ne l’oublions pas, être à zéro. En réalité, c’est 120 milliards qu’il faudrait trouver pour atteindre l’équilibre, ajuster nos dépenses sur nos recettes. En quoi notre situation est-elle si préoccupante ? C’est qu’avant même le déclenchement de la crise, la France souffrait d’un déficit chronique de 3 % de son PIB.
Le discours ambiant, qui consiste à dire que tous les pays sont dans la tourmente et qu’après tout la situation de la France n’est pas isolée, n’est-il pas irresponsable ? Si le besoin de financement de l’ensemble les États augmente vertigineusement en même temps, les marchés réussiront-ils à satisfaire les besoins de tous ? Ce sont les questions que commencent à se poser les économistes, qui rappellent que le cataclysme financier que nous subissons est à l’origine une crise du surendettement du secteur privé. L’idée que l’on va résoudre une crise de surendettement des agents économiques par un recours au surendettement des États n’est-elle pas dangereuse ? Les mêmes mécanismes ne peuvent-ils pas produire les mêmes catastrophes ?
Le jour où le système s’est effondré, les acteurs privés se sont tournés vers les États, pour leur demander d’empêcher les banques de couler, en les recapitalisant, en donnant des garanties, en relançant l’économie. Cette réponse est supportable dans le cas d’un État disposant de capacités de financement et susceptible, surtout, de jouer ce rôle de garant sans radicalement modifier sa situation financière, ses comptes publics. Ce n’est pas le cas de la France, qui était déjà en position difficile et pour laquelle l’effort supplémentaire demandé pourrait constituer l’élément déclencheur de la catastrophe. Quelle est la crainte générale, aujourd’hui ? C’est sans conteste celle de la défaillance d’un État de la zone euro, même si personne n’ose encore le formuler haut et fort. Il n’est écrit nulle part que les marchés financiers sont obligés, dans la durée et sans se poser de question, de prêter aux États, quelles que soient leurs situations. Ce scénario catastrophe n’est évidemment pas pour demain. Mais déjà, en observant le comportement des marchés financiers et en regardant à quel taux les pays réussissent à se financer, depuis le début de la crise, on constate que la France emprunte plus cher que l’Allemagne. De l’ordre de 0,3 %. Ce qui, rapporté à notre programme d’emprunt pour 2009 – aux alentours de 150 milliards – représente tout de même 500 millions d’euros de frais financiers supplémentaires. C’est l’indicateur que notre état de santé est jugé plus préoccupant que celui des Allemands.
L’assainissement promis par Bercy ne serait possible que moyennant une politique de rigueur très stricte. Mais pas au fil de l’eau en se contentant d’attendre la fin de l’orage et le retour au beau fixe. Sauf à se trouver demain dans une situation où l’on aurait durablement 5 % de croissance jusqu’en 2020. Personne ne peut garantir qu’un État ne se trouve en situation de faillite, a fortiori dans un contexte où les difficultés sont générales et où les marchés financiers seront amenés à faire le tri entre les candidats à l’emprunt. De même que les actions peuvent brutalement s’effondrer en Bourse du jour au lendemain, sans que l’on sache bien pourquoi, et pas forcément de façon rationnelle, nous pourrions vivre le scénario noir d’un pays que les marchés refuseraient de financer. Bruxelles a déjà engagé la procédure de déficits publics excessifs (DPE) prévue par le traité de Maastricht à l’encontre de plusieurs pays, dont la France. Si l’on ne sort pas du DPE dans des conditions amiables, nous passerons, comme le prévoient les traités, à la mise en demeure, avec des injonctions précises. C’est vrai, nous ne sommes pas les seuls dans ce cas. Mais ceux qui croient que le nombre de pays concernés permettra à nouveau à la France de s’en sortir et d’échapper aux sanctions et notamment à la mise sous tutelle, comme en 2003, font un pari risqué. Effectivement, la Commission ne va pas prendre de sanctions contre les États membres cette année ni sans doute en 2010. 2009 étant l’année noire, où tout le monde est affecté dans des proportions plus ou moins grandes.
Le problème français surviendra ensuite, probablement à l’horizon 2011, si la trajectoire de nos déficits a continué à se dégrader nettement, comme tout incline à le penser, et lorsque la croissance repartie et les difficultés derrière nous, nombre d’États membres retrouveront une situation plus saine et notre pays continuera à afficher un déficit structurel. La charge d’intérêt annuel de notre dette représente aujourd’hui le deuxième budget de l’État, derrière l’Éducation nationale. Et au rythme où notre dette se creuse, le remboursement de ses intérêts devrait devenir le premier poste de dépense du budget de l’État dans les cinq ans à venir.
Aurons-nous les moyens et la volonté politique, en 2011, alors que nous serons en pleine campagne présidentielle, de prendre les mesures drastiques, forcément douloureuses, qui nous permettraient de sortir de cette spirale qui plombe les comptes publics français ? La question est posée.
Nous avons toujours vécu dans l’idée du too big to fall, “trop gros pour tomber”. Dans le monde bancaire, il était admis de penser que les géants de la finance ne pouvaient s’écrouler et se trouvaient, de fait, à l’abri de la faillite. Jusqu’à ce jour de septembre dernier, où l’on a vu avec stupéfaction les employés de la banque d’affaires Lehman Brothers, au siège de New York, sortir du bâtiment avec leurs cartons, juste avant que la direction annonce sa faillite. Aujourd’hui, de la même façon, on n’imagine pas la défaillance d’un État membre de la zone euro. Certains commencent à oser penser que c’est bien optimiste…
source:
http://www.valeursactuelles.com/public/valeurs-actuelles/html/fr/articles.php?article_id=4284PS: je conseil la lecture de cet article. Tres revelateur d'une situation budgetaire limite inextricable... Dure de lutter contre l'arithmétique.